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2.1.4.1 Des informations décisives sur les enquêtés et leur entourage

CHAPITRE II METHOLOGIE

II. 2.1.4.1 Des informations décisives sur les enquêtés et leur entourage

Ces petits moments de vie mis bout à bout permettent de retracer le parcours professionnel et personnel des enquêtés et de se faire une petite idée sur leur personnalité quand ils font référence à des traits de caractère :

« On est arrivé ici, nous on avait rien, on était…on était des baba cool, on arrivait de Paris…on croyait qu’on allait vivre…en faisant notre fromage, tisser notre laine et manger

notre viande et…et faire nos légumes et puis voilà, on était cette génération là. On est resté longtemps comme ça et puis après bé ma foi [elle hausse en même temps les épaules] on est rentré dans le système quoi » (Maya, entretien n°34).

Ils m’ont également permis de connaître des moments de leur quotidien : « (…) quand je

rentre à midi…en été, je rentre jamais à midi mais en hiver, je prends un peu plus le temps euh….en général, en buvant le café après manger, je l’épluche complètement quoi. Là c’est le soir quand je rentre…je jette un coup d’œil aux commandes…éventuelles que je peux avoir euh…j’envoie les…les messages pour mes fournisseurs pour le lendemain…et après ouais je prends…une grande menthe à l’eau bien fraiche ou un grand Coca et en général ouais j’épluche…j’épluche le journal ouais (…) je parle beaucoup du travail et puis, ya le travail et après ya tous les problèmes [en accentuant sur « problèmes »] qui sont ressassés…souvent le soir on est là on mange et moi je parle de mes problèmes de boulot (…) la nuit, ya des fois, je me réveille, je transpire [petit rire de l’enquêtrice], je me dis ‘demain matin, je vais me faire tuer à cause de ci, à cause de là’, c’est…l’enfer » (Thierry, entretien n°24) ; « Le soir, c’est pareil, après-manger, quand j’ai rien à foutre là…ya la télé allumée, je me fous sur le canapé et hop et je me réveille ‘ merde qu’est-ce qu’il a dit ?’ [petit rire] (…) ah et le feuilleton du soir, là ma femme elle le regarde, je suis obligé de la regarder, on est à table, Plus Belle La Vie [petit rire de l’enquêté et de l’enquêtrice]. Là il faut pas parler, ‘shut [il fait un signe du doigt pour dire de se taire] tais-toi’ [petit rire de l’enquêté et de l’enquêtrice] mais enfin bon. (…) Quand t’es au supermarché, moi l’autre jour, on y allait samedi avec Babeth, faire des courses, elle me dit ‘oh j’ai plus de saucisse’, pour acheter un peu de saucisse, pour manger, putain quand j’ai vu le prix mais j’ai dit ça va pas non, 11 €uros un kilo de saucisse [en haussant la voix]. Et bé, moi j’en ai fait, elle m’est revenue à 4 €uros la saucisse »

(Marius, entretien n°51).

Mais aussi d’avoir accès à des aspects plus personnels de leur quotidien, c’est particulièrement le cas quand les enquêtés ont parlé des questions d’argent :

« Oui, oui, bon ça arrive quand vraiment on est…on est complètement dans la dèche, je m’en vais, là ya trois, quatre ans, je suis allée à l’usine, à côté, au tapis, faire la…trier les pêches quoi. Et puis souvent…quand…enfin moi j’ai taillé la vigne pendant [soupir] comment dire, peut-être vingt ans. Y’avait beaucoup de femmes qui taillaient la vigne eh. Et y’avait un monsieur à Fourques qui était sympa et qui m’a…qui a accepté de me prendre pour tailler, qui m’a…on m’a…ya une équipe qui m’a appris et puis j’ai taillé, je veux dire j’ai…peut-être plus de vingt ans même. Avant je ramassais les serments, j’arrivais…ça aussi c’est une solidarité, le paysan qui vous embauche pour travailler quand vous avez vraiment une baisse de revenu parce que des baisses de revenu y’en a dans l’élevage eh, on a…on a eu une fois, pour quelle raison, je pense que c’est dans le camion, les brebis, elles ont attrapé une Chlamydié et puis on a pas eu d’agneau cette année ou on a eu une centaine d’agneaux en moins cette année là et on a dû en plus, soigner les bêtes donc ça nous a coûté très cher bon bé cette année là, j’ai dû, je suis…retournée au travail comme je pouvais. Et puis, je pense que là, quand on va être à la retraite, on aura même pas 1 000 €uros par mois à nous deux…on va être obligé d’aller travailler en plus. (…) Nous, l’année prochaine, on aura, quand je vais être à la retraite, on aura très peu d’argent. Mais je pleure pas eh, on a de la chance eh, on a une maison, on a une bergerie, on a…un terrain » (Maya, entretien n°34).

