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Effet des normes culturelles et de la pression temporelle sur la discrimination.

LE POUVOIR DES NORMES CULTURELLES : LA DISCRIMINATION EST FAÇONNÉE PAR LE CONTEXTE

3.4. Étude 4 : Laïcité Historique, Laïcité Nouvelle : Quel(s) Effet(s) sur la Discrimination ?

3.4.2.3. Effet des normes culturelles et de la pression temporelle sur la discrimination.

Afin de tester l’effet des normes culturelles et de la pression temporelle sur la discrimination, nous avons réalisé une ANOVA incluant les conditions de normes culturelles et de pression temporelle comme variables indépendantes et le score de discrimination comme variable dépendante. L’analyse n’a révélé aucun effet d’interaction entre les conditions de normes et les conditions de pression sur la discrimination : F(2, 129) = .32, p = .729, η2 = .01, ni aucun effet principal de la condition de pression temporelle : F(1, 129) = .56, p = .456, η2 = .00. Cependant, l'analyse a révélé un effet principal significatif des conditions de normes culturelles sur la discrimination : F(2, 129) = 3.46, p = .034, η2 = .05. La décomposition de cet effet (réalisée à l’aide de la correction de Bonferroni) a révélé que les participant.es de la condition « norme de laïcité historique » (M = 3.05, SD = .49) ont discriminé significativement moins que les participant.es de la condition « contrôle » (M = 3.35, SD = .50, p = .042). Aucune différence n'a été trouvée entre la condition contrôle et la condition « norme de nouvelle laïcité » (M = 3.22, SD = 56, p = .773). La figure 3.3 illustre le pattern des résultats.



Figure 3.3. Effet des conditions de normes culturelles sur le score de discrimination dans

l’étude 4.

Nous avons ensuite effectué une analyse de contraste (suivant le principe des contrastes de Hellmert) pour comparer la condition de laïcité historique avec les deux autres conditions en termes de discrimination. Nous avons créé un contraste d'intérêt (C1) et un contraste destiné à tester la variance résiduelle (C2), en recodant les conditions de normes comme suit :

• C1 : Laïcité historique (2), Nouvelle Laïcité (-1), Contrôle (-1) • C2 : Laïcité historique (0), Nouvelle Laïcité (1), Contrôle (-1)

L'analyse a montré que le contraste d'intérêt C1 a un effet significatif sur la discrimination: β = .21, t = 2.40, p = .018, 95% IC [.014; .143]. Le contraste résiduel n'était pas significatif β = - .10, t = -1.14, p = .254, IC 95% [-.174; .046]. En d'autres termes, les participant.es à la condition de laïcité historique ont significativement moins discriminé que les participant.es des conditions « nouvelle laïcité » et contrôle. Ceci va dans le sens de notre hypothèse 4. Aucune interaction n’a toutefois été observée entre le contraste 1 et la pression temporelle.

Nous avons enfin réalisé une ANOVA testant l’effet de nos conditions expérimentales sur l’item de préjugés. Cette analyse ne révèle aucun effet significatif de la pression temporelle :

F(1, 129) = .26, p = .614, η2 = .00, des normes culturelles : F(2, 129) = 1.10, p = .338, η2 = .02, ou de l’interaction entre ces deux variables : F(1, 129) = .44, p = .646, η2 = .01.

3.4.3. Discussion.

Au cours l’étude 4, nous avons souhaité tester l’hypothèse que nous avions émise à la suite des résultats obtenus dans l’étude 3. Au vu des changements dans les résultats de l’étude 3 suite à la survenue des attaques terroristes de Janvier 2015, nous avions en effet suggéré que ce changement dans le contexte socio-culturel avait entraîné un changement dans l’interprétation de la laïcité en France. La réaffirmation des valeurs républicaines d’égalité et de tolérance qui a fait suite à ces attaques (Pelletier & Drozda-Senkowska, 2016; Solheim, 2017) suggère en effet que la norme d’intégration en France est passé de la laïcité nouvelle à la laïcité historique. Cette idée était corroborée par des analyses de corrélation, mais impossible à tester dans la mesure où nous n’avions pas d’induction d’une norme de laïcité historique. L’étude 4 avait justement pour objectif de répliquer conceptuellement l’étude 3 en adaptant nos inductions de normes culturelles aux changements survenus en France à la suite d’attentats terroristes. Nous avons remplacé l’induction d’une norme d’égalité colorblind par une condition induisant une norme de laïcité historique (comprenant le terme laïcité, et incluant à la fois l’égalité colorblind et les notions de liberté de croyance et de conscience, sur la base des travaux de Roebroeck & Guimond, 2016).

