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CHAPITRE II METHOLOGIE

II. 2.1.2.2 L’explication de ma venue

Mes propos étaient toujours les mêmes pour établir le premier contact, que ce soit par téléphone ou en face à face, bien que je privilégiais, dans la mesure du possible, la présentation physique. Je me présentais tout d’abord, en mentionnant que je suis en doctorat de sociologie (sans préciser quelle université ne jugeant pas cela nécessaire mais les enquêtés me l’ont, par la suite, demandée) montrant ainsi le caractère sérieux de ma démarche et en poursuivant en leur disant que je fais ma thèse sur le monde agricole, que je m’intéresse à la façon de travailler et de vivre des agriculteurs85 ; en veillant à ne pas employer les termes de

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C’est surtout le cas des informateurs « extérieurs ».

83 Parfois à une centaine de kilomètres.

84 La majorité des entretiens durent plus de deux heures, un certain nombre plus de trois heures et un entretien a

même duré quatre heures.

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Tel est le [contrat implicite] (Demazière et Dubar, 1997, p. 88) que je passais avec les enquêtés. Ces derniers, en acceptant l’entretien s’engageaient à parler à la fois de leur vie professionnelle et de vie personnelle.

« paysan », « culture », « valeur », « mode de vie » afin de ne pas influencer leur discours86 ou encore le vocable « enquête » qui peut être mal interprété par les enquêtés (Beaud et Weber, 2003)87. Une minorité seulement m’a demandée des précisions, ce qui ne veut pas dire que j’ai présenté l’enquête clairement et qu’ils ont tout saisi mais c’est sûrement qu’ils se préoccupaient davantage de savoir s’ils pouvaient répondre à mes questions. En effet, certains, peu d’entre eux toutefois, m’ont dit qu’ils avaient peur de ne pas savoir quoi dire. J’ai dû donc, quand c’était nécessaire, essayer de les rassurer. Le face à face enquêteur- enquêté n’a rien d’une conversation habituelle, la seule présence de l’enquêteur mais aussi la situation suffisent à modifier les propos de l’enquêté en fonction de l’image qu’il se fait de l’enquêteur : [L’enquêté, que l’enquêteur le veuille ou non, a une représentation de l’enquêteur qui influe sur la parole produite. (…) l’enquêté ne parlera pas avec lui comme il parlera avec d’autres. L’enquêteur l’ « oblige » à avoir des propos qu’il tente en général de structurer. Même si cette structuration peut être éloignée, on s’en doute, d’un « exposé » universitaire, l’enquêté peut penser qu’il doit être « à la hauteur » et, en conséquence, tenter de « soigner » ses propos. Il tente aussi souvent de comprendre ce que cherche l’enquêteur ; il se représente l’enquêteur en fonction des représentations qu’il se fait de l’univers de la recherche et de l’université, etc.] (Legavre, 1996, p. 213). Par conséquent, l’enquête ne consiste pas simplement à recueillir des données et l’entretien à une conversation. De plus, c’est cette interaction, autrement dit, la situation d’enquête88

qui doit être analysée, ce qui consiste [(…) à déplacer le regard de l’enquêteur du contenu de l’entretien vers sa forme et tout ce qui l’entoure, ou, pour le dire vite, du texte vers le contexte et le para-texte, comme autres signifiantes, mais aussi à déplacer le regard de l’explicite vers le latent.] (Memmi, Arduin, 1999, p. 134). En effet, au lieu de chercher vainement la neutralité, il est plus judicieux d’analyser la situation d’enquête [(…) comme une situation d’examen, une sorte de procès, où les enquêtés se sont et se savent toujours mesurés à une norme.] (Mauger, 1991, p. 131)89, étape indispensable pour accéder à la compréhension des enquêtés, à leur système de

86 Je ne voulais pas prendre le risque qu’ils emploient ces termes durant l’entretien alors que c’est moi qui les

avait introduits. J’ai essayé de faire une présentation simple, tout en étant au plus près de la vérité.

87 A la première prise de contact, un seul enquêté a voulu des précisions, je lui ai dit, peut-être maladroitement,

que je voulais savoir s’il avait une technique de travail particulière, s’il utilisait beaucoup de machines agricoles. Et deux enquêtés m’ont demandée si j’avais besoin de documents administratifs. Je leur ai répondus que non, uniquement leur discours et leur vécu. Ce qui a fait rire un des deux et qui m’a dit : « Mon vécu sera pas long, je

suis un jeune éleveur » (Sébastien, entretien n°50, la trentaine).

88 Enquêteur et enquêté ont leur propre définition de la situation d’enquête, chacun des deux cherchant à imposer

la sienne et c’est de cette façon que doit être analysée la relation d’entretien. Néanmoins, [De façon générale, la situation d’enquête peut être définie comme la rencontre entre une « offre de parole » (un témoignage, des informations, un point de vue, une opinion, un récit de vie sollicités) et une « disposition à parler ».] (Mauger, 1991, p. 130). A cela s’ajoute une autre définition de la situation d’enquête, celle d’une [situation d’examen réciproque] (Ibid). La définition de la situation que donne l’enquêteur à l’enquêté consiste à la recherche d’un équilibre [(…) entre identification et extériorité, entre connivence et distance, entre déférence et condescendance, entre une définition officielle, publique, de la situation d’enquête (« pour la science », « pour la cause ») et une définition privée (conversation, confidence).] (Ibid, p. 130-131). Et [Faire un bon entretien suppose seulement de maîtriser quelques techniques ou, pour le dire autrement, de connaître les « bonnes manières ». Ce sont ces manières d’être dans l’interaction qui permettraient à l’enquêteur de diminuer « les mécanismes de défense » de l’enquêté et de faire émerger une parole authentique. Il suffit donc que l’enquêteur soit « sympathique », ait « une bonne santé », de « la discipline », un « certain niveau de culture », un « bon moral »…] (Legavre, 1996, p. 212).

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[(…) il faut alors reconstituer la représentation que les enquêtés se font de l’enquêteur et de la relation d’enquête ou, plus précisément, analyser le processus progressif de classement de l’enquêteur par les enquêtés, la

représentations et à leurs pratiques. Il ne faut pas oublier que lorsque le chercheur réalise une enquête, il est aussi enquêté par ses enquêtés. Pour Olivier de Sardan (1995) par contre, la présence de l’enquêteur a une faible influence voire aucune sur le comportement de l’enquêté90

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Certains informateurs, sans me demander mon avis, ont préféré d’abord parler de moi aux personnes qu’ils pouvaient me faire rencontrer pour l’enquête. Je ne sais pas comment ils m’ont présentée et en quels termes ils ont parlé de l’enquête. Mais j’avais dit à ces informateurs, les mêmes propos que lorsque j’établissais un premier contact avec les enquêtés eux-mêmes, que je suis en doctorat de sociologie et que je m’intéresse, pour ma thèse, à la façon de travailler et de vivre des agriculteurs. On peut supposer que c’est dans ce sens qu’ils ont exposé mon travail. Certains informateurs m’ont simplement dit, quand c’était le cas – autrement dit la plupart du temps - que l’enquêté avait accepté sans hésitation ; un informateur, par contre m’a dit que ce n’est pas facile de trouver des personnes qui soient d’accord pour un entretien quand on mentionne que c’est dans le cadre de la thèse, ce dernier m’a néanmoins permise de rencontrer deux enquêtés (tous les deux céréaliers). Et comme pour les autres enquêtés, avant de commencer l’entretien, tout en actionnant le dictaphone, je présentais l’enquête qui était un moyen pour moi de clarifier ma démarche.