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l’adaptabilité des programmes

I.2 Identifier les films à succès

I.2.2. a L’amour en tête

Romanze in Moll, comme toute une pléiade de films programmés durant l’annexion, met à l’honneur l’amour. Un article publié dans le MZ en 1943 s’intéresse justement à la question de la représentation de l’amour dans les films allemands439 : « En voici un sujet ! Et quel point de vue psychologique nous en donnent les scénaristes ! ». En effet, il n’existe certainement que très peu de films dans le cinéma allemand qui n’évoquent pas à un moment ou un autre une

434 193 TVF

435 1940, TVF

436 Il signe d’ailleurs également le scénario d’Hab mich Liebe!.

437 À propos de Romanze in Moll, Marcorelles déclare : « [Romanze in Moll] est une véritable protestation muette. (…) Marianne Hope fait montre d’une sensibilité et d’une émotivité qui viennent véritablement de l’intérieur, et ne dépendent nullement des seuls éclairages. Quand au cours du concert, dans la loge solitaire, nous voyons les larmes couler lentement sur ce visage de glace, nous savons qu’elle vit pour ainsi dire physiquement son personnage. Kaütner se complaît à embrouiller les détails de l’intrigue, à faire se frôler les êtres qui ne doivent pas se rencontrer. L’impondérable, les impondérables, deviennent la substance même d’une œuvre au fil extrêmement ténu. ». MARCORELLES Louis, art.cit.

438 DREWNIAK Boguslaw, op. cit., p. 632.

histoire d’amour, à moins que celle-ci ne concerne toute l’intrigue. L’auteur de cet article, Hermann Wanderscheck440, s’interroge ici sur la vision de l’amour qui est proposée par les auteurs des films et son degré de réalisme. Il place la question de la réception de ces histoires d’amour au centre de sa réflexion : « Les spectateurs veulent voir des histoires d’amour lorsqu’ils vont au cinéma. Mais, se demande-t-il [ndr : le scénariste] parfois si les spectateurs sont d’accord avec son imagination inventive à l’égard de l’amour ? ». En effet, pour Wanderscheck, bien que les spectateurs apprécient les aspects extraordinaires de certaines romances filmées, elles doivent demeurer vraisemblables : « Celui qui écrit un film “à propos de l’amour” doit faire attention à ne pas basculer du réalisme à l’irréel » 441. Il évoque le film

Zwei in einer grossen Stadt442 (Volker von Collande, 1941), une production dans l’esprit des autres films de permission cités précédemment, où un soldat dénommé Bernd rejoint Berlin le temps d’une journée. En arrivant à la gare, il croise Gisela, une jeune bénévole de la Croix-Rouge allemande, et les deux semblent s’attirer mutuellement. Quelques heures plus tard, Bernd et Gisela se retrouvent à dix mètres l’un de l’autre sur une plage du Wannsee443. Une suite de quiproquo, concernant une seconde Gisela que le sergent était venu rencontrer à Berlin sème le trouble chez la jeune fille. Pensant qu’une femme partage déjà la vie de Bernd, elle s’en va précipitamment. Finalement, tout rentre dans l’ordre. Bernd rencontre enfin la première Gisela, interprétée par Hansi Wendler, afin de lui dire qu’il n’a plus de sentiment pour elle et le hasard, encore, lui permet de se souvenir de l’adresse que la seconde Gisella lui avait donnée. La comédie romantique se termine là où elle avait commencé, sur le quai de la gare lorsque le pilote de la Luftwaffe part pour regagner le front. Berndt lui donne rendez-vous dans « leur » domicile après la guerre. Ces rencontres fortuites et multiples ne convainquent pas Wanderscheck du caractère réaliste du film. Le paradoxe étant que le film propose une esthétique réaliste particulièrement intéressante. Le film débute avec un long travelling latéral

440 Dr. phil. Herman Wanderscheck est un spécialiste des arts et de la propagande. Il publie notamment en 1935 un ouvrage au sujet des mécanismes de la propagande anglaise durant la Première Guerre Mondiale (WANDERSCHECK Hermann, Weltkrieg und Propaganda, Berlin, Mittler & Son, 1936) en s’intéressant notamment aux stratégies de Lord Northcliffe, le patron de presse à l’origine des journaux Times, The Observer

ou encore Daily Mails. Il écrit également au sujet du théâtre avant la guerre et après-guerre. Il est également fonctionnaire auprès du ministère de la Propagande en charge de la presse. Il publie en outre de nombreux articles au sujet du cinéma publiés dans les revues cinématographiques de l’époque.

