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L’ECHEC DE L’ENFANT FACE AU MAL : LA MORT

UNE POETIQUE DE L’ENFANCE FANTASTIQUE

L’ECHEC DE L’ENFANT FACE AU MAL : LA MORT

L’impression que veulent laisser les auteurs sur la mort des enfants vise-t-elle une impression d’échec, d’injustice ou de délivrance ?

En ce qui concerne la mort de Miles, la narratrice est persuadée qu’elle a contribué à délivrer l’enfant de la possession du fantôme de Quint. Pour elle, l’enfant retrouve dans la mort sa pureté originelle. Le lecteur et le spectateur sont au contraire déstabilisés par cette fin abrupte. Ils se désolidarisent de la justification de cette mort. D’ailleurs, certains commentateurs276 d’Henry James ont vu, dans cette fin, une mort symbolique de l’enfant qui entre, par le biais de la sexualité incestueuse, dans le monde adulte. Douglas, le narrateur premier, serait en fait Miles devenu adulte. L’inceste semble plus acceptable que la mort définitive. Le film de Jack Clayton accentue d’ailleurs cette lecture en montrant Miss Giddens déposer un baiser ambigu sur la bouche de l’enfant sans vie. La pensée « je t’aime, je te tue » n’est pas paradoxale ; elle signifie « je préfère te tuer, plutôt que tu appartiennes à un autre ». Elle dépasse le sentiment de jalousie dans la mesure où la foi chrétienne promet la réunion des âmes qui s’aiment au jour du Jugement dernier. Miss Giddens ne ressent aucun remords quant au fait d’être responsable de la mort de Miles car, pour elle, il est sauvé de l’Enfer. On pourrait même supposer que cette délivrance est planifiée, dès l’entretien d’embauche de la Gouvernante. Elle accepte le poste que de nombreuses autres ont refusé, parce qu’elle est victime d’un coup de foudre pour l’oncle des enfants – qui ne lui propose qu’une rupture définitive, puisqu’elle prend le relais à son entière charge. Ce conflit intérieur – elle aime un homme qui ne lui laisse aucun espoir – se conclut tragiquement. Faire

276 Jean PERROT, Henry JAMES, une écriture énigmatique, Paris, Aubier, 1982.

mourir Miles, le substitut miniature de l’oncle, c’est rendre justice à un amour impossible. De fait, le baiser final peut être compris comme le dernier hommage à cet amour brisé. Le récit de cette histoire, qu’elle effectue vingt ans plus tard, peut être davantage considéré comme une justification à visée déculpabilisante que comme une réelle confession.

Si la Gouvernante cherche à éviter l’enfer à Miles, les Enfants de Midwich (et ceux dispersés dans les autres communautés du monde) sont tués pour éviter l’enfer aux humains sur Terre. Leur mort est vécue d’une certaine façon comme un soulagement. Gordon, le seul humain en qui les enfants avaient confiance, se sacrifie avec eux. Cette fin et les sentiments qu’elle véhicule laissent une impression douce-amère. Comment peut-on être soulagé par la mort d’une race, même s’il s’agit d’une colonie extraterrestre et a fortiori quand il s’agit d’enfants – mais peut-on affirmer qu’ils le sont, n’en ont-ils pas que l’apparence ? La violence infligée à l’aspect humain est forte car elle sous-entend que pour survivre l’homme doit renoncer à ses sentiments humanistes. En tuant ces enfants, l’homme se prive d’une évolution liée à la mixité. En refusant la vie aux enfants, la Terre ne devient-elle pas un territoire vieillissant et conservateur ? La mort a donc un double aspect dans ce récit : elle est à la fois délivrance et objet de honte.

La fin du film de Wolf Rilla rend moins âpre au spectateur la culpabilité. En effet, des flammes de la grange qui a explosé, les yeux phosphorescents des enfants s’échappent en direction de la caméra puis bifurquent vers le ciel. Enfants démons ou enfants extraterrestres, ces créatures rejoignent l’ailleurs d’où elles sont venues, à moins qu’il ne s’agisse d’une vision évangélique de leurs âmes, dont le siège se trouve, dit-on, dans le regard, qui rejoignent le Ciel, en étant passées par le feu purificateur du bûcher, et par l’homme qui s’est sacrifié pour sa communauté. Une fois encore, la fin reste ouverte et déceptive. C’est pourquoi, le film tient davantage du fantastique que de la science-fiction. La mort des Enfants infligée par leur père spirituel n’est pas sans rappeler les différents mythes des pères infanticides, de

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Chronos à Abraham, en passant par Agamemnon277. Les mères ne sont pas exemptes de cet acte, Médée égorge ses propres enfants pour se venger de l’abandon de Jason, et Procné tue son fils Itys et le sert comme repas à son père.

Andrew échappe à une mort à l’état de fantasme ; pendant sa gestation, Rosemary imagine que la secte satanique veut manger son enfant, ainsi que l’avaient fait les précédentes locataires du Bramford, les terribles sœurs Trench. Après sa naissance, c’est sa propre mère qui désire le tuer, en apprenant l’identité de son véritable père, Satan. L’arme qu’elle veut utiliser est bien une arme sacrificielle puisqu’il s’agit d’un couteau, mais le décalage temporel entre l’archaïsme du procédé et la cuisine moderne duquel il est retiré ramène rapidement Rosemary à son statut de ménagère. Le bébé par son état est placé dans une situation où il est à la merci du monde extérieur. Il ne peut se défendre, chaque combat dépend de celui de sa mère278.

Si dans le roman la naissance du bébé est établie comme réelle, il n’en est pas de même dans le film, qui remet en question son existence. Paradoxalement, l’incrédulité face à sa non-existence fait, dit-on, la force de Satan. Croire au diable, c’est attester l’non-existence de Dieu.

Polanski affirme ne croire ni en Dieu ni en diable, mais au mal inhérent à l’être humain. La paranoïa de Rosemary ou la malveillance de la secte sont les deux possibilités qu’il réussit à rendre absurdes. En effet, l’enfant représentant du mal n’a pas à le combattre. Du point de vue des membres de la secte, les valeurs positives sont celles du mal ; l’enfant représente leur idéal et ils le protègent de Rosemary, qui représente le mal à leurs yeux, par son appartenance à la religion catholique. Tout jugement de valeur dépend donc du point de vue du narrateur et du savoir-faire des auteurs pour le soutenir. On peut ainsi établir un tableau regroupant les

277 Genèse, 22 ; 1-12 et Coran XXXVII, 101-109.

278 Le combat de la mère héroïque est déjà présente dans une nouvelle fantastique de Buzzati, intitulée

« L’Uovo » (« L’œuf »)[1966], in Le K, Paris, Le Livre de poche. L’auteur y montre que, pour sauver son enfant, une mère est capable de trouver en elle des forces insoupçonnées.

sentiments, les mobiles provoqués par la mort des enfants et les conséquences duelles qui y sont rattachées.

Sentiments laissés par la

mort des enfants Mobiles Conséquences

Injustice Expiation Etat

Honte Nécessité mélioratif et / ou

Soulagement Passage Péjoratif