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CHAPITRE II METHOLOGIE

II. 2.1.5.2 Les modalités de réalisation

Les deux entretiens libres (les mardis 19 et 26 juin 2012) ont été réalisés avec le même enquêté a qui j’ai attribué le rôle de [consultant]134

(Olivier de Sardan, 1995), que je distingue, de celui d’informateur qui désigne, dans mon enquête, des personnes qui m’ont aidée à constituer mon corpus d’entretiens. Il a aussi participé à certains films sociologiques et à un

132 Il y a une différence entre la « conscience discursive c’est-à-dire la possibilité de l’enquêté de [(…) mettre en

mots des choses] (Giddens, 1987, p. 93) et la « conscience pratique » c’est-à-dire [(…) ce que l’enquêteur sait faire] (Ibid, p. 55) mais qu’il n’exprime pas verbalement, c’est de l’ordre de la [conscience tacite] (Ibid, p. 440) car cela renvoie à la routine.

133 Je ne fais pas allusion à un enquêteur directif quand je parle de son intervention mais d’une posture différente

de celle de l’entretien libre.

entretien semi-directif135 et je suis allée travailler sur l’exploitation de son fils lors d’observations participantes. Il s’agit d’un viticulteur, d’une soixantaine d’années, ancien pluriactif aujourd’hui retraité mais qui aide son fils qui a repris l’exploitation et qui est également salarié en dehors de l’agriculture. A l’occasion de deux films sociologiques, il m’a invitée à partager le repas de midi136 et j’ai profité de cette opportunité pour effectuer des entretiens libres, je ne l’avais pas décidé au préalable car je ne voulais pas abuser de son temps. Ces deux entretiens libres se sont donc déroulés pendant le repas, dans la cuisine de l’enquêté, avec la présence de son épouse137

; m’intéressant aux pratiques des enquêtés, partager ce moment de vie qu’est le déjeuner a été enrichissant.

Pour ces deux entretiens libres, je dirais que mon rôle d’enquêtrice se résumait à une écoute attentive, certes propre à la méthode de l’entretien mais aussi dynamique, c’est-à-dire une abondance de mimiques (haussement de la tête pour signifier l’approbation, froncement des sourcils pour traduire l’étonnement et signifier à l’enquêté qu’il développe ses propos). Dans l’entretien non directif, on considère que l’enquêteur influence moins l’enquêté que lors de l’entretien semi-directif puisqu’il intervient le moins possible, il ne fait que mentionner le thème pour lequel il veut que l’enquêté parle. Dans la posture que j’ai adopté, c’est-à-dire ne pas donner de thème, on peut dire que l’effet de ma présence est encore plus réduit. En outre, l’entretien non directif peut être davantage [(…) gage de sérieux, de scientificité, d’objectivité (…) parce qu’il entretient le mythe de la neutralité de l’enquêteur.] (Pinson et Sala Pala, 2007, p. 555) contrairement à l’entretien semi-directif qui [(…) fait figure d’entredeux bizarre, de méthode hasardeuse, et pour ainsi dire peu sérieuse.] (Ibid). Par contre, lors de mes deux entretiens libres, le rôle de l’enquêteur consistant à mentionner des thèmes pour « faire parler » l’enquêté a été attribué à la télévision puisque au moment des deux entretiens, elle était allumée, c’était l’heure des informations télévisées et l’enquêté donnait son opinion en fonction des sujets qui y étaient abordés. Il s’agit d’un imprévu propre au travail de terrain.

J’ai laissé l’enquêté débuter l’entretien comme bon lui semblait et s’exprimer librement même s’il m’est arrivé d’intervenir pour demander des précisions notamment afin de l’inciter à développer davantage ses propos. Néanmoins, je tiens à préciser, que les entretiens libres n’ont pas pris la forme d’une conversation ordinaire, ni celle de l’entretien semi-directif. Disons qu’ils se sont situés entre les deux formes, un enquêté qui parle, une enquêtrice qui écoute de manière dynamique c’est-à-dire en intervenant brièvement sur certains propos et en faisant beaucoup de mimiques pour solliciter sa parole mais aussi et surtout pour lui montrer que ce qu’il dit m’intéresse. Tout entretien étant une interaction, il était nécessaire que je montre à l’enquêté que je suis non seulement présente mais enthousiaste. L’entretien libre est une technique que j’ai trouvé plus « reposante » pour l’enquêteur puisqu’il n’a pas le souci de chercher à recadrer la personne ou du moins de trouver l’ouverture pour énoncer un thème d’échange, voyant que le temps passe et qu’il a encore beaucoup d’informations à demander à

135 Lors de l’enquêté exploratoire pour le mémoire de master II le jeudi 20 janvier 2011.

136 Deux autres enquêtés, deux éleveurs m’ont également invitée à partager le repas de midi avec eux et leur

famille mais privilégiant l’entretien semi-directif, en outre, ne les connaissant pas et ayant peu d’éleveurs au sein de mon corpus, j’ai opté pour ce type d’entretien.

l’enquêté, ce qui s’est parfois passé pour certains entretiens semi-directifs dont la principale difficulté a résidé dans la gestion du temps puisque je m’étais fixée, comme objectif, d’aborder l’ensemble des thèmes des guides, ce qui est compréhensible puisque qu’il s’agissait d’une situation d’entretiens de recherche. Je n’ai donc eu aucun problème à laisser parler la personne, ce qui ne veut pas dire que je me suis sentie dépossédée de mon rôle d’enquêtrice puisque comme je l’ai mentionné, il s’agit d’avoir une écoute active ou dynamique propre aux sociologues en situation d’enquête. Je n’avais pas le souci d’évoquer tous les thèmes puisque, au contraire, je n’en avais pas et je cherchais justement à faire émerger des thèmes qui ne figuraient pas dans l’entretien semi-directif. Autrement dit accéder à des opinions, des sentiments librement formulés par l’enquêté c’est-à-dire non suscité par l’annonce d’un thème.

