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l’adaptabilité des programmes

I.3 Les vedettes phares

I.3.3. b Les Autrichiens

Les vedettes autrichiennes représentent une part importante des acteurs et actrices cités dans les entretiens et des vedettes à l’affiche des films dans les palmarès reconstitués. Justement, la vérification de cet attrait pour les vedettes autrichiennes à travers les souvenirs positifs qu’elles ont laissés chez les spectateurs nous permet de démontrer un véritable attachement. Hans Moser fait figure d’acteur-culte compte tenu de sa carrière cinématographique bien antérieure à la guerre, et même au nazisme. Il est né en 1880 à Vienne et a joué dans plus de 150 films tout au long de sa carrière589, notamment sous la direction de Fritz Lang et Max Ophüls. On retrouve Moser à l’affiche de nombreux films « habituels » des salles à l’annexion. Il est en tête d’affiche de Sieben Jahre Pech, dont nous avons déjà souligné l’importance auprès des spectateurs mosellans, et on le retrouve aussi dans Wiener Blut aux côtés de Willy Fritsch, un autre acteur très apprécié590. Le film tiré d’une célèbre opérette éponyme est une sorte d’apothéose du genre basé sur une histoire somme toute assez banale : lors du congrès de 1815, la femme d’un diplomate pense que son mari la trompe alors qu’elle-même est, dans le qu’elle-même temps, courtisé par un autre homme. On retrouve également Hans Moser dans Einmal der liebe Herrgot sein, une comédie loufoque figurant au palmarès des salles de Metz, où il joue le portier d’un grand hôtel prêt à tout pour rendre le séjour des convives de passage le plus agréable possible. Si l’on étudie les films à la suite du palmarès messin, on découvre de nombreux autres films avec l’acteur autrichien qui ont connu du succès à en juger par l’ampleur de leur reprise dans la ville comme Der Herr im Haus591(Heinz Helbig, 1940) programmé dans quatre salles entre 1940 et 1943592 ou Der ungetreue Eckehart593

(Hubert Marischka, 1940), avec Théo Lingen et Rudi Godden, également programmé à quatre reprises à Metz. Raymond se souvient du « duo » que formaient Hans Moser et Paul

588 Entretien Marie-Thérèse.

589Filmportal.de

590 Hans Moser est l’une des plus grandes sources d’inspiration de Christophe Walz, l’acteur autrichien oscarisé pour ses rôles dans Inglorious Bastard et Django Unchained de Quantin Tarrantino. Tarantino-Star/ Christoph Waltz beklagt Mittelmaß des Fernsehens WELT, Welt24, < https://www.welt.de/kultur/article4345284 /Christoph-Waltz-beklagt-Mittelmass-des-Fernsehens.html>, consulté le 3 mai 2017.

591 TVF : Le seigneur dans la maison.

592Gloria le 10 janvier 2017 (7 jours), UT-Sablon le 28 juin 1941 (2 jours), Kammer le 20 février 1942 (7 jours),

Scala le 8 octobre 1943 (11 jours).

Hörbiger594, un autre acteur autrichien jouissant d’une réputation tout aussi positive et qualitative que son acolyte. Ils ont notamment partagé l’affiche d’Opernball, Wiener G’schichten, Schrammeln et Wir bitten zum Tanz595(Hubert Marischka, 1941). Ce dernier est celui des quatre qui est le plus programmé en Moselle. Lors d’une rencontre à Forbach en compagnie d’une dizaine de participants, Paul Hörbiger avait été sujet d’une « dispute », au sens anthropologique du terme, entre deux participantes. Une dame a pris la parole pour évoquer l’actrice Christiane Hörbiger en précisant qu’elle était la fille de Paul :

Huguette : Mais vous savez à propos de Paul Hörbiger, sa fille Kristina Hörbiger est actrice et elle joue encore. Elle vit entre la suisse et l’Autriche et fait des rôles pour la télévision…

Adèle : Oui elle est autrichienne mais ce n’est pas la fille de Paul, mais d’Attila. Huguette : Si c’est sa fille.

Adèle : Non, non, non, non. Alors là je parie n’importe quoi ! Huguette : Et…

Adèle : C’est le frère Attila.

