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Section II – de l'absence de protection de la représentation du geste footballistique par le droit de la propriété intellectuelle et industrielle

Paragraphe 1 – de l'absence de protection au titre du droit voisin de l'artiste interprète

B) de la relative inapplicabilité au geste sportif

272. Afin d'écarter l'application de la protection par le droit voisin d'artiste-interprète du

geste sportif, il convient de refuser au sportif la qualité d'artiste-interprète (1) et de s'attacher à déterminer la nature para-artistique du geste sportif (2).

1- le sportif, artiste-interprète ?

273. Le sportif est-il un artiste ? Le sportif est-il un artiste-interprète ? Quelle est la nature

de sa prestation ? Peut-elle correspondre à des critères d'ordre artistique ? Qu'est-ce qu'une prestation artistique à caractère sportif ? Quel en est le domaine ? Quelles en sont les limites ? Autant de questions qui se posent lorsqu'il est question de protéger l'image du geste sportif, c'est-à- dire l'image du geste accompli par le sportif durant le jeu. Pour disqualifier le sportif professionnel en compétition et lui défendre de jouir du statut d'artiste-interprète, il convient de s'attacher à l'objet de sa prestation.

274. Le droit positif exclut les prestations sportives du champ artistique, sauf lorsqu'il s'agit

d'exhibitions ne répondant pas à une logique de compétition et caractérisées par une certaine scénarisation. Ainsi en a décidé, en France, la Cour de cassation dans un arrêt du 28 mars 2013 à propos d'un criterium de cyclistes organisé par l'association « Critérium cycliste professionnel

international La Châtaigneraie »393. Il s'agissait d'une manifestation sportive consistant en une

course à laquelle participaient des cyclistes professionnels rémunérés par l'organisateur. La Cour de cassation a estimé qu'une exhibition sportive ne présentant pas les aspects d'une compétition était assimilable à un spectacle. Cette évolution balbutiante du droit positif quant au régime juridique du sport-spectacle demeure néanmoins tellement limitée qu'elle ne permet pas d'ouvrir une brèche dans la catégorie des œuvres artistiques pour y intégrer la prestation sportive d'un joueur professionnel dans le cadre de l'exercice normal de son sport, c'est-à-dire pour ce qui nous intéresse d'un footballeur lors d'un match lequel est nécessairement une compétition mettant en concurrence des clubs et autant de joueurs. Le geste sportif original, s'il n'est aujourd'hui pas une œuvre protégeable, présente néanmoins une nature para-artistique intéressante.

2- de la nature para-artistique du geste sportif

275. L'existence d'un numéro sportif ? La prestation sportive peut-elle constituer un

numéro sportif, comme il existe un numéro de cirque, lequel est protégé par la propriété

intellectuelle ? Un numéro de cirque constitue une exhibition artistique intégrant la reproduction d'une technique issue d'une discipline (acrobatie, dressage, jonglerie, art clownesque, contorsion, bicyclette, etc.). Or, une prestation sportive professionnelle en compétition, si elle intègre la reproduction d'une technique issue d'une discipline, marque sa différence par la spécificité de sa nature. Elle constitue une exhibition mais aussi la rencontre concurrentielle de joueurs en vue d'obtenir une victoire et des gains. En principe, le numéro de cirque ne présente pas l'aspect d'une compétition ; son objectif est d'agrémenter, de distraire. Aussi, si le geste sportif révèle une nature para-artistique, il ne peut s'intégrer comme il se doit à une catégorie dont il dénaturerait aussitôt la destination intrinsèque. L'arrêt de 2013 précité, relatif au criterium, semble à cet effet être allé au bout de la logique d'extension du domaine artistique aux disciplines sportives.

276. Les jeux de télé-réalité. Comparaison n'est pas raison. Pour autant, à la lumière des

revendications exprimées par les participants aux jeux de télé-réalité, ceux-ci revendiquant le statut d'artiste-interprète, est-il envisageable de concevoir, que ce soit pour les participants à de tels jeux ou pour des sportifs en compétition, la protection de leur prestation para-artistique par le droit de la propriété intellectuelle ? La Cour de cassation française, dans l'arrêt L'île de la tentation rendu le 24 avril 2013394, a répondu par la négative. Selon la Cour de cassation, « les participants à l’émission

en cause n’avaient aucun rôle à jouer ni aucun texte à dire, qu’il ne leur était demandé que d’être eux-mêmes et d’exprimer leurs réactions face aux situations auxquelles ils étaient confrontés et que le caractère artificiel de ces situations et de leur enchaînement ne suffisait pas à leur donner la qualité d’acteurs ; qu’ayant ainsi fait ressortir que leur prestation n’impliquait aucune interprétation, elle a décidé à bon droit que la qualité d’artiste-interprète ne pouvait leur être reconnue ». Cette jurisprudence est intéressante et permet d'opérer, déjà, une distinction avec le

sportif. Contrairement au participant à une émission de télé-réalité, le sportif ne se contente pas d'être lui-même et d'exprimer ses réactions face aux situations auxquelles il est confronté ; il devient, sur le terrain, un personnage sportif respectant une stratégie de jeu déterminée en fonction de techniques interprétées personnellement et avec une originalité empreinte des caractères de sa personnalité. Le sportif interprète bien un « jeu sportif ». Dans cet arrêt, point intéressant, la Cour de cassation ne fait plus mention de la compétition comme d'un barrage à la qualification d'artiste-

interprète. Cela pourrait-il donner lieu à une évolution jurisprudentielle en faveur du sportif professionnel souhaitant la protection de son geste sportif en tant qu'artiste-interprète, lorsque son geste résulte d'une interprétation originale impliquant une part active du sportif dans sa réalisation ? Au regard d'une position constante de la jurisprudence et de la doctrine, il serait très hasardeux et risqué de l'affirmer et nous ne pouvons, à ce stade, qu'exclure le bénéfice de ce statut pour ce qui concerne le sportif professionnel en compétition relevant d'une discipline de sport-spectacle (le football, notamment). Allant dans ce sens, le Professeur SERNA insiste sur le fait que « l'artiste-

interprète conserve la liberté d'expression de son art ; c'est l'essence même du talent »395. Il peut en

aller autrement pour les spectacles sportifs : il s'agit de disciplines dans lesquelles la connotation artistique est très importante (patinage artistique, danse synchronisée, dressage en équitation). Le sportif professionnel pratiquant un sport-spectacle pourrait être comparé, d'une certaine manière et sous réserve, à un participant à un jeu de télé-réalité : comme ce dernier, le sportif ne conserve pas

a priori la liberté d'expression de son art... Le sportif est placé sous les directives de l'entraîneur de

même que le participant à un jeu de télé-réalité exécute les demandes du producteur de l'émission télévisée. Mais, comme nous l'avons écrit, comparaison n'est pas raison...

277. Si la prestation du sportif ne peut être protégée par le droit voisin de l'artiste

interprète, qu'en est-il de sa protection au titre de la propriété industrielle ?