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NEUTRALITÉ ET LAÏCITÉ : QUELLE INFLUENCE DES NORMES D’INTÉGRATION EN BELGIQUE ?

5.1.2. France et Belgique : deux visions de la laïcité.

Afin d’étudier l’effet du contexte culturel sur l’influence des normes culturelles d’intégration, nous avons choisi de réaliser en Belgique deux études examinant l’influence des normes de laïcité sur le lien entre acculturation perçue et préjugés/discrimination. L’État Belge est en effet attaché à un principe proche de notre laïcité. L’une des politiques d’intégration belges est centrée autour du principe de neutralité, qui implique, dans ses grandes lignes, que l’État Belge se doit de rester neutre vis-à-vis des différentes religions pratiquées par ses habitant.es (de Coorebyter, 2014; Jacquemain, 2014). Dans son idée de base, ce principe est très proche de la laïcité française, notamment dans sa version historique. Cependant, la façon dont la neutralité est appliquée par l’État Belge diffère de la façon dont la France applique le principe de laïcité (de Coorebyter, 2014; Jacquemain, 2014; Roelens, 2015; Torrekens, 2005). Pour comprendre cette notion, il est nécessaire de revenir brièvement à l’histoire du pluralisme religieux en Belgique. Au moment de la proclamation d’indépendance du pays, le 4 octobre 1830, les services publics belges sont fortement associés à l’Église Catholique. Lors de la proclamation d'indépendance, une constitution progressiste, reconnaissant notamment la liberté des cultes, de la presse et de l'enseignement sous le principe de « neutralité » fut adoptée (de Coorebyter, 2014). Ce principe de neutralité implique ainsi « l’égalité de traitement et la non- discrimination, c’est-à-dire le respect des droits fondamentaux de tous, et notamment de la liberté de conscience, d’expression et de culte » (de Coorebyter, 2014, p. 31). Le catholicisme perdit alors son statut de religion d'État. Cependant, la prise en charge, par l'État, de la rémunération des ministres du culte fut maintenue (Torrekens, 2005). Ainsi, au nom de cette neutralité et du principe d’égalité inscrit dans sa Constitution, la Belgique a progressivement étendu le financement public des cultes, initialement réservé au culte catholique, aux cultes protestant, israélite, orthodoxe, anglican et musulman (Roelens, 2015). De ce fait, l’État Belge reconnaît et finance ces six grandes religions ainsi qu’une morale non confessionnelle (appelée « laïcité organisée »). Cette interprétation du principe de neutralité est l’un des principaux points sur lequel France et Belgique diverge, l’État Français ne reconnaissant et ne finançant aucun culte depuis 1905. Cependant, d’après certain.es auteur.es, ce principe de neutralité n’est pas entièrement neutre dans sa mise en œuvre. En effet, si globalement, les dépenses publiques

belges consacrées aux cultes atteignent environ un peu plus d’un demi-milliard d’euros, le culte catholique perçoit traditionnellement environ 80 % de cette somme, le mouvement laïque 13 %, les autres cultes ne dépassant pas les 0.60 % chacun. Cette répartition des finances publiques peut parfois être critiquée comme ne correspondant plus à la réalité sociale et religieuse du pays (Roelens, 2015; Torrekens, 2005).

Cette critique fait écho à un contexte socio-politique particulier en Belgique, notamment dans son rapport à l’Islam. Les évènements survenus en France en 1989 suite au renvoi, dans un établissement scolaire français, de deux jeunes filles portant le voile (et qui ont débouché sur la loi du 15 mars 2004) ont en effet eu des conséquences en Belgique. En effet, le 1er décembre de la même année, le président du tribunal de grande instance de Bruxelles a enjoint à la commune de ne pas s’opposer au port du foulard durant les cours, considérant que la loi scolaire du 29 mai 1959, c’est-à-dire la loi du Pacte scolaire, impose le respect de la liberté de toute personne de manifester sa religion sous l’égide de ce principe de neutralité. L’arrêt du tribunal a donc consacré, aussi clairement que le Conseil d’État français au même moment, le lien entre la neutralité de l’école publique et le nécessaire respect de la liberté de manifester sa religion, mais sans placer ce lien sous l’égide du principe de laïcité, qui n’est pas une norme constitutionnelle en Belgique (Blaise & de Coorebyter, 1990). Tout comme en France, le débat autour de la neutralité et de la laïcité, s’est donc rapidement centré autour de cette question du port du voile. Cependant, en Belgique, le principe de neutralité a été jugé préférable à celui de la laïcité car « plus précis et moins polémique » (de Coorebyter, 2014, p. 23).

Malgré cette prise de position du tribunal de première instance de Bruxelles, deux types de neutralité font actuellement débat dans les discours publics, politiques et médiatiques en Belgique : (1) la neutralité dite inclusive, qui autorise le financement et la reconnaissance des cultes par l’État Belge, ainsi que le port de signes religieux ostentatoires à l’école et dans la sphère publique et (2) la neutralité exclusive, qui souhaite repousser les manifestations religieuses hors les murs de la puissance publique (voire les reléguer à la sphère privée) et implique donc une indépendance totale de l’État à l’égard des religions (impliquant notamment un arrêt du financement des religions par l’État) ainsi qu’une interdiction des signes religieux ostentatoires, notamment à l’école (de Coorebyter, 2014). Le parallèle avec la France est ainsi bien visible, à la différence que les deux principes en « concurrence » divergent sur certaines questions qui sont considérées, en France, comme résolues (comme par exemple le financement des religions par l’État). D’autres similitudes entre France et Belgique peuvent également être observées, telle que l’utilisation de la version exclusive de la neutralité en particulier contre la religion musulmane et les personnes d’origine maghrébine (et notamment marocaine en

Belgique). Les tenants de cette forme de neutralité font d’ailleurs très souvent appel à la laïcité « à la française » (i.e. la nouvelle laïcité) afin de justifier un durcissement de la neutralité en Belgique, voire de réclamer l’inscription de la laïcité dans la constitution belge. Au vu de cette situation, nous pensons que la Belgique constitue un endroit idéal pour tester l’effet des normes de laïcité dans un contexte culturel différent du contexte français. L’enjeu est d’autant plus important que la discrimination ethnique et culturelle est encore très présente en Belgique : un rapport du Baromètre Social de Wallonie (2017) a par exemple montré qu’une personne sur deux en Wallonie (i.e. Belgique francophone) pense qu’il vaut mieux embaucher un.e non- immigré.e plutôt qu’un.e immigré.e, tandis que les personnes d’origine immigrée ou descendantes d’immigré.es disent ressentir deux fois plus de discrimination que les personnes sans antécédents migratoires.

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