• Aucun résultat trouvé

Section I – de la patrimonialisation de l'image du sportif professionnel

Paragraphe 1 – du régime juridique spécifique de l'image du sportif

B) du droit à l'image du sportif

1- du caractère dualiste du droit à l'image

346. Nous développerons par suite ce que nous avons précédemment rappelé414, à savoir

que le droit à l'image présente un aspect négatif, celui visant à protéger les droits de son titulaire refusant de voir son image diffusée, et ce au nom du droit au respect de la vie privée (a), et un aspect positif relatif à sa commercialisation (b)415.

a) du droit au respect de la vie privée

347. La notion d' « intimité publique » du sportif. Le droit à l'image consiste en celui de

refuser de voir son image capturée (prise d'un cliché photographique) et dans celui de refuser que ledit cliché soit diffusé, exploité. Il existe deux formes de protection de l'image, la protection civile et la protection pénale. Nous exclurons ici l'aspect pénal pour nous concentrer sur les considérations civiles. En effet, l'absence de réunion des conditions d'engagement de la responsabilité pénale n'exclue pas la possibilité de caractériser une faute civile. Il s'agit ici de sanctionner l'utilisation non consentie de l'image du sportif professionnel. Tout l'intérêt de la matière réside dans le fait que la jurisprudence française sanctionne, sur le fondement de l'article 9 du Code civil, l'atteinte portée non pas seulement à l'intimité classique du sportif mais aussi à « l'intimité publique »416 de celui-ci.

Il en va de même en Italie, sur le fondement de l'article 10 du Codice civile417. L'image contestée

peut représenter un footballeur dans le cadre de son activité sportive publique, mais dans une tenue dénudée 418. Il faut s'interroger sur la philosophie de cette jurisprudence, sur son objectif : protéger à

tout prix le sportif dont l'image est utilisée, mais au prix d'une contorsion à tout le moins critiquable. En effet, il est difficile de soutenir que le jeu d'un footballeur sur le terrain durant le match serait

414 Voir supra n°114, 115, 137, 138. 415 Voir infra n°715.

416 TGI Paris, 1ère chambre, 21 décembre 1983 ; G. JEANNOT-PAGES, L'image du sportif en droit français, thèse, Limoges, 1996, page 112.

417 Corte cass., 11 mai 2010, n°11353/2010 ; Corte cass., 16 mai 2008, n°12433/2008 ; Corte cass., 29 novembre 2008, n°27506/2008 ; Corte cass., 5 septembre 2006, n°19069/2006 ; Corte cass., 1er décembre 2004, n°22513/2004 ; Corte cass., 10 juin 1997, n°5175/1997 ; Corte cass., 2 mai 1991, n°4785/1991.

constitutif d'un élément de sa vie privée. Le juge considère qu'à partir du moment où ledit joueur, pour une raison circonstancielle en lien direct avec l'événement sportif, apparaît dénudé sur une photographie, le fait de la publier en l'extrayant du contexte sportif revient à porter atteinte à la vie privée, et surtout à la dignité, du joueur. Relèvent de la vie privée du joueur toutes les images rattachables à un élément secret (la nudité du corps, par exemple) plutôt qu'à un élément sportif. Partant, le droit au respect de la vie privée permet de protéger la considération publique du joueur.

348. Une sanction mal fondée. L'utilisation d'un cliché photographique d'un sportif hors

compétition à des fins publicitaires, sans son consentement, doit être sanctionné en ce qu'elle a causé un « manque à gagner » audit sportif, et ce alors même que le sportif avait consenti à la prise des clichés litigieux419 : il y avait donc un contrat relatif à la prise desdits clichés. Mais faut-il

sanctionner cet abus éventuellement contractuel sur le fondement combiné des articles 9 et 1382 du Code civil ou seulement sur celui du second, et pourquoi ne pas privilégier l'article 1147 du Code civil ? La jurisprudence française a choisi de protéger les droits du sportif sur le fondement des articles 9 et 1382 du Code civil, ce qui peut surprendre en présence d'un contrat. En effet, l'article 9 du Code civil s'attache à protéger un élément extra-patrimonial. Or, la référence à un « manque à

gagner » désigne non seulement un intérêt économique mais écarte l'hypothèse d'un quelconque

intérêt moral susceptible de devoir être protégé. Comme le précise à raison Ghislaine JEANNOT- PAGES, cette propension du juge à modifier l'esprit de l'article 9 du Code civil est également critiquable en ce que ledit article n'exige aucunement la démonstration d'une faute pour être mis en œuvre420. Or, dans la jurisprudence précitée, le juge avait choisi de mettre en œuvre l'article 9 du

