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B) Le domaine de nos recherches

II. La délimitation de notre recherche en droit du sport

18. Quoique le football soit aujourd'hui l'un des premiers sports en Europe et de surcroît un sport olympique, le sport européen n'est pas né au travers du football au XIXème siècle

dans la bourgeoisie anglaise52. Son origine est bien plus ancienne. Aux confins de l'Europe, les Juifs

de l'Antiquité décrivaient le sport en gymnase comme étant l'activité des « gentils », au sens où ils l'entendaient à l'époque, c'est-à-dire des « goyim »53, des non-Juifs54. Pour être comprise, cette

référence littéraire antique ne doit pas faire l'objet d'une explicitation anachronique. Les Juifs n'étaient pas exclus de son exercice mais le sport était associé par le peuple élu lui-même aux Grecs, force dominante. C'est une reconnaissance par les Juifs de l'Antiquité de l'importance capitale du sport pour le peuple hellénique. Dans la Grèce Antique, le sport était même un marqueur civilisationnel à caractère religieux, comme en témoigne, dans l'Illiade et l'Odyssée55, l'organisation

par Achille de jeux sportifs funéraires en l'honneur de Patrocle56, puis par le Roi Alcinoos57 en

mémoire d'Ulysse58. Les premiers jeux sportifs furent organisés en 776 avant Jésus-Christ en

l'honneur de Zeus, roi des dieux de l'Olympe, du nom de la plus haute montagne grecque sur

52 Voir infra n°799.

53 Terme yiddish désignant une communauté nationale distincte du « peuple élu », le peuple juif.

54 Extrait des Livres des Macchabées (IIème siècle avant J.-C.). L'histoire retient de cette famille juive qu'elle résista

avec moult force à l'hellénisation militarisée d'Israël par la dynastie grecque des Séleucides (305 à 64 avant J.-C.). Le clan des Macchabées était traditionaliste, en rupture avec les Juifs hellénisants.

55 Récits d'Homère, écrits entre 850 et 750 avant Jésus Christ.

56 Patrocle est un personnage de la mythologie grecque durant la Guerre de Troie. Le récit de l'Illiade d'Homère en fait mention.

57 Personnage de la mythologie grecque.

laquelle ils résidaient selon la mythologie, d'où l'expression demeurée depuis de « jeux

olympiques ». Dès cette époque, l'organisation desdits jeux a nécessité l'institutionnalisation de

l'éducation physique et sportive des enfants à la force athlétique.

19. « Nemo censetur legem ignorare »59 est un adage qui s'applique à tous les sujets de droit, sportifs compris. Ils ne sont pas censés ignorer la loi, d'application générale et absolue, en ce

qu'elle organise la société dont ils sont une composante. « Cedant arma togae ! »60 s'exclamait

Cicéron. Les pratiques sportives constituent en quelque sorte les armes du sportif, celles-ci devant s'effacer devant la règle de droit. Cela signifie que les pratiques sportives, et plus généralement l'ensemble des comportements inhérents au secteur sportif, doivent respecter le droit commun minimal posé par le législateur. Au-delà du droit administratif et du droit des libertés fondamentales de l'Union européenne qui s'imposent au secteur sportif suivant le degré d'interventionnisme de l'Etat, deux grandes catégories distinctes peuvent être présentées, d'une part, le corpus classique composé du droit civil et du droit pénal, d'autre part, le corpus moderne composé du droit fiscal et du droit de la propriété intellectuelle. Les matières civiles et pénales sont celles qui ont eu, les premières, à connaître du phénomène sportif en tant que phénomène social engendrant des situations juridiquement problématiques. Le droit civil, et plus particulièrement le droit des contrats, appréhende depuis longtemps la pratique sportive. C'est lui qui fonde le lien de droit entre un pratiquant et l'association – même non déclarée – au sein de laquelle il s'adonne à son loisir, que ce dernier le conduise ou non en compétition. De même, c'est lui qui fonde les conventions entre les sportifs et leurs sponsors, plus généralement entre tous les acteurs du sport liés par un lien obligataire. Proche du droit des contrats, le droit social – relatif aux contrats de travail des sportifs professionnels, des entraîneurs, des personnels techniques, et des préparateurs physiques – et le droit commercial – relatif à l'exploitation commerciale des manifestations sportives et des succès des athlètes – s'appliquent avec rigueur aux pratiquants et à leurs partenaires économiques. En droit du travail français, le sportif professionnel est ainsi lié à son club par un contrat à durée déterminée en raison de la nature temporaire de l'activité pratiquée. Cette prédilection posée par la Convention collective nationale du sport61 ne détermine pas pour autant un C.D.D. spécial. Ce sont donc les

