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a Mosellans, colons et immigrés

l’adaptabilité des programmes

I.4.1. a Mosellans, colons et immigrés

Les premiers découpages que nous pouvons opérer dans la population locale concernent l’origine nationale des spectateurs puisque la Moselle ne se compose pas uniquement de Mosellans mais compte également de nombreux Allemands. Dès 1940, l’administration civile de la Lorraine entreprend le peuplement de la Moselle par des Reichsdeutsche, c’est-à-dire des Allemands de souche. Trois raisons motivent cette politique : compenser le départ définitif de milliers de Mosellans qui avaient été évacués en septembre 1939315, remplacer les Mosellans trop francophiles expulsés en 1940 et 1941, entamer l’incorporation de la Moselle dans le Gau Westmark et donc dans le Reich. En 1943, les statistiques officielles font état de 411 170 Mosellans, 52 687 Reichsdeutsche, 1536 Volksdeutsche et 71 031 étrangers316. Malgré les expulsions, les absents et les colons, les Mosellans restent très majoritaires. La répartition de ces Reichsdeutsche n’est pas la même selon les différentes communes du département. Ils occupent notamment les postes de direction dans le public ou le privé. À Metz, on trouve donc logiquement une part de colons allemands plus importante que dans d’autres villes. De nombreux autres Reichsdeutsche sont envoyés dans les villages du sud de la Moselle pour reprendre les tâches agricoles317. Les statistiques que nous venons de citer ne semblent pas inclure la part de militaires présents en Moselle au sein des garnisons qui y sont installées. Nous l’avons vu, leur présence dans les salles de cinéma n’est pas négligeable puisqu’ils représentent en 1943 près de 40 % des tickets vendus par la LL. Par ailleurs, la Moselle est une terre d’immigration depuis l’essor des activités minières (de fer ou de charbon) et tous les immigrés n’ont pas quitté le département au moment de l’invasion des troupes allemandes. Nous pouvons donc penser qu’ils sont également susceptibles de se rendre au cinéma. Concernant les Italiens, un recensement de 1937 fait état de 29 362 Italiens en Moselle, principalement concentrés dans

315 Sur 302 732 évacués, seulement 183 041 sont revenus en Moselle après juin 1940. HIEGEL Henri, « Le département de la Moselle et la deuxième guerre mondiale : analyse d'une étude récente », Cahiers Lorrains, n° 2, 1978, p. 43-53.

316Ibid.

les arrondissements de Metz et Thionville318. Lorsque l’ordre d’évacuation est donné en septembre 1939 pour la zone située entre la frontière allemande et la ligne Maginot, la plupart des familles italiennes se dirigent vers les départements d’accueil des évacués mosellans. Certains hommes sont aussi affectés dans l’armée de leur pays d’origine. Il en sera de même pour le reste du département au printemps 1940 juste avant l’arrivée effective des troupes allemandes. Marie-Louise Antenucci, dans sa thèse sur l’immigration italienne en Moselle, examine de manière minutieuse les populations immigrées italiennes en arrêtant ses investigations au moment de l’évacuation319. Elle ne donne pas d’indication précise sur le retour ou non des Italiens après l’annexion allemande. On peut penser que les Italiens ont eu des comportements similaires aux autres Mosellans, certains sont restés dans leur lieu d’évacuation mais la plupart ont regagné leur habitation dès qu’ils le pouvaient. Une autre enquête réalisée sous l’égide de l’école de Rome confirme ces mouvements de population italienne sans pouvoir les quantifier ou les situer dans l’espace lorrain320. Cette présence italienne se vérifie à minima grâce au cinéma. Le MZ fait la promotion régulière des actions du consulat italien en Moselle pour apprendre l’italien, mais aussi à travers l’organisation de séances de cinéma spéciales entièrement dédiées à l’Italie. C’est le cas au cinéma Dux d’Hayange le 31 octobre 1940 où une après-midi italienne est organisée avec la projection d’un film italien (dont le titre n’est pas communiqué) et des actualités filmées italiennes321. Il n’existerait pas vraiment d’intérêt à projeter un programme en italien si ce n’est pour contenter un public italophone. En septembre et novembre 1941322, on trouve au cinéma UT de Metz la programmation d’un Kulturfilm italien ainsi que des actualités italiennes à nouveau sous l’égide du consulat italien323. Il n’existe pas d’information dans la presse relative à la valorisation d’autres communautés étrangères présentes avant-guerre (les Polonais notamment).

