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Le mouvement et la machine dans le Futurisme, l'Orphisme et le Suprématisme

II. Machine et mécanique dans l'art occidental du XXe siècle et apports de Jean Tinguely dans ce domaine

3) Le mouvement et la machine dans le Futurisme, l'Orphisme et le Suprématisme

Un intérêt pour la machine se développe chez les artistes entre les années 1910 et 1920. Ce sont les futuristes qui, d'abord amorcent le mouvement avec la publication, en 1920, du premier Manifeste du Futurisme : une automobile rugissante qui a l'air de courir sur la mitraille est, à leur avis, plus belle que la victoire de Samothrace.

Jean Tinguely avait connaissance des travaux qui avaient été faits avant les siens, par les

Kleinmann (journaliste), Jean-Jacques Lagrange (réalisateur).

89 Jack Burnham, Beyond Modern Sculpture : The Effects of Science and Technology on the Sculpture of this Century, New York, G.Braziller, 1968.

avant-gardes artistiques et s'était imprégné des futuristes italiens de la première génération90, parce qu'ils avaient fait, de la vitesse et du mouvement mécanique, un idéal esthétique et moral. Certains d’entre eux se referaient aux recherches pointillistes et aux valeurs anarchistes que rependaient leurs images, en ce qu’elles mettaient en branle une réalité jusqu’alors tenue pour stable et immuable, la soumettaient aux secousses de la subjectivité, démolissant les représentations de l’ancien monde. Il faut voir là le point de départ des recherches tingueliennes. Les futuristes proposaient la représentation du mouvement des corps dans un champ visuel fixe. Ils remplacent l'instantané de la Renaissance par la simultanéité, en juxtaposant des phases successives du mouvement. Marinetti dans son premier manifeste (1909) affirme sa volonté d'abolir l'espace et le temps, en les remplaçant par la vitesse perpétuelle et universelle. Cependant, les futuristes représentent le mouvement dans un champ visuel fixe. La perspective cinétique succède à la perspective statique, ouvrant la voie à un art subjectif, libéré des codes de la représentation en place depuis la Renaissance. Le fractionnement suggère le dynamisme, les angles aigus deviennent signes de vitesse (Dynamisme d'une automobile, 1912-1913).

En même temps que les futuristes, les cubistes et les orphistes s’intéressaient au caractère mouvant de la perception, à la simultanéité des points de vue qui se conjuguent au sein de représentations mentales. Les cubistes représentaient, sous la même, forme un objet observé simultanément, sous différents angles de vue. Ils rendaient le mouvement du regard qui se déplace sur des objets immobiles comme si celui-ci les appréhendait au même moment de face, de haut et latéralement et inventait, par là même, une perspective psychologique, subjective, remplaçant la perspective illusionniste mathématique et son point de vue fixe. Jean Tinguely utilise leurs apports dans le développement de la vision d’un réel multiple et insaisissable, et il est, également, très influencé par le Suprématisme, dont Kasimir Malevitch91 rédige le manifeste en 1915. Ce dernier se réfère à un mouvement cosmique, suprasensible, donnant à expérimenter, au travers de ses compositions, la vibration universelle, l’excitation de la matière, telle qu’elle se manifeste en chacune de ses particules et jusque dans le mouvement des planètes. Cette cosmogonie est présente dans l’œuvre tinguelienne pour une part, en tant qu'elle transcende les frontières matérielles de l’œuvre d'art

90 Et à leur suite, les vorticistes anglais, sous l’impulsion de Wyndham Lewis.

91 Parmi ses premiers travaux, Jean Tinguely réalise ses Méta-Malevitch, réactualisant la démarche de Malevitch par l’introduction d’un mouvement réel dans ses compositions. Pour ce faire, il conçoit des mécanismes dont le fonctionnement vise à libérer le temps des mouvements de l’horloge auxquels sa perception est soumise, de le rendre à son caractère aléatoire, plutôt que de le mesurer.

et permette de relier l'art et la vie, mais, d'un point de vue pratique, c'est sans conteste les réalisations constructivistes qui ont amené l'idée de concevoir le mouvement comme un médium à part entière ; dans l’histoire de l'avant-garde, le mouvement prend le relais du mouvement cubo-futuriste et il se caractérise, selon Gérard Conio, par une volonté d'unification du « front de l'art » et du « front de la vie » et par le projet de reconstruire la vie par l'art. C'est en ce sens qu'il faut comprendre le slogan de la « mort de l'art » qui se référait à

« l'art ancien », c'est-à-dire l'art fondé sur la représentation et la contemplation92. Les constructivistes proclamaient une acception de la machine en tant que telle, à savoir non comme une imitation comique de l'homme, mais comme une force par laquelle l'art et l'homme peuvent être élevés.