De façon totalement fortuite, cette étude a commencé le 16 Novembre 2015, soit 3 jours après les attentats meurtriers du Bataclan ayant causé la mort de 130 personnes dans le centre de Paris. Une fois encore, cette étude nous donne donc l’occasion de capter l’effet des normes culturelles à la suite d’événements tragiques survenant à l’extérieur du laboratoire. Étant données ces circonstances et de façon cohérente avec les résultats de l’étude 3, nous avions suggéré que les participant.es exposé.es à une norme de nouvelle laïcité ne discrimineraient pas différemment des participant.es de la condition contrôle, tandis que les participant.es de la condition laïcité historique discrimineraient moins que les autres participant.es. Cette hypothèse (H4) est confirmée par nos analyses de contrastes. Nous avions également formulé l’hypothèse que la pression temporelle accentuerait l’effet de la norme de laïcité historique sur la discrimination (H5). Cependant, les analyses n’ont pas permis de confirmer cette hypothèse. En effet, nous n’avons retrouvé aucun effet de la pression temporelle (effet principal comme effet d’interaction avec les normes culturelles) sur la discrimination. De même, et contrairement à notre hypothèse 6, nous n’avons retrouvé aucun effet de la pression temporelle sur le NFC.

L’étude 4 corrobore l’idée selon laquelle, en cas d'événements traumatisants tels que des attaques terroristes, un changement de la norme de laïcité associé à une réaffirmation de la laïcité historique peut devenir un rempart contre les préjugés et la discrimination. Ce constat souligne l’importance de diffuser efficacement la signification originelle de la laïcité en France

afin de réduire le biais intergroupe et améliorer significativement les relations interculturelles. Les résultats de cette étude confirment également la sensibilité au contexte de l’interprétation de la politique de laïcité. En effet, et de façon cohérente avec les résultats de l’étude 3 (après les attentats), nous n’avons retrouvé ici aucun effet de la nouvelle laïcité sur la discrimination, alors qu’avant les attentats de Janvier 2015 (dans l’étude 3) c’est justement cette norme de nouvelle laïcité qui entraînait une forte augmentation des comportements discriminatoires. Plus généralement, l’étude 4 suggère que la réplication conceptuelle peut être indiquée pour confirmer des hypothèses qui peuvent être sensible au contexte. L’absence d’effet de la norme de nouvelle laïcité en cas d’attentats ne semble pas signifier que cet effet n’existe pas. En effet, lorsque l’on adapte le protocole expérimental au contexte (en proposant ici une induction du sens originel de la laïcité), on retrouve un effet de la norme de laïcité sur les comportements.

