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Une notion mystique

Dans le document L'incréé chez Maître Eckhart (Page 123-132)

1°) La dimension métaphorique des textes

1.4 Une notion mystique

Le langage mystique pose la difficulté des mots. Car comme le dit très justement Pierre Gire : « s’il parle, son rapport à l’ineffable déconstruit le discours qu’il tient »351 Son langage s’approche de ce qu’il veut traduire mais n’y parvient de fait réellement jamais, destiné à une d’inachèvement qui lui serait inhérent. La parole d’Eckhart tente donc toujours de trouver les métaphores justes, les images verbales, qui traduiraient la réalité spirituelle du sujet advenant à lui-même à partir du Principe qui le fonde. Or c’est par une référence rigoureuse à la tradition qu’Eckhart évite toutes les errances et tous les égarements de ce langage, et garde sa quête authentique en usant de la bonne distance avec les formes sémantiques disponibles. Aussi évite-t-il tout hermétisme et communique-t-il avec un auditoire.

Notion mystique par excellence, l’Incréé reste un indicible, et en cela ne peut se réduire au concept philosophique abstrait de « Principe », mais désigne bien plutôt une Présence – celle même de la Trinité dans le Fond de l’âme, dans l’Etwas in der Seele. Mais l’intuition que l’homme spirituel peut avoir de cette préexistence de Dieu en lui, reste quant à elle formulable quoique par le balbutiement de mots. Autrement dit nulle forme de parole ne peut réellement la dire, mais le langage reste tout de même le seul moyen de s’en approcher. L’affirmation comme appropriation est donc impossible à soutenir pour l’Incréé. Et c’est là que le mouvement de négativité est rendu nécessaire, et fonde toute approche possible de ce qui demeure sans fondement. La parole eckhartienne est une éthique de la parole : éthique de la parole détachée, c’est-à-dire qui refuse la lettre morte, instituée et cherche l’esprit ; c’est donc une mise en mouvement du dire sous l’impulsion même de la grâce. Dans le vocabulaire d’Eckhart elle prend ainsi la forme d’une brisure, d’une cassure, d’une fissure dont rend compte cette « torsion du vocabulaire » dont parlait Pierre Gire : elle n’est donc pas testament, ni ancien ni nouveau, au sens où elle serait transmise par un héritage, elle n’est ni parole annoncée, ni parole qui annonce. Mais alors quelle est-elle ? Elle est, pourrait-on dire, cette parole de la distance, de l’intervalle : parole qui s’ouvre à la parole elle-même et qui s’oppose au langage conceptuel. Et c’est dans cet intervalle même que se déploie la métaphore. La parole imagée est alors parole du sujet spirituel habité par la grâce de Dieu. C’est donc une

350

Sermon 81, Fluminis impetus laetificat civitatem Dei, JAH III, p. 139. 351 Ibidem, page 290.

parole fondamentalement éthique dans la mesure où elle met en mouvement le sujet parlant, elle ébranle le déjà-parlé et fait alors toutes choses nouvelles. Ainsi Kurt Ruh352 a bien montré qu’Eckhart, dans la continuité des mystiques, se servent de véritables métaphores comme dans le cas du « Bürgelîn » ou « petit château fort » ou encore de l’ « intimum animae », la partie la plus intérieure de l’âme que l’on rend par l’Etwas in der seele ou la seelenfünklein, « petite flamme de l’âme » ou « vestigium Dei », « trace de Dieu » qui est traduit vuozspor gottes.

