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Chapitre I : Le principe d’autonomie

C) La nécessité éprouvée d’une compréhension nouvelle du principe d’autonomie

Ma démarche ne consistera donc pas à sauver par principe le « concept d’autonomie de ses déboires et ajouter ainsi une voix de plus à la “Querelle du sujet“ , ni à replonger 24 dans les impensés conceptuels sur lesquels elle s’est déployée » (Jouan, 2009, p. 4) ou encore d’engager une critique radicale de la valorisation du principe d’autonomie (Marzano, 2006 ; Pelluchon, 2014) pour le rejeter, mais bien de le complexifier et de lui accorder toute son «  épaisseur  » afin qu’il puisse davantage correspondre à la manière dont il s’inscrit dans le réel et fasse dès lors l’objet d’une compréhension philosophique plus satisfaisante.

Contre la réduction d’une conception individualiste et idéale de l’autonomie, qui présuppose une certaine « linéarité » du sujet, j’entreprends ici de complexifier ce principe en m’intéressant à ce qui est considéré comme sa principale modalité d’expression en contexte de soin (Ménoret, 2015), à savoir la règle du consentement. Comme nous l’indique Stéphane Haber, dans le secteur du soin, le consentement est en effet considéré comme «  la manifestation cardinale de l’autonomie  » (Haber, 2009). Toutefois, nous verrons que la problématique de la capacité d’autonomie du sujet inclut la question du consentement mais ne s’y réduit pas.

À mon sens, respecter l’autonomie d’une personne, c’est respecter la manière dont cette dernière - au regard des circonstances dans lesquelles elle est engagée - exprime et

Pour la querelle du sujet voir notamment : Jean-Pierre Cometti, «  La fausse «Querelle du

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sujet» », Acta fabula, vol. 5, n° 2, Été 2004, URL : http://www.fabula.org/revue/document509.php, page consultée le 04 février 2017.

conçoit son propre Bien . J’ai choisi de mettre le terme Bien en majuscule, afin de lui 25 accorder une visibilité particulière, car il traversera tout mon exposé et fera l’objet de différentes formulations. Considérons pour l’instant que l’autonomie d’un individu consiste en l’expression - aussi liminale soit-elle - de ce qui fait sens pour la personne elle-même dans un contexte déterminé. Le Bien d’une personne, ce qui fait sens pour elle-même, ne peut être compris comme une entité fixe mais bien comme toujours déjà inscrit dans un processus contingent en devenir. Le sens d’un choix ou d’une action pour un sujet déterminé s’inscrit nécessairement dans un contexte qui conditionne et constitue tout à la fois l’orientation que prendra ce sens. En insistant sur l’importance du sens dans ma première formulation de l’autonomie, je souhaite souligner que le consentement ne peut être le reflet de l’autonomie de la personne qu’à condition qu’il soit donné au sein d’un «  processus qui recherche une certaine épaisseur du consentement et qui ne se laisse pas appréhender à partir du seul moment de la décision   » (Lechevalier Hurard et al, 26 2017, p. 4). Bien que l’expression d’un choix ou d’une inclination ne puisse émaner que du sujet lui-même, ce choix est irrémédiablement nourri et affecté par les relations d’interdépendance qu’il entretient avec autrui. Par ailleurs, en contexte de dépendance,

Dans le chapitre premier de L’Éthique à Nicomaque, Aristote nous dit que «  Tout art et toute