4) Le Constructivisme

Le Manifeste Réaliste de la nouvelle mobilité dans l'art, publié en Russie par les frères Naum Gabo et Anton Pevsner pendant la révolution, en 1920, inaugure le Constructivisme avec l’idée (présentée comme porteuse de l'esprit moderne) de concevoir des objets qui conjuguent le mouvement, l’espace et la lumière. Suivra, en 1922, le Manifeste sur le système dynamico-constructif des forces (rédigé par Moholy-Nagy et Alfred Kémény). Naum Gabo était pessimiste quant à la capacité de la mécanique à satisfaire aux fins esthétiques de la sculpture cinétique : pour lui, la mécanique allait tuer le contenu sculptural (c'est ce que Jack Burnham appellera « la compétition visuelle entre le mouvement et les mécanismes producteurs de mouvement »93), mais il déclare, avec élan, que l'avenir de l'art réside dans sa nouvelle mobilité et, dans son livre théorique Von Material zu Architektur, Moholy-Nagy évoque la quatrième dimension, à savoir le mouvement. Pevsner et Gabo privilégient, quant à eux, le mouvement naissant, au déplacement du spectateur (le mouvement idio-moteur) et ne réalisent que peu d’œuvres cinétiques.

Au-delà des théories qui lui sont liées, l’emploi du mouvement dans les arts trouvait déjà sa mise en œuvre dans le projet de Monument à la troisième internationale que Vladimir Tatline avait conçu au cours de cette même année ; ce dernier mêle, sans distinction de valeur,

92 Gérard Conio, Les Avant-gardes, entre métaphysique et histoire, entretiens avec Philippe Sers, Ed. L’Âge d'Homme, coll. La Petite bibliothèque Slave, Laval, 2002, p.108.

93 Jack Burnham, Beyond modern sculpture, the effects of science and technology on the sculpture of this century, New York, Ed. G. Braziller, 1968, p. 232.

l'invention de nouvelles formes et leur construction même. Il est artiste et technicien, inventeur et constructeur. D'après Thierry Dufrêne94, l'artiste russe a repris, avec la Letatlin, l'idée de machine volante, inventée par Léonard de Vinci et il a rompu avec la conception d'une machine menaçante qui prévalait dans la littérature romantique et symboliste, celle qui était montrée dans L'Eve future de Villiers de l'Isle-Adam (1886), dans Surmâle d'Alfred Jarry (1902) ou dans Metropolis de Fritz Lang (1925). « La sculpture-machine de la tradition constructiviste est luministe, émettrice, entre en résonance avec le cinématographe : un exemple est le Modulateur Lumière-Espace (Lichtrequisit) de Laslo Moholy-Nagy (1923-1930) ; les réalisations de Nicolas Schöffer sont d'un esprit voisin »95. Les idées du Constructivisme avaient été importées au Bauhaus de Weimar, entre 1921 et 1924, avec l’arrivée de nouveaux enseignants, notamment Paul Klee, Vassily Kandinsky puis Laszlo Moholy-Nagy et, par la suite, diffusées à travers toute l’Europe et les États-Unis96. Tinguely revient très fréquemment sur l'importance du constructivisme dans son propre cheminement artistique, notamment pour sa création de volumes virtuels. En effet, Naum Gabo, Anton Pevsner, Lazar Lissitzky ou encore Alexander Rodtchenko, avaient mis leurs idées en application dans des réalisations picturales et volumétriques, le mouvement pouvant être généré par des vibrations optiques. L'apport du Constructivisme dans la pensée de Jean Tinguely se fait, également, au sujet de la motorisation de la sculpture. Gabo avait réalisé dès 1920, l’une des premières sculptures motorisées, composée d’une boule et d’un fil tournant rapidement sur lui-même, de telle manière, qu’avec la rotation du fil, un volume virtuel apparaisse. La diffusion du manifeste Für Statik par Jean Tinguely, directement dans l'espace public (lancé d'avion au-dessus de Düsseldorf en 1959) n'est pas sans rappeler celle du Manifeste Réaliste rédigé par Naum Gabo et Anton Pevsner et publié sous forme d’affiche, à l’occasion d’une exposition de sculptures des deux frères sur le boulevard Tverkoïé à Moscou, le 5 août 1920. Ce goût pour la contradiction se manifeste, avec ampleur, dans les écrits de l'artiste et dans les tracs éparpillés dans le ciel de Düsseldorf un jour de 1959 avec son manifeste Für Statik : « L'unique chose stable c'est le mouvement partout et toujours… le définitif, c'est le provisoire… il n'y a rien de sûr, sauf ce qui ne l'est pas… la plus grande stabilité c'est l'instabilité ».

