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D’une annexion à l’autre : l’enjeu

sous le nazisme

I.1 Les conditions du succès du cinéma allemandallemand

I.1.1 D’une annexion à l’autre : l’enjeu

linguistique

Si d’un point de vue administratif la proclamation officielle de la Moselle en tant que département de la République Française en 1790 en fait historiquement et légalement un territoire français, d’un point de vue culturel l’identité mosellane est bien plus difficile à distinguer. L’ambition même des nazis de germaniser ce territoire, le point central de la présente étude, concède ainsi que la Moselle est faite d’une essence culturelle germanique assez dense pour projeter de l’inclure dans l’Empire national-socialiste. La Lorraine, conquise par les peuples germains, intégrée dans le Saint-Empire Germanique reviendrait historiquement et culturellement au Reich dans la perspective des approches pangermanistes et d’après la notion du Volksdeutschen. D’ailleurs la dénomination donnée à la Moselle durant les deux annexions,

Lothringen se rapporte directement à la Lotharingie, royaume de Lothaire II, rattachée à la Germanie en 880.

L’un des facteurs essentiels de cette culture particulière est l’usage des langues. La Moselle possède en son sein une « frontière linguistique » séparant virtuellement une population sensible à des langues d’origine germanique et une autre employant d’avantage le Français. On trouve ainsi d’un côté la Moselle germanique où l’on parle le dialecte platt ou

ditsch, et de l’autre la Moselle romane. Cette différenciation linguistique trouve ses origines au VIème siècle lorsque les tribus germaniques traversèrent le Rhin et s’installèrent sur l’actuel territoire mosellan dans une zone coupant le département du nord-est au sud-ouest. Très peu marquée par les siècles qui sont passés, cette frontière linguistique est sensiblement identique au XIXème siècle où elle s’étend d’Audun-Le-Tiche à Sarrebourg126. L’usage au sein du département de langues cousines de l’Allemand provoque indéniablement une parentalité forte entre la population mosellane et celle d’outre-Rhin. La constitution de l’identité d’un peuple a pour prérogative une langue commune pour tous ses membres127. L’usage des dialectes en Moselle serait ainsi à la fois le produit d’une identité historique germanique et agent influent d’une affinité culturelle en commun avec les Allemands. Cela induit aussi que la Moselle ferait coexister deux zones aux pratiques culturelles différentes, et en effet plusieurs études ont montré qu’il existait des différences socio-culturelles entre les habitants des deux zones linguistiques. Pierre Brasme a étudié la population de Moselle au XIXème siècle et a notamment remarqué que la Moselle germanophone a une croissance démographique plus forte que la Moselle francophone, ou encore que l’émigration vers les Etats-Unis touche majoritairement les Mosellans germanophones128. Une autre enquête ethnologique effectuée par Colette Méchin et Sylvie Maurer avait pour objectif de vérifier si la frontière culturelle coïncidait précisément avec la frontière linguistique129.

Au début de l’été 1870, la Moselle est au premier rang de la guerre qui se prépare. Durant l’été, les premières batailles entre Prussiens et Français se déroulent notamment dans le département130. Les mauvais choix stratégiques entraînent le recul de l’armée française vers l’intérieur de la France. À partir de là et jusqu’en 1918, la Moselle est une portion du Reichsland

126 LOEW Guy, « Vers la disparition des frontières ? L'exemple des frontières du département de la Moselle »,

Cahiers Lorrains, 1996, volume 3, p. 227-232.

127 MENISSIER Thierry, « Culture et identité », Le Portique, [En ligne], 5-2007, Recherches, mis en ligne le 07 décembre 2007, consulté le 30 mai 2017, <http://leportique.revues.org/1387>.

128 BRASME Pierre, La population de Moselle 1815-1914, Thèse de doctorat en histoire sous la direction d’Alfred Wahl, Université de Metz, 1997. Cité par SCHNEIDER Denis, « Que penser de la frontière linguistique qui traverse le département de la Moselle ? », 2013 (non publié).

129 MÉCHIN Colette, Frontière linguistique et frontière des usages en Lorraine, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2000.

Elsass-Lothringen131. Les dispositions législatives sont progressivement transformées pour correspondre à celles de l’Empire.

Avant même que la place forte de Metz ne se rende à l’ennemi132, l’annexion est présentée par le gouvernement prussien comme un fait acquis : la Moselle n’est pas une conquête mais une réunification133. Au droit souverain, Bismarck oppose un droit historique sur une terre dont les habitants sont « pour la plupart de race et de langue germanique même s’ils en avaient perdu conscience134 ». La langue sert donc de prétexte à une intégration de la Moselle dans le nouvel empire. Le but étant dès lors de faire coïncider les frontières du nouveau