L’enquêté ne savait pas au départ qu’il était, dès le repas, en situation d’entretien puisque j’avais décidé de sortir discrètement le dictaphone et de lui dire que je l’avais enregistré une fois le repas terminé et lui demander, à ce moment là, si je pouvais conserver la bande. Procéder de la sorte m’a permise de voir la relation que j’entretenais avec le consultant. En effet, dès que nous nous sommes assis à table, il a commencé à parler de politique, à donner ses opinions. Par conséquent, je me suis aperçue que même s’il me connaissait avant que je ne lui parle de l’enquête et qu’il m’avait, depuis, vu à plusieurs reprises, il me considérait comme une « enquêtrice » - même si je ne sais pas s’il employait ce terme pour me décrire - ; du moins comme une personne qui s’intéresse à l’agriculture dans le cadre universitaire, comprenant ainsi, d’une certaine manière, que je n’étais pas seulement là pour le repas, ce qui peut aussi être dû au fait que nous allions réaliser un enregistrement filmé après le repas138. Cependant, je n’ai pas eu l’impression qu’il avait censuré son discours parce qu’il me voyait comme une enquêtrice et j’ai même eu l’impression qu’il avait senti que je cherchais à atteindre une dimension personnelle. Pourtant je ne pense pas avoir eu une conduite particulière pour encourager cela si ce n’est que je n’avais pas de guide avec moi contrairement à l’entretien semi-directif139

que j’avais réalisé avec lui, un an auparavant, ni mon carnet de notes et le dictaphone n’était pas placé, bien en vue, en face de lui et à proximité, mais près de moi, sur le côté de la table, en position plus discrète. Je n’ai donc pas eu de difficulté à le faire rentrer dans la posture d’un enquêté, sachant qu’il ne savait pas que j’étais en situation d’enquête, le repas prenant la forme d’un entretien ou il a tenu à me parler de ses opinions alors justement que le contexte ne s’y prêtait pas à première vue puisque que nous partagions un moment de détente de la vie quotidienne. Ce qui a été décisif pour la réalisation des entretiens libres car si j’avais dû intervenir à plusieurs reprises pour essayer de le faire rentrer dans la démarche de l’entretien, ce dernier n’aurait pas pris la forme d’un entretien libre mais davantage celle d’un entretien semi-directif voire directif. Mais le repas est aussi un moment de détente propice à l’expression des sentiments les plus personnels,

138 Son attitude à mon égard n’est pas la même que lors des films sociologiques ou il considère ces derniers

comme un support de mémoire notamment pour son fils et ses petits enfants, leur enlevant ainsi leur caractère scientifique. Cf. sous-partie suivante, « II.2.3.1.1 Les enquêtés », p. 113.

139 Olivier de Sardan (1995) a mis en évidence les avantages qu’il pouvait y avoir à rencontrer à plusieurs

reprises un même enquêté. En effet, cela permet notamment de rapprocher l’entretien de la conversation, de préciser certains points mentionnés lors d’une entrevue précédente si besoin mais aussi de modifier la perception que l’enquêté se fait de l’enquêteur, il voit ce dernier comme plus compétent à chaque entretien effectué.

représentatifs du groupe dont il fait partie. Par contre, sa femme n’a pas eu la même attitude à mon égard, elle m’a, par exemple, posée des questions sur mes futures vacances, me voyant donc uniquement comme la personne qu’elle connaît.

Pour revenir sur la question de l’enregistrement, lors du premier repas, j’avais posé le dictaphone sur la table en ne disant rien à personne. Je comptais leur avouer qu’ils avaient été enregistrés à la fin du repas mais l’épouse de l’enquêté, s’en est rendue compte quand nous avons terminé de manger. Elle me demande si c’est mon téléphone portable, je lui réponds que non que c’est un appareil pour enregistrer et qu’elle a été enregistrée mais elle l’a bien acceptée tout comme son mari, qui est habitué à ce que je l’enregistre140. Pour le second entretien, j’ai procédé de la même façon, j’ai posé le dictaphone près de moi, mais connaissant désormais l’appareil, les enquêtés ont compris qu’ils étaient enregistrés et ne m’ont fait aucune remarque. J’ai choisi d’enregistrer les entretiens libres car c’est un moment qui dure généralement assez longtemps puisqu’il s’agit du partage d’un repas donc j’avais l’appréhension de ne plus me rappeler de certains thèmes évoqués par les enquêtés et surtout ne pas pouvoir les retranscrire avec leurs propres termes. Pour pallier, en partie, à ces difficultés, j’aurais pu, à la place du dictaphone, sortir mon carnet de notes mais noter risquait de couper la dynamique spontanée de l’entretien libre. Par conséquent, à choisir un matériel, j’ai préféré le dictaphone. D’autre part, ce dernier étant numérique et discret, je l’ai mis à côté de mon téléphone portable. Néanmoins, par déontologie, je n’ai jamais caché aux enquêtés qu’ils avaient été enregistrés et je leur ai toujours demandés si je pouvais conserver les enregistrements, qui ont été, par la suite, retranscrits.