94 Thierry Dufrêne in De la sculpture au XXè siècle, sous la direction de Thierry Dufrêne et Paul-Louis Rinuy, ed. Des Presses universitaires de Grenoble, Paris, 2001. pp.51-68.

95 D'après T. Dufrêne in De la sculpture, Op. Cit., pp.52-53.

96 Theo van Doesburg en colporte les idées dès 1921 ; les enseignants du Bauhaus, émigrant pour fuir le régime nazi, en transmettront les valeurs outre-Atlantique.

« Tout bouge, il n’y a pas d’immobilité. Ne vous laissez pas terroriser par des notions de temps périmées. Laissez tomber les minutes, les secondes et les heures.

Arrêtez de résister à la transformation.

SOYEZ DANS LE TEMPS, SOYEZ STABLE, SOYEZ STABLE AVEC LE MOUVEMENT.

Pour une stabilité dans le PRESENT. Résistez à la faiblesse apeurée de stopper le mouvement, de pétrifier les instants et de tuer le vivant. Arrêtez-vous de toujours réaffirmer des valeurs qui s’écroulent quand même. Soyez libre, vivez et arrêtez-vous de peindre le temps. Laissez tomber la construction des cathédrales et pyramides qui s’écroulent quand même comme des cartes. Respirez profondément. Vivez à présent, vivez dans et sur le temps. Pour une réalité belle et totale. »97.

L'objectif de Tinguely est d'analyser le monde ambiant, de s'en emparer et de l'incorporer à son art. Depuis 1954, l'artiste est fasciné par la connotation métaphysique née du rapprochement entre le mouvement et son antithèse. D'après Pontus Hulten, la motivation de Jean Tinguely est la plus ambitieuse que l'on puisse imaginer : faire que l'art conquière le monde. C'est pour cela que l'artiste note à la fin de son manifeste : « Vive Kasimir ! »98. L'art de Kasimir Malevitch devait, en effet, contribuer à libérer l’esprit du monde matériel pour faire pénétrer l’être dans l’espace infini.

Jean Tinguely semble, également, avoir retenu des prérogatives constructivistes, la volonté de relier l'art et la vie, la volonté de sortir des carcans académiques et des lieux traditionnellement dédiés à l'art, pour la diffusion de celui-ci directement dans l'espace public, pour le soumettre aux conditions naturelles, perçues comme plus vraies, plus justes, plus authentiques, plus proches des gens. La réalité, la vie et l'action sont les valeurs les plus hautes, pour les constructivistes comme pour Jean Tinguely.

« Ni le futurisme, ni le cubisme n’ont donné ce que notre époque attendait d’eux.

[…] Nous disons : Aucun des systèmes artistiques nouveaux ne résistera à la

97 Jean Tinguely, manifeste « Für Statik », lâché d'avion au-dessus de Düsseldorf en 1959, traduit de l’allemand, publié dans M. Fath, 1960, Les nouveaux réalistes, catalogue de l'exposition qui s'est tenue au Musée d'Art moderne de la ville de Paris du 15 mai au 7 septembre 1986, Ed. MAM, Paris, 1986.

98 P. Hulten, Méta, Pierre Horay, Paris, 1972, p.76.

poussée de la demande de la nouvelle culture en formation tant que les bases mêmes de l’art ne seront pas assises sur le sol ferme des lois réelles de la vie. Tant que les artistes ne diront pas avec nous : tout est mensonge – seules sont véritables la vie et ses lois. Et dans la vie, seul celui qui agit est beau et fort et sage et juste.

