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Chapitre I : Sources normatives (nationales et supranationales)

B) Normes relatives aux personnes dont l’autonomie décisionnelle est fragilisée par la maladie

1) La distinction entre l’incapacité de droit et l’incapacité de fait

Le droit - aussi bien belge que français - opère une distinction entre ce qui est appelé l’incapacité de fait et l’incapacité de droit. L’incapacité de droit est la situation juridique dans laquelle se trouve une personne présentant une altération de ses facultés mentales mais aussi corporelles (à la condition que cette dernière soit de nature à empêcher l'expression de sa volonté), en raison de la maladie, d’un accident, de la vieillesse ou de la démence notamment, qui la place dans l'impossibilité totale ou partielle de pourvoir seule à ses intérêts et qui, pour ce motif, se trouve placée sous un régime légal de protection .52

La mise sous protection de la personne est une question d’ordre médical et non d’ordre social. Elle doit faire l’objet d’un certificat médical circonstancié, démontrant que l’état de santé de la personne la rend incapable - pour tout ou en partie - de gérer ses biens ou de se gérer elle-même. Celui-ci doit être remis au juge (le juge de paix en Belgique et le juge des tutelles en France), qui désigne, avec la personne visée par la mesure de protection, un représentant légal, qui peut être tant un parent ou un proche qu’un professionnel

Alors qu’auparavant la Belgique comptait différents statuts de protection des personnes

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majeures incapables (administration provisoire des biens, de minorité prolongée, de tutelle et de conseil judiciaire), la loi du 17 mars 2013 réformant les régimes d'incapacité et instaurant un nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine a permis de regrouper ces différents statuts en un seul statut global de protection - appelé statut d’administration - qui peut dorénavant porter tant sur les biens que sur les personnes (la dénomination d’ « administration provisoire » ne concernait, avant l’entrée en vigueur de cette loi - que les biens des personnes. D’autres dispositifs visaient bien entendu, avant cette réforme, les personnes ; comme la tutelle ou la curatelle) ; et s’adapte à mesure des incapacités du patients. La France quant à elle propose différents statuts de protection : sauvegarde de justice, tutelle, curatelle, etc. Bien entendu, ces différents statuts (France) ainsi que l’étendue de l’administration (Belgique), ont des implications différentes sur les formes de représentation dont bénéficient les personnes faisant l’objet d’une mesure de protection. Nous ne spécifierons pas ici les différentes implications de chacune de ces mesures de protection, par souci de concision. Nous vous renvoyons pour plus d’informations à la loi belge du 17 mars 2013, ainsi qu’à la loi française du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

(généralement un avocat). Ce dernier est chargé de veiller aux intérêts patrimoniaux ou non patrimoniaux du majeur protégé/incapable. La mise sous protection  peut être demandée par la personne à protéger elle-même, mais également par toute personne intéressée (proche ou famille), ou encore par le Procureur du Roi en Belgique et le juge des tutelles en France. L'incapacité juridique désigne donc l'état d’une personne privée par la loi de manière provisoire ou prolongée de l’exercice de certains droits.

Cependant, les lois belges et françaises insistent sur le fait que, en matière médicale, il s’agit toujours de tenir compte de la capacité naturelle de la personne, c’est-à-dire de sa capacité de fait, sans s’en tenir à son incapacité juridique.

En effet, ce n’est pas parce qu’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer par exemple fait l’objet d’une mesure de protection juridique qu’elle perd toute faculté de compréhension et de décision ; elle a bien souvent la possibilité de préserver une capacité de fait, même si celle-ci est sujette à des fluctuations . Cette mesure n’affecte pas, en 53 règle générale, l’obligation d’évaluer in casu les facultés de la personne en vue que celle- ci soit « associée à l’exercice de ses droits, autant qu’il est possible et compte tenu de sa

capacité de compréhension » (article 14, § 3 de la loi belge du 22 aout 2002 relative aux 54 droits du patient ). Ce précepte s’inscrit dans la droite ligne des instruments 55 supranationaux comme la Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine (1997) ou la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes

Comme l’indique le Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique, « La personne vulnérable ne

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peut donc être exclue du processus décisionnel, les intervalles de lucidité devant obligatoirement être recherchés et respectés. (...) La personne vulnérable doit en effet être, dans la mesure du possible, associée à la décision et son incapacité de consentir en raison de son état confusionnel et sa perte d’autonomie doit être réévaluée régulièrement afin précisément de tenir compte des possibles intervalles de lucidité » (Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique, 2013, p. 19).

