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Section II – de l'absence de protection de la représentation du geste footballistique par le droit de la propriété intellectuelle et industrielle

Paragraphe 1 – de l'absence de protection au titre du droit voisin de l'artiste interprète

A) de la notion d'artiste-interprète

263. L'artiste-interprète est « la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou

exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes »372. Partant de ce postulat, si la nature des droits voisins est assurément

binaire (1), leur domaine d'application demeure particulièrement strict (2).

1- de la nature binaire des droits voisins de l'artiste-interprète

264. L'artiste-interprète dispose de droits voisins du droit d'auteur qui sont à la fois extra-

patrimoniaux et patrimoniaux. Ils résultent de la volonté du législateur de répondre à la recherche d'une « meilleure protection des intérêts de cette profession »373 que l'attribution du statut de salarié

et de droits sociaux divers n'a su satisfaire. En France, pendant longtemps, l'interprétation des artistes-interprète n'a pu être protégée. Ce n'est qu'en 1937 que le tribunal civil de la Seine, à Paris, leur a reconnu « un droit sur leurs créations ayant un caractère personnel, telle que l’interprétation

qu’ils donnent aux rôles qui leur sont confiés »374. En 1964, la Cour de cassation va jusqu'à juger

que l'interprétation est en soi une œuvre375 avant de revenir à une solution plus nuancée en 1977376,

mais garantissant toujours la prestation de l'artiste-interprète. Progressivement, la jurisprudence civile française a dégagé un régime de protection des artistes-interprètes dans le cadre de la

370 Voir supra n°31.

371 N. BINCTIN et S. MANDEL, Les créations prétoriennes de la Cour de cassation en droit de la propriété

intellectuelle, Communication Commerce électronique, n°2, février 2015, étude n°4, n°7.

372 Article L. 212-1 du Code de la Propriété Intellectuelle ; article 80.1 de la loi italienne n°633 du 22 avril 1941. 373 X. DAVERAT, Droits voisins du droit d'auteur, JCP, fasc. 1405, 2 juillet 2008

374 T. civ. Seine, 3ème chambre, 23 avril 1937, JCP G, 1937, II, 247. 375 Cass. civ. 1, 4 janvier 1964, Fürtwängler

propriété artistique et littéraire (arrêts de 1980377 et de 1984378). Par suite, la Convention

internationale sur la protection des artistes-interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, signée à Rome le 26 octobre 1961, a offert aux artistes-interprètes le bénéfice d'un dispositif juridique protégeant leurs droits. En France, les lois des 3 juillet 1985 et 1er juillet 1992 sont venues, avec l'aide de différentes conventions collectives, parachever l'œuvre du droit positif en accordant des prérogatives morales et patrimoniales aux artistes-interprètes. L'Italie, au demeurant signataire de la convention de Rome de 1961, connaît depuis 1941 un régime juridique semblable et particulièrement précis379 380... soit bien avant la

France.

265. Des prérogatives extra-patrimoniales. En France, les droits moraux de l'artiste-

interprète sont fixés par l'article L.212-2 du Code de la propriété intellectuelle (C.P.I.), lequel dispose que « L'artiste-interprète a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son

interprétation. Ce droit inaliénable et imprescriptible est attaché à sa personne. Il est transmissible à ses héritiers pour la protection de l'interprétation et de la mémoire du défunt. ». En Italie, l'article

81 de la loi de 1941 prévoit le droit pour l'artiste-interprète de s'opposer à la diffusion de son interprétation si elle porte atteinte à son « honneur » ou à sa « réputation ». Si le droit au respect de son nom et de sa qualité ne pose, a priori, pas de difficulté, il en va autrement de la notion d'interprétation. Que recouvre-t-elle ? A partir de quand est-elle dénaturée ? L'utilisation d'extraits de la prestation de l'artiste-interprète dans un but autre que celui de la prestation initiale peut être qualifiée d'atteinte au respect de l'interprétation, par exemple l'utilisation non consentie d'extraits du jeu d'un acteur d'un film dans une publicité381 ? La jurisprudence s'attache à la finalité de la

prestation et aux conditions dans lesquelles l'artiste-interprète l'a opérée382.

