• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE II METHOLOGIE

II. 2.1.2.3 « Est-ce que vous seriez d’accord pour m’accorder un

entretien ? » : la demande d’entretien et la présentation de ses modalités

Une fois l’enquête et son cadre de réalisation - c’est-à-dire la thèse - explicités, je leur demandais ensuite s’ils seraient d’accord pour un entretien en insistant sur le temps de ce dernier puisque je leur ai dit ouvertement, au risque d’avoir un refus, que je souhaitais un créneau horaire de deux heures91 lequel s’est révélé très utile, la plupart des entretiens faisant plus de deux heures voir plus de trois heures. Parler du temps et être honnête avec celui-ci était important pour moi, par respect pour l’enquêté mais aussi et surtout car je ne voulais pas me déplacer, commencer l’entretien et ne pas pouvoir le terminer faute de temps. En outre, ne pas annoncer clairement le temps, chercher à le cacher pour que l’enquêté accepte l’entretien aurait entraîné des frustrations de ma part durant la passation de ce dernier, ce qui aurait probablement conduit à ce que je ne laisse pas l’enquêté développer librement ses propos justement par crainte de ne pas pouvoir aborder tous les thèmes. De plus [(…) l’inscription de l’entretien dans un temps long lui permet de prendre un rythme de croisière et de connaître des tournants.] (Beaud et Weber, 2003, p. 195). En bénéficiant de ce laps de temps, il est plus facilement possible d’[(…) explorer différentes pistes et abaisser progressivement le niveau de censure de l’interviewé. Celui-ci mis en confiance, a des chances de moins se surveiller, de « baisser sa garde ».] (Ibid). Il était donc nécessaire que les enquêtés ne soient pas limités au niveau du temps mais deux d’entre eux, au bout des deux heures et alors que l’interview

place qui lui est assignée dans le groupe d’interconnaissance et dans le réseau de relations sociales propre à chaque agent.] (Mauger, 1991, p. 133).

90 Il faut se méfier car quand l’enquêté est bien accueilli par le milieu enquêté, il a tendance à se considérer

comme faisant partie des leurs et a tendance à penser que sa présence ne modifie en rien la situation. Or il ne passe jamais inaperçu (Mauger, 1991).

n’était pas terminée, ont dû partir, m’obligeant à abréger l’entretien et à sélectionner les questions les plus importantes à mes yeux. Cependant la majorité des enquêtés n’a pas fait de remarque sur les deux heures demandées bien que quelques-uns aient été interpellés par ce temps ; peut-être que derrière leur étonnement, il y avait la crainte de ne pas arriver à parler autant. En outre, formuler une telle demande me permet aussi de préciser ma méthode et de la distinguer du questionnaire. Les sondages étant devenus aujourd’hui une pratique courante, il est nécessaire de dire, dès le départ, que ce n’est pas la même démarche et que l’investissement notamment en temps est plus conséquent. Une agricultrice était d’accord pour réaliser un entretien mais ne disposait pas, dans son emploi du temps, d’une plage horaire de deux heures, elle m’a donc proposée de nous voir deux fois pendant une heure, ce que j’ai bien sûr accepté. Et deux enquêtés, un éleveur dans les PO et un riziculteur dans l’Aude ont toutefois refusé de m’accorder un entretien faute de temps selon leurs propos et ne voulant pas d’entretien à la va-vite, je n’ai pas négocié le temps. Deux refus, c’est peu au vu du nombre d’entretiens que j’ai réalisé et alors que certains agriculteurs notamment les arboriculteurs et les maraîchers étaient en pleine récolte. Ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’une population qui a le sentiment d’être délaissée, entre autres par les pouvoirs publics, à qui on ne donne pas la parole et aussi mal comprise car souvent accusée de se plaindre tout le temps ou de polluer, ce qui a été clairement formulé par certains enquêtés. Ils ont donc perçu l’entretien comme une reconnaissance92

et une opportunité pour parler de leur métier93 et de ses difficultés tellement il est rare que quelqu’un d’extérieur s’intéresse à eux, qui plus est, issu de l’université94. D’autre part, [La reconnaissance, aussi limitée soit-elle,

aussi artificielle qu’elle puisse paraître, en situation d’entretien de recherche, n’est peut-être pas aussi fictive que cela.] (Demazière et Dubar, 1997, p. 279). Ainsi certains sont parvenus à surmonter les craintes qu’ils avaient et qu’ils ont parfois ouvertement exprimé, comme la peur ne pas savoir répondre aux questions de quelqu’un qui a un niveau de diplôme élevé95

, la majorité des enquêtés n’ayant pas un niveau scolaire important, un enquêté allant même jusqu’à dire qu’il ne voulait pas réaliser l’entretien, « je voulais pas te recevoir » (André, entretien n°29) mais son fils – lui-même en doctorat de sociologie - a insisté et a fini par le convaincre96. La prise de contact qu’elle soit en face en face ou par téléphone permet donc à

l’enquêteur de se faire une petite idée de la personne qu’il va rencontrer même si elle peut, au moment de l’entretien, s’avérer erronée ou du moins pas totalement exacte. En effet, on peut supposer que lorsque l’enquêté exprime ouvertement son appréhension à l’idée de ne pas savoir répondre à des questions, on peut s’attendre à devoir être plus actif et à formuler davantage de relances. Mais il m’est arrivée, durant le travail de terrain, d’avoir de faux a

priori, d’infirmer ma première perception. Il renvient à l’enquêteur de montrer à l’enquêté,

lors de la prise de contact l’intérêt qu’il porte à son discours et l’écoute que ce dernier aura de

92 Et par extension un sentiment d’existence.

93 Se considérant ainsi comme des acteurs ; ils sont en mesure de parler d’eux, de décrire leur travail et leur

quotidien, de montrer la rationalité de leurs actions.