Ces informations établissent la possibilité d’une participation de plusieurs communautés au loisir cinématographique sans que l’on puisse précisément définir le degré d’investissement de chacune. Les entretiens avec les spectateurs mosellans viennent alors enrichir notre connaissance. La plupart d’entre eux s’accordent sur le fait que la majeure partie de la

318 ANTENUCCI Marie-Louise, L'immigration en Moselle (1870-1940) : l'exemple des Italiens, Thèse de doctorat, université de Metz, 2000.

319Ibid.

320 NOIRIEL Gérard, « Les immigrés italiens en Lorraine pendant l'entre-deux-guerres : du rejet xénophobe aux stratégies d'intégration » in : Milza Pierre, Les Italiens en France de 1914 à 1940, Rome, École Française de Rome, 1986, p. 609-632.

321MZ, 30 octobre 1941.

322MZ, 1 septembre 1941.

population était intéressée par le cinéma. Même Jean-Marie Straub, qui a fait part de son aversion pour le cinéma durant l’annexion, est formel sur la participation intense de la population messine dans le divertissement cinématographique : « On se mettait à la fenêtre avec ma mère et on voyait beaucoup de monde se rendre au cinéma, ma mère se demandait comment que cela était bien possible…324 ». Pour ses parents, il était donc inconcevable de se rendre au cinéma pendant la guerre. Ce n’est pas le cas pour tous les parents des témoins rencontrés. On trouve à la fois des jeunes spectateurs qui préféraient cacher leur attrait pour le cinéma allemand à leurs parents et d’autres qui s’y rendaient régulièrement avec eux. Certains indiquent que leurs parents n’avaient pas le temps d’aller au cinéma sans que l’on puisse savoir aujourd’hui s’il s’agissait en fait d’un refus comme le décrit Jean-Marie Straub. Les parents de Jean-Marie ont été arrêtés par la gestapo puis internés en 1942. D’après lui, ils n’auraient pas accepté avant cet évènement qu’il se rende aussi souvent au cinéma. À l’inverse, d’autres familles messines se rendaient au cinéma sans pour autant témoigner d’un quelconque soutien au régime. Les parents de Marguerite qui tenaient une boucherie au centre-ville la faisait participer à un réseau secret d’emprunt de livres en français afin qu’elle « ne perde pas l’usage de la langue française »325 . Ils avaient eux-mêmes pris une part active dans un réseau d’aide aux prisonniers réfractaires en leur fournissant des denrées et des vêtements. Cela n’empêchait pas l’existence d’une sortie quasi-hebdomadaire au cinéma de Marguerite accompagnée de ses parents, notamment en hiver : « C’était la sortie familiale. On allait au cinéma et à cinq heures on sortait et puis on allait au café-concert qui se trouvait près de la place du Roi-George, et ensuite on rentrait tout doucement rue des Allemands »326. Quant à Marie-Louise, elle avoue avoir été souvent au cinéma à l’insu de ses parents à la place de ses cours de piano. Ils l’autorisaient à s’y rendre le dimanche après-midi uniquement mais ne l’accompagnaient pas, cela ne les « intéressait pas »327. Lorsqu’elle se rendait chez sa grand-mère à Stiring, le cinéma se trouvait en face de la maison. Elle lui donnait de l’argent de poche pour qu’elle puisse aller y voir des films et elle l’accompagnait avec son parrain pour aller voir un film dans une salle à Forbach car « le petit cinéma d’en face n’en donnait pas tellement ». Cette observation du rapport entre les adultes et les films pendant la guerre est rendue subjective par le fait qu’elle nous soit rapportée par des témoins qui étaient jeunes et dont les pratiques étaient radicalement différentes de celles de leurs parents. On constate néanmoins qu’il existe une réelle nuance entre

324 Propos recueillis en mai 2012 à Metz (Entretien Jean-Marie Straub).

325 Entretien Marguerite.

326Ibid.

la valeur divertissante du cinéma des allemands et l’environnement coercitif exercé par les autorités nazies. Il semblerait néanmoins que l’appréciation du cinéma soit beaucoup plus forte chez les jeunes spectateurs que chez leurs parents. Pourtant le cinéma allemand sous le nazisme ne semble pas être conçu en priorité pour eux.