266. Des prérogatives patrimoniales. Contre rémunération, et par un contrat écrit,

377 Cass. civ. 1, 5 novembre 1980, SNEPA c/ Radio France, Bull civ. I, n°285, note FANCON (A.), RTD com, 1981, p. 544.

378 Cass. civ. 1, 25 janv. 1984, RIDA mars 1984, p. 148. ; DAVERAT (X.), « Droits voisins du droit d’auteur », Jurisclasseur, Fasc. 1405, 2 juillet 2008.

379 Loi italienne n°633 du 22 avril 1941 relative au droit d'auteur, articles 80 à 85.

380 G. JARACH et A. POJAGHI, Manuale del diritto d'autore, Mursia Editore, 2011, p.150.

381 CA Paris, 23 avril 2003, note X. DAVERAT, Droits voisins du droit d’auteur, JCP, Fasc. 1405, 2 juillet 2008. 382 X. DAVERAT, Droits voisins du droit d’auteur, JCP, Fasc. 1405, 2 juillet 2008.

l'artiste-interprète autorise la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public ainsi que l'utilisation séparée du son et de l'image de sa prestation. Il peut donc faire une utilisation commerciale de son art personnel et chaque mode d'exploitation doit être prévu contractuellement. L'interprétation par Tino ROSSI de chansons composées par le célèbre parolier marseillais Vincent SCOTTO, lequel s'était – ce n'est pas faire injure à sa mémoire que de l'écrire – parfois inspiré des airs traditionnels napolitains chantés par le ténor Claudio VILLA, donnait lieu, d'une part, à des droits d'auteur relatifs aux textes proprement dits et perçus par Vincent SCOTTO, et, d'autre part, à une rémunération du chanteur, en l'occurrence Tino ROSSI, au titre de son interprétation unique et inimitable. L'interprétation constitue une véritable activité intellectuelle à laquelle l'artiste-interprète apporte son art et sa personnalité. L'artiste-interprète est dès lors distinct de l'artiste de complément ou figurant qui n'est qu'un simple « outil de decorum », dont la prestation n'est pas protégée au titre de la propriété littéraire et artistique.

2- du domaine d'application particulièrement strict

267. Il n'y a artiste-interprète qu'en présence d'une œuvre littéraire ou artistique. La

définition légale de l'œuvre ne semble ainsi donnée seulement dans le cadre d'une liste non exhaustive d'activités définies par le législateur. En France, l’article L.112-2 du C.P.I. énumère ainsi un certain nombre de catégories d'activités, dont l’œuvre audiovisuelle, laquelle est définie très largement comme consistant en des séquences animées d’images, sonorisées ou non. L’enjeu résidera donc dans l’originalité de l’émission, et celle-ci pourrait se manifester par l’existence d’un scénario, d'un enchaînement déterminé, d'une mise en scène, de choix esthétiques qui révèlent une personnalité. En Italie, l'article 2 de la loi de 1941 vise les œuvres littéraires, dramatiques, scientifiques, pédagogiques, religieuses, les compositions musicales, les oeuvres chorégraphiques et de marionnettes, les sculptures, les peintures, le dessin, les arts figuratifs, la scénographie, les photographies, etc. Certes, l'article L.112-1 du C.P.I. français dispose que la loi « protège les droits

des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » et il en est de même en Italie383. Mais pour être l'objet d'une protection,

l'œuvre doit être originale et matérialisable dans une forme perceptible par les sens.