59 Nul n'est censé ignorer la loi.

60 Que les armes cèdent à la toge, trad. lat.

conditions classiques du contrat à durée déterminée qui s'appliquent au sportif professionnel62. Le

juge compétent est le juge étatique (conseil des prud'hommes). L'Italie connaît, quant à elle, un droit spécial du travail en matière sportive. Quant à la rédaction des contrats de sponsoring63 ou

d'exploitation des droits radio-télévisés64, ils demeurent régis par un principe de liberté contractuelle

relative. Certaines branches du droit ont embrassé plus récemment la matière sportive, en même temps que le sport embrassait son acception économique marchande et mondialisée. C'est notamment le cas du droit fiscal et du droit de la propriété intellectuelle. En France et en Italie, la rémunération née du contrat de travail des sportifs professionnels est soumise à l'impôt sur le revenu. Des aménagements existent (en France, les sportifs, comme les artistes, peuvent demander à être imposés sur une base moyenne annuelle65) mais conduisent au même résultat de principe, la

soumission du sportif professionnel à l'impôt sur le revenu. Il convient aussi de distinguer la rémunération née de l'image individuelle (cf. les contrats distincts de publicité, dont les revenus sont qualifiés de revenus non commerciaux) de celle née de l'image collective, actuellement assimilée aux salaires. Les revenus nés de l'exploitation de l'image du sportif professionnel et perçus par lui sont soumis à l'impôt sur le revenu. Jusqu'au 30 juin 2010, contrairement à l'Italie, la France autorisait un droit à l'image collective des sportifs66. Les sportifs étaient alors exonérés des

cotisations au régime général de la Sécurité sociale, et ce dans une limite de 30% de leur rémunération totale brute67. Depuis 2010, en France, il n'existe plus de régime fiscal de faveur pour

les sportifs professionnels, cette suppression suscitant de fortes réserves de la doctrine auxquelles nous adhérons en partie6869. La compétitivité des clubs français et italiens est en effet largement liée

aux enjeux salariaux et fiscaux70.

62 Article L. 1242-2 du Code du travail.

63 L. MUSUMARRA, I contratti di sponsorizzazione sportiva e di merchandising, in Diritto dello sport, parte sesta - diritto commerciale dello sport, a cura di E. LUBRANO, Université L.U.I.S.S. de Rome, 2012.

64 L. MUSUMARRA, La disciplina dei diritti audiovisivi sportivi, in Diritto dello sport, parte sesta - diritto commerciale dello sport, a cura di E. LUBRANO, Université L.U.I.S.S. de Rome, 2012.

65 Article 84 A et 100 bis du Code général des impôts français.

66 M. SERGENT, Arrêt sur image : le droit à l'image collective des sportifs professionnels en question, Rapport sénatorial d'information n°255, Sénat, 2 avril 2008.

67 Article L.222-2 du Code du sport français.

68 J.-M. MARMAYOU et F. RIZZO, Le droit à l’image collective pour les sportifs n’est pas une niche sociale, Le Monde, 30 octobre 2009.

69 Voir infra n°741 à 744.

70 J.-P. DENIS, Rapport sur certains aspects du sport professionnel en France, n°2003-M-066-01, Inspection Générale des Finances, novembre 2003

20. En France et en Italie, le droit de la propriété intellectuelle, dont les incidences fiscales

sont fortes, ne prévoit aucune spécificité sportive. Pourtant, si nous considérons que le sportif est un créateur de l'événement sportif, c'est bien le droit de la propriété intellectuelle qui assure aux créateurs la liberté de créer et de vivre de leurs œuvres. Sans protection, sans sécurité juridique et partant économique, c'est la liberté de création – sportive – qui est atteinte, comme elle le fut à la Révolution française lors de la suppression des privilèges accordés aux acteurs de la création littéraire par l'Ancien Régime71. Et la gestion de l'image du sportif professionnel est indissociable de

la gestion de sa carrière. L'image sportive est particulièrement attrayante pour les entreprises en ce sens qu'elle véhicule des valeurs de dynamisme, de concurrence, de motivation, et de performance. L'ambush marketing72 est une pratique déloyale illustrant à bien des égards cet intérêt. Le

développement croissant des contrats d'image et des produits dérivés en témoigne également. Aujourd'hui, le droit commun ne reconnaît pas la diversification des ressources financières des clubs de football professionnel, dont les principaux sont même devenus des marques internationales comme le Milan AC. Citons, d'une part, les ressources inhérentes aux résultats sportifs et, d'autre part, celles découlant de l'exploitation de l'image sportive. Cette thèse détaillera notamment l'inadaptation des notions classiques de la propriété intellectuelle aux sports collectifs professionnels, en particulier au football, et ce d'autant plus que la jurisprudence européenne demeure particulièrement réfractaire à la protection de l'image sportive à ce titre73. Il en résulte que

seuls les grands noms du football peuvent aujourd'hui, par le biais de sociétés d'image parfois off-

shore, bénéficier de rémunérations importantes au titre de l'exploitation commerciale de leur image

sportive. L'application du droit commun de la propriété intellectuelle à la matière sportive pose alors non seulement une véritable problématique d'égalité entre les joueurs « médiatisables » et ceux qui le sont moins mais aussi, plus globalement, un problème d'insécurité juridique au sein d'un secteur économique essentiel, le sport professionnel.

