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Chris ou Martin Udvarnoky ?

Adapté admirablement par Robert Mulligan, L’Autre restitue l’ambiance contrastée entre les couleurs des deux enfants, celles du paysage d’été, du monde du dessus, et celui, frais et sombre du monde du bas, celui de la cave aux pommes, dans lequel se retrouvent les deux enfants. Si le récit cinématographique se passe du récit-cadre, il reste une étude de la folie d’un enfant qui ressuscite son frère et se laisse dépasser par cette tentative.

Le spectateur découvre Niles pour la première fois, après le périple inquiétant d’une caméra subjective dans les buissons d’une forêt. Il est agenouillé dans une clairière, enveloppé d’un halo de soleil, il semble nimbé, angélique. Il regarde la bague en argent sertie

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d’une pierre noire, à son doigt. Des bruits de pas dans la forêt, de brindilles cassées l’effraient ; il court se réfugier dans un abri en tôle ondulée. Un son off ressemblant à un bruit de mitraillette fait comprendre que quelqu’un laisse glisser un objet sur la tôle et un autre enfant apparaît, double de Niles, c’est Holland. Les deux enfants sont habillés à l’identique202, en short beige et en polo jaune, cependant, ils ne sont jamais dans le cadre en même temps. Le cadreur s’arrange pour que lorsque l’un d’eux entre dans le champ, l’autre en sorte. Ces deux enfants espiègles sont armés de pistolets en bois et passent leur temps à jouer, à se cacher en se courant après. Holland entraîne Niles dans ses chapardages chez la voisine, Mrs Crowe. On voit Niles sortir de sa grange et se faire corriger avec un battoir à tapis à la place de Holland.

Il n’a aucune réaction face à cette souffrance physique, il ne pleure pas, ne crie pas, investi de l’image que l’on colle aux garçons de cet âge. Deux rats créent une diversion, Mrs Crowe lâche sa prise ; Niles, qu’elle appelle Holland, se sauve. Cette première rencontre avec ce personnage d’enfant est éclairante quant au sérieux qui entoure la notion de jeu, la relation avec les adultes – qui confondent les vivants et les morts – et, dernier point qui passe inaperçu à la première vision, avec le concept d’héritage. Niles, dans la clairière, regardait une bague à son doigt. C’est autour de cet objet que se situe le nœud de l’intrigue et que se cristallisent les désirs de Niles, car la bague représente l’identité de la lignée familiale203. Elle lui confère le pouvoir de chef de famille qui lui avait été ravi par son frère Holland, considéré comme l’aîné des jumeaux. Si Niles avait laissé faire les choses, la bague serait enterrée avec Holland, or elle se retrouve à son doigt, parce qu’il la lui a ôtée dans son cercueil.

Ce point aurait pu ne pas porter à conséquence si la bague était sortie facilement du doigt du cadavre de Holland, mais sa résistance devenait emblématique du refus de laisser à Niles l’héritage convoité. Niles a donc procédé à l’amputation du doigt de Holland. L’horreur de cet acte est dissimulée à Niles lui-même, refoulé parce qu’il constitue un traumatisme. Il a

202 Et, ils le seront toujours dans le film.

203 Tout ce qui a été décrit dans le roman sur cette lignée ne peut pas l’être dans le film qui n’a pas de narrateur off, c’est pourquoi cet indice est grossi par un insert sur la main de l’enfant dès la première séquence.

enveloppé le doigt dans du papier de soie bleu et le garde caché dans une boîte à tabac de la marque Prince Albert. Pendant une bonne partie du film, il se retient de regarder ce que contient le papier de soie bleu.