94

Certains enquêtés ont mentionné, dictaphone éteint : « pour une fois que quelqu’un s’intéresse à nous » ou « s’intéresse aux agriculteurs ».

95 Les réactions lors de la prise de contact ont été notées à postériori sur le journal de bord et figurent dans un

encadré à chaque début d’entretien retranscrit.

96

Néanmoins, je n’ai pas ressenti, durant l’entretien, qu’il y avait eu une quelconque insistance de la part de son fils, j’ai trouvé au contraire, qu’il prenait plaisir à parler.

sa part. Par conséquent, la prise de contact n’est pas une simple formalité, fixant les modalités techniques de la rencontre (lieu, heure, durée du rendez-vous) mais elle pose les bases de la relation enquêteur-enquêté et elle a toute son importance dans l’enquête. Lors de la prise de contact, je ne parlais pas du dictaphone ni de l’aspect confidentiel de l’entretien, mais j’annonçais ces éléments au début de l’entretien, ce qui était pour moi un moyen de mettre les enquêtés en situation.

Pour ce qui est du moment de l’entretien, les enquêtés choisissaient les heures qui leur convenaient le mieux et la plupart du temps, l’interview avait lieu en fin d’après-midi, après la sieste car comme au moment de mon immersion totale sur le terrain, on était en période d’été et les températures étaient élevées, les agriculteurs se levaient tôt le matin pour aller travailler avant la chaleur et se reposaient après le repas de midi pour repartir travailler le soir vers 20h00. D’autres, moins nombreux, se sont déroulés en fin de matinée, à 10h00 ou 11h00. Outre, le créneau horaire de deux heures que j’ai souhaité, j’ai également essayé d’imposer le lieu du rendez-vous car m’intéressant à la manière de vivre, il était important pour moi, de faire, en même temps que l’entretien, un petit travail d’observation, de voir leur lieu de vie, bien que ce ne soit que de manière partielle, je ne voyais, en général, que l’extérieur de la maison et uniquement la pièce ou avait lieu l’interview. Mais cela me permettait de me faire une petite idée sur leur goût (moderne, traditionnel, les deux, sobriété au niveau des couleurs, des objets de décoration ou le contraire ou encore bien équipé au niveau de l’électroménager, présence d’un téléviseur, d’un ordinateur) et sur le style de la maison (récente, ancienne, grande, petite, à étage) pour pouvoir confronter, en partie, ce qui est dit par les enquêtés et les faits, la réalité. Quand je me déplaçais chez les enquêtés, pour la prise de contact, je ne leur demandais pas où ils désiraient que l’entretien ait lieu, essayant ainsi que ce soit envisageait comme logique que cela se passe chez eux, comme quelque chose de « naturel », [un allant de soi] (Bourdieu, 1979) comme dirait Bourdieu (1979). Et quand le premier contact se passait au téléphone, je demandais aux enquêtés qu’ils me donnent leur adresse exacte, ne leur laissant donc pas le choix de l’endroit mais ne voulant pas non que ce soit perçu comme une imposition. Je pense toutefois qu’ils préféraient que l’entretien se déroule à leur domicile, se sentant sûrement davantage rassuré dans un endroit familier et en outre, ils n’avaient pas à se déplacer même si certains enquêtés, une minorité, m’ont à ce moment là indiquée qu’ils voulaient que l’entretien se passe soit à la cave coopérative, ou au caveau, ou encore sur leur exploitation mais cela a toujours été dans des endroits calmes, sans bruit. Un entretien s’est même déroulé à mon domicile, situé à environ deux kilomètres de celui de l’enquêté en question et demandé par ce dernier, précisant que sa maison était en travaux. Pour ces enquêtés, je n’ai donc pas vu leur maison, seul leur discours permet subjectivement d’imaginer leur domicile. D’autre part, presque tous les rendez-vous étaient fixés plusieurs jours à l’avance, voire parfois une semaine avant afin que je puisse établir mon emploi du temps et remplir mon agenda. Un seul enquêté a oublié le rendez-vous. Je lui ai téléphoné, une fois que j’ai été devant son domicile, il était en train de passer les traitements aux vignes et l’entretien a été reporté quelques jours après, ce qui n’a pas eu de conséquence dans la relation enquêtrice-enquêté, je ne lui ai pas tenu rigueur de m’être déplacée pour rien.

En ce qui concerne le contexte de l’entretien, deux sortes de contexte97

sont à mentionner pour la période de l’immersion totale sur le terrain : le « micro-contexte », certains enquêtés, c’est le cas des arboriculteurs, des maraîchers et des céréaliers étaient en pleine récolte, d’autres, les vignerons et les viticulteurs, en pleins traitements, les derniers avant la récolte et les éleveurs étaient eux, par contre, plus tranquilles et plus disponibles notamment les éleveurs bovins car les animaux sont, à cette période de l’année en estive. Et le « macro- contexte », les entretiens ont eu lieu trois ou quatre mois après les élections présidentielles, voire moins pour les entretiens du mois de juin, mais aussi en pleine période de réforme de la PAC et à l’occasion d’un début de sortie de crise pour les viticulteurs et les vignerons.

II.2.1.3 Les étapes de la passation de l’entretien et la relation enquêté- enquêtrice

II.2.1.3.1 Le moment précédent l’entretien et les premières