• Aucun résultat trouvé

PRÉFÉRENCES D’ACCULTURATION PERÇUES DES GROUPES MINORITAIRES ET DISCRIMINATION : LE ROLE

4.5. Discussion Générale

De nombreux travaux de psychologie sociale présentent l’acculturation des minorités comme un facteur déterminant dans l’émergence de préjugés et de discrimination au sein du groupe majoritaire. D’après ces recherches, les minorités perçues comme choisissant une stratégie d’acculturation impliquant l’intégration de la culture dominante dans leur mode de vie et dans leur identité sont évaluées de manière plus positive par la majorité (par rapport aux minorités perçues comme rejetant l’intégration de la culture dominante). L’objectif du chapitre 4 était de tester l’hypothèse selon laquelle cet effet peut être influencé par le contexte culturel. Les deux premiers chapitres ont montré l’importance, dans un contexte culturel, des normes culturelles d’intégration. En effet, ces normes, lorsque perçues comme importantes dans un environnement donné, ont le pouvoir d’influencer les comportements discriminatoires. Le chapitre 3 a montré qu’en France, deux normes semblent perçues comme particulièrement pertinentes par les Français (en fonction du contexte) : la norme de nouvelle laïcité, engendrant

un niveau élevé de discrimination et la norme de laïcité historique, provoquant une baisse de la discrimination. Au cours du chapitre 4, nous avons cherché à comprendre de manière plus précise comment ces normes peuvent influencer le lien entre la perception que le groupe majoritaire a de l’acculturation des minorités et les comportements discriminatoires.

La définition même des normes culturelles d’intégration indique que ces normes définissent les comportements perçus comme appropriés pour s’intégrer dans cette société. Or ces comportements d’intégration sont au cœur des théories de l’acculturation (voir Berry et al., 1977). L’hypothèse principale de ce quatrième chapitre était donc que l’effet de l’acculturation des minorités sur la discrimination au sein de la majorité est modéré par les normes culturelles d’intégration. Au cours de ce chapitre, nous avons présenté deux études permettant de tester cette hypothèse. L’étude 5 nous a permis de manipuler la norme d’intégration (laïcité historique vs. nouvelle laïcité) et l’acculturation des minorités au sens large, c’est-à-dire incluant les formes « adoption » et « identification » d’acculturation telles que décrites par Snauwaert et al. (2003). Les résultats montrent que, lorsque les participant.es ont été exposé.es à une norme de nouvelle laïcité, la non-adoption/identification à la France est un facteur générant de la discrimination. En revanche, lorsque les participant.es sont exposé.es à une norme de laïcité historique, le niveau de discrimination reste bas, que les minorités soient présentées comme souhaitant adopter la culture française ou non. Au cours de l’étude 6, nous avons souhaité différencier les formes « adoption » et « identification » d’acculturation. Cette idée fait suite à une étude de Roblain et al. (2016), qui montre que l’effet de la perception d’adoption de la culture dominante par les minorités sur les préjugés est médiatisé par la perception de l’identification des minorités au pays d’accueil. Nous avons ainsi postulé qu’au sein de cette médiation, les normes culturelles d’intégration pouvaient influencer l’effet de l’identification perçue sur la discrimination. Nos résultats ont confirmé cette hypothèse. En effet, au sein de la médiation mise en avant par Roblain et al. (2016), nos analyses ont montré que le lien entre perception d’identification et discrimination était modéré par la perception d’une norme de nouvelle laïcité. L’identification des minorités à la France n’était facteur de discrimination que pour les personnes percevant une forte norme de nouvelle laïcité. De plus, nos analyses ont montré que le lien entre perception d’adoption, perception d’identification et discrimination n’était pas influencé par la perception d’une norme de laïcité historique. Pris dans leur ensemble, ces résultats nous fournissent des éléments importants nous permettant de comprendre le fonctionnement des normes culturelles d’intégration en France.

