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l’adaptabilité des programmes

I.3 Les vedettes phares

I.3.2 Le classement national

Les artistes du cinéma (réalisateurs et comédiens en tête) sont plutôt bien considérés par l’État nazi, car ses dirigeants ont conscience du rôle déterminant que les vedettes ont sur la réussite des films et donc celle de leur entreprise cinématographique. En 1938, à la demande

539 Le portail des bibliothèques municipales spécialisées de Paris propose une trentaine de numéros de Filmwelt

en version numérisée depuis septembre 2016. Ils proviennent de la collection de la bibliothèque du cinéma François Truffaut. Côte interne : U PER FILMWELT 1941-1943.

540 « Une morte bien vivante », Les nouveaux Temps, 1er mai 1941.

541 Le journal suisse francophone L’Impartial publie le 22 février 1941 une brève qui évoque déjà cette rumeur, ou plutôt son démenti formel par « les milieux berlinois ». Zarah Leander serait en fait au repos dans sa villa de Suède. L’impartial, 22 février 1941.

542 Le magazine est publié de 1933 à 1944. Il s’adresse à un public féminin adulte. Ses couvertures sont toujours illustrées avec des photos de vedettes (allemandes ou américaines, jusqu’en 1940 du mois) et il offre un espace conséquent à la question du loisir cinématographique. Voir : WEHR Laura, « „Die junge Dame“ - eine nationalsozialistische Frauenzeitschrift aus dem Bestand des Oberpfälzer Volkskundemuseums Burglengenfeld », in : Jahresband zur Kultur und Geschichte im Landkreis Schwandorf, Schwandorf, 2000, p. 128-145.

543Die junge Dame, 8 avril 1941.

544 Bien sûr, le même magazine publiait quelques années plus tôt des articles sur les coulisses d’Hollywood où il n’hésitait pas à le comparer au « paradis ». Die junge Dame, 10 janvier 1937.

d’Hitler, il est décidé d’octroyer une décote de 40 % de l’impôt sur les revenus aux artistes de premier plan du pays ainsi qu’à quelques comédiens étrangers intervenant dans les films allemands. On sélectionne ainsi 109 actrices et 146 acteurs considérés comme étant éminents (« prominent sein ») qui peuvent bénéficier de cette réduction d’impôt545. D’après des documents officiels dont la publication fut interdite, c’est le ministère des finances du Reich qui fixe les critères de ce qu’est un artiste important. Il doit être considéré comme particulièrement important d’un point de vue artistique et bénéficier d’une réputation artistique, qu’on imagine qualitative, tout aussi importante546. Il semble que le début de la guerre incite les instances officielles à revoir leur décision. Un autre système se met alors en place et consiste à déterminer un salaire fixe par jour de tournage. Le montant semble être calculé d’après la côte artistique des acteurs et actrices. Il permet donc à posteriori d’observer un classement des artistes au début de la guerre.

545 Cette liste n’est pas en rapport avec la Gottbegnaden Liste établie elle en 1944 et servant à souligner les artistes les plus importants du Troisième Reich. Ces « cadeaux de dieux » doivent être préservés de la furie de la guerre et on ne peut pas leur demander une quelconque participation aux efforts de guerre totale décrétée au même moment.

Salaire journalier des acteurs et actrices allemandes

Actrices Salaire en 1939

(RM) Acteurs

Salaire en 1939 (RM) Käthe Dorsch 1500 Heinrich George 2000 Marianne Hoppe 1500 Eugen Klöpfer 2000

Maria Ceborati 1200 Hans Moser 2000

Erna Sack 1200 Paul Hartmann 1500

Ida Wüst 1200 Paul Hörbiger 1500

Lilian Harvey 1000 Helge Rosvaenge 1200

Käthe Gold 1000 Paul Wegener 1200

Marika Rökk 1000 Werner Hinz 1000

Sybille Schmitz 1000 Attila Hörbiger 1000 Agnes Straub 1000 Friedrich Kayssler 1000 Luise Ulrich 1000 Werner Krauss 1000 Fita Benkhoff 900 Harald Paulsen 1000 Lil Dagover 900 Johannes Riemann 1000 Karin Hardt 900 Richard Romanowsky 1000 Lucie Höflich 900 Ralph Arthur Roberts 1000

Franziska Kinz 900 Theo Lingen 1000

Anny Ondra 900 Otto Tressler 1000

Grethe Weiser 900 Georg Alexander 900 Lucie Englisch 800 Joachim Gottschalk 900 Heli Finkenzeller 800 Paul Henckels 900

Hilde Körber 800 Paul Kemp 900

Hilde Weissner 800 Peter Petersen 900

Hedwig Bleibtreu 750 Erich Ponto 900

Elisabeth

Flickenschildt 750 Heinz Salfner 900

Ces montants sont censés garantir un juste revenu aux comédiens. Néanmoins ils restent tous tributaires de la participation à des nouveaux films et du nombre de jours où ils sont présents sur le plateau. Les noms qui apparaissent en tête des deux colonnes sont principalement des comédiens de longue date jouissant d’une réputation artistique solide547. La hiérarchie salariale ne correspond pas forcément aux vedettes à l’affiche des films qui sortent en 1939.

