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c L’acheminent des nouveaux films

sous le nazisme

I.3 Les caractéristiques du loisir cinématographique annexécinématographique annexé

I.3.3. c L’acheminent des nouveaux films

Le délai d’acheminement des films après leur sortie nationale est important pour évaluer la qualité du marché cinématographique. Plus il est rapide et mieux il s’insère dans la promotion médiatique étudiée plus tôt.

La première année d’exploitation en Moselle annexée établit un temps plutôt court entre la première du film et la sortie du film en Moselle (à Metz dans presque 100 % des programmes concernés). Le premier film projeté à Metz le 2 juillet 1940, Der Postmeister, est sorti à Berlin le 25 avril 1940. Ce délai de sept semaines, plutôt court, ne se maintient pas au cours du temps notamment du fait des difficultés de l’industrie allemande à produire assez de copies pour couvrir le pays302. Nous avons sélectionné, pour chaque année de l’annexion, les trois films qui ont connu le plus de succès en Allemagne303. Nous avons noté la date de la première nationale et celle de la première en Moselle. L’objectif est d’identifier les variations du délai entre ces deux dates au fil des années.

302 En France, la guerre occasionne une division par deux du nombre de copies disponibles. Avant 1940, le chiffre se situe entre 60 et 80 alors qu’en 1943, on donne une moyenne de 26 copies par film. FOREST Claude, La dernière séance, cent ans d’exploitation des salles de cinéma, Paris, CNRS Économie, 1995, p. 66.

Palmarès annuel des films allemands ainsi que leur date de première nationale et mosellane.

Année Film Première nationale Première en Moselle

Délai effectif (en jours)

1940 Jud Süss 24 septembre 1940 11940 er novembre 37

Mutterliebe* 20 décembre 1939 20 juillet 1940 212

Der Postmeister 25 avril 1940 2 juillet 1940 68

1941 Wunschkonzert 30 décembre 1940 21 mars 1941 81

Frauen sind doch bessere

Diplomaten** 31 octobre 1941 10 juillet 1942 80 Die Entlassung** 6 octobre 1942 29 1943 janvier 115

1942 Die grosse Liebe 12 juin 1942 22 septembre 1942 102

Die goldene Stadt 24 novembre 1942 12 1943 février 80

Wiener Blut 2 avril 1942 12 juin 1942 71

1943 Immensee 17 décembre 1943 1er août 1944 228

Das Bad auf der Tenne 30 juillet 1943 26 1943 octobre 88

Gabriele Dambrone 11 novembre 1943 18 avril 1944 159

1944 Der weisse Traum 5 octobre 1943 17 mars 1944 164

Die Frau meiner Träume 25 août 1944 - -

Die Feuerzangenbowle 28 janvier 1944 18 mai 1944 111

*Mutterliebe est sorti bien avant le début de l’annexion. Le délai est donc ici non représentatif bien qu’il soit l’un des premiers films à être programmé en Moselle.

** Rentschler inclut Die Entlassung dans le box-office de 1941 alors que le film ne sort qu’en septembre

1942. Il se peut qu’il le confonde avec Bismarck.

La moyenne issue de ce tableau est de 114 jours entre la sortie du film en Allemagne et son apparition en Moselle. Elle masque cependant des différences significatives puisqu’entre le début de l’annexion (les films qui arrivent en Moselle en 1940 et 1941) et la fin de l’annexion (films sortis en Moselle entre la mi-1943 et la mi-1944) le délai est doublé : il passe de 76 à 150 jours. Nous retrouvons ici les constatations faites plus tôt au sujet de l’effort qualitatif de la première saison cinématographique. Par contre, ces observations objectives ne coïncident pas

avec la remarque d’Heinrich Meisenzahl dans son bilan de l’année 1943 où il souligne l’amélioration des délais d’acheminement.

La publication aléatoire de programmes de quelques cinémas de Sarrebruck dans le MZ permet de vérifier s’il existe des différences entre le délai d’acheminement des films à Metz et à Sarrebruck, deux villes désormais unies dans une même région administrative. Maske in Blau304 (Paul Martin, 1943) est programmé le 28 juillet 1943 au UFA Palast de Sarrebruck alors qu’il l’est au Rex de Metz le 20 juillet 1943, Münchhausen305 (Josef von Bàky, 1943) est programmé le 11 août 1943 au UFA Palast de Sarrebruck et le 17 août 1943 au Rex. Le film

Die Wirtin zu weisser Ross’l306 (Karl Anton, 1943) est projeté à Metz à partir du 5 juillet 1943 et dès le 22 juillet 1943 au UFA Kammer de Sarrebruck. D’autres rares évocations des programmes de Sarrebruck avant 1943 permettent de situer les premières d’autres films. On obtient ainsi la date de première diffusion de Friedemann Bach307 (Traugott Müller, 1941) le 15 août 1941 à l’Apollo de Sarrebruck et à Metz le 17 septembre 1941, et du film Illusion308

(Viktor Tourjansky, 1941) aux alentours du 1er mars 1942 à Sarrebruck et le 27 janvier 1942 à Metz. Ainsi ces quatre premiers exemples nous montrent qu’il n’existe pas de différence de traitement dans le délai d’acheminement des films à Metz et Sarrebruck, et donc Metz n’est pas défavorisée par rapport à sa voisine « allemande ». D’autres observations sont plus surprenantes. Il existe des films qui ne sont sortis à Metz que plusieurs mois après leur projection à Sarrebruck, tout en étant projetés pendant ce temps dans d’autres endroits de Moselle, sans que cela n’influence le délai d’acheminement. Karneval der Liebe309 (Paul Martin, 1943) est projeté à Sarrebruck le 15 juin 1943 au UFA Palast et il est programmé à Saint-Avold le 9 juillet 1943. Il n’est projeté à Metz que neuf mois plus tard. Ces deux exemples alimentent le constat que la priorité n’est pas exclusivement donnée à Metz et que les autres salles de Moselle sont aussi bien considérées310. Ainsi un film comme Karneval der Liebe avec des acteurs de renom comme Johannes Heesters et Dora Komar peut être projeté dans une salle relativement modeste avant d’atteindre Metz.

