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CHAPITRE 1 – INTRODUCTION GÉNÉRALE

1.4. Normes culturelles d’intégration et acculturation des minorités.

1.4.1. Définition de l’acculturation : contact, adoption et identification.

L'acculturation est définie comme un terme utilisé pour décrire le processus de changement bi-directionnel qui survient quand deux groupes ethnoculturels sont en contact prolongé l’un avec l’autre (Graves, 1967). Ces processus ont été largement étudiés dans différents pays, parmi différents groupes, et sont considérés comme un enjeu majeur dans la relation entre la majorité nationale et les minorités immigrantes afin de lutter contre l’émergence de préjugés et de discrimination (Bourhis, Moise, Perreault, & Senecal, 1997; Brown & Zagefka, 2011). Différents modèles ont été développés afin de décrire les processus relatifs à l’acculturation. Selon Snauwaert, Soenens, Vanbeselaere et Boen (2003), trois principaux types de modèles d'acculturation ont été développés au fil des années par des psychologues sociaux. Ces trois types de modèles sont bidimensionnels et permettent, par le croisement de ces dimensions, l’élaboration de quatre « stratégies d’acculturation ». Ces stratégies sont parfois conceptuellement proches (voire identiques) des idéologies intergroupes précédemment décrites (assimilation, multiculturalisme, colorblindness). La différence entre les deux notions réside dans le fait que les idéologies intergroupes se situent au niveau des

attitudes (ce que l’individu pense être la meilleure option lors de contacts interculturels) alors que les stratégies se situent au niveau comportemental (ce que l’individu fait réellement lors de contacts interculturels, voir Berry, 2005, Figure 3). La première forme d’acculturation, nommée « contact » (Snauwaert et al., 2003), a été développé par John Berry. Ce modèle d'acculturation (Berry, 1997, 2007) distingue deux dimensions orthogonales : le maintien de son héritage culturel et le désir d'entrer en contact avec le groupe majoritaire. Quatre stratégies d’acculturation différentes peuvent être déduites du croisement de ces deux dimensions : (1) l’intégration, conceptuellement identique à l’idéologie intergroupe « multiculturalisme », qui implique de maintenir son héritage culturel tout en cherchant à entrer en contact avec le groupe majoritaire, (2) l’assimilation, conceptuellement identique à l’idéologie intergroupe du même nom, qui implique pour la personne d’abandonner son héritage culturel et d’entrer en contact avec le groupe majoritaire, (3) la séparation, qui implique de maintenir son héritage culturel sans chercher à entrer en contact avec le groupe majoritaire et (4) la marginalisation (parfois renommée « individualisme ») consiste à la fois en un abandon de son héritage culturel et en un refus d’entrer en contact avec le groupe majoritaire.

Le modèle de Berry est l’un des plus connus et des plus utilisés en psychologie interculturelle. Néanmoins, les critiques de ce modèle soulèvent le fait que, parmi les deux dimensions mises en avant par Berry, l'une concerne les attitudes (la volonté de maintenir sa culture) tandis que l'autre vise davantage les intentions comportementales (la volonté d'entrer en contact avec la majorité). Les deux dimensions ne seraient donc pas strictement « équivalentes ». En réponse à ce point, Bourhis et al. (1997) ont proposé de remplacer la dimension de « contact avec la majorité » par une dimension de « volonté d'adopter la culture du pays d'accueil ». Ce second type de modèle d'acculturation est appelé « acculturation adoption » (Snauwaert et al., 2003). En combinant les dimensions du maintien de la culture et de l'adoption de la culture dominante, Bourhis et ses collègues distinguent des stratégies d’acculturation similaires à celles de Berry. Enfin, la troisième forme d'acculturation se réfère à l'identification des minorités à la fois avec leur pays d'origine et avec le pays d'accueil (d'après Hutnik, 1986, 1991; voir Snauwaert et al., 2003). Hutnik décrit quatre stratégies d'auto- catégorisation correspondant à la combinaison de deux dimensions : l’identification avec le pays d'origine et l’identification avec le pays d'accueil. Ainsi, l'individu « acculturatif » s'identifie avec le groupe majoritaire et le groupe minoritaire. L'individu « assimilateur » concentre son identité sur l'aspect du groupe majoritaire. L'individu « dissociatif » se définit entièrement dans les limites du groupe ethnique minoritaire, tandis que l'individu « marginal » ne s'identifie à aucun groupe. Selon Liebkind (2001), ces trois formes d'acculturation (contact,

adoption et identification) sont incorrectement utilisées de manière interchangeable. Il est notamment important de faire une distinction claire entre d’une part l’acculturation identification et d’autre part les modèles d'acculturation adoption et contact. Hutnik (1991) a en effet observé que ces deux types de modèles ne sont que faiblement corrélés (voir aussi sur ce point Badea, Jetten, Iyer, & Er-rafiy, 2011; Snauwaert et al., 2003). L'auto-catégorisation des personnes issues de l’immigration en tant que membre de leur pays d’origine serait en effet très réfractaire au changement, y compris pour les individus qui ont adopté les caractéristiques culturelles de la société d'accueil (Hutnik, 1986, 1991; Sommerlad & Berry, 1970). Nous avons donc choisi, au cours de nos travaux, de nous centrer sur deux formes d’acculturation distincte : adoption8 et identification.