547 Certains d’entre eux proviennent du théâtre et sont justement choisis par les studios parce qu’ils incarnent une « aura culturelle ». Leur capacité de jeu et leur prononciation allemande standardisée en font des comédiens jouissant d’une cote artistique élevée. C’est le cas de Marianne Hope et de Gustav Gründgens. HAKE Sabine,

Cela est d’autant plus vérifiable dans la colonne des acteurs masculins. Heinrich George et Eugen Klöpfer sont deux piliers du cinéma allemand âgés pour le premier de 47 ans en 1939 et de 53 ans pour le second. Ils ont tous deux participé aux plus grands films de l’ère weimarienne du cinéma allemand. Sous le nazisme, leur carrière évolue sans contrainte et ils sont à l’affiche de la plupart des grands films de l’époque (Die goldene Stadt, Jud Süss, Heimat, Friedrich Schiller, etc.). Käthe Dorsch est également une actrice au sommet de sa gloire en 1939. Elle débute sa carrière cinématographique aux débuts des années 10 et a alors 49 ans. Il en va de même pour Hans Moser et Paul Hörbiger qui ont fait leur « preuve » depuis plusieurs années, Ida Wüst, Grethe Weiser, Paul Wegener, Werner Kraus, … Cela ne signifie pas que ces acteurs et actrices ne soient pas des personnalités connues mais elles n’incarnent pas toutes, d’après les préférences soulignées par les spectateurs, des figures de vedettes du cinéma des années 1940. Pour identifier davantage les vedettes capables d’attirer les foules, on s’intéresse à une autre liste indiquant cette fois les comédiens fonctionnant au cachet. Les rémunérations sont ici beaucoup plus importantes et concernent la plupart des grandes vedettes du cinéma allemand. Certaines d’entre elles cumulent ces cachets avec leur salaire journalier :

Listes des cachets de la plupart des vedettes allemandes pour les années 1939 et 1944.

Nom Cachet par film en 1939 (RM) Nom Cachet par film en août 1944 (RM)

Zarah Leander 150 000 Paula Wessely 120 000

Beniamino Gigli 132 000 Gustav

Gründgens 80 000

Emil Jannings 125 000 Jenny Jugo 80 000

Paula Wessely 120 000 Heinz Rühmann 80 000

Hans Albers 120 000 Otto Wernicke 75 000

Gustav

Gründgens 80 000 Paul Hartmann 70 000

Jenny Jugo 80 000 Heinrich George 70 000

Heinz Rühmann 80 000 Ferdinand Marian 70 000

Pola Negri 75 000 Marika Rökk 70 000

Willi Forst 70 000 Willy Birgel 60 000

Luis Trenker 60 000 Rudolf Forster 60 000

Willy Birgel 50 000 Brigitte Horney 60 000

Willy Fritsch 50 000 Kristina

Söderbaum 60 000

Brigitte Horney 30-50 000 Karl Ludwig Diehl 50 000

Ingrid Bergman 30-50 000 Willy Fritsch 50 000

Gustav Fröhlich 30-50 000 Gustav Fröhlich 50 000

Viktor de Kowa 30-50 000 Marianne Hoppe 50 000

Olga Tschechowa 40 000 Hilde Krahl 50 000

Gusti Huber 30 000 Hans Söhnker 45 000

Hans Söhnker 30 000 Heidemarie

Hatheyer 40 000

Paul Javor 25 000 Johannes

Heesters 40 000

Hilde Krahl 25 000 Attila Hörbiger 40 000

Ferdinand Marian 25 000 Elfie Maerhofer 40 000

Fritz van Dongen 20 000 Sybille Schmitz 40 000

Herta Feiler 20 000 Olga Tschechowa 40 000

Kristina

Söderbaum 20 000 Ilse Werner 40 000

Mathias Wieman 20 000 Mathias Wieman 40 000

Albert

Matterstock 15 000 Ewald Balser 35 000

Ilse Werner 15 000 Fita Benkhoff 35 000

Albert Hehn 10 000 René Deltgen 35 000

Ce tableau fait apparaitre des rémunérations importantes et détermine ainsi la valeur de ces artistes, les « sommes fabuleuses » distinguant « les cachets des stars des acteurs ordinaires »548. On identifie cette fois plus aisément des noms de vedettes correspondant aux affiches des films à succès du cinéma de l’annexion : Zarah Leander (Damals, Heimat, Die grosse Liebe), Willy Birgel (… Reitet Für Deutschland), Willy Fritsch (Liebesgeschichten,

Frauen sind doch bessere Diplomaten), Marika Rökk (Tanz mit dem Kaiser, Hab’ mich Lieb!). Dans la colonne de l’été 1944, on note l’absence de Beniamino Gigli ainsi que celle de Zarah Leander qui a pris depuis quelques mois ses distances avec l’Allemagne. On remarque également la progression relative des cachets de certains acteurs suite à leur participation dans certains films à succès ainsi que l’apparition de certains noms encore peu connus en 1939. Viktor de Kowa voit le montant de son cachet passer de 50 000 RM à 60 000, Ilse Werner de 15 000 à 40 000 RM, Kristina Söderbaum de 15 000 à 60 000 RM. René Deltgen n’était pas

dans le tableau de 1939 et gagne désormais 35 000 RM, vraisemblablement en plus des 900 RM journaliers. Johannes Heesters, Theo Lingen ou encore Carl Raddatz y apparaissent aussi. Ces évolutions coïncident avec les observations faites à partir des palmarès locaux ainsi qu’à travers les vedettes les plus citées par les spectateurs locaux. En effet, leur mémoire du cinéma nazi s’établit plus sur les années de guerre que sur la période 1933-1940. Ce sont ainsi des témoins privilégiés des mutations des castings pendant la guerre549.

Ces cachets importants viennent souligner le rôle « proéminent » de ces acteurs et actrices. On identifie ainsi les stars incontestables qui déterminent les films auxquels elles participent autant que les rôles dont elles ne déterminent que le succès550. La forte personnalité de Zarah Leander, qui associe un caractère affirmé et une profonde sensibilité, se lit tant dans ses caractéristiques physiques (sa voix grave, sa grande taille) que dans les rôles des films qui lui sont « confiés ».