« (…) en sachant tout ce que…tout ce que j’y ai fait…et tout le mal [il accentue sur « mal »] que je me suis donné, physiquement, financièrement, quand vous avez la banque qui appelle tous les quinze jours pour vous dire monsieur H…il faut nous verser ou…même j’ai été interdit bancaire pendant un mois ou deux, que les fournisseurs vous savez plus comment les payer machin, etc. que vous dormez plus la nuit quoi eh. Parce que c’est pas dormir la nuit là eh. » (Jean-Marc, entretien n°30).

Ils ont souvent parlé, à travers les instants de vie de leur relation de couple ou de leur rapport avec leur père et/ou leurs enfants :

« Moi j’ai de la famille, enfin du côté de ma femme, ils sont tous…fonctionnaires et ils comprennent pas que moi, je bosse…je bosse quinze heures par jour ou…pour gagner si peu quoi. ‘Mais comment, tu travailles tant et tu gagnes si peu’[en changeant sa voix]. Alors que eux, ils sont tout le temps en vacances et…ils ont un salaire exorbitant, voilà. Même du côté de ma femme bon ça a claché à cause de ça quoi. Et là maintenant qu’elle a…maintenant qu’elle travaille, qu’elle a…bon elle s’aperçoit que elle a un salaire mais…voilà, il est limité son salaire quoi. Et elle a pas un salaire extraordinaire quoi » (Patrick, entretien n°31,

divorcé, maraîcher).

« A la limite, ce que j’ai fait, il faut le faire célibataire quoi c’est le mieux. Vous faites souffrir personne et vous souffrez pas, voilà. Et du coup…et du coup voilà…une certaine autonomie aujourd’hui que j’ai voulu et que je veux pas qu’on touche donc quand je sens que…nos vies ne se…qu’elle, elle a besoin de ce faste et que moi j’ai besoin d’autre chose et bé on se respecte eh, voilà, moi je rentre chez moi, elle, elle rentre chez elle et voilà et peut-être que le choix est de se voir peut-être moins souvent mais avec l’envie du partage quoi, voilà hein, c’est ça. Et si ça se fait pas, ma foi, écoutez, ça se fera pas mais bon…je l’aurais au moins essayé quoi eh parce que…voilà on est pas fait pour vivre seul. Ça j’en suis convaincu, ya des choses qu’il faut partager dans la vie et...notamment celle-là quoi, d’être en couple, je pense que c’est ce qui ya quand même de plus…de plus merveilleux quoi, quand on arrive à…quand on arrive à le faire hein voilà c’est pas…le…l’harmonie du couple, c’est…c’est une alchimie [soupir] très compliqué, oui voilà » (Pierre, entretien n°27, aviculteur, la cinquantaine,

divorcé, il parle dans cet extrait de sa compagne du moment).