Car la vie ne reconnaît pas la beauté comme critère esthétique. La Réalité est la beauté la plus élevée. La vie ne reconnaît ni le bien ni le mal ni la justice comme critères moraux. La Nécessité est la plus élevée et la plus juste des morales. La vie ne reconnaît pas la vérité rendue abstraite par l’intellect comme critère de reconnaissance. L’Action est la vérité la plus élevée et la plus exacte. […] Nous disons : L’Espace et le Temps sont nés pour nous aujourd’hui. L’Espace et le Temps sont les seules formes dans lesquelles se construit la vie et dans lesquelles par conséquent il faudrait construire l’art. L’État, les systèmes politiques et économiques périssent sous la poussée des siècles. Les idées s’émiettent mais la vie est forte et elle avance et les corps ne peuvent être arrachés à l’espace et le temps est continu dans sa durée réelle […]. »99

Jean Tinguely affirme, à de nombreuses reprises, qu'il se considère, à la fois, comme poète et comme technicien et le rapport à la technique, qui est très marqué dans son discours, semble être l'héritage du constructivisme :

« Avec un fil à plomb dans les mains, avec les yeux aussi précis qu’une règle, l’esprit tendu comme un compas, nous construirons notre œuvre comme l’univers construit la sienne, l’ingénieur un pont, le mathématicien ses calculs d’orbites. »100.

De même, le rejet, par Tinguely, de la peinture, de sa finitude et de son apparence statique, au profit de réalisations tridimensionnelles se déployant dans le temps, n'est pas sans rappeler les points n° 2, 3, 4 et 5 du Manifeste Réaliste de 1920 rédigé par Gabo et Pevsner :

« 2. Nous rejetons dans la ligne sa valeur graphique. Dans la vie réelle des corps il n’y a pas de lignes graphiques. […] Le tracé est un élément graphique, illustratif, décoratif. […] Nous n’affirmons la LIGNE que comme DIRECTION des forces

99 Naum Gabo et Anton Pevsner, Manifeste Réaliste, le 5 aôut 1920, traduit par Nathalie Brunet dans le catalogue de l’exposition Qu’est-ce que la sculpture moderne ?, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris, 1986.

100 Idem.

statiques et de leurs rythmes cachés dans le corps.

3. Nous rejetons le volume comme forme plastique de l’espace. Il ne faut pas mesurer l’espace en volumes comme il ne faut pas mesurer le liquide en archines.

Regardez notre espace réel, qu’est-il sinon une profondeur continue ? Nous affirmons la PROFONDEUR comme seule forme plastique de l’espace.

4. Nous rejetons dans la sculpture la masse en tant qu’élément sculptural. Tout ingénieur sait depuis longtemps que la force statique des corps, leur résistance matérielle, ne dépend pas de leur masse. Par exemple, le rail, le contrefort, la poutre, etc. […] Ainsi nous restituons à la sculpture la ligne en tant que direction, ligne qui lui avait été ravie par un préjugé séculaire. Ainsi nous affirmons en elle la PROFONDEUR comme forme unique de l’espace.

5. […] Nous affirmons dans l’art plastique un nouvel élément : les RYTHMES CINÉTIQUES comme formes essentielles de nos perceptions du temps réel. »101.

Naum Gabo conçoit Standing Wave en 1919, création dont une tige d'acier est mise en oscillation par un moteur et dont le mouvement dessine, dans l'espace, un volume virtuel.

Moholy Nagy crée, en 1922, un objet mobile tridimensionnel qu'il nomme « lichtrequisit », ou

« accessoire lumineux ». Il s'agit d'une machine rotative dont les plaques de métal et de plexiglas permettent de projeter ombres et lumières sur les parois du caisson qui l’abrite, dans un mouvement hallucinatoire propre à évoquer le spectacle des villes modernes. Cette pièce ne repose, ni sur le travail du volume, ni sur la lumière, ni sur le mouvement, pris séparément, mais ceux-ci sont bien perçus comme formant un ensemble. Son idée consiste à projeter une lumière sur un mur blanc, à travers les pièces mobiles d'une machine composée d'éléments de métal et de verre, créant ainsi des motifs saisissants dûs à l'enchevêtrement des explosions d'ombre et de lumière. Les effets lumineux abstraits, ainsi obtenus, évoquent les formes lumineuses de ses photogrammes des années 1920. Finalement achevée en 1929, année où Moholy-Nagy participe à la scénographie et aux éclairages de l'Opéra de Berlin, cette sculpture cinétique, aujourd'hui appelée Modulateur espace-lumière, révèle l'intérêt de l'artiste pour la relation entre l'homme et la technique, ainsi que pour l'organisation de la lumière et de l'espace. Jean Tinguely est très influencé par le concept d'espace-lumière-mouvement du