D’autre part des chercheurs comme Ruedi Imbach353 et Loris Sturlese ont tenté de clarifier la position d’Eckhart à l’égard de la scolastique, et ont ainsin montré dans quelle mesure il pouvait être désigné comme un mystique. L’emploi de la métaphore a-t-elle alors une fonction philosophique ? C’est ce que pense des chercheurs comme Grete Luers354 et J.M. Soskice355. Mais la métaphore présente aussi des aspects littéraires et linguistiques qu’on ne saurait négliger : par associations de réseaux lexicaux, Eckhart confère à des mots du vocabulaire commun, comme « lumière », ou « feu », ou « briller » ou « brûler » une terminologie nouvelle de type mystique. Ainsi la grâce, gnâde, est vue comme une lumière transcendante, mais une lumière qui n’est rien comparativement à une autre lumière qui n’est pas nommée, mais qu’on suppose être celle de l’Esprit Saint lui-même, la lumière incréée par excellence : « La lumière du soleil est minime comparée à la lumière de l’intellect et l’intellect est minime comparé à la lumière de la grâce. La grâce est une lumière transcendante et domine tout ce que Dieu a jamais créé ou pourrait créer. La lumière de grâce, si grande qu’elle soit, est encore minime comparée à la lumière divine. (Sermon 70, Modicum et non videbitis me, JAH III, p. 71). Ainsi : « Le troisième amour est divin. Par là nous devons apprendre comment Dieu a éternellement engendré son Fils unique et l’engendre maintenant et éternellement, dit un maître, et ainsi il l’engendre, comme une femme qui a mis au monde, dans toute âme bonne soustraite à elle-même, demeurant en Dieu. Cette naissance est sa connaissance qui a éternellement jailli de son cœur paternel et en qui il a toutes ses délices. Et tout ce qu’il peut réaliser, il le consume dans la connaissance qui est son engendrement et il ne cherche rien en dehors de lui. Il a toutes ses délices dans son Fils et il n’aime que son Fils et tout ce qu’il trouve en lui, car le Fils est une lumière qui a éternellement brillé dans le cœur

352 « Das mystische Sweigen und die mystische Rede », in : A. Weiss/ G. Hayer (sous la dir.de), Festschrift für

Ingo Reiffenstein, Göppingen, 1988, pp. 463-472.

353 « Die deutsche Dominikanerschule : drei Modelle einer Theologia mystica », in Grundfragen Christlicher

Mystik, 126, 1987, pp. 157-172.

354 Die Sprache der deutschen Mystik des Mittelalters im Werke der Mechthild von Magdebourg, München,

1926, pp. 15-20.

paternel. Pour y parvenir, il faut que nous montions de la lumière naturelle dans la lumière naturelle dans la lumière de la grâce et qu’en elle nous croissions vers la lumière que le Fils est lui-même. Là nous sommes aimés dans le Fils par le Père avec l’amour qui est le Saint- Esprit, éternellement jailli et s’épanouissant dans sa naissance éternelle – c’est la troisième Personne – et s’épanouissant du Fils vers le Père en tant que leur amour réciproque356.

Ainsi les termes lieht, „lumière“ et sunne, „soleil“ sont tous deux des métaphores de Dieu incréé; funke / vunkelîn, « étincelle », des métaphores exprimant le caractère incréé du « quelque chose » dans l’âme, ou si l’on veut la part surnaturelle de l’âme. Ces métaphores, explique Donatella Bremer Buono, déjà présentes dans la tradition mystique, ne sont devenues « un concept central » qu’avec Eckhart357. Ainsi l’incréé se rattache au vocabulaire mystique d’Eckhart avec le terme central chez lui de wüeste, « désert » qui se rapporte comme einoede, « solitude », au caractère incréé de la divinité d’une part, et de l’autre à l’état de recueillement, d’intériorité, requis pour la connaissance véritable de Dieu. C’est cette même idée qui se dégage dans les métaphores relatives à l’état de noblesse de l’âme : ainsi dans le sermon 1, Eckhart emploie le terme de « temple » pour désigner le caractère sacré, surnaturel de l’âme : Swenne dirre tempel alsus ledic wirt von allen hindernissen, daz ist eigenschaft und unbekantheit, sô blicket er alsô schône und liuhtet alsô lûter und klâr über allez, daz got geschaffen hât, und durch allez, daz got geschaffen hât, daz im nieman widerschînen mac dan der ungeschaffene got aleine.