268. La notion d'originalité de l'œuvre384385386. Il s'agit là de la condition essentielle de

protection d'une œuvre par la propriété littéraire et artistique. C'est un critère indispensable, qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Le concept d'originalité exclut, d'abord, la protection générale, abstraite, « nue » de toute création : la création doit être originale pour être susceptible de protection. L'œuvre susceptible de protection est pourvue des habits de l'originalité. Il consent, ensuite, à permettre l'exploitation économique exclusive de la création par son auteur. Il permet, enfin, de distinguer une œuvre parmi d'autres. Pour le Professeur Laure MARINO, « la

compréhension de la notion d’originalité a évolué et évolue encore. On peut schématiquement distinguer trois étapes et donc trois définitions : l’empreinte de la personnalité de l’auteur, la marque de l’apport intellectuel de l’auteur et l’expression des choix libres et créatifs de l’auteur. »387 Plus forte que la condition de nouveauté de l'œuvre, la notion d'originalité permet de

révéler l'empreinte de la personnalité de son auteur ; il y a mis toute sa différence, toute son âme. Reste qu'il demeure parfois difficile, pour les juges du fond, de qualifier une œuvre d'originale, l'appréciation étant extrêmement subjective et propice à d'interminables débats qui n'ont d'autre issue qu'un doute raisonnable. Quant aux deux autres sous-critères, à savoir l'apport intellectuel et la libre expression des choix créatifs, quand bien même l'auteur de la création n'ait pas eu l'intention de la créer, ils revêtent un caractère plus objectif, le dernier présentant la particularité d'être régulièrement invoqué par la jurisprudence388. L'originalité se traduit donc par la recherche de la

volonté créative – inconsciente ou non – de l'auteur, dictée par lui seul et cette précision prend tout son sens dès lors qu'il s'agira de déterminer le titulaire des droits protégés. Une création peut-elle, dès lors, être originale sans être individuelle ? La fusion des choix créatifs individuels et des apports intellectuels multiples qui peuvent être à la source d'une œuvre originale n'en demeure pas moins une forme d'indivision bâtarde, tant il est impossible de distinguer avec justesse le pourcentage de l'apport de chaque « artiste-contributeur ». De même, la commande d'une œuvre, si elle répond à un cahier des charges particulièrement précis, encadré et détaillé, jusque dans les techniques de mise en

384 Voir infra n°678.

385 N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, chronique, La Semaine Juridique Edition Générale, n°16, 20 avril 2015, doctr. 484 ; Cass. civ 1ère, 20 mars 2014, n°12-18.518, P+B : JurisData n°2014-006515 ; Cass. civ 1ère, 10 septembre 2014, n°13-21.996, Inédit : JurisData n°2014-025296 ; Cass. civ 1ère, 10 décembre 2014, n°10-19.923, inédit : JurisData n°2014-030967 ; Cass. civ 1ère, 15 janvier 2015, n°13-22.798, Inédit.

386 L'article 1er de la loi italienne n°633 du 22 avril 1941 relative au droit d'auteur vise le caractère créatif, tandis que les articles 2, 4, 12, 17, visent le caractère original.

387 L. MARINO, Droit de la propriété intellectuelle, PUF, collection Thémis, mars 2013 388 Cass. 1re civ., 13 nov. 2008, Paradis, n° 06-19.021, F P+B+R+I.

œuvre, ne permet pas, selon nous, de retenir la notion d'originalité et de revêtir alors la possibilité d'une protection au titre de la propriété littéraire et artistique. Il n'en reste pas moins que la Cour de cassation française a une appréciation très particulière de la notion d'originalité et sa jurisprudence semble basculer dans une certaine forme d'arbitraire. Ainsi en est-il du refus obstiné de protection des parfums qui ne sont pas, selon la Cour, des œuvres originales (sic). Or, le travail de sélection des nez résulte pourtant d'un choix de recherche artistique et d'équilibres olfactifs389.

