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CHAPITRE 1 – INTRODUCTION GÉNÉRALE

1.5. La politique de laïcité : entre laïcité historique et laïcité nouvelle.

1.5.2. Une ou Des laïcité(s) ?

De nombreux travaux en sciences humaines, et notamment en sociologie, avançent en effet qu’il n’existerait non pas une mais plusieurs formes de laïcité (voir notamment Baubérot, 2012). Dans ce cadre, l’échelle mise au point par Kamiejski et al. (2012) ne permettrait d’appréhender qu’une de ces formes. La définition originale de la laïcité n’a en effet pas été pensée contre les religions. La laïcité originelle s’appuie sur la loi de 1905, dite « loi de séparation de l’Église et de l’État » (Maclure & Taylor, 2010), qui stipule que l’État français se doit de rester neutre vis-à-vis de toutes les religions. Cela permet de garantir la liberté de conscience pour tou.te.s11 et l’égalité de toutes les convictions, leur expression relevant du droit commun. Cette définition de la laïcité est fortement liée à la dimension d’égalité colorblind, dans la mesure où elle implique une neutralité de l’État vis-à-vis des différences religieuses des citoyens. Des travaux réalisés en sociologie suggèrent qu’à cette laïcité « historique, d’État, libérale et inclusive » s’opposerait depuis peu une laïcité « de société civile, nouvelle, identitaire et d’exclusion » (Baubérot, 2012; Lorcerie, 2012; Roebroeck & Guimond, 2016). Cette laïcité « nouvelle » (Baubérot, 2012) s’éloignerait de la loi de 1905 pour deux raisons (Roebroeck & Guimond, 2016). D’une part, elle appliquerait la notion de neutralité religieuse non plus seulement à l’État et à ses représentant.es mais à tou.te.s les citoyen.ne.s français.es. Toutes les

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C’est-à-dire le droit de croire ou de ne pas croire, de changer de conviction et de pratiquer la religion que l’on souhaite

manifestations religieuses seraient ainsi cantonnées à la sphère privée, au détriment de la liberté de croire et d’exprimer sa religion (pourtant au centre de la loi de 1905). D’autre part, cette nouvelle forme de laïcité considèrerait cette neutralité religieuse comme une fin en soi et non plus comme un moyen. D’après Baubérot (2012), cette nouvelle forme de laïcité se reflète notamment dans les lois de 2004 et de 2011, ainsi que dans tous les débats sur le voile intégral ou, plus récemment, sur le port du burkini12. Plus généralement, de nombreux.ses auteur.es soulignent que les lois qui découlent de cette laïcité, ainsi que leur application, font (plus ou moins) implicitement référence au port du voile islamique (Baubérot, 2012 ; Kamiejski et al., 2012 ; Nugier et al., 2016a). Cette « nouvelle laïcité » semble ainsi principalement dirigée vers une religion particulière: l'Islam. En d'autres termes, alors que la laïcité historique est un principe d’égalité et de tolérance, la nouvelle laïcité ne l'est pas. C’est justement à cette deuxième forme de laïcité que renverrait l’échelle élaborée par Kamiejski et al. (2012).

En psychologie sociale, des recherches récentes ont également suggéré que la laïcité pourrait servir à la fois des buts égalitaires, dans l’objectif de relations intergroupes harmonieuses, mais également des buts inégalitaires, légitimant une certaine forme de discrimination et de supériorité du groupe majoritaire français (Roebroeck & Guimond, 2016, 2018; voir aussi Nugier & Oppin, 2018). L’idée d’une multidimensionnalité de la laïcité a notamment été proposée par Cohu, Maisonneuve et Testé (2017). Ces auteur.es se sont basé.es sur les travaux de Kamiejski et al. (2012) et ont mis en avant l’existence de quatre dimensions relatives à la laïcité : l’expression publique des croyances religieuses, la protection par l’État des cultes religieux, la neutralité religieuse de l’État et de ses institutions et l’égalité entre les différents cultes religieux. L’adhésion à ces différentes dimensions est liée à d’autres variables telles que les préjugés et l’ODS. Cependant, ces différentes dimensions ne semblent pas totalement indépendantes. En effet, on peut remarquer une proximité entre ces quatre dimensions et les deux formes de laïcité mentionnées précédemment et basée sur les recherches en sociologie. Ainsi, par exemple, l’expression publique des croyances religieuses semble proche de la nouvelle laïcité tandis que la neutralité religieuse de l’État et de ses institutions et l’égalité entre les différents cultes religieux semblent proches de la laïcité historique.

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Maillot de bain pour femme couvrant le torse, ainsi qu'une partie des membres et de la tête, principalement utilisé par les femmes musulmanes.

En accord avec les travaux réalisés par des cherchers.euses en sciences humaines, les résultats d’une étude récente menée par Roebroeck et Guimond (2016) vont également dans le sens d’une dualité du sens de la laïcité. Ces auteur.es ont proposé une nouvelle interprétation des deux dimensions intialement mises en avant par Kamiejski et al. (2012). Afin de mieux comprendre la politique d’intégration française, des items faisant référence à la laïcité historique (e.g. à la liberté de culte et de conscience) ont été ajouté à l’échelle de Kamiejski. Les auteur.es ont ensuite effectué une analyse factorielle afin de détecter la structure de la relation entre ces items. Les résultats ont montré que les participant.es liaient conceptuellement les items de laïcité historique avec les items d’égalité colorblind, mais pas avec les items de « laïcité » (tels qu’imaginés par Kamiejski et al., 2012). Ainsi, les auteur.es soulignent ainsi la dimension plus large du concept d’égalité colorblind. Roebroeck et Guimond proposent d’ailleurs de renommer cette dimension « laïcité historique », après ajout des items relatifs à la liberté de culte et de conscience, et de renommer l’ancienne dimension de laïcité, renvoyant à l’idée de neutralité religieuse pour tou.te.s les citoyen.ne.s, « nouvelle laïcité » (Roebroeck & Guimond, 2016). À ce titre, la laïcité constituerait la principale politique de diversité française, basée à la fois sur les lois de 1905, de 2004 et de 2011, tout en étant composée de principes ayant des implications extrêmement différentes pour les relations intergroupes. La recherche a montré à plusieurs reprises que l’adhésion à la laïcité historique, tout comme l’adhésion à l’égalité colorblind, est négativement liée aux préjugés (i.e. réduction des préjugés, notamment anti-musulmans), alors que la dimension de nouvelle laïcité y est positivement reliée (i.e. augmentation des préjugés ; e.g. Badea, 2012; Kamiejski et al., 2012; Nugier et al., 2016a; Roebroeck & Guimond, 2015, 2016). Nous sommes donc face à un concept polysémique, malléable et qui peut favoriser la diversité, tout comme l’entraver.

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