Les études 5 et 6 rapportent donc toutes deux une influence de la norme de nouvelle laïcité sur l’effet de l’acculturation perçue des minorités sur la discrimination. Ce constat

renforce l’idée selon laquelle la norme de nouvelle laïcité est présente et influente dans le paysage culturel actuel en France. Nos résultats mettent en avant deux principales observations. Premièrement, il semble qu’en France, contrairement à ce qui a été observé par Roblain et al. (2016) en Belgique, la perception d’adoption de la culture dominante prédit l’émergence de discrimination à la fois via la prédiction de l’identification des minorités à la France et de manière directe. L’adoption ou non de la culture française n’est donc pas seulement un indice concernant l’identification des minorités mais bel et bien une variable à part entière. Deuxièmement, les résultats suggèrent que la norme de nouvelle laïcité influence le lien entre l’identification nationale perçue chez les immigrés, et le comportement de discrimination à leur égard. L’identification étant souvent considéré comme une forme plus avancée d’acculturation que l’adoption de la culture dominante, on peut alors supposer que l’adoption de la culture dominante, une forme plus « basique » d’acculturation, serait prédicteur de discrimination dans tous les cas mais que, dans un contexte exposant à une forte norme de nouvelle laïcité, il serait attendu que les membres des minorités intègrent de façon encore plus importante la culture dominante à leur vie, allant jusqu’à s’identifier eux-mêmes en tant que citoyen du pays d’accueil. Les exigences d’acculturation seraient, en d’autres termes, plus élevés dans les contextes où l’acculturation appropriée des minorités est fondée sur le principe de nouvelle laïcité. Bien entendu, cette hypothèse ne peut être testée avec la présente étude, et nécessiterait de nouvelles recherches pour la confirmer ou non.

Au cours du présent chapitre, nous n’avons observé aucune influence de la norme de laïcité historique, qu’elle soit mesurée ou expérimentalement induite. Néanmoins, une différence peut être relevée entre les deux études de ce chapitre. L’étude 5 suggère que l’exposition à une norme de laïcité historique évite l’émergence de discrimination basée sur l’acculturation des minorités. En revanche, dans l’étude 6, nous avons observé que l’acculturation des minorités resterait un motif légitime de discrimination pour les personnes percevant une forte norme de laïcité historique. Deux explications sont possibles pour expliquer cette différence entre les études 5 et 6. Premièrement, il est possible que les différences entre les échantillons de ces deux études aient influencé sur l’effet de la norme de laïcité historique. En effet, l’étude 5 a été menée auprès d’étudiant.es, inscrit.es en première année de psychologie dans une université parisienne réputée pour être orientée politiquement à gauche. Ces étudiants évoluent donc au quotidien au sein d’une ville multiculturelle, d’une université multiculturelle et ont entamé un cursus universitaire connu pour provoquer une diminution de l’ODS et une augmentation de la tolérance (voir Guimond et al., 2003). En revanche, l’étude 6 a été menée auprès d’un échantillon tout-venant, de tous milieux socio-professionnels et géographiques. On

peut alors imaginer que les participant.es de l’étude 5 puissent être, du fait de leur quotidien, plus sensibles à l’exposition à une norme de laïcité historique que les participant.es de l’étude 6. Deuxièmement, nous pensons qu’il est possible d’expliquer la différence entre les études 5 et 6 par la façon dont la norme de laïcité historique a été traitée dans ces deux expériences. En effet, au cours de l’étude 5, les participant.es ont été expérimentalement exposé.es à une norme (nouvelle laïcité vs. laïcité historique) et ce, dès le début de l’expérience. Cette norme était donc relativement saillante dans leur esprit durant la mesure de discrimination. Or la saillance des normes permet de renforcer leur effet (voir par exemple les travaux de Cialdini et al., 1990, 1991) Cependant, pour l’étude 6, nous avons voulu évaluer l’effet du contexte culturel en dehors de toute « mise en saillance » artificielle de la norme. Les questions relatives aux normes de laïcité étaient ainsi posées en fin de questionnaire. Dès lors, il est possible d’imaginer que, par défaut, la norme de nouvelle laïcité soit perçue comme pertinente en France au regard des défis migratoires (ce qui apparaît cohérent avec les résultats de l’étude 1, chapitre 2), ce qui n’est pas le cas de la norme de laïcité historique. Cette explication pourrait rendre compte du fait que la norme de nouvelle laïcité influence les comportements dans l’étude 6, et non la norme de laïcité historique. Afin de comprendre réellement le rôle de la laïcité historique dans le contexte français, de futures recherches devraient notamment induire expérimentalement les normes de laïcité auprès d’un échantillon tout-venant, mais également mesurer la perception d’une norme de laïcité historique en France (en comparaison d’autres pays).