Nous n'avons observé dans cette étude aucun effet de la pression temporelle sur la discrimination. Cette absence d’effet ne semble pas provenir de notre induction de pression temporelle, dans la mesure où nos analyses montrent que celle-ci a fortement influencé le temps mis par les participant.es à réaliser la tâche de discrimination. L’absence d’effet de la pression temporelle est en fait relativement cohérente avec ce que nous avions constaté dans l’étude 3 après les attentats. Nous pensons qu’une explication à ce phénomène pourrait être que la présence de menace terroriste influence la tendance des personnes à baser leurs comportements sur les normes culturelles. La Terror Management Theory (TMT, Greenberg et al., 1986 ; Greenberg & Arndt, 2013) suggère en effet que, lorsque nous sommes confronté.es à des attentats terroristes, cela réveille en nous la conscience de notre propre mortalité, ce qui engendre une forte anxiété ainsi qu’une augmentation de l’hostilité intergroupe (Landau et al., 2004). Une manière de se prémunir de ces effets délétères est d’avoir l’opportunité de réaffirmer les valeurs et normes importantes dans sa culture (Dunkel, 2002 ; Jonas et al., 2008 ; Motyl et al., 2011). Si, comme le suggère les données, la survenue d’attaques terroristes entraine une modification de la norme de laïcité en faveur de la laïcité historique, alors cela peut signifier que les participant.es de la condition « laïcité historique » ont eu, grâce à cette induction, l’opportunité de se prémunir contre les effets néfastes de la menace terroriste en « s’appuyant » sur cette norme. L’absence d’effet de la pression temporelle sur la discrimination s’expliquerait ainsi par le fait que, juste après les attaques terroristes, les participant.es ont systématiquement et fortement basé leurs comportements sur les normes culturelles, dans le but de se prémunir contre les effets de la menace terroriste. Autrement dit, le contexte post-attentats est aussi efficace pour rendre saillantes les normes culturelles partagées dans un pays que la pression temporelle. Cette hypothèse devrait cependant être testée dans de futures études.

D’autre part, nous n’avons également pas observé d’effet de la pression temporelle sur le niveau de NFC des participant.es. De nombreuses études se basent pourtant sur cette idée, originellement mise en avant par Kruglanski et Freund (1983, voir notamment Chiu et al., 2000 ; Fu et al., 2007). Nous suggérons donc que l’effet de la pression temporelle sur la saillance des normes culturelles n’est peut-être pas sous-tendu par une augmentation du NFC. Cette hypothèse devrait être testée par de futures recherches.

3.5. Discussion Générale.

L'objectif initial des études 3 et 4 présentées dans le chapitre 3 était de tester l'effet des variables culturelles sur les comportements discriminatoires. Cet objectif fait suite au constat selon lequel les études de psychologie sociale tentent souvent d’expliquer les phénomènes psycho-sociaux à l’aide de variables sensées agir de façon identique quelle que soit la culture (Guimond, 2010). De précédentes études (voir Guimond et al., 2013) ont cependant montré que les normes culturelles d’intégration (i.e. normes culturelles basées sur les politiques d’intégration d’un pays) constituent un facteur émique (puisque chaque culture a sa ou ses propre.s norme.s) qui influence les relations intergroupes. Les études du chapitre 2 (notamment l’étude 1) ont montré que les normes perçues comme distinctives du contexte français sont la norme de nouvelle laïcité (selon laquelle les pratiques religieuses doivent rester privées, Baubérot, 2012) et, dans une moindre mesure, la norme d’égalité colorblind (qui valorise l’égalité entre tout.es les citoyen.ne.s français.es quelles que soit leur origine et leur religion). Au cours de ce troisième chapitre, nous avons donc souhaité tester l’effet de ces normes culturelles d’égalité colorblind et de laïcité sur les comportements discriminatoires. Il découle également de cette argumentation que les normes liées à des politiques d’assimilation et de multiculturalisme, puissantes dans certains pays, ne sont pas particulièrement influentes en France. De plus, Guimond et al. (2013) suggèrent que, si l’effet du contenu des normes d’intégration est un facteur émique de biais intergroupe, l’effet de la saillance de ces normes est, lui un facteur étique. En effet, leur étude montre que, quel que soit le pays, les normes culturelles d’intégration n’ont d’effet que lorsqu’elles sont rendues saillantes dans l’esprit des participant.es. Au cours de ce troisième chapitre, nous avons donc souhaité tester l’effet de la pression temporelle comme variable permettant de rendre saillantes les normes culturelles (voir Chiu et al., 2000; Fu et al., 2007). L’étude 3 a montré que l’exposition à une norme de nouvelle laïcité engendrait une augmentation de la discrimination (et des préjugés) lorsque cette norme était rendue saillante par la pression temporelle. En revanche, nous n’avons pas retrouvé d’effet

de la norme (1) que selon laquelle la meilleure façon d’expliquer la discrimination est de combiner des facteurs émiques et étiques et (2) l’idée selon laquelle les normes les plus efficaces pour influencer la discrimination sont celles qui sont perçues comme typiques et distinctives au sein d’une culture.