101 Idem.

Lichtrequisit, lequel porte un grand intérêt aux jeux d'ombres et de lumières, aux projections et à la scénographie en général. Certaines projections prennent l'allure de signes dans l'espace, nés de la rencontre entre une réalité concrète et une certaine abstraction à l'origine du raisonnement et de la pensée. Il y a, dans les réalisations de Moholy-Nagy en particulier et des Constructivistes en général, une volonté certaine de dépasser les frontières entre les arts, celle-ci se retrouve au cœur des poèmes visuels et des poèmes-tableaux de Teige ou de Kassák, par exemple, ou encore, dans le gramophone produisant des dessins sonores de Moholy-Nagy. Ce dernier, toujours dans l'optique de déplacer la dimension transcendantale de l’œuvre depuis un discours étranger à celle-ci, vers le discours de l'artiste, réalise avec son gramophone le film Light display, black, white and grey (1930), en montrant que les sculptures ne se limitent pas à leur propre existence et qu'elles sont, également, les signes ou les symboles d'un autre niveau de la réalité. Cette recherche d'ouverture des frontières, du rapprochement de l'art et de la vie marquera fortement Jean Tinguely qui considérera Moholy-Nagy comme l'un de ses maîtres :

« Lichtrequisit m'a beaucoup influencé […]. Je l'ai vu pour la première fois à Amsterdam. Pontus Hulten et moi-même avions demandé qu'il figure dans une exposition sur le mouvement qui se tenait au Stedelijk Museum. Par respect pour l'objet, on ne l'a pas trop fait marcher. Mais on comprenait immédiatement la portée : quand on projette de la lumière dessus – c'est un rejeteur de lumière – on obtient en quelque sorte un concentré d'une sculpture de Moholy-Nagy. »102.

5) Le Dadaïsme

La question de la correspondance entre les sens, et donc des décalages perceptifs rendus possibles pour créer du trouble ou de l'inconfort chez le spectateur, est également au cœur de la recherche de Jean Tinguely. Celle-ci trouve ses sources en dehors du champ de l'art avec les travaux précurseurs de Thomas Wilfred et d'Alexandre Laszlo et de leur orgue lumineux de 1922 par exemple, ou encore de l'idée de l'Optophone, que Raoul Hausmann développe la même année (dont le brevet sera perdu durant la seconde guerre mondiale).

En 1920, Lors de la première foire internationale de Dada, chez le marchand berlinois Otto Burchard, Georges Grosz et Richard Huelsenbeck brandissaient un panneau sur lequel était écrit : « L'art est mort… vive la nouvelle machine de Tatline ». Le photomontage Tatline chez

102 Jean Tinguely in J-P. Keller, Tinguely ou le mystère de la roue manquante, Ed. Zoe, p.164.

lui, réalisé par Raoul Haussmann, était un portrait du constructiviste russe coiffé d'une machine élaborée constituée de pistons, de manivelles et situées près d'un trépied sur lequel était posé une structure organique (abdominale). La pensée émotionnelle (réduite à des organes abdominaux) pourrait-elle être remplacée par la pensée mécanique ?

Les constructivistes vont s'accorder avec Dada, sur la vision d'une nouvelle machine, débarrassée de toute utilité, de toute métaphore et de tout sentimentalisme. Mais à la différence des dadaïstes, l'attitude « anti-art » des constructivistes annonçait une nouvelle esthétique de la machine, d'une machine capable de résoudre tous les problèmes, d'organiser la société, de planifier et de concevoir en série, en un mot, une machine impersonnelle. L'art va alors être réduit à l'essentiel : la décoration est éliminée de l'architecture, et des produits industriels, et les éléments non fonctionnels sont éliminés de la peinture et de la sculpture. Le réductionnisme esthétique (le fait de concevoir la peinture en termes de couleurs, la sculpture

Les constructivistes vont s'accorder avec Dada, sur la vision d'une nouvelle machine, débarrassée de toute utilité, de toute métaphore et de tout sentimentalisme. Mais à la différence des dadaïstes, l'attitude « anti-art » des constructivistes annonçait une nouvelle esthétique de la machine, d'une machine capable de résoudre tous les problèmes, d'organiser la société, de planifier et de concevoir en série, en un mot, une machine impersonnelle. L'art va alors être réduit à l'essentiel : la décoration est éliminée de l'architecture, et des produits industriels, et les éléments non fonctionnels sont éliminés de la peinture et de la sculpture. Le réductionnisme esthétique (le fait de concevoir la peinture en termes de couleurs, la sculpture