Code civil. A l'évidence, l'article 9 du Code civil nous paraît impropre à assurer la juste réparation de la faute contractuelle commise à l'endroit d'un sportif dans le cadre de l'utilisation de son image déjà contractualisée. De même, il ne nous paraît pas plus propice à garantir le respect de « l'intimité

publique » d'un sportif représenté sur une image au cours de son activité sportive. L'image du

sportif professionnel a une valeur économique incontestable. Dès lors, ne serait-ce que pour cette unique raison, le recours à l'article 9 du Code civil doit être inopérant. A défaut, c'est tout l'esprit du régime de cet article qui est contrarié et, partant, les fondamentaux du droit. L'utilisation de l'article

419 CA Nîmes, 1ère chambre, 7 janvier 1988, doc. Édi-data n°88-10021.

9 du Code civil pour sanctionner de telles situations s'apparente à un arrêt de règlement... Par la suite, la jurisprudence française a évolué en reconnaissant que le fait de « conférer à l'image une

valeur patrimoniale pouvait être étranger aux prévisions de l'article 9 du Code civil, lequel protège l'atteinte au droit au respect de la vie privée 421». Comme le soulignent à raison les Professeurs

Jean-Michel MARMAYOU et Fabrice RIZZO, « le droit à la vie privée et le droit à l'image

constituent deux droits distincts »422 sans que nous ne puissions pour autant encore déduire de cette

autonomisation qu'il faille soustraire le droit dérivé de l'image du régime juridique des droits de la personnalité.423 Il ne faut en effet pas omettre que l'image d'un sportif ne peut avoir de valeur sans

être associée à son titulaire, le sportif, et notamment à la notoriété de celui-ci. C'est, dès lors, un droit de la personnalité à consonance économique. Quant au choix de l'article 1382 du Code civil, en l'espèce, le juge français a souverainement considéré que l'utilisation n'était pas contractuelle, que seule la prise du cliché l'était. Or, nous pourrions prétendre que la prise des clichés sans la publication ne revêtait pas d'intérêt, la cause subjective tacite étant la publication.

b) du caractère patrimonial du droit à l'image du sportif professionnel

349. Le droit à l'image du sportif professionnel est fortement marqué par son caractère

patrimonial424. Encore faut-il, pour devenir un maïeute425 éclairé de la réalité économique sportive,

que le juriste permette à ce droit d'être exploitable dans les règles de l'art, c'est-à-dire dans les règles de l'art du Droit. Un droit patrimonial s'entend, en l'espèce, d'un droit figurant dans le patrimoine d'une personne, le sportif. Celui-ci dispose de droits positifs et négatifs sur son image, c'est-à-dire qu'il peut céder et transmettre les droits patrimoniaux mais aussi s'opposer à l'exploitation non

421 TGI Paris, 28 septembre 2006, Evelyne Thomas et Secondes Productions c/ Réservoir Prod, Légipresse, 2007, n°239, III, p. 54, note Bruguière J.-M.

422 Cass. 1ère civ., 10 mai 2005, n°02-14.730, Bull. civ. I, n°206, RTD civ. 2005, p. 572, obs. Hauser. 423 J.-M. MARMAYOU et F. RIZZO, Contrats de sponsoring sportif, Lamy, septembre 2012. 424 Voir infra n°658.

425 Inventée par Socrate au IVème siècle avant notre ère, la maïeutique, du grec μαιευτικη, par analogie avec le

personnage de la mythologie grecque Maïa, qui veillait sur les accouchements, est une technique philosophique. Elle vise à faire accoucher les esprits de leurs savoirs, souvent cachés au plus profond d'eux-mêmes. Un maïeute est donc, en l'espèce, un juriste permettant au sport professionnel de chercher dans sa spécificité les moyens de se révéler d'une part comme un sujet de droit d'autre part comme un domaine à part entière de la science juridique. En somme, le juriste cherchera à construire un régime juridique particulier néanmoins conforme aux fondamentaux du droit et permettant au sport professionnel de se réconcilier avec l'une de ses identités essentielles, l'identité patrimoniale. Le sport n'est en effet pas seulement un loisir ou un instrument de bien-être, il est aussi un marché.

consentie de ceux-ci. Nous l'avons rappelé précédemment, l'image du sportif est un bien intellectuel ou plus exactement un bien de la personnalité426. Le droit d'exploitation de l'image du sportif est

cessible (i.) et transmissible (ii.).

i. De la cessibilité des droits d'exploitation de l'image sportive

350. Avant de s'interroger sur la cessibilité – l'aliénabilité, la négociabilité, la

patrimonialité, la vénalité – des droits d'exploitation de l'image sportive, il convient de rappeler ce que recouvre la notion de cession en droit général des obligations. Le terme « cession » s'entend de la « transmission d'un droit entre vifs »427. Un sujet de droit, le cédant, titulaire d'un patrimoine,

transmet donc à un autre sujet de droit, le cessionnaire, également titulaire d'un patrimoine, un droit réel (sur un bien corporel ou incorporel) ou personnel, à titre onéreux ou à titre gratuit428. Les droits

intellectuels constituent, selon les conceptions doctrinales, soit une branche des droits réels soit une catégorie autonome. Nous opterons pour la première conception, qui semble répondre à une logique dichotomique plus conforme à la technique fondamentale de la science juridique.

