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Le cinéma au cœur des enjeux de la

sous le nazisme

I.1 Les conditions du succès du cinéma allemandallemand

I.1.2 Le cinéma au cœur des enjeux de la

francisation

Le facteur linguistique constitue à nouveau l’enjeu principal dans le processus de francisation : l’objectif est de supprimer l’utilisation de l’allemand. L’usage du français doit être prépondérant dans toutes les écoles de Moselle sauf durant les cours de religion où le choix est réservé à l’enseignant149 et dans les zones dialectophones où trois heures hebdomadaires sont consacrées à l’enseignement de l’allemand150. Néanmoins l’apprentissage même de l’allemand Hochdeutsch n’est pas similaire au dialecte platt ou ditsch. Certains jeunes Mosellans dialectophones terminent leur scolarité sans tout à fait maîtriser le français ni

144 CIESLIK Vanessa, Le Cinéma en Moselle dans l’entre-deux-guerres, 1919-1939, mémoire de maîtrise, université de Metz, 2001, p. 147.

145 Un système de classification des individus selon leur « sang » est mis en place dès 1918. Ceux qui sont nés de père et de mère français (avant 1870) reçoivent une carte A. Ceux qui sont nés d’un seul parent français reçoivent une carte B. Ceux qui sont nés de parents étrangers provenant d’un pays allié reçoivent une carte C et ceux qui sont nés de parents provenant de pays ennemis reçoivent une carte D (Allemagne, Autriche, Turquie, Bulgarie). Le système permet de définir clairement le nombre d’Allemands présents en Moselle (environ un tiers de la population est classé D) et d’appliquer une ségrégation raciale à leur encontre (ils n’ont pas les mêmes droits, ne disposent pas des mêmes taux de change et sont stigmatisés dans leur quotidien). GROHMANN, op.cit., p 159-161.

146Ibid. p. 117.

147 Elle n’est interrompue qu’en 1945. Ibid., p. 120.

148 KIEFFER Jean, L'enseignement primaire mosellan de 1918 à 1939 : essai d'histoire sociale d'un particularisme scolaire, Thèse de doctorat, Université de Metz 1995, p. 103.

149Ibid. Cité dans GROHMANN Carolyn, op.cit., p. 121.

l’allemand puisque leur langue d’usage familial demeure dialectale151. En 1926, 42 % des Mosellans déclarent le Français comme langue usuelle, 8 % l’allemand et 35 % parlent le dialecte local. Des journaux en langue allemande continuent d’être édités jusqu’en 1939. De fait une partie non négligeable des Mosellans entretient plus d’affinités avec la langue allemande qu’avec la langue française.

En étudiant l’annuaire des sociétés de la ville de Forbach pour l’année 1926, on identifie de nombreuses publicités rédigées exclusivement en allemand. C’est notamment le cas de deux des encarts consacrés aux trois cinémas que compte la ville cette année-là. Le cinéma Lorrain

porte un nom francisé mais rédige sa publicité en allemand. Au-delà de cette anecdote, le cinéma demeure au cœur des enjeux de francisation durant toute l’entre-deux-guerres. Dès la fin de la Première Guerre Mondiale, les autorités françaises le considèrent comme étant un « moyen d’action puissant » dans la reconquête culturelle des territoires à franciser152. Les projections pilotées par le service de la propagande sont systématiquement accompagnées de documentaires ayant pour sujet la France sous divers aspects (culturel, géographique, naturel, artisanal ou encore historique). Cette approche du cinéma en tant que vecteur d’une identité nationale se renforce d’ailleurs en France durant les années 20. Le décret du ministre de l’Instruction Publique Édouard Herriot paru en février 1928 vient rénover les rapports entre l’État et l’industrie cinématographique153. Il instruit la politique du contingentement pour gérer l’afflux des films étrangers en France afin de protéger la production nationale mais également pour défendre l’esprit national à travers la représentation cinématographique française154. La publication de ce décret se fait au moment de l’apparition progressive du cinéma parlant sur les écrans français155. Si les productions nationales pouvaient jusqu’alors se regrouper selon des styles ou des genres, la distinction linguistique doit désormais être prise en compte. Les Mosellans qui maitrisent mieux l’allemand ont une tendance naturelle à préférer regarder les films dans cette langue. Or les objectifs de la dégermanisation, visant la disparition de l’usage de l’allemand, ne concordent pas avec cet engouement pour le film en allemand. Les spectateurs se trouvent dès lors au centre des querelles entre, d’un côté, les exploitants qui souhaitent projeter davantage de films en allemand pour répondre à la demande et, de l’autre côté, les

151Ibid. p. 125.

152 ADM 24 Z 1 : Lettre du sous-secrétaire d’État à la présidence du conseil à Monsieur le Haut-Commissaire de la République à Strasbourg datée du 10 décembre 1918. Cité par CIESLIK Vanessa, op.cit., p. 147.

153 GAUTHIER Christophe, PERRON Tanguy perron, VEZYROGLOU Dimitri, « Histoire et cinéma : 1928, année politique », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°48, 2001, p. 190-208.