À l’instar des autres chapitres expérimentaux de la présente thèse, les études 5 et 6 fournissent également des éléments pertinents permettant de contribuer au débat actuel concernant la réplication en psychologie sociale. Si le chapitre 3 suggérait que le contexte culturel peut influencer l’émergence de discrimination via les normes culturelles d’intégration, les études 5 et 6 suggèrent que ces normes peuvent également avoir une influence sur l’effet d’un facteur de préjugés et discrimination pourtant souvent décrit comme universel dans la littérature. En l’occurrence, il semble que le fait que la majorité perçoivent les minorités comme ne désirant pas adopter la culture française et s’identifier à la France n’entraîne pas toujours l’émergence de comportements discriminatoires (voir les travaux de Maisonneuve et Testé, 2007 ; Roblain et al., 2016 ; Van Oudenhoven et al., 1998). Certains contextes culturels (comme une norme de laïcité historique) peuvent rendre cette variable non pertinente dans le jugement des minorités. Nous pensons que ce constat va à l’encontre de la posture selon laquelle la réplication exacte est la plus pertinente pour confirmer les théories de psychologie sociale (voir LeBel, Berger, Campbell, & Loving, 2017; Simons, 2014). En effet, au regard de nos résultats, on peut imaginer que si un.e chercheur.euse avait souhaité répliquer une des études testant

l’effet de l’acculturation des minorités sur la discrimination de manière exacte, au sein d’un pays possédant une forte norme inclusive, les résultats n’auraient peut-être pas permis de répliquer l’effet. Aurait-on pour autant pu dire que cet effet n’existe pas ? Il semble que non, car celui-ci est retrouvé de manière régulière dans d’autres contextes. Les études 5 et 6 nous permettent ainsi d’argumenter en faveur d’une prise en compte du contexte culturel lors de la conduite d’étude en psychologie sociale, si pas a priori, a minima afin de nuancer certaines conclusions relatives, par exemple, à l’existence réelle ou non d’un effet. De la même manière, nous pensons que la réplication conceptuelle, la plus à même de tenir compte des spécificités du contexte, est totalement indiquée en psychologie sociale. Les études 5 et 6 permettent donc de renforcer notre position concernant le poids du contexte culturel sur les comportements.

Néanmoins, ces études comportent certaines limites qui devraient être prises en compte dans de futures recherches. Pour commencer, comme nous l’avons déjà mentionné, il convient d’être prudent.es lors de la comparaison des résultats entre ces deux études dans la mesure où l’une testait l’effet des normes manipulées expérimentalement, tandis que l’autre études examinait les liens entre perception de normes dans le contexte « réel » et discrimination. Ainsi, de futures recherches devraient reprendre le design de l’étude 6 (en distinguant les formes “adoption” et “identification” de l’acculturation, Snauwaert et al., 2003) en manipulant les normes de laïcité. De plus, ces études ont été menées pour une sur un échantillon tout-venant et pour l’autre sur des étudiants de psychologie à l’université de Nanterre. Nos échantillons de participant.es sont donc potentiellement très différents. Enfin, et dans un cadre similaire, nous comparons les études de ce chapitre, notamment l’étude 6, avec une étude réalisée en Belgique: celle de Roblain et al. (2016). Or notre propos consiste justement à prendre en compte les spécificités du contexte culturel. Il est donc compliqué de statuer sur l’effet de la norme de nouvelle laïcité ou sur la systématicité du lien entre adoption de la culture dominante et identification au pays d’accueil sur la base d’observations faites en France uniquement. Roblain et al. (2016) postulaient en effet que le lien entre adoption de la culture dominante et identification au pays d’accueil était susceptible de varier. Nous pensons que les interprétations française et belge des différentes formes d’acculturation et de leur lien peuvent être différentes. Aussi, les études présentées dans le prochain chapitre auront pour effet d’étudier l’influence des normes culturelles d’intégration sur l’effet de l’acculturation des minorités sur la discrimination en Belgique. Ces études permettront ainsi d’examiner les différences éventuelles entre les mécanismes d’actions des normes culturelles d’intégration en France et en Belgique.

CHAPITRE 5 –

NEUTRALITÉ ET LAÏCITÉ : QUELLE INFLUENCE DES

Documents relatifs