269. La notion de concrétisation formelle de l'œuvre. Ce second critère apparaît plus

critiquable. Il s'agit de caractériser une œuvre protégeable si et seulement si elle est matériellement perceptible par les sens. La forme de l'œuvre ne garantit pourtant pas sa protection. Ainsi, une œuvre banale peut être perceptible par les sens sans être originale et digne d'intérêt. En l'espèce, il s'agit plus d'associer au critère de l'originalité un critère probatoire que d'induire de l'existence d'une œuvre une forme obligatoirement perceptible390. Ce serait d'ailleurs aller à l'encontre de la liberté

artistique que de prescrire une liste de formes recevables ! Selon le Professeur GAUTIER, « la

précision ou l’individualisation devrait être le vrai critère de détermination de la protection formelle par le droit » en lieu et place de la condition de concrétisation formelle de l'œuvre

perceptible par les sens. Une œuvre perceptible par les sens est une œuvre qui n'est pas restée à l'état d'idée ou de projet mais qui a été matérialisée sur un support, même numérique, afin qu'elle puisse être perçue par la vue, le toucher, le goût, l'odorat, l'ouïe. Les cinq sens font d'ailleurs l'objet d'une attention particulière de certains artistes. De nombreuses œuvres, dès la Renaissance, s'en font l'écho. En témoigne une série de tableaux de Jan BRUEGHEL l'Ancien et de Pierre-Paul RUBENS, intitulée L'Allégorie des cinq sens, qui sont des huiles sur toile réalisées au XVIIème siècle et

personnifiant les sens humains au travers de figures féminines. D'autres œuvres, semblablement intitulées, virent le jour391. Après une période morne au XXème siècle, le thème des sens est

aujourd'hui loin d'être tombé en désuétude si nous en croyons la prolifération des musées du vin, des jardins de parfums, des installations numériques sonores, et autres applications mobiles mettant

389 M. VIVANT, Droit d'auteur : le Paradis pour le boulon ? L'enfer pour le parfum ?, Revue LAMY droit de l’immatériel, n°91, mars 2013.

390 P.-Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF, collection Droit fondamental, 7ème édition, 2010.

391 Les œuvres de Théodor ROMBOUTS en 1620, de Lubin BAUGIN en 1630, de Sébastien STOSKOPFF en 1633, Jacques LINARD en 1638, de Simon de VOS en 1640, de Frans FRANCKEN en 1642, de Gérald DE LAIRESSE en 1668, et de Giuseppe RECCO en 1676.

à l'épreuve les sens humains. Comment, dès lors, ne pas considérer l'utilité des sens pour caractériser, en droit, une œuvre digne de protection ? L'utilité de la matérialisation de l'œuvre présente néanmoins essentiellement l'intérêt de pouvoir dissocier l'idée originelle de l'œuvre existante et aboutie formellement392.

270. Un autre critère, inconnu du droit positif, n'a pas été appelé à la cause, c'est celui du

caractère rémunérateur de l'œuvre. Il n'est pas dans l'idéal du créateur de créer pour commercer, ce serait là détourner la nature intrinsèque et la destination de l'activité artistique. Si un tel critère devait être retenu, les différentes œuvres créées pour être offertes ou exécutées à titre purement gracieux se verraient alors contester le droit de jouir d'une protection... De même, la valeur commerciale d'une œuvre est souvent impossible à définir dans l'immédiateté de sa création et il n'est pas rare qu'elle se révèle après le décès de son auteur, autant qu'une œuvre banale non originale puisse conduire, soudainement, à un gain de notoriété de son auteur lui permettant de percevoir, par ricochet, une rémunération. Evoquons la triste « prestation » de Michaël YOUN montrant son postérieur à la télévision, dans l'émission Morning Live sur M6, au début des années 2000 en France. Il s'agissait bien d'un choix « artistique » libre. Il s'agissait bien d'une prestation perceptible par les sens, en l'occurrence la vue. Pour autant, elle n'était pas originale – et ce n'était donc pas une œuvre – mais a permis à son auteur de construire une véritable notoriété et d'en tirer, indirectement et a posteriori, des engagements et des revenus.

271. Le concept d'artiste-interprète, indubitablement lié à la notion d'œuvre, semble ne pas

pouvoir s'appliquer au geste sportif.