351. Les droits sur l'image sportive constituent de facto un bien incorporel. Son titulaire

dispose alors de droits réels. Quels sont ces droits réels ? Il s'agit des droits de propriété du titulaire de l'image sur celle-ci. La propriété comprend trois droits réels principaux, l'usus (l'usage), le

fructus (la jouissance), et l'abusus (la disposition). Il existe également des droits démembrés de la

propriété, et parmi eux la servitude. La servitude est une charge limitant le droit de propriété d'un individu mais garantissant celui d'un autre. Ainsi, le respect du droit primaire du sportif sur son image constitue une forme de « servitude » grévant le droit dérivé du sportif cédé à un tiers. Le tiers pourra user, jouir et céder le droit dérivé qui lui a été cédé, à la condition de respecter le droit primaire et que le nouveau cessionnaire le respecte à son tour. Autrement dit, tant que le droit dérivé sera mis en œuvre sans abus, le droit primaire, viager, ne sera pas atteint. En effet, la propriété, mythifiée en 1789, n'en demeure pas moins impossible à exercer de manière absolue. Le droit de propriété intellectuelle peut ainsi constituer, à l'instar du droit de clientèle, un droit sui generis entre

426 Voir supra n°106, 107, 108.

427 R. GUILLIEN et J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, 15e édition, Dalloz, 2005, page 102. 428 G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 2006, page 141.

le droit réel et le droit personnel.429 C'est ainsi que la cessibilité des droits d'exploitation de l'image

sportive s'entend de la possibilité pour le sportif de les aliéner, temporairement ou définitivement, sans préjudice de l'exercice viager de son droit primaire à l'image430.

ii. De la transmissibilité des droits d'exploitation de l'image sportive

352. Contrairement à la cessibilité, la transmissibilité suppose un transfert de la chose non

pas seulement entre vifs mais aussi à cause de mort.

353. Si le droit primaire à l'image ne saurait se transmettre en raison de son caractère

personnel en faisant un droit incessible et exclusif, le droit dérivé sur l'image sportive, c'est à dire le droit d'exploitation économique de celle-ci, pris en sa qualité de droit réel, peut, lui, pleinement être transmis entre vifs et à cause de mort431. Mais cette solution n'est pas évidente et la jurisprudence

française l'a souvent rejetée432, même si elle a parfois reconnu la double nature du droit à l'image433.

En effet, en principe, un droit de la personnalité ne peut être transmis à cause de mort ou plus exactement le droit primaire de la personnalité ne peut être transmis. En revanche, le droit dérivé de la personnalité, qui dispose d'un caractère patrimonial permettant de monnayer l'exploitation commerciale de l'image, est transmissible aux héritiers. Un revirement de jurisprudence d'appel important a été posé en ce sens par l'arrêt confirmatif rendu par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 21 mai 1991, dans une affaire concernant les héritiers du célèbre RAIMU, jugés en première instance « en droit d’exercer le droit patrimonial leur ayant été transmis ». Le juge d'appel précisa, dans le même sens, que « le droit à l’image revêt, comme l’a justement énoncé le premier juge, un

caractère non seulement moral — strictement personnel à son titulaire, s’éteignant avec lui et protégeable au titre de l’article 9 du Code civil — mais aussi patrimonial puisqu’il est patent que

429 S. AUBERT et E. LE ROY, Les droits de propriété intellectuelle vecteurs de transmodernité ?, Revue Droits de l'Homme et Dialogue interculturel, juillet 2001

430 Voir infra n°713, 715, 716, 717, 718, 719, 720, 721.

431 C. BIGOT, La protection de l'image des personnes et les droits des héritiers, Legicom, n°10, avril 1995, Victoires Editions, pages 28-35.