Dans les discours publics, politiques et médiatiques, voire universitaires, l’acculturation est très souvent présentée comme propre aux groupes minoritaires. Néanmoins, la définition même de l’acculturation mentionne un processus de changement bi-directionnel consécutif à un contact interculturel entre deux groupes. L’un des points fondamentaux soulevé par certains des principaux travaux relatifs à l’acculturation concerne justement l’idée que les préférences concernant les différentes stratégies d'acculturation, que ce soit en termes de contact, d’adoption ou d’identification, peuvent être exprimées par les membres de groupes minoritaires aussi bien que par ceux de groupes majoritaires. En effet, la majorité nationale exprime souvent des attentes quant à la manière dont les minorités devraient se comporter dans leur société, et est pleinement actrice de l’intégration des minorités (Berry et al., 1977; Bourhis et al., 1997; Brown & Zagefka, 2011; Kunst, Thomsen, Sam, & Berry, 2015; Piontkowski, Rohmann, & Florack, 2002; Zagefka & Brown, 2002). Selon ces travaux, les membres de groupes majoritaires expriment généralement une préférence pour l’adoption de la stratégie dite « d’intégration » par les membres de minorités (Bourhis, Barrette, El-Geledi, & Schmidt, 2009; Navas, Rojas, García, & Pumares, 2007; Rohmann, Florack, & Piontkowski, 2006; Wolsko et al., 2006). Une stratégie d’assimilation ou de séparation serait également préférée pour les groupes minoritaires dévalorisés (Bourhis & Dayan, 2004; Kunst & Sam, 2013; Montreuil & Bourhis, 2001). D’autres travaux montrent également qu’une incompatibilité entre les attentes de la majorité et les comportements d’acculturation des minorités entraîne une plus mauvaise attitude vis à vis des minorités (Matera, Stefanile, & Brown, 2015; Piontkowski et al., 2002; Rohmann et al.,

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2006; Zagefka & Brown, 2002). L’une des critiques à l’encontre de cette théorie concerne cependant le fait que, dans la réalité, les membres de la majorité n’ont pas toujours accès aux comportements réels des minorités, mais à leur seule perception.

1.4.2. L’acculturation du point de vue métacognitif

Puisque les membres de la majorité expriment des préférences en faveur de l’adoption de telle ou telle stratégie d’acculturation par les minorités, il semble également essentiel d'étudier les situations de contact interculturel au niveau de la métacognition. En d’autres termes, il s’agit de considérer ce que la majorité perçoit que les minorités pensent, souhaitent et font plutôt que de se concentrer sur le comportement minoritaire effectif (Brown & Zagefka, 2011). Les réponses psychologiques des individus sont en effet systématiquement médiatisées par la perception subjective qu’ils ou elles ont de cette réalité (Brown & Zagefka, 2011; Piontkowski et al., 2002; Zagefka & Brown, 2002). Ainsi, la perception majoritaire des comportements des minorités ferait donc figure de réalité pour la majorité, et impacte ses réactions et relations intergroupes (Piontkowski et al., 2002; Rohmann, Piontkowski, & Van Randenborgh, 2008; Zagefka & Brown, 2002). Dans ce cadre, Brown et Zagefka (2011) suggèrent que l’étude de la compatibilité entre perception et préférences de la majorité est plus pertinente que l’étude de la compatibilité entre préférences de la majorité et comportement effectif de la majorité. À l’instar de ces auteur.es, nous avons choisi au cours de ces travaux de prendre en compte la dimension « perçue » de l’acculturation au sein de la majorité.