Quand ce temple se libère ainsi de tous les obstacles, c’est-à-dire de l’attachement au moi et de l’ignorance, son éclat est si beau, il brille avec tant de pureté et de clarté au-dessus de toute ce que Dieu a créé et à travers tout ce que Dieu a créé, que nul ne peut avoir autant d’éclat, sinon seul le Dieu incréé. Und bî rehter wârheit, disem tempel ist ouch nieman glîch dan der ungeschaffene got aleine. Allez daz under den engeln ist, daz glîchet sich disem tempel nihtes niht. Et en toute vérité : personne n’est réellement pareil à ce temple sinon seul Dieu incréé. Tout ce qui est au-dessous des anges ne ressemble absolument pas à ce temple. Dans le sermon 2, il utilise l’expression de « château fort » : « Si vraiment un et simple est ce petit château fort, si élevé au-dessus de tout mode et de toutes les puissances est cet unique un, que jamais puissance ni mode, ni Dieu lui-même ne peuvent y regarder. En toute vérité et aussi vrai que Dieu vit, Dieu lui-même ne le pénétrera jamais un instant, ne l’a encore jamais pénétré de son regard selon qu’il possède un mode et la propriété de ses

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Sermon 75, Mandatum novum do vobis, JAH III, pp. 104-105.

Personnes358. » Et dans le sermon 81, il parle d’une ville qui est l’âme : « « Ville » signifie « civium unitas », c’est-à-dire une ville fermée vers l’extérieur et unie intérieurement. Telle doit être l’âme dans laquelle Dieu doit fluer, préservée extérieurement des embûches et unie intérieurement dans toutes ses puissances. Ainsi, il faut que l’âme soit recueillie et concentrée dans la plus noble puissance qui se trouve en elle pour recevoir le « flot » divin qui la comble et la réjouit. Saint Jean écrit que les apôtres étaient réunis et enfermés lorsqu’ils reçurent le Saint-Esprit.

Mais la grâce que le Saint-Esprit apporte à l’âme est accueillie sans ce qui est autre qu’elle, si l’âme est recueillie dans la puissance simple qui connaît Dieu. La grâce jaillit dans le cœur du Père et flue dans le Fils et de leur union à tous deux elle flue de la sagesse du Fils et flue dans la bonté du Saint-Esprit et est envoyée dans l’âme avec le Saint-Esprit. Et la grâce est un visage de Dieu, elle est imprimée dans l’âme avec le Saint-Esprit sans ce qui est autre qu’elle et elle rend l’âme conforme à Dieu359. » On comprend ainsi pourquoi l’attribut de « noble » qui revient souvent dans les sermons allemands d’Eckhart, est un terme qui convient particulièrement à ce « quelque chose d’incréé dans l’âme : In dem êrsten berüerenne, dâ got die sêle berüeret hât und berüerende ist ungeschaffen und ungeschepflich, dâ ist diu sêle als edel als got selber ist nâch der berüerunge gotes. Dans le premier contact où Dieu a touché l’âme et la touche comme incréée et incréable, l’âme est par ce contact de Dieu aussi noble que Dieu lui-même360.

Eggers a montré à quel point les adjectifs comme adel, adelîc, edel (autant d’adjectifs qui désignent la noblesse), apparaissent dans le langage mystique du Moyen Âge pour désigner aussi bien Dieu que l’âme ainsi que la relation d’union de l’âme à Dieu, ou l’expérience mystique de l’unité : « Eckhart nous parle ainsi d’un noble qui part conquérir un royaume, c’est-à-dire de l’homme qui essaie d’arriver à Dieu, d’un Dieu qui nous invite à sa cour céleste361. » Si l’on retrouve les métaphores caractéristiqus de la littérature épique et de la poésie courtoise, comme l’a montré Hermann Kunisch362, Eckhart en fait un emploi radicalement nouveau et les ancre dans la perspective d’une mystique de l’être (Wesenmystik) en laquelle l’expérience de la naissance du Verbe dans l’âme apparaît centrale pour comprendre le sens de « cette grande noblesse que Dieu a mise dans l’âme » (Sermon 53). Car

358 Sermon 2, Intravit Jesus in quoddam castellum, JAH I, p. 56. 359

Sermon 81, Fluminis impetus laetificat civitatem Dei, JAH III, pp. 138-140.