71 J. GINSBURG, Histoire de deux droits d'auteurs : la propriété littéraire et artistique dans la France et l'Amérique

révolutionnaires, RIDA, n°47, janvier 1991, pages 124 à 176.

72 Pratique d'une entreprise commerciale consistant à parasiter un événement sportif exposé médiatiquement, alors même que cette entreprise n'est pas un partenaire financier de l'organisateur de l'événement. Ainsi, durant la Coupe du Monde de Rugby en 2007, la marque de lingerie Dim avait habillé des pom-pom girls en lingerie fine dans les tribunes du stade de France, pour attirer les caméras de télévision et s'offrir une publicité gratuite en profitant de l'événement sportif. De même, lors des Jeux Olympiques de Vancouver en 2010, la société Domino's pizza a utilisé l'image des anneaux olympiques pour inviter ses clients à commander une pizza durant les épreuves olympiques. 73 Dans un arrêt rendu le 4 octobre 2011 dans l'affaire Murphy (n°C 403/08 et C6 429/08), la C.J.U.E. a précisé que

21. L'application du droit commun au sport permet de s'interroger sur l'existence réelle ou

supposée d'un ordre juridique du sport74, quoiqu'un droit spécial du sport soit une réalité du droit

positif et constitue une vraie tendance doctrinale.

22. Le droit spécial du sport est un droit nouveau, en pleine construction et en évolution

depuis deux décennies. Si le droit français ou italien présente la particularité toute végétale de se construire en branches, le droit du sport7576 est incontestablement une nouvelle branche du droit qui

présente, au jour d'aujourd'hui, plutôt les caractéristiques d'une jeune pousse quoique la France dispose d'un Code du sport depuis 200677. L'Italie, quant à elle, dispose, depuis 1980, d'un Code du

sport. En raison du principe d'autonomie, le C.O.N.I. a élaboré un Code de justice sportive et, à son tour, la fédération italienne de football a fait de même. Le droit spécial du sport italien est manifestement le plus développé, le plus abouti, d'entre les deux pays.

23. De nombreuses dispositions spéciales ont été prises par le législateur et par l'exécutif,

en droit du travail, en droit pénal, etc. Des régimes juridiques ont vu le jour pour encadrer les manifestations sportives et structurer les organisations à caractère sportif (sociétés, associations sportives, sociétés de paris, etc.). La jurisprudence a, elle aussi, développé des analyses propres au droit du sport, par exemple en matière de responsabilité délictuelle.

24. Allant de pair avec l'explosion du contentieux sportif, la spécialisation croissante du

74 G. SIMON, Existe-t-il un ordre juridique du sport ?, Droits 2001, n°33, page 97.

75 P. COLLOMB, observations sous CE, section, 16 mars 1984, req. n°50878 ; Broadie et autres, La Semaine Juridique Edition Générale n° 24, 12 Juin 1985, I 20429.

76 M. COCCIA, A. DE SILVESTRI, O. FORLENZA, L. FUMAGALLI, L. MUSUMURRA, L. SELLI, Diritto dello

sport, Le Monnier Università, Florence, 2004 ; L. CANTAMESSA, G. M. RICCIO, G. SCIANCALEPORE, Lineamenti di diritto sportivo, Milano, 2008 ; M. COCCIA, Codice di diritto sportivo, Napoli, 2009 ;

L. COLANTUONI, Diritto sportivo, Torino, 2009 ; M. COLUCCI, Lo sport e il diritto, Napoli, 2004 ; E. GREPPI et M. VALLANO, Diritto internazionale dello sport, Torino 2005 ; C. G. IZZO, A. MERONE, M. TORTORA, Il

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LUBRANO, L’ordinamento giuridico del giuoco calcio, Roma, 2005 ; R. MORZENTI PELLEGRINI, L’evoluzione

dei rapporti tra fenomeno sportivo e ordinamento statale, Milano, 2007 ; M. SANINO et F. VERDE, Il diritto sportivo, Padova, 2006 ; J. TOGNON, BASILE, A. PAPISCA, A. DE SLVESTRI, P. MORO, G. MARTINELLI,

M. PIERINI, L. COLANTUONI, B. AGOSTINIS, I. ARROYO, M. COCCIA, M. ARPINO, L. MUSUMARRA, M. NUCCIO, N. GRIPPA, J. KORNBECK, Diritto comunitario dello sport, a cura di J. TOGNON, Torino, 2009 ; G. VALORI, Il diritto nello sport – Principi, soggetti, organizzazione, Torino, 2005 ; M. T. SPADAFORA, Diritto

del lavoro sportivo, Torino, 2004.

droit du sport conduit à une spécialisation des universitaires et des professionnels, en particulier des avocats français et italiens. L'intérêt des parlementaires pour le droit du sport s'est également renforcé, le nombre et la technicité de leurs questions écrites en la matière sont patents quoique le parlement italien soit moins interventionniste que son homologue français, lequel entend interdire les transferts de footballeurs professionnels dont les droits sont partagés entre plusieurs clubs78.