441 Sabine Hake aborde aussi la réflexion d’Hermann Wanderscheck au sujet de l’aspect réaliste des films allemands. Elle cite l’un de ses articles où il expose son point de vue : « Les films peuvent passer de l’objet issue d’une production de masse vers une expérience filmique authentique uniquement lorsqu’ils contiennent une substance spritiuel et éthique. ». WANDERSCHECK Hermann, « Film zwischen Illusion und Wirklichkeit »,

Film- Kurier, 11 octobre 1941 dans Sabine Hake, op.cit. p. 197.

442 TVF : Deux dans une grande ville. Le film est projeté à trois reprises à Metz : le 10 avril 1942 au Rex puis le 18 décembre 1942 au Kammer et le 22 février 1944 au UT Sablon. Il est également projeté deux fois à Thionville.

443 Il s’agit d’une célèbre plage qui se situe entre Berlin et Potsdam. Elle est encore un lieu de loisir très populaire pour les habitants de la région. C’est aussi là que se déroule la tristement célèbre conférence de Wannsee qui amorce la « solution finale » au début de l’année 1942.

filmé depuis le train arrivant en gare. La longue séquence au Wannsee nous montre dans les moindres recoins le fonctionnement des lieux. Le film contient également une séquence au Zoo de Berlin, tournée en décor réel également444. Dans sa réflexion, l’auteur accorde une grande importance à la prise en compte du point de vue des spectateurs, chose qui n’est point étonnante dans le contexte du nazisme. Les autorités semblent avoir compris déjà avant la guerre que l’appréciation des films par les spectateurs est essentielle à la poursuite de leurs objectifs commerciaux et idéologiques.

Même s’il n’existe pas de thème aussi commun au cinéma que l’amour, il convient de l’appréhender comme il se doit dans cette description des palmarès. Liebe streng verboten!,

Einmal der Liebe Herrgot sein, Hab mich lieb!, Liebesgeschichten, … Lorsqu’il se dévoile dans les titres des films, le thème de l’amour prend des allures déclaratives ou impératives à l’adresse des spectateurs. En effet, dire le mot « amour » c’est pointer du doigt au moins l’un des thèmes principaux du film en question. Il s’agit alors d’une indication utile aux spectateurs pour orienter leur choix. Parfois le titre peut « tromper » le spectateur sur l’appréhension du sentiment amoureux qu’il propose. Ainsi l’amour formellement défendu annoncé par Liebe streng verboten!, est en fait une comédie romantique de haute tenue. Hans Moser, l’acteur autrichien comparé à Charlie Chaplin pour ses qualités comiques445, se prête à une interprétation ponctuée de gags et de jeux de mots aux côtés de Grethe Weiser. L’histoire raconte le souhait d’une mère de marier sa fille à un homme riche alors que cette dernière est déjà amoureuse d’un homme bien moins fortuné. À l’inverse, ce qui est annoncé comme une simple « histoire d’amour » peut en réalité dévoiler une intrigue moins évidente tirant davantage vers le drame. Dans Liebesgeschichten$ (Viktor Tourjansky, 1942) on narre l’histoire de Werner, un jeune garçon amoureux d’une de ses camarades nommée Felicita. Avec le temps, les sentiments de Werner s’intensifient et ses parents, qui s’opposent à cette histoire naissante, trouvent comme unique solution de l’envoyer à l’armée. Lorsqu’il revient à 21 ans, Felicita s’apprête à se marier avec un comptable et Werner débute une grande carrière de compositeur. Le mari de Felicita meurt tragiquement et les deux amis finissent par fonder un couple. Ce film est l’un des seuls

444 Cadars et Courtade souligne également la « tradition réaliste » du film. CADARS Pierre, COURTADE Francis,

op.cit., p. 215.