360 DW I,1 / p. 172; Predigt 10, In diebus suis placuit Deo.

361 Eggers, Deutsche Sprachgeschichte, cit., p. 192. 362

« Vom Verhältnis höfischer Dichtung zur Mystik », in : U. Hennig / H. Kolb, éd., Mediaevalia letteraria,

si Dieu a mis en l’âme humaine créée une part de sa divinité incréée, c’est pour que l’homme s’en souvienne et ainsi se détache de tout ce qui n’est pas Dieu afin de revenir à ce « royaume » et ainsi de donner naissance au Verbe dans ce « petit château fort ». On comprend ainsi que l’incréé dans l’âme, comme marque de la présence intime et cachée de Dieu, soit ce « lieu » le plus profond et le plus intérieur, et donc le plus noble, image du fond même de la Trinité, et soit un récurrent du langage mystique d’Eckhart. Car cette « fine pointe » apparaît à la fois comme la condition préalable à la naissance et le lieu même de cette naissance. Or si les métaphores abondent à son sujet c’est, à notre avis, pour en dégager le caractère surnaturel et incréé – et ainsi la rattacher à l’ordre d’une expérience mystique de l’unité au fond de Dieu, et ainsi la participation de l’âme à la vie trinitaire.

C’est dans cette perspective de l’unité mystique du fond de l’âme au fond de Dieu qu’Eckhart comprend l’incréé – non pas comme la divinisation de l’homme par ses propres forces, mais comme la présence même de l’Esprit Saint qui œuvre pour l’accomplissement de l’unité de l’homme à Dieu, et ainsi pour la filiation de l’homme : « Père, je te prie de les rendre un comme moi et toi sommes un. » Où deux doivent devenir un, l’un doit perdre son être. De même : si Dieu et l’âme doivent devenir un, l’âme doit perdre son être et sa vie. Autant il en demeurerait ainsi, autant certes ils seraient unis, mais s’ils doivent devenir un, l’un d’eux doit perdre absolument son être et l’autre conserver son être : ainsi ils sont un. Or le Saint-Esprit dit : ils doivent devenir un comme nous sommes un. « Je te prie de les rendre un » en nous363. » : Und sol got und diu sêle ein werden, sô muoz diu sêle ir wesen und ir leben verliesen. Als vil, als dâ blibe, als vil würden sie wol geeiniget. Aber, süln sir ein werden, sô uoz daz ein sîn wesen zemâle verliesen, daz ander muoz sîn wesen behalten : sô sint sie ein. Nû sprichet der heilige geist : sie suln ein werden, als wir ein sîn. „Ich bite dich, daz dû sie ein machest“ in uns.

Ainsi métaphorique eckhartienne a été interprétée par Josef Koch et Vladimir Lossky comme une « réponse du mystique à la nécessité de transmettre par l’intermédiaire des images, par analogie, ce qui peut être connu, en réalité, qu’au moment de l’extase ». Ainsi les états d’union à Dieu, le sentiment de présence d’un quelque chose d’incréé en soi, comme ce plus intime à soi-même que soi (et qui est la présence de Dieu) sont donnés par des métaphores, des allégories et des symboles. Des chercheurs comme Kurt Ruh ont vue dans le

363Und sol got und diu sêle ein werden, sô muoz diu sêle ir wesen und ir leben verliesen. Als vil, als dâ blibe, als

vil würden sie wol geeiniget. Aber, süln sir ein werden, sô uoz daz ein sîn wesen zemâle verliesen, daz ander muoz sîn wesen behalten : sô sint sie ein. Nû sprichet der heilige geist : sie suln ein werden, als wir ein sîn. „Ich bite dich, daz dû sie ein machest“ in uns. DW III, p. 101/ Sermon 65, Deus caritas est et qui manet in caritate, JAH III, p. 38.

langage d’Eckhart une « recherche de médiation entre intuition et spéculation dune part, entre pensée et langage de l’autre ». Ainsi Ruh s’intéresse à l’analyse des moyens stylistiques, comme l’analogie ou l’antithèse ou l’apostrophe, pour montrer de quelle façon ils revêtent dans l’économie du discours du Maitre un rôle de première importance.