Huguette : Et… Elle fait du théâtre mais elle avait participé à une série.596

L’échange légèrement tendu aurait pu s’arrêter là mais Adèle, qui a bien raison, nous reparle de cette dispute lors d’un échange téléphonique quelques semaines plus tard. Adèle nous dit que les réactions de certaines personnes lors de la rencontre l’ont un peu énervée, notamment la personne qui prétendait que Paul Hörbiger avait une fille. Elle me confirme qu’il s’agit bien de la fille d’Attila et que : « il existe bien des gens qui s’appellent Muller et des Mayer »597. Le sens de ce désaccord dépasse le stade de l’anecdote puisqu’il se prolonge au-delà même de la rencontre et mène Adèle à « objectiver » sa propre expérience afin de vérifier si sa connaissance cinéphile est juste. La dispute donne « la preuve de la réalité émotionnelle de l’échange, de l’investissement personnel de tous les participants »598.

Hans Moser a également partagé l’affiche de quelques films avec Wolf Albach-Retty, le père de Romy Schneider. Cet acteur est également autrichien et il a retenu l’attention des

594 Le duo se poursuit également après-guerre.

595 TR : Nous vous invitons à danser.

596 EG-1.

597 Conversation téléphonique avec Adèle, octobre 2013.

spectateurs mosellans. À nouveau pour l’essentiel des films auxquels il participe, il s’agit de comédies viennoises. On le retrouve au casting de Sieben Jahre Pech, Sieben Jahre Glück,

Liebe streng Verboten!, Tanz mit dem Kaiser ou encore Der weisse Traum.

La présence accrue d’acteurs autrichiens entraine de fait un nombre important de films dont l’action se situe en Autriche599, et souvent à Vienne. Le nom de la capitale se retrouve dans plusieurs titres de films : Wiener Blut, Wiener G’schichten, Falstaff in Wien600, Meine Töchter lebt in Wien601. Dans Sieben Jahre Pech, l’intrigue débute sur le quai d’une gare où les deux protagonistes, Paul interprété par Theo Lingen et Heinz interprété par Wolf Albach-Retty, s’apprêtent à embarquer dans le train à destination de Vienne pour voyager jusqu’à Salzbourg. C’est également à Vienne que se déroule l’intrigue de Tanz mit dem Kaiser. Ces comédies

slapstick, chantées ou non, et autres opérettes ne sont pas les seuls films à prendre place en Autriche. Violanta (Paul May, 1942) figure au palmarès de la ville de Metz. Il raconte l’histoire de Violanta, interprétée par Anneliese Reinhold, une jeune fille que ses parents adoptifs traitent comme une bonne et qui rencontre enfin l’amour en la personne de Marianus, interprété par Richard Häussler. Alors que Violanta apprend qu’elle est enceinte, Marianus disparait subitement. Elle part à sa recherche mais ne tombe que sur Andreas, le frère de son amant, joué par Hans Schlenck. Elle accepte de se marier avec lui afin d’offrir une sécurité à son futur enfant mais en cachant à Hans que cet enfant n’est pas de lui. Ce mélodrame se déroule dans un cadre plus Heimat que les autres films se situant en Autriche. Ici il n’y a point de musique et de danse. On peut également citer le film Wien 1910602 (E. W. Emo, 1942) qui raconte les derniers jours du maire de Vienne Karl Lueger, connu pour son attitude antisémite à des fins politiques et qu’Hitler considérait comme son modèle603. Le film est programmé dans quelques salles de Moselle mais n’apparait jamais à Metz. Au niveau national il fait un des plus mauvais scores de l’histoire du cinéma nazi604. Dans ces deux derniers exemples, il n’y a pas les noms de Hans Moser ou Paul Hörbiger. Si ces acteurs sont bien identifiés comme des « véritables viennois

599 Le tout se fait sous l’influence du studio Wien-Film à l’origine de nombreux films durant la guerre.

600 Leopold Hainisch, 1939, TVF : Scandale à Vienne.

601 E. W. Emo, 1940, TVF : Ma fille est millionnaire.

602 TR : Vienne 1910.

603 GEEHR Richard, Karl Lueger: Mayor of fin de siècle Vienna. Detroit, Wayne State University Press, 1990, p. 14. Dans Mein Kampf, Adolf Hitler explique que Lueger est en partie à l’origine de son antisémitisme. HITLER Adolph, Mein kampf, Paris, Nouvelles éditions latines, 2008, p. 112.