154Ibid.

distributeurs qui estiment que les films français ne sont pas assez nombreux en Moselle. Les autorités de leur côté jouent de leurs pouvoirs administratifs pour retarder, voire empêcher l’exploitation de nombreux films en allemand156. Quatre de l’Infanterie157 (George Wilhelm Pabst, 1930) est interdit dans sa version allemande sur le territoire alsacien et mosellan. La

Société Française du Film s’adresse au préfet de Strasbourg qui déclare ne pas pouvoir annuler l’interdiction de la version germanophone car elle émane de Paris158. Le 13 février 1931 la

Chambre syndicale française de la cinématographie indique que le film français rencontre moins de succès que le film allemand en Alsace-Lorraine. Le décret du 22 juillet 1933 durcit le contingentement et touche la Moselle dans la mesure où il limite la distribution des films étrangers en langue originale sur le territoire français et au sein même de chaque département159. Ces films ne peuvent être projetés que dans cinq salles du département de la Seine et dans dix salles des autres départements français. Les exploitants mosellans demandent des garanties les concernant puisqu’il s’agit d’une entrave claire à la distribution des films allemands. Ils obtiennent gain de cause et l’application du décret exclut les films édités en langue allemande160. C’est à ce moment que naît l’idée d’un contingentement spécial pour l’Alsace-Moselle. Par son biais, l’État peut adapter ses règles pour chaque spécificité linguistique locale mais également mieux observer l’usage de l’allemand dans les zones où la francisation est plus difficile. Une enquête préfectorale d’ampleur est lancée dans chaque canton de Moselle afin de mettre au point un décret spécifique aux départements recouvrés. On y apprend par exemple que certains cinémas de Forbach proposent près de 90 % de films allemands ou à l’inverse qu’à Château-Salins on n’en diffuse aucun. Le 9 juillet 1934 le décret instituant une politique de quota de films allemands en Alsace-Moselle est rédigé161. L’article premier autorise « à titre exceptionnel » les départements concernés à projeter des films en langue allemande dans la limite d’un contingent communiqué en annexe. Celui-ci vise uniquement à quantifier les « grands films » projetés en français et en allemand (art.2). Les exploitants sont obligés de tenir un registre où toutes les informations relatives aux projections doivent être notées (titre du film, langue, numéro de visa, date) (art. 3). En outre, un contrôle de ces informations est prévu par

156 LE MOAL-PILTZING PIA, « La censure française du cinéma allemand en Alsace-Lorraine », in : BENAY Jeanne, LEVERATTO Jean-Marc, Culture et histoire des spectacle en Alsace et en Lorraine : de l’annexion à la décentralisation (1871-1946), Bern, Lang, 2005, p. 387-404.

157 TO : Westfront 1918.

158Ibid.

159Hebdo-film, Revue indépendante et impartiale de la production cinématographique, 29 juillet 1933.

160 CIESLIK Vanessa, op.cit., p. 264.

161 République Française, « Décret relatif à la projection des films cinématographiques dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle », Journal officiel, 10 juillet 1934, p. 6947.

les autorités de police et le non-respect des contingents expose les propriétaires à la suppression de leur autorisation d’exploitation (art. 4).

Ce décret montre que l’État français ne néglige pas la question des projections en langue allemande. Les mots choisis révèlent une volonté d’agir sur le contrôle de la langue des films, et pas forcément leur contenu. Ce décret prend une forme d’injonction stricte étant donné les tâches administratives qu’il impose aux exploitants ainsi que les risques encourus en cas de non-respect des règles. Il est suivi d’un tableau reprenant l’ensemble des salles en exploitation dans les trois départements auxquelles sont assignées des pourcentages de films en allemand

autorisés et un pourcentage de films en français exigés. Nous reprenons ici les pourcentages de films en allemand autorisés pour quelques communes :

• Metz : Palace 10 %, Royal 10 %, Scala 60%, Vox 10 %. • Forbach : Union 20 %, Lorrain 75 %, Palace 60 %. • Saint-Avold : Kramer 50 %, U.T 50 %.

• Amnéville : Cinéma Populaire 60 %.

• Thionville : Scala 30 %, Union 20 %, Select 50 %. • Stiring-Wendel : U.T 75 %.

• Rombas : Eden 25 %.

Plus on s’approche de la frontière avec l’Allemagne et plus le pourcentage de films en allemand est élevé. C’est le résultat de l’enquête préfectorale visant à prendre en compte les attentes des publics dans chaque secteur. Néanmoins, là où les pourcentages ne sont pas adaptés à la demande, on rapporte que les salles sont tout simplement plus remplies les jours de projections en allemand que les jours de projections en français, le public ne faisant que s’adapter à la contrainte162. Des cinémas sont également pris en flagrant délit de mensonge quant aux nombres de projections déclarées. En effet, les registres indiquent à la fois le nombre de films programmés ainsi que le nombre de séances organisées pour chaque film.

Par la suite le décret est complété par des mises à jour des tableaux de salles et de leurs pourcentages respectifs. Ils permettent de suivre la baisse progressive des contingentements de films allemands accordés en Moselle. En 1939, seules trois salles proposent davantage de films

allemands que de films français : le Scala de Metz, l’Eden de Sarreguemines et l’Eden

d’Algrange. Il reste cependant difficile d’en déduire la progression de l’usage du français en Moselle, si tant est que le cinéma puisse être un indicateur fiable163. Il faudrait alors pouvoir évaluer la présence des spectateurs pendant les séances en langue allemande et les séances en langue française pour définir plus précisément ces rapports de force. L’apprentissage et l’usage du français progressent même dans les cantons les plus proches de la frontière. La situation linguistique en cette fin des années 1930 traduit une coexistence des deux langues et la persistance de quotas de films allemands en Moselle, même lorsqu’ils sont minimes, indique un intérêt continu d’une partie des Mosellans pour le cinéma allemand.

I.1.3 La situation à la veille de la Seconde