L’article L. 1111-2 du code de la santé publique français indique sensiblement la même chose :

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la personne protégée doit recevoir elle-même les informations la concernant, celles-ci doivent lui être communiquées d'une manière adaptée à son discernement, afin qu’elle puisse participer aux prises de décision la concernant.

Notons ici que la loi belge du 17 mars 2013 réformant les régimes d'incapacité et instaurant un

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nouveau statut de protection conforme à la dignité humaine insiste notamment sur le fait que la première personne vers qui il s’agit de se tourner pour prendre une décision est la personne elle même. Toute personne doit avoir la possibilité d’exprimer son opinion, laquelle doit être prise en considération en fonction de sa capacité de compréhension. Cette loi du 17 mars 2013 réaffirme que c’est le respect de la règle générale de la capacité qui constitue le droit commun, l’incapacité n’étant que l’exception.

handicapées (2014) ou encore la Déclaration d’Helsinki . Ainsi, le degré d’incapacité de 56

fait doit systématiquement faire l’objet d’une évaluation in casu ; celle-ci étant, pour rappel,

largement dépendante in concreto de l’appréciation des soignants. Cette appréciation comportant incontestablement une part d’arbitraire (Eyraud, Vidal Naquet, 2012).

Notons ici, comme le souligne le juriste Gilles Génicot - expert belge en droit biomédical sur lequel je m’appuierai essentiellement dans ce chapitre pour présenter les spécificités liées au droit belge -, que «  les textes de droit (bio)médical font fréquemment référence aux notions d’incapacité à consentir, d’inconscience ou de faiblesse d’esprit, sans prendre la peine de les définir, ce qui peut plonger tant les juristes que les soignants dans la perplexité. Or, le rôle du droit devrait être de guider au maximum l’action concrète des praticiens ; un effort pédagogique et un souci constant de clarté et de cohérence des normes sont à cet égard cruciaux  » (Génicot, 2010a, p. 328). il ajoute qu’«  en droit médical, de nombreux arbitrages sont départis aux praticiens professionnels, sous l’éventuel contrôle a posteriori du juge, avec une faveur de plus en plus accrue à la

La Déclaration d’Helsinki (adoptée par l’assemblée médicale mondiale en 2013 à Fortaleza au