Reich avec les limites culturelles du Deutschtum135. Néanmoins les nécessités stratégiques de protection de la nouvelle frontière obligent les Allemands à intégrer Metz dans la zone annexée alors qu’elle se situe hors de l’ère germanophone136. L’administration prend néanmoins en compte la distinction linguistique entre ces deux zones notamment dans l’enseignement scolaire. Les communes situées en zone germanophone doivent enseigner dès la rentrée de 1871 en langue allemande alors que dans la zone francophone, le nombre d’heures d’enseignement en allemand est progressivement étendu137. On assiste alors à un lent déplacement de l’ex-frontière linguistique vers l’ouest du territoire au fur et à mesure que l’administration considère les communes comme étant désormais germanophones. Dans les zones où l’on parlait le dialecte avant l’annexion, l’usage du français dans la sphère publique a totalement disparu au bout d’une quinzaine d’années et nombreux sont les jeunes en 1918 à ne pas connaître un seul mot de français notamment dans les classes populaires138. Il faut attendre le début de la guerre en 1914 pour observer les formes de défrancisation les plus radicales. Le contexte tendu occasionne un durcissement des règles concernant l’usage du français. Les troupes allemandes qui prennent leurs quartiers en Moselle imposent dès lors une « dictature militaire ». La liberté de la presse est supprimée et dès juillet 1914 les journaux en français autorisés jusque là sont désormais interdits. Cela renforce le sentiment antigermaniste d’une population n’ayant pas oublié l’injustice de l’annexion de 1870.

131 Territoire impérial d’Alsace-Lorraine

132 Le siège de la ville s’étend jusqu’en octobre 1870.

133 ROTH François, op.cit., p.21.

134Ibid. p. 22.

135Ibid, p. 677. « Das Deutschtum » signifie le germanisme.

136 MÉCHIN Colette, op.cit., p. 9

137 ROTH François, op.cit., p. 149

Le succès de la germanisation durant la première annexion doit se mesurer autant par l’usage de l’allemand qu’à travers le bain culturel dans lequel ont été plongés les Mosellans139. Après l’avènement de l’empereur Guillaume II en 1889, le rôle de Metz évolue140. La ville frontalière avec la France doit être une vitrine du Reich. On y entreprend des travaux colossaux pour moderniser la cité médiévale étriquée. Un nouveau quartier éclot (la Neustadt) qui abrite notamment la gare impériale ainsi que de très nombreuses villas. Ce patrimoine constitue aujourd’hui une richesse culturelle en quête de reconnaissance. Mais l’architecture n’est qu’un pan visible de l’apport socio-culturel de l’annexion dont la présence nous éclaire sur le puissant impact de la culture allemande. Le quotidien social est durablement influencé par les changements législatifs entre 1870 et 1918. La première loi sur l’assurance maladie est par exemple votée en 1889. L’arrivée d’immigrés allemands en nombre dès le début de l’annexion installe des pratiques socio-culturelles allemandes dans le quotidien des Mosellans. Le brassage implique une adoption progressive d’une partie des mœurs de ces immigrés.

La fin de la Première Guerre Mondiale marque la fin de l’Empire et le rattachement de l’Alsace et de la Moselle à la France. La libération des territoires d’Alsace-Lorraine figure dans le huitième point de la déclaration du président Wilson. Néanmoins, le sort de ces territoires n’est pas totalement fixé à la fin de la guerre. La France s’emploie à faire reculer l’idée d’un plébiscite local qui pourrait autonomiser la région141. Jusqu’à la signature du traité de Versailles et sa ratification en loi française, la Moselle demeure un territoire « sous occupation militaire française ». La transformation du cadre légal est progressive et adaptée à la situation locale. L’article 3 de la loi du 17 octobre 1919 indique que : « Les territoires d'Alsace et de Lorraine continuent jusqu'à ce qu'il ait été procédé à l'introduction des lois françaises à être régis par les dispositions législatives et règlementaires qui y sont en vigueur » 142. Ainsi la Moselle conserve des particularités législatives tout au long du XXème siècle et aujourd’hui encore de nombreux secteurs sont régis par les lois de l’Empire allemand comme la sécurité sociale ou le droit associatif143. L’entre-deux-guerres est donc une période transitoire entre l’Empire Allemand et la République Française.

139Ibid. p. 663 ; 682.

140 Le château d’Urville situé sur la commune de Pont-à-Chaussy est la propriété de l’empereur. Il ne se situe qu’à une quinzaine de kilomètres de Metz.

141 GROHMANN Carolyn, The Problems of Integrating Annexed Lorraine into France, 1918-1925, Thèse de doctorat, University of Stirling, 1999, p. 80.

142 Article 3 de la loi du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l’Alsace et de la Lorraine.

143 Le concordat en Alsace et en Moselle n’est pas issu de la première annexion mais d’une disposition législative entrée en vigueur sous Napoléon 1er et abolie en France en 1905. Les différentes annexions de la Moselle et de l’Alsace n’ont jamais provoqué l’abrogation ces dispositions qui réservent un statut particulier au culte et à son exercice.

Malgré la cicatrice laissée par quatre ans de dictature militaire, l’influence culturelle et sociale de 48 années d’annexion ne peuvent s’effacer aussi rapidement et les autorités françaises en sont bien conscientes. Immédiatement après la fin de la guerre, l’État crée le service de la propagande chargé de la francisation144. On procède aussi à une épuration littérale de la population en expulsant les ex-immigrés allemands145. La considération à l’égard de l’Alsace et de la nouvelle Moselle dépend également des changements de politiques menées à la tête de l’Etat français. Ainsi, l’arrivée au pouvoir du Cartel des gauches en 1924 atténue la relative souplesse quant à la francisation du territoire146. On concède néanmoins à prolonger la période de transition législative entre les lois locales et celles de la République jusqu’en 1934147. Il subsiste dans le département le sentiment d’une politique d’assimilation trop rapide créant un certain malaise148.