304 TVF : Le masque en bleu

305 TVF : Les aventures fantastiques du baron Münchhausen. 306 TR : La patronne de l’auberge du Cheval Blanc.

307 TVF : Le Musicien Errant.

308 TVF : Illusion.

309 TRR : Carnaval d’Amour.

310 Jean-Pierre Barrot évoque un système de distribution existant pendant l’annexion : « Les choses se passaient très simplement : dans chaque ville, les cinémas étaient classés, rigoureusement, par catégories, et, pour chaque catégorie, il y avait deux, trois, quatre listes de films ». Aucune mention de ce type n’a été retrouvée dans les archives et les ouvrages à propos du cinéma nazi n’aborde pas en détails la question de l’exploitation. BARROT Olivier, op.cit., p. 125.

Dans les autres cas, on remarque que les plus grandes œuvres produites pendant la guerre sont distribuées dans toute la Moselle. Le film Frauen sind doch bessere Diplomaten311

(Georg Jacoby, 1941) demeure un exemple intéressant car il propose un spectacle prometteur pour les spectateurs. Premièrement, le simple fait qu’il s’agisse d’un film avec Marika Rökk, l’actrice vedette des comédies musicales allemandes, constitue un argument de poids pour attirer le public. Secondement, il s’agit du premier long-métrage allemand en couleur et très certainement le premier à être projeté en Moselle. Il raconte l’histoire de Marie-Louise Parry, une jeune fille qui va devenir ambassadrice de Homburg afin d’entamer des négociations avec le capitaine Von Karstein pour éviter la fermeture du casino de son oncle. Après de nombreuses péripéties, Marie-Louise et Von Karstein finissent par se marier. Il s’agit d’une comédie musicale contenant de nombreux numéros chantés et dansés. La promotion du film de Jacoby débute bien en amont de sa sortie en Moselle notamment pour les raisons précitées. Le film apparait à 18 reprises dans la reconstitution des programmes. Avec Die goldene Stadt, il s’agit du film le plus distribué et un des plus souvent cités en entretien. Bien qu’il passe en commission de censure le 9 octobre 1941, le film n’est pas distribué en Allemagne avant plusieurs mois car Josef Goebbels était outré devant la mauvaise qualité du procédé

Agfacolor312. Veit Harlan déclare dans son livre que le ministère de la Propagande a attendu la sortie de Die goldene Stadt pour distribuer Frauen sind doch bessere Diplomaten313. La reconstitution locale montre que le film est distribué bien avant l’avant-première du film de Veit Harlan puisqu’il apparait pour la première fois au Rex de Metz le 10 juillet 1942. Au bout d’une semaine, on trouve dans le MZ un encart indiquant aux futurs spectateurs que des files d’attente importantes sont à prévoir314. Le film est prolongé jusqu’au 28 juillet. À la suite de cette première locale, les copies du film circulent à travers la Moselle. En 22 mois, il est programmé 17 fois dans 14 villes différentes. C’est l’occasion pour certaines salles de créer l’évènement car elles savent par avance que le film va attirer un large public. Bien qu’il soit interdit aux moins de 18 ans, il est un gage de succès que les exploitants utilisent pendant les fêtes de fin d’année. C’est le cas à Hayange en 1942 où Frauen sind doch bessere Diplomaten

est projeté trois fois par jour contre une à deux fois habituellement. C’est aussi le cas à Château-Salins pour les fêtes de Noël de 1943. La répartition chronologique et géographique nous montre que moins de deux ans après la reprise de la distribution du film, celui-ci est projeté

311 TVF : La belle diplomate.

312 CADARS Pierre, COURTADE Francis, op.cit., p. 244.

313 HARLAN Veit, Souvenir ou le cinéma allemand sous Goebbels, Paris, France-Empire, 1974, p. 192.

dans presque toutes les zones de Moselle dont nous avons reconstitué la programmation. Les zones rurales comme Château-Salins ou Boulay sont incluses dans ce circuit de programmation et donc aucune partie de la population n’est ignorée. À Metz, Frauen sind doch bessere Diplomaten est le cinquième film le plus projeté pendant l’annexion. Nous l’avons vu, sa première programmation au Rex est un grand succès. Le film réapparaît presque un an plus tard au Kammer dont la spécialité est justement d’accueillir des grands films en seconde exclusivité. Là encore, fait unique, il est projeté 14 jours dans cette salle pour un total de 44 séances. Enfin, sa troisième apparition à Metz se fait à l’Union-Theater du Sablon. Ainsi le film est projeté 106 fois à Metz.

L’étude de l’ancienneté des copies dans les salles de Moselle a permis de faire le constat d’une programmation orientée vers des films produits en grande majorité pendant la Seconde Guerre Mondiale. Même si la ville de Metz bénéficie de par sa grandeur de la plupart des exclusivités, nous retenons que les salles des autres villes de Moselle proposent des programmes tout à fait capables de rivaliser avec les palaces messins. Le loisir cinématographique semble être construit avec une prérogative qualitative à l’attention de tous les spectateurs mosellans. Justement, il convient désormais de s’informer au sujet des publics qui composent les salles de Moselle pendant l’annexion.

I.4 Les publics du cinéma et