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Brésil) - qui fixe les principes applicables dans le domaine de la recherche biomédicale - a introduit dans sa nouvelle version (la Déclaration d’Helsinki a été régulièrement revue depuis sa première version de 1964), aux cotés du principe de consentement, le «  principe d’assentiment  ». Cette introduction du principe d’assentiment a pour objectif de renforcer - dans les textes législatifs à venir - l’attention portée aux droits et à la protection des personnes dont l’autonomie est fragilisée et pour lesquelles un consentement en bonne et due forme ne peut être recueilli. En effet, en raison de l’exigence relative aux critères requis pour l’obtention d’un consentement valide, toute une série de personnes sont privées du droit à être sollicitées pour les décisions les concernant. Ainsi l’article 29 de la version de 2013 de la Déclaration d’Helsinki indique ceci : « lorsqu’une personne considérée comme incapable de donner un consentement éclairé est en mesure de donner son assentiment concernant sa participation à la recherche, le médecin doit solliciter cet assentiment en complément du consentement de son représentant légal. Le refus de la personne pouvant potentiellement être impliqué dans la recherche devrait être respecté ». Bien que la déclaration d’Helsinki (qui s’inscrit dans la filiation du code de Nuremberg de 1947) se concentre essentiellement sur le domaine de la recherche, la pertinence de cette notion d’assentiment dans le cadre des soins aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer préserve sa pertinence. En effet, maintenir l’exigence d’une sollicitation systématique de l’avis de la personne en introduisant cette notion d’assentiment dans les législations à venir et en insistant sur la nécessité du recueil de celui-ci lorsque la personne ne peut donner un consentement « valide », nous apparaît être de bon augure. Pour Emmanuel Hirsch directeur de l’Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer (EREMA), « la notion d’assentiment constitue un repère davantage pertinent et efficient que celle de consentement dans le contexte d’une maladie neurologique dégénérative. Elle procède en effet de l’attention portée à la préférence exprimée par la personne dans le cadre d’une démarche tenant compte de ses capacités relatives et donc adaptée à la singularité de sa situation ». (CNSA. Dossier scientifique. Deuxièmes rencontres scientifiques de la CNSA. Aide à l’autonomie et parcours de vie. Synthèse du colloque des 15 et 16 février 2012. Septembre 2012. www.cnsa.fr/IMG/pdf/Aide_a_lautonomie_et_parcours_de_vie.pdf(texte intégral).

concertation disciplinaire et à la résolution amiable des conflits par la médiation  » 57 (Génicot, 2010a, p. 328).

Les textes juridiques prévoient systématiquement un régime pour les incapables majeurs (Belgique) et les majeurs protégés (France). «  C’est évidemment opportun, mais d’une portée pratique faible : sont ici visés les incapables de droit, soit les personnes qui, en raison de leur arriération mentale, requièrent une protection très étroite tant personnelle que patrimoniale » (Génicot, 2010a, p. 329) et sont placées sous régime de protection et de ce fait « privées du gouvernement juridique de leur personne et de leurs biens. (...) Ils ne résolvent nullement la situation des incapables de fait (...) dont la capacité juridique est intacte mais qui ont, concrètement, besoin d’être assistés et protégés, dans le respect de leur autonomie décisionnelle (Génicot, 2010a, p. 329-330). En effet, de nombreuses personnes très vulnérables ne font pas l’objet de mesures de protection « parce que leur situation n’est pas connue des instances judiciaires. Ces personnes peuvent être très isolées ou être entourées et faire l’objet de ”tutelle de fait”  »(Eyraud, Vidal-Naquet, 2013, p. 6).

En contexte de soins de santé, la  majorité des personnes hospitalisées atteintes de la maladie d’Alzheimer (Eyraud, Vidal Naquet , 2013 ; Génicot, 2010)  sont juridiquement 58

capables (c’est-à-dire qu’elles ne font pas l’objet d’une mesure de protection) mais il arrive

qu’« au moment et dans les circonstances où une décision médicale doit être prise à leur égard, elles n’ont pas ou plus la lucidité et la clairvoyance requises pour exercer leur autonomie (...), se trouvant de facto hors d’état de consentir valablement au traitement envisagé» (Génicot, 2010 a, p. 330).

Ainsi, une (in)capacité de fait n’est pas une (in)capacité de droit, et vice versa. Nous vous proposons dans les pages qui suivent d’envisager les différentes manières dont la question de la prise de décision médicale est encadrée par les deux juridictions auxquelles s’intéresse ce travail en fonction des différents cas de figure possibles.

Le service de médiation du droit des patients - prévu par l’article 11 de la loi du 22 août 2002 -

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sera travaillé plus loin dans le texte.

En effet, nous nous intéressons dans ce travail aux patients atteints de la maladie d’Azheimer

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qui ont été/sont hospitalisés et non ceux qui sont « institutionnalisés », c’est-à-dire placés, que ce soit en maison de retraite, en EPHAD, en Cantou, etc. Ce sont ces personnes-là qui bénéficient la plupart du temps d’une mesure de protection juridique.