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UNE POETIQUE DE L’ENFANCE FANTASTIQUE

LES GENERIQUES DES FILMS

On peut attribuer au pré-générique et au générique la même valeur indicielle qu’à l’incipit. Il s’agit d’une unité séquentielle forte qui dont le ton, sinon le climat du film, au spectateur plongé depuis peu dans le noir. La lumière qui émane de l’écran a la vertu d’établir une relation proche du rêve. Chaque générique du corpus propose une entrée particulière dans le monde du film qui n’a rien à voir, en apparence, avec l’incipit des romans. Reste à savoir quelle place est attribuée aux enfants dans ces ouvertures.

Lorsque le spectateur est plongé dans l’obscurité, il s’attend à ce que le logo de la société de production apparaisse. Pourtant, dans Les Innocents, l’écran reste noir, une voix de

255 Mais on peut également imaginer que le « Wasp » dont il est question renvoie au « White Anglo-Saxon Protestant », l’archétype de l’Américain moyen, issu des colons fondateurs de la nation américaine.

256 Stephen KING, Shining, op.cit., p. 9.

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femme ou de petite fille chante a capella une chanson dont les paroles sont à peine audibles, et cela pendant près d’une minute. L’effet recherché est simple. Le spectateur a les yeux ouverts dans le noir et il écoute une berceuse qui provient de cette obscurité. Il ne rêve pas et la voix est là, sans corps, sans bouche ; une absence et une présence à la fois ; une voix fantôme. Il pose la question : « quel sens croire ? L’ouïe ou la vue ? ». L’air de cette chanson va venir ponctuer plusieurs moments du film : Flora le fredonne, durant la première nuit de Miss Giddens à Bly, de même, lors de la première apparition de Quint sur la tour ; la voix de Flora sera remplacée par le son métallique de la boîte à musique trouvée dans le grenier, lors de la partie de cache-cache, offerte par Miss Jessel à Flora et dans le kiosque à musique, où Flora dansera sur cet air.

Le logo de la firme arrive enfin, de façon progressive, et la musique est moins forte qu’habituellement comme pour éviter de réveiller le spectateur en sursaut ; le fond de l’écran reste noir, un son off de chant d’oiseau se fait entendre et des mains de femme, en prière, apparaissent en insert. Le visage de Déborah Kerr envahit l’écran tandis que le générique se déroule. Le pré-générique et le générique mettent donc l’accent sur l’univers féminin du film, plutôt que sur les enfants.

Dans The Village of the Damned, c’est presque un fondu au blanc qui ouvre le film ; un troupeau de moutons traverse une prairie da gauche à droite, tout comme le feront plus tard dans le film les enfants, à cette différence près qu’ils seront tous vêtus de noir. Les contrastes blanc/noir et moutons/enfants désignent métaphoriquement les moutons blancs et les moutons noirs de la société257. Un tracteur tourne autour d’un arbre frêle dans un plan d’ensemble où l’on découvre une maison bourgeoise. Un cut permet de pénétrer dans la maison. Un homme (George Sanders), debout près de son bureau, téléphone à Londres ; un son off de harpe

257 Dans le remake de John Carpenter l’incipit est plus classique et reprend le survol de la caméra comme dans Rosemary’s Baby et Shining.

couvre soudain le bruit du moteur du tracteur, et l’homme s’écroule. La voix de son interlocuteur sort du téléphone : « Gordon ! Gordon ! ».

Rien ne vient indiquer qu’il sera question d’enfants dans la suite du film, sinon peut-être le son de la harpe qui vient ponctuer la chute de Gordon. Ce son a une valeur indicielle en tant qu’il rappelle au spectateur que ce glissement de notes est utilisé lorsqu’un personnage s’endort et qu’il rêve ou encore dans les adaptations des contes lors de l’exécution d’un sortilège magique.

Les génériques de Rosemary’s Baby et de Shining se ressemblent dans la mesure où dans les deux films la caméra commence par un survol. Dans Rosemary’s Baby, il s’agit d’un panoramique à hauteur des toits qui se termine en plongée et se focalise sur deux petites silhouettes qui disparaissent sous un porche. Ce regard panoramique semble mesurer d’abord une étendue pour se fixer sur le couple. On peut imaginer que ce regard appartient à un être surnaturel qui n’annonce rien de mauvais puisque les images sont accompagnées d’une berceuse, fredonnée en off par Mia Farrow, et que les inscriptions du générique apparaissent en rose layette. Le couple s’engouffre cependant, dans une bâtisse austère, sombre dont la caméra a laissé voir les gargouilles qui la décorent. Pour Shining, un travelling suit, à distance, une petite voiture qui roule sur une route sinueuse de montagne et se fixe sur une vue d’ensemble de l’hôtel Overlook qui se fond dans la terre ocre. On retiendra de ce générique un contraste entre un paysage grandiose et un véhicule minuscule qui ressemble à un jouet d’enfant. La caméra joue à suivre, à dépasser, à rejoindre, à bifurquer, à revenir. Cela laisse présumer que le personnage, Jack Torrance, sera manipulé par quelque chose qui le dépassera, dont il ne sera pas maître. Tout comme le couple qui entre dans le Bramford, l’homme qui pénètre dans l’Overlook et, par contrecoup sa famille, subira les influences d’un logis hanté par le passé.

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Dans L’Exorciste, le film s’ouvre sur un paysage baigné d’un soleil orangé dans le désert, un carton indique « Irak du Nord », suivi d’un gros plan sur les jambes d’un enfant. La caméra le suit par un travelling dont la hauteur correspond à celle d’un animal ; un chien pourrait avoir ce point de vue. Deux chiens se battent à la fin de cette séquence et annoncent l’affrontement entre l’exorciste et le démon. Le cadre est celui d’un terrain de fouilles archéologiques dans lequel on voit, à l’arrière plan, des ouvriers qui travaillent. L’enfant vient chercher l’exorciste, la statuette du démon Pazuzu vient d’être retrouvée près d’une médaille sainte. Le générique transpose dans un micro-récit les relations qui seront développées dans la suite du film entre un enfant, un prêtre, une médaille et un démon, de façon à suggérer que ni les temps ni les lieux ne soient un frein au monde surnaturel. Cela représente le véritable défi de ce récit, le Mal n’a ni frontières, ni scrupules et peut s’attaquer à un enfant.

L’Autre, est le seul film dont la séquence générique introduit les personnages enfants.

Le spectateur découvre Niles, après un travelling furtif dans la forêt ; il s’agit du point de vue de l’Autre, justement, du second enfant, Holland. Les brindilles craquent, le regard marque des arrêts, effectue des panoramiques courts, il est en recherche. Il trouve enfin ce qu’il cherche : au milieu d’une clairière baignée de soleil, Niles est à genou, comme en prière.

De l’absence totale (Le Village des damnés, Shining) à l’absence/présence (Les Innocents), de la présence transposée (L’Exorciste) à la présence suggérée (Rosemary’s Baby), seul le générique de L’Autre nous fait pénétrer dans l’univers de l’enfant fantastique.

Cette tiédeur à exposer les enfants dans le titre, l’incipit ou le générique est un facteur qui oblige à consulter l’entrée en scène véritable du personnage d’enfant et ses relations avec le récit et la temporalité du récit.