445 Si l’observation du jeu des deux acteurs suffit à les associer à une catégorie similaire, il semble que Charlie Chaplin vouait une grande admiration aux qualités comiques d’Hans Moser. De passage en Autriche, l’acteur anglais le découvre dans une revue théâtrale où Hans Moser interprète un sketch au sujet d’un employé de pompes funèbres. Bien que Chaplin ait considéré ne pas pouvoir être à la hauteur de son comparse autrichien, il achète les droits du sketch pour l’adapter en anglais. MAURUS FONTANA Oskar, Hans Moser. Volkskomiker und Menschendarsteller, Wien, Kremayr & Scheriau, 1965, cité dans : DASSANOWSKYN Robert, « Vienna's Elusive "Funny Man" and Hollywood Imitation: Hans Moser's Reception in America », 2016. Travail en cours d’écriture.

de l’année 1943 à apparaître dans le palmarès de Metz. Il y est, en effet, programmé à quatre reprises et cumule ainsi 34 jours de projection dans la ville. Le film arrive au Gloria de Metz et à l’Union de Thionville le 5 mars 1943 alors que la première nationale n’a eu lieu que deux jours auparavant446. Il s’agit là d’un délai d’acheminement tout à fait inhabituel à un moment où il dépasse régulièrement les deux mois. La présentation du film dans le MZ447, à l’occasion de sa sortie messine, est centrée sur l’actrice Hannelore Schroth qui interprète deux rôles dans le film : celui de Felicita lorsqu’elle est une jeune femme puis celui de sa fille Beata448. On y apprend par ailleurs qu’il s’agit de la fille de l’acteur Heinrich Schroth et de l’actrice Käthe Haack.

On identifie par ailleurs une trentaine de films mentionnant « l’amour » dans les programmes mosellans de l’annexion : Das Recht auf Liebe, Die Geliebte, Der Liebe Augustin,

Die Keusche Geliebte, Die Liebeslüge, Die Liebe der Mitsu, Die unvollkommene Liebe,

Gekrönte Liebe, Geliebter Schatz, Karneval der Liebe, Lauter Liebe, Liebe ist zollfrei, Liebe,

Leidenschaft und Leid, Liebe, Männer und Harpunen, Liebelei und Liebe, Liebesbriefe,

Liebesfreud, Liebesleid, Liebeskömedie, Liebeslüge, Liebespremiere, Liebesschule, Lotterie der Liebe, Man rede mir nicht von Liebe, Melodie der Liebe, So weit geht die Liebe nicht,

Sommerliebe, Späteliebe, Stärker als die Liebe, Tragödie einer Liebe, Verliebte unschuld,

Verliebtes Abenteuer, Weil ich dich liebe. Ces films au sujet de l’amour constituent un des plus importants corpus thématiques des programmes mosellans449. Leurs titres ne laissent aucun doute quant au développement dramatique qu’ils comptent dévoiler aux spectateurs. De même que les titres de film contenant le mot « Tanz » ou « Musik » présagent déjà la présence de passages spectaculaires, les références à l’amour assurent la présence d’une intrigue autour d’un couple.

Les histoires évoquent souvent l’impossibilité d’une union pour des raisons de classe (Der liebe Augustin450) et parfois l’avantage d’être issu d’une classe favorisée ne suffit pas à convaincre sa compagne de rester (Sommerliebe451). Parfois l’amour est mis à mal par une séparation temporaire (Liebelei und Liebe452) et peut entrer en collision avec une nouvelle

446 Nous nous référons à la date indiquée à la fois chez Gerd Albrecht ainsi que sur le site de la fondation Friedrich Murnau. Il se trouve que la date indiquée sur la base de données Filmportal.de est pour une fois fausse. Ils indiquent en effet une première le 27 mai 1943 à Berlin.