Ces moments de vie laissent transparaître des sentiments, comme des regrets, des doutes, des incompréhensions, ce qui donne des renseignements sur leur état d’esprit :

« Et quand on a eu cette fièvre de…de Malte, cette Brucellose, quand j’ai amené mes bêtes à l’abattoir parce que on a été obligé de les abattre, ça a été très long [elle met l’accent sur l’adjectif « long »], ils n’abattaient que celles qui…que celles qui étaient touchées, il fallait faire des prises de sang tout le temps et tout ça quoi. Et j’ai beaucoup pleuré, j’ai beaucoup souffert, moi je voulais arrêter, je voulais repartir à Paris (…) » (Maya, entretien n°34). « Je vous cache pas que de temps en temps…étant un ancien restaurateur, j’aime bien…aller me faire un bon restaurant et…et voilà bon…des petits plaisirs de la vie, oui c’est sûr que c’est important. Ça…ça vous aide à passer des moments difficiles, voyez quand vous avez des moments ou…vous dites ‘mais bon [soupir] qu’est-ce que c’est cette vie là’ et bé non, ça vous redonne…voilà. Moi j’ai pas besoin de forcément vivre des fastes, le fait de savoir que si je veux [en insistant sur le verbe « vouloir »] me les payer, je peux me les payer, ça me suffit (…) » (Pierre, entretien n°27).

« Bé j’avais des projets bon…j’ai eu quelques ennuis de santé bon et ça m’a…ça m’a stoppé net dans tous les domaines et…bon. Je bricole, je végète, je…je ne suis même pas heureux loin de là parce que je serais un peu l’inverse et…bon mais sinon j’avais plein de projets là- dessus là. » (Gérard, entretien n°15, arboriculteur retraité, plus de soixante ans). Plus loin

dans l’entretien il revient sur son état d’esprit actuel : « Bon c’est…d’ailleurs j’ai pas le moral

eh, c’est affreux. Non je fais plus…je fais presque plus rien quoi eh [soupir] c’est…du lit au canapé, du canapé au lit, du canapé au verger à…deux cents mètres et puis je reviens enfin bon [soupir] ».

A travers ces instants de vie, j’ai également pu avoir des informations sur leur entourage familial, ce qui m’a permise de voir la place accordée à la famille122

:

« Une fois, quand Raphaël était gamin, Gérard essayait de l’initier bon, Raphaël qui est un enfant très souple, très docile, bon il venait, il l’accompagnait, il l’écoutait et puis un jour, Gérard, il dit ‘oh il faudrait qu’il aille désherber’. Raphaël, il était grand, il était…adulte là. Raphaêl ‘ oui bé oui’. ‘Bon bé viens avec moi on va aller au verger, je vais te montrer ce qu’il faut désherber’ [en changeant sa voix]. Et c’était aussi du verger là [elle fait un signe de la tête pour montrer la direction] y’avait de l’herbe, haute comme ça [elle fait un signe de la main], il dit ‘tu vois ce qu’il faut désherber ?’ et Raphaël, il dit ‘mais où ça ?’ [petit rire de l’enquêtrice]. Bon bé il avait pas la fibre agricole quoi, c’est sûr que [rires] j’ai dit ‘là maintenant t’as compris Gérard, maintenant on en fera pas un paysan quoi’. C’est vrai que la culture…que ce soit aussi bien…enfin l’agriculture, que ce soit dans le bétail ou dans les céréales ou dans, si on l’aime pas, c’est difficile quoi de… Donc pour Raphaël, y’avait de l’herbe haute mais il l’avait pas vu » (Joceline, épouse de Gérard, entretien n°15, elle parle de

son fils qui est le beau-fils à Gérard).

« Je veux dire quand ya une erreur sur…une connerie à une feuille de stock, elle123 va me gonfler pendant deux [il insiste sur le chiffre « deux »] heures pour…pour dix bouquets qui manquent et on fait…trente ou quarante milles bouquets par jour quoi. Il manque dix bouquets, on a acheté dix bouquets à un fournisseur, elle arrive pas à les retrouver, elle va me péter un…[rires] j’y dis ‘mais t’as rien d’autre à faire’, j’y dis ‘franchement’. Elle me dit ‘c’est pas une question de quantité, c’est une question’ [en changeant sa voix pour imiter sa compagne] tac [il fait en même temps un geste de la main qui signifie carré] elle veut que ce soit au carré. Bon c’est…pour dire comme quoi elle est au carré mais après bon voilà je sais pas à la base la question ce que c’était mais voilà » (Thierry, entretien n°24).