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recherche, de même que toute action et toute délibération réfléchie, tendent, semble-t-il, vers quelque bien. Aussi a-t-on eu parfaitement raison de définir le bien : ce à quoi on tend en toutes circonstances » (Aristote, 1987, p. 137). Pour Aristote, il existe de multiples biens, qui varient selon les personnes, mais dont la finalité est pour tous de viser le bien suprême, à savoir le bonheur. Il nous semble difficile de parler de bonheur en contexte de maladie ; toutefois, nous partageons l’idée que chaque personne tend dans ses « actions » et « délibérations » à viser son propre bien. Celui-ci ne doit pas être compris comme un objet fixe, mais bien en perpétuel devenir, participant d’un processus permanent de redéfinition par l’individu en fonction des contextes dans lesquels il est engagé. Cette compréhension du bien de la personne que l’on pourrait qualifier de «  subjectiviste  »  est, dans le contexte qui nous implique, concurrencé par une autre compréhension du bien des individus, celle de la bienfaisance médicale (voir notamment Beauchamps et Childress, 2001). La bienfaisance médicale - qui consiste à considérer le bien dans une perspective essentiellement somatique et physiologique- objectivise le bien des personnes, en le réduisant au bon fonctionnement corporel. Ainsi, les biens singuliers entrent en concurrence dans le contexte qui nous occupe avec la représentation médicale de la bienfaisance. Comme l’indique le Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique, le consentement ne peut se

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réduire « à la décision ponctuelle par laquelle le patient accepte que commence le traitement ; il faut plutôt le considérer comme structurant en permanence l’ensemble de la relation entre le patient, les soignants et l’institution médicale... on comprend alors que l’absence de consentement constitue un problème éthique dans la mesure où elle déstructure la relation soignant/patient et risque de la pervertir en relation unilatérale (...) » (Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique, 2003, p. 5). Les membres du comité insistent également sur le fait que « la capacité de décision n’est pas une donnée statique et monolithique qui serait présente ou absente, mais une donnée dynamique qui fluctue au fil du temps... le médecin doit en tenir compte et rechercher l’accord éclairé du patient pour la planification du traitement ultérieur » (Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique, 2003, p. 16).

les choix ou inclinations de la personne ne peuvent la plupart du temps se concrétiser qu’à travers la reconnaissance que peut en faire autrui. Ainsi, chaque acteur impliqué dans une situation prend une part active dans  la définition de cette situation (Garfinkel, 2007), contribuant à la construction des enjeux qu’elle soulève ainsi qu’à l’orientation que celle-ci est susceptible de prendre.

Comme mentionné en introduction, pour travailler dans toute sa complexité la problématique de l’autonomie du sujet à travers sa principale modalité - en contexte médical - qu’est le consentement aux soins, j’ai choisi d’interroger - à travers une enquête de terrain - une situation qu’on peut qualifier de limite ; à savoir la question du consentement aux soins des patients atteints de la maladie d’Alzheimer en situation de soin aigu. Les spécificités liées à la maladie d’Alzheimer doublées du caractère aigu de la prise en charge des personnes qui en sont atteintes font de cette prise en charge un terrain particulièrement propice pour examiner les limites du principe d’autonomie tel qu’il est traditionnellement envisagé et montrer qu’une conception de l’autonomie qui autorise «  un autre subjectivisme que celui  de l’auto-position, une autre socialité que celle d’individus atomisés et une autre vie morale que celle d’être raisonnable » (Jouan, 2009, p. 6) est non seulement possible, mais éminemment souhaitable.

Pour l’instant, je vais me concentrer sur les spécificités liées à la maladie d’Alzheimer ainsi que sur les difficultés liées à l’évaluation de la capacité d’autonomie décisionnelle des patients. J’envisagerai ensuite le rôle particulier des soignants de proximité dans l’évaluation et le respect de l’autonomie des patients, et porterai par après mon attention sur la tension entre le refus de soin et la contrainte en soin gériatrique aigu.

Chapitre II : La maladie d’Alzheimer et le problème de l’autonomie décisionnelle

Pour élaborer l’ensemble de ce chapitre, je me suis d’une part appuyé sur la littérature médicale spécialisée, mais également sur des analyses philosophiques et sociologiques, ainsi que sur les recommandations éthiques concernant la problématique qui m’intéresse ici. L’importante mobilisation dans cette section de certains avis du Comité consultatif de bioéthique de Belgique (CCBB) s’explique par le fait qu’un travail de synthèse conséquent a été réalisé par les membres de cette instance au sujet des divers enjeux - notamment médicaux - soulevés par la pathologie qui m’intéresse dans ce travail, ainsi que sur les réponses qui peuvent y être apportées.