Les deux expérimentations de ce chapitre ont néanmoins été menées dans des contextes particuliers. L’étude 3 a en effet été conduite entre décembre 2014 et février 2015, soit pendant les attentats terroristes contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher en région parisienne. Quant à l’étude 4, elle a démarré seulement 3 jours après les attentats du 13 Novembre 2015 au Bataclan et dans le centre de Paris. Ces deux événements ont causé un nombre de victimes très important et ont considérablement choqué la population française. De nombreuses recherches conduites dans le cadre de l’étude des effets du terrorisme avancent que la survenue de tels évènements conduit forcément à une augmentation de l’hostilité intergroupe (Dumont et al., 2003; Echeberria-Echabe & Fernandez-Guede, 2006; Landau et al., 2004; Legewie, 2013; Van de Vyver et al., 2015). En revanche, des études conduites dans le cadre de la TMT suggèrent que ces effets peuvent être évités si les personnes ont l’opportunité d’affirmer des valeurs importantes dans leur culture (voir Dunkel, 2002). Étant donné que notre objectif premier était justement de tester l’effet des normes culturelles sur la discrimination, ces études nous donnent une occasion rare de tester expérimentalement l’effet des normes culturelles dans des conditions « réelles » de menace terroriste. Les analyses réalisées auprès des participant.es de l’étude 3 interrogé.es après les attentats de janvier 2015 ne confirment pas les effets trouvés avant les attentats, puisqu’aucun effet des normes d’intégration n’est retrouvé ni sur la discrimination, ni sur les préjugés. Nous suggérons que cette absence d’effet après les attentats ne signifie pas que les résultats mis en lumière avant les attentats sont de faux positifs.

Il est possible en effet qu’un changement significatif dans le contexte culturel (ici les attentats terroristes perpétrés à Paris en janvier 2015) ait fortement influencé le comportement des participant.es. Plus précisément, la réaffirmation des valeurs républicaines originelles qui a fait suite à ces évènements (Solheim, 2017) semble avoir entraîné un basculement de la norme de laïcité, passant d’une laïcité nouvelle (à savoir l'interdiction de la diversité religieuse et culturelle dans la sphère publique) à une laïcité historique (la liberté de culte et culture pour tous). Cette hypothèse était corroborée, dans l’étude 3, par des analyses de corrélations qui montrent qu’avant les attentats, le score de discrimination est corrélé avec l’adhésion à la nouvelle laïcité, et non à la laïcité historique alors qu’après les attentats, le même score de discrimination est corrélé avec l’adhésion à la laïcité historique et non à la nouvelle laïcité. Pour confirmer cette hypothèse, nous avons reproduit conceptuellement l'étude 3. L'étude 4 a

confirmé l’idée que, dans un contexte post-attentats, l'amorçage d'une norme de laïcité historique a pour effet de réduire la discrimination. Au contraire, et de façon cohérente avec les résultats observés lors de l’étude 3 après les attentats, l’exposition à une norme de nouvelle laïcité n’augmentait pas les comportements discriminatoires. La contribution des études 3 et 4 est donc également intéressante du point de vue de la psychologie du terrorisme. Néanmoins, la survenue de ces évènements n’était évidemment pas prévue dans nos designs expérimentaux. En conséquence, nous n’avons pas eu l’opportunité de formuler d’hypothèse a priori concernant l’effet des attentats (notamment dans l’étude 3). De plus, du fait de l’ajout d’une variable indépendante naturelle dans l’étude 3, le nombre de participant.es par condition a diminué ainsi que la puissance statistique requise pour tester nos hypothèses. Nos effets n’en demeurent pas moins importants (avec des tailles d’effet parfois très élevées pour la psychologie sociale) et cohérents avec les théories des recherches actuelles. Il serait néanmoins important de répliquer ces effets avec ces échantillons conséquents, et de façon purement expérimentale, en induisant un contexte de menace terroriste ainsi que des normes culturelles.

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