604 Drewniak le cite dans une liste des films ayant causé les plus grands déficits. Il aurait fait perdre 2,1 millions de RM. Il cite ensuite les déficits de Die Degenhardts (3,5 millions), de Paracelsus (3,5 millions), Junge Adler

(4,5 millions), Romanze in Moll (4,5 millions) et Opfergang (10 millions de RM). DREWNIAK Boguslaw, op.cit. p. 630.

»605, ils véhiculent également un genre et une ambiance que les spectateurs identifient comme des spécificités, au point d’associer les films se passant en Autriche, mettant en scène des Autrichiens et se basant sur une tradition théâtrale comme répondant à un style national :

Thérèse : Voila... Et puis alors il y avait les films autrichiens. Ça ne vous intéresse pas les films autrichiens ?

Discutant : Si, si bien sûr.

Adèle : Ils parlaient aussi allemands.

Discutant : Moi ce qui m’intéresse, c’est ce que vous avez vu.

Thérèse : Et les films autrichiens, c’était très,très gai, c’était... encore maintenant j’aime les films

autrichiens.

Discutant : vous parlez des films qui se passent dans les montagnes, les Heimatfilm ?

Adèle : Oui.... Pas tellement, mais avec les acteurs par exemple Hörbiger, Hans Moser, Theo Lingen.

Ces trucs c’était pour rire et comme c’était la guerre...606

Le « film autrichien », comme s’il ne dépendait pas de la machine industrielle nazie, se définit, d’après ces spectatrices, par les acteurs que nous venons de présenter et la capacité des films à les faire rire.

Du point de vue de la production, ces films sont pour la plupart d’entre eux des réalisations de la Wien-film AG. Le studio est créé à la suite de l’Anschluss du 12 mars 1938 marquant l’annexion de l’Autriche au Reich allemand. Il naît de l’éclatement de la Tobis-Sascha, la plus grande société de production autrichienne des années 1930607. La plupart des films autrichiens produits entre 1938 et 1945 sont issus de cette nouvelle maison de production désormais aux mains du ministère allemand de la Propagande. Les principaux réalisateurs qui se partagent les succès de ces années sont E.W. Emo (Liebe ist zollfrei608, Der liebe Augustin), Willi Forst (Wiener Blut, Operette) et Géza von Bolváry (Opernball). Ainsi la dénomination « film autrichien » utilisée par Thérèse correspond réellement à une production-type autrichienne rassemblant régulièrement des mêmes équipes artistiques et techniques. Notre témoin spécifie par contre les caractéristiques « gaies » des films en question pour mieux nous

605 L’expression est utilisée sous un portrait dessiné de Paul Hörbiger publié dans le MZ le 9 juin 1941 pour la sortie de Wiener geschichten.

606 EG-4.

607 HAKE Sabine, op.cit., p. 166.

faire comprendre ce qu’elle sous-entend par cette appellation609. Elle évoque en fait un genre précis, celui de l’opérette viennoise.

Ce genre se fonde sur un comique hérité des formes populaires du théâtre de la fin du XIXème siècle comme le vaudeville et bien entendu la comédie populaire viennoise. L’opérette viennoise apparait au cinéma avant l’avènement du parlant mais il connait son véritable essor à la fin des années 1920. L’opérette se caractéristique par des éléments sémantiques spécifiques : un royaume mythique, un prince, une jeune ingénue, une belle-mère maléfique610

ainsi que des « mélanges » sociaux, des quiproquos et des fausses histoires d’infidélité. Elle inspire les premières grandes comédies musicales allemandes comme Die drei von der Tankstelle et s’immisce dans le marché cinématographique hollywoodien dès la fin des années 1920. Les studios américains proposent alors soit des adaptations d’opérettes viennoises, reprises ou non à Broadway, soit des créations originales611. Ernst Lubitsch est le premier à exploiter et revendiquer la spécificité viennoise de ces comédies, à l’image de The Smiling Lieutenant (1931), qui doit être comprise « à la fois comme un style musical et comme une codification générique de l’intrigue »612. Justement, l’opportunité offerte par le cinéma parlant entraine une valorisation de la partition musicale qui accompagne le film. On retrouve d’ailleurs cet aspect fondamental de la qualité musicale dans une brève du MZ en 1943 : « “Wiener Blut” mis en scène par Willy Forst se dote d’un atout précieux puisqu’il obtient la participation du

