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UNE POETIQUE DE L’ENFANCE FANTASTIQUE

ANALYSE DES TITRES

Le titre d’un roman fait partie de son texte (…) et possède, en conséquence, une puissance considérable pour retenir et conditionner l’attention du lecteur241.

Les titres des films et des romans sont des indices, selon la présence ou l’absence des enfants, de leur qualité de sujet ou d’objet. Shining est un titre qui met en valeur la qualité particulière de l’enfant242, L’Autre et L’Exorciste mettent en scène les opposants. The Turn of the Screw de James désigne une action, que l’auteur s’amuse à reprendre dans son texte à deux reprises. La première fois pour en donner le sens de façon explicite :

Si l’implication d’un enfant donne un tour d’écrou supplémentaire, que diriez-vous de celle de deux enfants… ?

241 David LODGE, L’Art de la fiction, Paris, Payot et Rivages, 1996, p. 254.

242 Tout comme le titre The Sixth Sense (Le Sixième sens ),de Night Shyamalan, dont on remarque la synonymie.

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If the child gives the effect another turn of the screw, what do you say to two children? 243

La seconde fois, vers la fin du roman, pour en donner le sens implicite :

Je ne pouvais continuer qu’en faisant confiance à la « nature », en considérant que ma monstrueuse épreuve (…) exigeait seulement, après tout, pour y faire front, de donner un tour d’écrou supplémentaire aux vertus humaines.

I could only get on all by taking «nature» (…) by treating my monstrous ordeal (…) demanding after all, for a fair front, only another turn of the screw of ordinary human virtue.244

La narratrice justifie son acharnement sur les enfants ; en français, serrer la vis à un enfant, c’est faire preuve de sévérité. Ce qui est remarquable, c’est que dans les deux citations, le terme « tour d’écrou » est accompagné du terme « supplémentaire » et de l’article indéfini (« another ») ; le titre utilise donc l’article défini pour désigner ce tour d’écrou supplémentaire qui désigne à la fois l’enfant, l’effroi, le (mauvais) tour et les vertus. Cette action se transforme en une qualité ambiguë dans Les Innocents de Clayton. Bien qu’il soit emprunté à la pièce de théâtre de William Archibald, Clayton donne la clé de ce titre dans la séquence de la première rencontre entre Miss Giddens et Flora. La fillette, avant de lui présenter sa tortue, lui demande si elle a peur des reptiles. La présence du « reptile »245 prouve que si l’on est dans l’Eden, c’est après la chute d’Adam et Eve246. La question de Flora : « Are you afraid of reptiles ? » peut être traduite par : « Avez-vous peur de vous faire corrompre ? », cela correspond au sujet du film, dont le titre a la portée d’une antiphrase : « Les Innocents ».

Enfin, si Les Coucous de Midwich repose sur une métaphore en utilisant un génitif mettant en valeur le terme « Cuckoos » en le rejetant en fin de titre, celui de l’adaptation, Le Village des damnés, pose une ambiguïté sur l’identité des damnés. S’agit-il des enfants ou des

243 Henry JAMES, Le Tour d’écrou, op.cit., pp.30 et 31.

244 Henry JAMES, Le Tour d’écrou, op. cit. pp. 258 et 259.

245 Certes, le terme générique est fort puisque l’animal en question n’est qu’une tortue.

246 Figures symboliquement représentées par Jessel et Quint.

villageois ? Le titre doit être examiné avec attention ; il est composé d’un nom et d’un complément du nom : « un village » ou « le village » – l’absence d’article en anglais permet les deux suppositions – désigne Midwich ; l’imprécision permet de laisser planer une ambiguïté : ce village est-il particulier ou s’agit-il d’un village parmi les autres à recevoir les Enfants ? Le terme « damnés » est substitué à celui de « coucous » et le pluriel indique qu’il peut s’agir des Enfants, des habitants de Midwich ou des deux à la fois. Le verbe « damnare » en latin classique signifie « condamner », il n’a pris son sens de « condamner aux flammes de l’enfer » que plus tardivement avec le christianisme mais son sens s’étend aussi au domaine laïc.247 Ce terme excessif, surtout concernant des villageois débonnaires – le narrateur insiste sur le fait qu’il ne se passe jamais rien à Midwich – ou des enfants, est capable de faire frissonner encore aujourd’hui. L’aura négative de ce mot provient sans doute de la connotation d’injustice qu’il véhicule. L’enfer n’est pas un lieu agréable et on sait qu’il peut exister sur terre. 248

La punition qui touche les villageois – de très jeunes filles tombent enceintes, des femmes célibataires, des femmes mariées aussi alors que leur mari était parti depuis un an – est aussi disproportionnée que le mot du titre. Qu’ont-ils fait pour mériter cela ? Les conséquences de cet événement – tentatives de suicide, disputes, séparations – contribuent à donner une atmosphère de violence et à faire progresser l’effet dramatique. Mais cet enfer s’arrête pour eux au moment où les Enfants disparaissent.

La passation de la damnation des villageois aux Enfants se fait par touches successives et atteint son point culminant, comme dans le roman, au moment de l’accident de voiture. La

248 « L'heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront Sa voix, et ils sortiront : ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie ; ceux qui auront mal agi, pour une résurrection de jugement." » Jean 5, 28-29.

Dans le même esprit, le chant L’Internationale commence ainsi : « Debout ! les damnés de la terre ! Debout ! les forçats de la faim ! La raison tonne en son cratère, C'est l'éruption de la fin. Du passé faisons table rase, Foule esclave, debout ! debout ! Le monde va changer de base, Nous ne sommes rien, soyons tout ! refrain : C'est la lutte finale Groupons-nous, et demain, L'Internationale Sera le genre humain. ». Du compositeur Pottier, membre de la Commune, 1887.

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présence des Enfants est à elle seule le miroir de la punition. Leurs pouvoirs se développent au rythme de leur obligation de survivre dans un monde hostile. Leur extermination, contrairement au roman, n’est pas définitive. Et la dernière image du film, montre la maison en feu, le brasier devenu bûcher, et les yeux fluorescents des Enfants s’échappent de cet enfer.

L’enfant n’est évoqué clairement que dans Rosemary’sBaby alors qu’il n’est présenté qu’à la fin du récit, et dans Les Innocents. Les titres de ce corpus ne placent donc pas l’enfant au premier plan, et l’on pourrait s’étonner de cette absence, si l’enfant n’était pas malgré tout implicitement impliqués, par son lieu de naissance (Midwich/Village), son imbrication dans une autre histoire (L’Exorciste) ou sa relation au surnaturel ( Shining, L’Autre, Le Tour d’écrou).