Découvrir ce que le papier de soie bleue contient, c’est faire ressurgir le passé de la façon la plus crue qui soit. C’est ainsi que l’on comprend comment le personnage fonctionne : un objet déclenche un flash back, la mémoire de Niles se réveille et montre comment les événements se sont déroulés. Le puzzle se met en place petit à petit. Niles est donc un enfant déjà atteint psychiquement, dédoublé ou schizophrénique, dès la première image du film, lorsque le spectateur le voit nimbé de lumière. Niles, comme l’ensemble du film, fournit la preuve que les apparences sont trompeuses. L’enfant n’est pas l’ange de lumière que chacun croit percevoir dans le film. La dissimulation puis les meurtres prémédités et soigneusement mis en scène par l’enfant en sont l’illustration. L’enfant n’est plus au stade magique où il suffit de penser ou désirer pour que le monde réponde, mais à celui de la prestidigitation. Il a compris que cela tient à une technique, un trucage, une illusion d’optique ; il prépare ses tours qui lui permettent non seulement de faire apparaître ou disparaître un objet, vivant ou mort, mais aussi de faire glisser un objet d’un monde à l’autre : ainsi, tuer quelqu’un revient à le faire passer du monde des vivants à celui des morts, et cela n’a pas d’impact moral puisque, par la prestidigitation, il est capable de faire revenir les morts dans le monde des vivants.

Déguisé en magicien, Niles sort du chapeau haut de forme, non un lapin ou une colombe, comme dans un tour classique, mais un rat – l’animal auquel est substitué Holland à plusieurs reprises à l’image – ce qui a pour conséquence de faire peur à son spectateur et même de le tuer. Niles a besoin d’un public pour que ses tours soient reconnus, or l’état de deuil de la famille recule le moment du spectacle traditionnellement annuel et le frustre de son jeu. La frustration entraîne la colère et le désir de vengeance qui aboutit à l’enlèvement du bébé de sa grande sœur, à son immersion dans un tonneau de vin, et à sa réapparition à l’occasion de la

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fête des moissons. Niles exécute ces tours avec la complicité de Holland – ou l’inverse –, évinçant ainsi tous les autres enfants qui détournent de lui l’attention des adultes ou qui risquent de le détrôner de son droit à porter la bague, emblème de la lignée familiale.

En fait, l’impression qui reste est que Niles ne distingue pas les différents mondes dans lesquels il déambule : le monde réel, le monde imaginaire ou l’outre monde. D’ailleurs, la couleur disparaît lorsque l’enfant se trouve dans la cave aux pommes.

noir et blanc

Et, même lorsque le film garde la couleur, le noir et blanc domine en signe de deuil.

couleur

L’étude de ces dix portraits d’enfants permet d’effectuer un recoupement des caractéristiques les plus identifiables : le nom, l’âge, le sexe, la couleur des cheveux et le don particulier de chaque enfant.

ROMAN FILM

Titres Prénom Age Sexe Couleur des cheveux Don surnaturel

Le Tour d’écrou Miles 9 ans ♂ Non précisé Blonds Sixième sens

Rosemary's Baby Andrew Nourrisson ♂ Roux Non

Précisé Fils de Satan

Les films conservent les prénoms des personnages des romans, seul le Village des Damnés ajoute un enfant pour lui donner un rôle important ; la majorité des enfants possède deux qualités : la précocité et un sixième sens. Par sixième sens, nous entendons la faculté d’entrer en contact avec des créatures surnaturelles : fantômes, démons. Ce tableau permet de constater que l’âge n’est pas un facteur propre à déterminer une période de l’enfance plus fantastique qu’une autre et que les garçons et filles reçoivent les mêmes traitements. En revanche, on distingue une très nette différence entre les portraits des romans et ceux des films. Les cheveux blonds angéliques et roux diaboliques dominent dans les romans, tandis que dans les films aucun enfant n’a les cheveux roux. Le corps de l’enfant est très peu décrit.

Dans un roman ou dans un film, ce sont sa présence et sa parole qui lui donnent corps. Trois points constants méritent un développement particulier : la rousseur, pour le facteur physique, la précocité, pour le développement intellectuel et enfin, les pouvoirs surnaturels pour le domaine affectif.

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