Wiener Philarmoniker sous la direction de Willy Schmidt-Gentner pour jouer la partition du film »613. L’ouverture de ce film mérite d’ailleurs une attention particulière car elle fait la démonstration de la place prépondérante de la musique dans le genre de l’opérette. Il débute par une séquence narrative avant le générique614. Le spectateur prend place dans l’antre d’un vieillard à mi-chemin entre l’alchimiste et le savant fou. Le plan est travaillé d’une manière expressionniste, les ombres aux premiers plans obscurcissent l’image et surcadrent le personnage. Son « laboratoire » est envahi de fioles et autres tubes à essai ainsi que de quelques animaux empaillés. Lui-même porte un petit rapace sur son épaule gauche. La caméra opère un

609 La Wien-film produit également des films beaucoup plus orientés politiquement comme Wien 1910 et

Heimkehr.

610 POR Katalin, « Usages de l'opérette aux débuts du parlant à Hollywood : innovations techniques et stratégies spectaculaires », 1895, n°72, 2014, p. 65-83. Dans cet article, l’auteure étudie l’essor des comédies viennoises dans le cinéma américain au moment de la transition vers le cinéma parlant. Il s’agit à la fois d’observer les stratégies des différents studios et aussi d’analyser les caractéristiques techniques et narratives de ces adaptations.

611Ibid.

612Ibid.

613MZ, 3 mars 1942.

614 Il s’agit là d’un fait plutôt rare dans le cinéma classique où l’action du film démarre généralement après le générique. Aujourd’hui ces prologues sont devenus tout à fait courants au cinéma.

travelling avant vers l’alchimiste afin que l’on puisse mieux voir ce qu’il prépare. Il saisit une grande bouteille et nous lisons ce qu’elle contient à la faveur d’un raccord-regard qui place le plan suivant en plongée, par-dessus l’épaule de l’homme. Il verse alors une dose « d’humour » dans un ballon chauffé, puis un peu de « légèreté », puis encore un peu de « cœur ». À chaque produit versé, la musique se transforme pour s’adapter à la « tonalité » du liquide. La quatrième fiole contient « l’histoire ». Or l’alchimiste hésite et la repose. Nous changeons de plan et sommes placés désormais en face de lui. Il préfère finalement utiliser une pipette jaugée pour ne saisir qu’une seule goutte du flacon « histoire ». Il réfléchit encore et se rend compte qu’il manque l’ingrédient fondamental. Un travelling avant rapide, accompagné d’un crescendo et d’un renforcement musical, nous mène vers une fiole et l’on voit l’alchimiste verser une très grande quantité du liquide de la fiole « musique » dans le ballon chauffé. Une réaction s’opère, les liquides fusionnent et apparait en surimpression sur le ballon le titre du film : « Wiener Blut ». Willi Forst, qui joue d’ailleurs le rôle de l’alchimiste, nous communique sa recette parfaite de l’opérette viennoise. L’intrigue doit mener le spectateur aux rires et demeurer légère. Quant au degré de réalisme historique, il ne s’agit que d’une infime part de l’histoire. Il n’est à priori pas nécessaire au bon déroulement de l’intrigue contrairement à la musique qui demeure indispensable, et à forte dose.

Ainsi l’attachement aux acteurs autrichiens et les souvenirs puissants qui leur sont associés témoignent d’une valeur ajoutée des comédies viennoises dans l’expérience cinématographique des Mosellans. Celle-ci est une marque propre des « films autrichiens » comme en témoigne Adèle : « Il n’y avait pas tellement de gens qui faisaient rire en Allemagne. C’était assez curieux… ». Aussi symbolique que cela puisse l’être, c’est une comédie viennoise qui vient clore les quatre années d’annexion des cinémas mosellans. Il s’agit d’Anton der Letzte615(E.W. Emo, 1939) une comédie où Hans Moser occupe quasiment chacune des scènes réalisées. Le film est programmé au Rex de Metz le 14 novembre 1944 alors que l’assaut sur le centre-ville est imminent616.

615 TVF : Antoine le magnifique. Le film raconte l’histoire d’un homme de chambre caractériel dénommé Anton (Hans Moser) et dont l’employeur, le compte Willy von Erlenburg, se trouve confronté à la venue d’une jeune fille avec qui il a eu une relation et qui attend désormais un enfant.

616 Metz est définitivement libérée le 22 novembre 1944 après presque trois mois de combats dans ses environs, le passage de la Moselle ayant été une difficulté majeure pour les troupes du général Patton.