De nombreuses recherches ont montré que la perception (par la majorité) de l’adoption (par les minorités) de la culture du pays d’accueil9 est un déterminant important dans l’émergence de préjugés envers les minorités. Les minorités perçues comme choisissant d'adopter la culture dominante sont en effet souvent mieux évaluées que celles qui sont perçues comme ne souhaitant pas adopter cette culture (Barrette, Bourhis, Personnaz, & Personnaz, 2004; Bourhis & Bougie, 1998; Maisonneuve & Testé, 2007; Matera, Stefanile, & Brown, 2012; Van Acker & Vanbeselaere, 2011; Van Oudenhoven, Prins, & Buunk, 1998; Zagefka & Brown, 2002). Maisonneuve et Testé (2007) ont examiné ce phénomène au sein du groupe majoritaire français. Les participant.es ont été invité.es à lire quatre scénarios présentant chacun un homme marocain vivant en France et parlant de sa situation actuelle (Van Oudenhoven et al., 1998). Ces hommes étaient décrits comme adoptant, ou non, la culture française ; et comme maintenant, ou non, leur culture d’origine. Les participant.es ont ensuite été invité.es à donner

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leur avis sur les personnes décrites dans les scénarios. Les résultats ont montré, comme dans d'autres pays, que les participant.es avaient une opinion plus positive des personnes qu’ils ou elles percevaient comme choisissant d'adopter la culture française (quel que soit leur choix quant au maintien ou non leur propre culture). Ne pas adopter la culture dominante en tant que membre d’un groupe minoritaire semble donc être considéré comme une stratégie d'acculturation insatisfaisante par les membres du groupe majoritaire. Par conséquent, et en accord avec les recherches menées dans différents pays (voir Matera, Stefanile & Brown, 2012 ; Van Oudenhoven et al., 1998), l’adoption perçue semble représenter un facteur étique, général, et potentiellement universel des comportements discriminatoires. En Belgique, Roblain, Azzi et Licata (2016) ont cherché à comprendre les mécanismes sous-jacents au lien, au sein du groupe majoritaire, entre l’adoption perçue et les attitudes vis-à-vis des minorités. Les auteurs ont ainsi formulé une hypothèse selon laquelle ce lien serait médiatisé par la perception majoritaire quant à la stratégie d’acculturation « identification » choisie par les minorités (i.e. la majorité percevant les minorités comme s’identifiant ou non au pays d’accueil10). Sur la base d’une méthode similaire à celle de Maisonneuve et Testé (2007), les auteurs ont confirmé cette hypothèse de médiation (Roblain et al., 2016). Autrement dit, lorsque la majorité perçoit les minorités comme n’adoptant pas la culture majoritaire, elle en déduit que ces minorités ne s’identifient pas au pays d’accueil, ce qui l’amène à exprimer des attitudes négatives envers ces minorités (et inversement). Malgré l’absence de lien réel entre les formes « adoption » et « identification » d’acculturation (Badea et al., 2011; Hutnik, 1986, 1991; Snauwaert et al., 2003), il semble donc que les membres du groupe majoritaire considèrent l’adoption ou non de leur culture comme le reflet des choix identitaires des minorités (auxquels ils n’ont pas accès). Ces choix identitaires des minorités conditionneraient ainsi les attitudes de la majorité vis-à-vis des minorités. Mais cette non adoption de la culture hôte est-elle forcément problématique ? De la même manière que nous pouvons concevoir que ce qui est socialement accepté dans un groupe ne le sera pas forcément dans un autre, peut-on imaginer des contextes dans lesquels la non-adoption perçue n’aurait pas des effets aussi délétères dans les rapports intergroupes ?

De nombreux travaux étudient la compatibilité entre les préférences des membres de la majorité en matière d’acculturation et leur perception du comportement des minorités, au niveau individuel (i.e. en se focalisant sur les préférences personnelles des membres de la majorité, Bourhis et al., 1997; Kunst et al., 2015; Piontkowski et al., 2002; Zagefka & Brown,

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2002). Cependant, certains travaux suggèrent que les préférences majoritaires en matière d’acculturation s’expriment à différents niveaux. Comme nous l’avons vu précédemment, tout État qui accueille des populations issues de cultures diverses met en avant des politiques relatives à l’intégration des minorités culturelles et religieuses (Böcker & Thränhardt, 2006; Ersanilli & Koopmans, 2010; Koopmans et al., 2005). Du point de vue des travaux relatifs à l’acculturation, ces politiques d’intégration peuvent être considérées comme une expression institutionnelle des préférences du groupe majoritaire en matière d’acculturation. Or, ces politiques d’intégration sont susceptibles de donner naissance à des normes culturelles d’intégration (Guimond et al., 2013). Dans ce cadre, les normes d’intégration constitueraient le versant « normatif » de ces mêmes préférences. Dans la mesure où ces normes reflètent, dans l’esprit des membres de la majorité, ce que pense leurs pairs, nous pensons qu’elles constituent la meilleure référence pour déterminer l’adéquation du comportement des minorités aux standards du pays d’accueil. Ainsi, au cours de cette thèse, nous testerons l’hypothèse selon laquelle le lien entre acculturation (adoption et identification) perçue et discrimination est modéré par les normes culturelles d’intégration. Plus précisément, nous nous focaliserons sur une politique d’intégration très importante dans le contexte français : la laïcité.

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