De ce fait l’éthique est liée à l’herméneutique. Or cette dernière n’est pas seulement à entendre comme expérience de la compréhension sémantique, mais incarne une attitude fondamentalement spirituelle, rendant possible l’approche de notions comme celle de l’incréé, qui semble échapper à toute appréhension du langage conceptuel. L’éthique de la parole eckhartienne est donc une exigence d’intimité et d’unité entre le dire et le vivre : pour dire avec de pauvres mots ce qu’il vit au plus profond de lui, l’homme doit s’en remettre entièrement à la grâce de Dieu, sans quoi sa pensée du divin devient dogmatique et idéologique. Il y aurait donc chez Eckhart une noblesse de la parole comme telle : noblesse au sens où cette parole serait prononcée par un homme noble, c’est-à-dire un juste, un homme libre, qui se nourrirait de la Parole de Dieu, lui rendant alors toute sa dimension et la laissant en tout premier lieu s’exprimer elle-même à travers sa bouche. La Parole est donc d’abord Verbum et ce Verbe est essentiellement silencieux, incréé. C’est pourquoi Dieu naît dans l’âme au milieu du silence : dum medium silentium.364 Car quand saint Jean dit : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu. » que signifie ce commencement ? En quoi ce commencement induit-il la présence du Verbe auprès de Dieu, la présence du Verbe comme Dieu ? « Eh bien ! nous dit Eckhart, celui qui doit entendre cette parole dans le Père – où règne un grand silence (dâ ist ez gar stille) – celui-là doit être très silencieux (der muoz gar stille) et détaché (gescheiden) de toutes les images (bilden) et même de toutes les formes (formen). »365 Car entendre cette parole ne semble pas suffire, il faut l’entendre dans le Père « où règne un grand silence. » Or que signifie se tenir « silencieux » ? C’est d’abord pour Maître Eckhart une attitude intérieure : non pas un repli sur soi, une régression dans le créé, mais un profonde ouverture à la parole. Et cette ouverture a pour sens une pure vacuité , c’est-à-dire une écoute détachée, une écoute qui se place à partir du silence incréé du Père, donc qui comprend le Logos comme Parole intérieure, Parole du tréfonds de la divinité. C’est pourquoi l’homme doit faire silence, il doit faire le vide en lui-même s’il veut parvenir à entendre cette Voix de fin silence. Car c’est si noble en soi- même qu’aucune parole, aucun bruit créé, ne sauraient y pénétrer. Car « le silence du Père »

364 Que signifie alors « au milieu du silence » ? Pour le comprendre, revenons au Sermon 42, Adolescens tibi

dico : surge, dans lequel reprend l’analyse du début du Prologue de saint Jean.

correspond à son Fond incréé, à ce Abîme sans Fond où la Déité a sa retraite et jouit alors d’un pur silence. Et ce silence apparaît comme la condition de possibilité de la Parole dans le monde créé. Ce silence est donc celui de l’origine, c’est un silence de l’avant et de l’après Parole, un silence qui signifie en lui-même et par lui-même la pureté ou l’absolu de la Déité de Dieu, de sa nature divine incréée C’est pourquoi l’unique Parole du Père ne peut advenir que de ce silence, auquel il faut revenir comme à une demeure parfaite, un lieu qui est sans lieu, un fond qui est sans fond, une Parole qui n’a pas de dire mais qui est tout entière dans son silence : Parole Principe qui ne se fonde sur rien d’autre que sur elle-même, pure manifestation du Père, en tant qu’elle conserverait en elle tout l’éclat incréé de sa paternité originelle. C’est pourquoi « toute notre béatitude, c’est que l’homme fasse la percée et dépasse tout le créé et toute la temporalité et tout l’être, et pénètre dans le fond qui est sans

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