447MZ, 5 mars 1943.

448 L’auteur précise qu’il s’agit d’un film écrit par le même scénariste que le film Annelie où l’actrice Luise Ulrich incarne également le personnage principal à travers différents âges et jusqu’à sa mort.

449 Cette trentaine de films est représentée dans 150 programmes.

450 E. W. Emo, 1940, TR : Le cher Augustin.

451 Erich Engel, 1942, TR : Amour d’été.

relation (Die unvollkommene Liebe453). Il est aussi prétexte à des comédies loufoques où les mariages sont un temps menacés (Geliebter Schatz454) et où les époux divorcés ressentent à nouveau, et au mauvais moment, des sentiments de l’un pour l’autre (Karneval der Liebe). Parfois ce sont les amitiés qui sont mises à rude épreuve du fait de sentiments envers une même autre personne (Liebespremiere455) ou alors des hommes qui ne se connaissent pas mais qui deviennent rivaux pour une femme (Liebesschule456). Lorsque ce n’est pas l’époux qui tente de séduire une jeune fille (Liebesbriefe457), c’est la femme qui s’éprend d’un homme plus jeune au risque de tout perdre (Man rede mir nicht von Liebe458). La palette sentimentale est ainsi bien variée et placée au cœur des intrigues de ces films dédiées à l’amour. Cette thématique ne se résume pas qu’au seul genre de la comédie romantique ou de celui du mélodrame même si, traditionnellement, ils y semblent plus adaptés. L’amour est dispersé dans toutes les catégories de films. On le trouve aussi bien dans des films musicaux (Karneval der Liebe) que dans des drames sans possibilité de réunion finale (Stärker als der Liebe459).

Si nous identifions seulement cinq films communs aux trois palmarès (Die grosse Liebe,

Die goldene Stadt, Tanz mit dem Kaiser et Hab mich Lieb), il convient d’observer une cohérence au sein des films les plus programmés dans les trois palmarès. Bien qu’il ne soit pas possible de définir un type de films préférés par les spectateurs, on remarque tout de même une forte propension pour les comédies populaires, les mélodrames et les films musicaux. On note aussi la quasi-absence de films étrangers. Seul Alkazar, le film italien consacré à la guerre civile espagnole, apparait dans deux palmarès (Metz et Thionville). On identifie aussi les films

Premiere der Butterfly et Tragödie einer Liebe460, deux co-productions italo-germaniques en lien direct avec l’opéra. Le premier est un mélodrame racontant l’histoire de Rosi, une chanteuse d’opéra cachant sa grossesse à son amant pianiste pour lui permettre d’accepter une carrière à l’opéra de New-York. Ce n’est que plusieurs années plus tard que la chanteuse est amenée à chanter Madame Butterfly de Puccini à New-York461. Le pianiste apprend alors qu’il est le père d’un enfant et comprend le sacrifice fait par Rosi pour qu’il puisse continuer sa carrière. Le second film raconte quant à lui l’histoire de la fille d’un célèbre ténor interprété par

453 Erich Waschneck, 1940, TVF : Christine.

454 Paul Martin, 1943, TR : Trésor bien aimé.

455 Arthur Maria Rabenalt, 1943, TR : Première de l’amour.

456 Karl-Georg Külb, 1940, TVF : L’École des amoureux. 457 Hans H. Zerlett, 1943, TR : Lettres d’amour.

458 Erich Engel, 1943, TR : Ne me parlez pas d’amour.

459 Joe Stöckel, 1938, TR : Plus fort que l’amour.

460 Guido Brignone, 1941, TR : Tragédie d’un amour.

Beniamino Gigli qui, après avoir coupé les ponts avec son amant à la suite d’une tromperie, décide néanmoins de l’aider à résoudre ses problèmes financiers. Son investissement total lui coûte petit à petit sa santé et la fille du ténor, jouée par l’actrice allemande Ruth Helberg, finit par mourir462.