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Section II – de l'appréhension aléatoire par le droit de la capitalisation du sportif professionnel

Paragraphe 2 – de la patrimonialisation du talent sportif

A) de l'indifférence du droit français

165. L'indifférence du droit français à l'égard de la patrimonialisation du talent sportif est

marquée par une base constitutionnelle timide (1) et par l'intérêt croissant des praticiens (2).

1- Une base constitutionnelle timide

166. La reconnaissance timide de la notion de talent par le bloc de constitutionnalité en France. L'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dispose que

« […] Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places

et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » C'est la première acception à valeur constitutionnelle du terme « talents », formulé au

pluriel, et distingué des « vertus » et de la « capacité » des individus. Le talent n'est ici reconnu que dans le cadre de la sélection d'accès à un emploi, il n'est qu'une dérogation autorisée au principe d'égalité entre les citoyens.

167. Si le droit français connaît la notion de talent, qu'en est-il de sa patrimonialisation ? 168. Le silence de la Constitution. Aucune disposition de la norme suprême française ne

s'oppose à la patrimonialisation du talent sportif. Si le préambule de la Constitution de 1946, intégrée au préambule du texte de 1958, proclame que « nul ne peut être lésé dans son travail », il ne prévoit que trois cas d'atteinte : les origines, les opinions, et les croyances. Devons-nous en déduire qu'il soit possible de léser un individu dans son travail à raison de son talent ou plutôt de son absence de talent ? Assurément non, les droits protégés par ledit préambule le sont de manière large, c'est ainsi le droit au travail tout entier qui est protégé et consacré. Si l'absence de talent ne peut suffire à caractériser une atteinte légitime aux droits du salarié, l'existence d'un talent propre doit lui permettre d'être distingué des autres afin d'être récompensé, et ce dans l'esprit de l'article 6 de la D.D.H.C. Cette récompense peut-elle être patrimoniale ? L'article pré-cité évoque la notion d'accès à une « place ». Il s'agit d'un terme suffisamment large et imprécis pour considérer qu'une

place puisse constituer, outre un emploi classique, une place économique, une place à valeur marchande. Ce faisant, le bloc de constitutionnalité ne s'oppose pas à la patrimonialisation du talent sportif.

2- De l'intérêt croissant des juristes

169. Patrimonialiser, c'est, pour le juriste, valoriser. La patrimonialisation du talent

sportif permet au sportif salarié non seulement l'accès à un emploi, essentiellement aux emplois ultérieurs, mais peut tendre à garantir l'évolution de sa – courte – carrière. En effet, en droit du travail, alors que l'employeur qui met en place un système d'évaluation de ses salariés est tenu à leur égard du respect d'une obligation d'adaptation à leurs postes respectifs, cette obligation est, pour le club sportif employeur, de veiller à ce que les compétences et le talent de ses joueurs correspondent à l'emploi qu'ils occupent, c'est-à-dire à un niveau donné de rémunération et à une place propre dans la stratégie de jeu. Le droit à la formation du salarié lui offre la possibilité de perfectionner son talent. Patrimonialiser le talent sportif revient donc à donner une valeur rémunératoire à un élément personnel du salarié, d'où il suit que le sportif ne pourra en principe pas souffrir d'une sous- rémunération. Puisqu'aucune norme ne s'y oppose, c'est la voie contractuelle qui est privilégiée.

170. Le talent est l'objet du « contrat de transfert ». En présence d'un transfert, ce que le

club « cessionnaire » « achète » au club « cédant » est le droit d'utiliser le talent du joueur. Au demeurant, le droit français n'interdit pas que cet actif puisse figurer au capital d'une société sportive, comme le fit le club de Valenciennes dans les années quatre-vingt-dix. L'Olympique de Marseille a également fait jouer la valeur patrimoniale du talent de ses joueurs pour assainir son budget. Dans l'objectif de concurrencer d'autres clubs à l'échelle internationale, le Paris Saint Germain a fait de même.277 Devons-nous en déduire que le droit français demeure indifférent à la

patrimonialisation du talent sportif ? Assurément oui, et le Marquis de Sade expliquait, à raison, que « c'est dans le silence des lois que naissent les grandes actions »278. L'indifférence du corpus

juridique revient à caractériser une absence de règles de droit positif prohibitives. Ainsi,

277 D. ANTOINE, Le fonds de compétition sportive, thèse de doctorat, Université de Nice, 21 janvier 1999, pages 99 à 101.

traditionnellement, ce qui n'est pas interdit par la loi demeure permis.

171. Les limites. Existe-t-il des limites à cette indifférence normative relative à la

patrimonialisation du talent sportif en droit français ? Specialia generalibus derogant. Aucune norme spéciale ne venant s'appliquer, c'est le droit commun des contrats, le droit du travail, et le respect des droits de la personnalité qui viennent régir les relations entre les joueurs professionnels et leurs clubs respectifs.

172. Si le droit français demeure indifférent à la patrimonialisation du talent sportif

quoique la jurisprudence tende à la mettre en œuvre, le droit italien se révèle plus attentif aux enjeux juridiques du football professionnel. Le législateur transalpin a ainsi consacré pleinement la patrimonialisation dudit talent279. Il va sans dire que l'intérêt politique du football en Italie est

supérieur à ce qu'il est en France. Or, le droit n'est que la traduction des aspirations politiques et sociales.