432 CA Paris 1ère chambre, 3 décembre 1982, D. 1983, p. 248, affaire Matisse ; CA Paris 4ème chambre, 7 juin 1983, GP 1984-2, p. 528., affaire Claude François ; TGI Strasbourg, référé, 31 mai 1989, D. 1989, affaire De Gaulle ; CA Paris, 1ère chambre A, Moncorgé c/ Cogédipresse, 23 novembre 1993, affaire Gabin.

nombre de célébrités du spectacle, du sport, des arts, des affaires, tirant parti de l’évolution des mœurs et des pratiques économiques générées par une civilisation de plus en plus tournée vers l’image se livrent, selon des rémunérations allant croissant avec leur notoriété, à une exploitation commerciale de leur propre image. [...] La valeur patrimoniale de ce droit a vocation à se transmettre comme tout autre de même nature aux héritiers qui sont, dès lors, fondés, parallèlement à leur aptitude générale à défendre la mémoire de leur auteur, à autoriser ou non la divulgation de l’image de ce dernier à des fins commerciales ».

354. Le silence évolutif de la Cour de cassation. L'arrêt Raimu, suivi d'autres arrêts, et

notamment de l'arrêt Johnny HALLYDAY434 rendu en 2005 par la Cour d'appel de Versailles et d'un

arrêt435 rendu en 2008 par la Cour d'appel de Paris, n'ont pas donné l'occasion à la Cour de cassation

de se prononcer sur l'existence d'un droit patrimonial à l'image, qui serait de facto transmissible aux héritiers. Pourtant, selon le Professeur Laure MARINO436, elle aurait pu le faire en 1987 dans

l'affaire Alain DELON437. Elle ne l'a manifestement pas fait à l'époque. Quels étaient les faits de

l'espèce ? L'hebdomadaire Ici Paris avait publié, en avril 1984, un article intitulé « Alain DELON

opéré à Cuba », illustré d'une photographie d'Alain DELON. L'acteur français demandait réparation

pour l'utilisation illégitime de son image et de sa vie privée à des fins commerciales et publicitaires, estimant qu'il subissait un manque à gagner constituant par sa nature même un préjudice d'ordre commercial. Il reprochait à la Cour d'appel de s'être contentée de caractériser le préjudice moral à l'exclusion de tout préjudice commercial. La Cour de cassation rendit néanmoins un arrêt confirmatif par lequel, déboutant Alain DELON, elle précisa que « l'importance du préjudice subi

par M. DELON n'était pas fonction du profit réalisé par la société Ici Paris ». Alors, la Cour de

cassation se refusait à reconnaître l'existence d'un droit patrimonial à l'image. Plus récemment, en 2008, un arrêt438 rendu par la première chambre civile introduisit tout en nuances la possibilité de

434 CA Versailles, 12e ch., 2e sect., 22 sept. 2005, SAS Calendriers Jean Lavigne c/ Sté Universal Music.

435 CA Paris, 4e ch., sect. A, 10 sept. 2008 : D. 2008, jurispr. p. 2985, note J.-M. BRUGUIER et A. BREGOU. Cet arrêt a notamment jugé que « le droit à l'image qui comporte des attributs d'ordre patrimonial peut valablement

donner lieu à l'établissement de contrats qui sont soumis au régime général des obligations et ne relèvent pas des dispositions spécifiques du Code de la propriété intellectuelle régissant le droit d'auteur »

436 L. MARINO, Les contrats portant sur l'image des personnes, Communication Commerce électronique, n°3, mars 2003, chron. 7.

437 Cass. civ. 1ère, 17 novembre 1987 ; Bull. Civ. 1, n°301

438 Voir par exemple Cass. 1re civ., 11 déc. 2008, n° 07-19.494 : JurisData n° 2008-046194 ; Bull. civ. 2008, I, n° 282 ; JCP G 2009, II, 10025, note G. LOISEAU ; Comm. com. électr. 2009, comm. 12, obs. Ch. CARON ; Contrats, conc.

négocier contractuellement le droit à l'image, ce qui reviendrait à lui reconnaître une certaine forme de commercialité439. Cette forme de commercialité pourrait donner lieu à application à l'occasion de

l'utilisation de l'image des sportifs professionnels, quoique le législateur français ne soit toujours pas intervenu en la matière. Le fera-t-il un jour ? Ce n'est pas certain, ce que la loi n'interdisant pas expressément demeurant permis.

355. L'exploitation du droit à l'image, et en l'occurrence de l'image sportive, constitue une

liberté. Cette liberté pourrait se définir comme un droit du sportif « à l'absence d'interdiction » par l'Etat, selon la formule du Professeur émérite Pierre COLLOMB, qui insiste à raison sur le fait que « les juristes ne s'intéressent pas à la liberté mais aux atteintes apportées à celles-ci, déterminant

dès lors jusqu'à quel point le corps social peut apporter des restrictions à la liberté individuelle »440. La liberté sportive n'est plus seulement de « participer »441, elle est aussi d'acquérir

des revenus. Cette liberté d'exploiter l'image sportive n'est pour autant pas absolue. Elle connaît nécessairement des limites.