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NEUTRALITÉ ET LAÏCITÉ : QUELLE INFLUENCE DES NORMES D’INTÉGRATION EN BELGIQUE ?

5.1.1. L’effet des normes peut-il différer entre France et Belgique ?

Les travaux de Roblain et collaborateurs (2016) avaient initialement pour objectif de tester l’influence sur le niveau de préjugés de la perception au sein de la majorité (1) de l’adoption de la culture dominante et (2) de l’identification au pays d’accueil chez les membres de groupes minoritaires. Comme nous l’avons mentionné auparavant, les auteurs fondaient l’origine du lien entre perception d’adoption de la culture dominante et perception d’identification au pays d’accueil sur la notion de représentation culturelle de la citoyenneté (Kymlicka, 2001; Reijerse et al., 2012). Selon cette hypothèse, chaque pays possède une représentation de la citoyenneté, c’est-à-dire des critères que les minorités doivent respecter pour être considérée par la majorité comme membre du pays d’accueil. La représentation culturelle de la citoyenneté, censée être majoritaire dans les pays occidentaux (Roblain et al.,

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Les deux études présentées dans ce chapitre ont été réalisées au sein du Centre pour l’Étude du Comportement Social (CeCOS), lors d’un séjour doctoral réalisé sous la direction du Pr. Vincent Yzerbyt.

2016), postule que le critère fondamental à respecter pour être considéré.e comme citoyen.ne d’un pays est d’adopter la culture dominante dans ce pays. Sur cette base, Roblain et al. (2016) postulent que, dans la plupart des pays occidentaux, la perception d’adoption de la culture dominante entraînera une perception d’identification au pays d’accueil, mais que cela ne serait pas le cas dans un pays au sein duquel la représentation de la citoyenneté est différente. D’autre part, les travaux de Snauwaert et al. (2003) mettent en avant plusieurs types d’acculturation, parfois perçues comme très proches les unes des autres et suggèrent que, dans l’esprit de la majorité, perception d’adoption et perception d’identification serait systématiquement liées. Sur la base de ces travaux, nous avons émis une hypothèse postulant un lien systématique entre perception d’adoption et perception d’identification et une modération du lien entre perception d’identification et discrimination par les normes culturelles d’intégration. Ce modèle a été confirmé par les données de l’étude 6. Le fait que nos données ne corroborent pas totalement le modèle proposé par Roblain et al. (2016) est cependant mettre en lien avec le fait que les études 5 et 6 d’une part et les études de Roblain et al. (2016) d’autre part ont été conduites dans deux contextes culturels différents (la France et la Belgique). Plusieurs auteur.es ont depuis longtemps souligné l’effet du pays au sein duquel est conduite une étude sur les résultats de cette étude. C’est notamment le cas des tenants de la posture universaliste (Sedikides et al., 2003) ainsi que d’auteur.es tel.le.s qu’Amir et Sharon (1987). Sur la base de ces travaux, on peut donc imaginer que les normes d’intégration ont un effet différent en France et en Belgique. Cette hypothèse est renforcée par les travaux très récents de Politi et collaborateurs (Politi, Roblain, Gale, Licata & Staerklé, under review), menés en Suisse. Ces auteur.es se sont basé.es sur les travaux de Roblain et al. (2016) afin de tester le lien au sein de la majorité entre la perception des comportements d’acculturation-adoption de personnes en demande de naturalisation, la perception de leur identification au pays d’accueil et l’évaluation de leur candidature de naturalisation. De plus, le modèle théorique testé par les auteur.es suppose une influence des normes d’intégration (assimilation vs. multiculturalisme) sur le lien entre perception d’acculturation-adoption et perception d’identification au pays d’accueil. Ce postulat s’inspire notamment des travaux de Sidanius, Feshbach, Levin et Pratto (1997, voir également Van Acker & Vanbeselaere, 2011), qui suggèrent que, dans les pays qui mettent en avant une norme d’assimilation (et plus généralement, une norme anti-diversité), le maintien de sa culture est vu comme incompatible avec l’identification au pays d’accueil. En d’autres termes, l’assimilation serait la seule option qui permettrait aux membres de groupes minoritaires d’être perçus par la majorité comme s’identifiant au pays d’accueil. Sur la base de ces travaux, Politi et al. (under review, étude 1) suggèrent qu’un.e candidat.e à la naturalisation

sera perçu.e comme plus identifié.e au pays d’accueil s’il ou elle s’assimile que s’’il ou elle adopte une stratégie d’intégration. De plus, les auteur.es postulent que cet effet sera moins important si une norme de multiculturalisme est amorcée. Cette hypothèse est validée par les données. Plus précisément, le lien entre comportements d’acculturation-adoption des minorités et perception d’identification des minorités au pays d’accueil n’est retrouvé qu’auprès des participant.es ayant été amorcé avec une norme d’assimilation ou aucune norme (condition contrôle) et pas auprès des participant.es amorcées avec une norme de multiculturalisme. Cette étude montre également un lien entre la perception d’identification au pays d’accueil et l’évaluation faite par les participant.es de la candidature des personnes pour une naturalisation. Ces résultats sont totalement en accord avec les hypothèses de Roblain et al. (2016). De plus, les résultats d’une deuxième étude (Politi et al., under review, étude 2) suggèrent une similarité concernant ces liens entre la Suisse et la Belgique.

Dans l’ensemble, ces travaux associés aux études 5 et 6 renforcent l’hypothèse d’une influence des normes culturelles d’intégration sur l’évaluation des minorités, mais suggèrent également que cette influence pourrait différer selon les pays. Dans certains pays, comme la France, il semblerait que le lien entre acculturation-adoption et acculturation-identification soit perçu par la majorité comme systématique. En revanche, la perception d’identification n’aurait d’effet sur le biais intergroupe que si certaines normes d’intégration sont mises en avant. Dans d’autres pays cependant, comme la Suisse et la Belgique, il semble que ce lien adoption- identification puisse être modéré par les normes culturelles d’intégration. En revanche, dans ces pays, il semble que la perception d’identification ait un effet systématique sur le biais intergroupe. Autrement dit, ces normes viendraient modérer les critères considérés par la majorité comme devant être mis en avant par les minorités pour acquérir l’identité nationale. Les normes culturelles d’intégration influenceraient ainsi soit le jugement fait par la majorité sur la base des comportements des minorités en termes d’acculturation (adoption et identification), soit la conception que se fait la majorité de la citoyenneté de son pays. Au-delà des normes culturelles d’intégration induites de manière expérimentale, il semble donc que le pays au sein duquel est conduite une étude peut influencer les relations d’une part entre les différentes formes d’acculturation (telles que décrites par Snauwaert et al., 2003) et d’autre part entre la perception d’acculturation et le biais intergroupe. En nous basant sur les travaux de Politi et al. (under review), nous avons souhaité tester l’influence des normes de laïcité sur le lien entre perceptions d’acculturation (adoption et identification) et le biais intergroupe en Belgique. Mener ces études dans ce pays nous a semblé pertinent pour deux raisons principales. Premièrement, il s’agit d’un des pays au sein duquel Politi, Roblain et collaborateurs ont mené

leurs recherches et ont montré l’influence des normes d’intégration sur le lien entre perceptions d’adoption et d’identification (Roblain et al., 2016 ; Politi et al., under review). Deuxièmement, ce pays nous permet de tester la généralisabilité de l’effet des normes de laïcité en dehors de la France. En effet, la laïcité, et les valeurs qui lui sont associées, est également en centre de l’actualité belge.

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