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Les documents d'archives nous informent sur le déroulement de la procédure d'élection du trésorier, qui se définit au cours du XIVe siècle et fut fixée par la lettre des bannerets du 24 juin 1404. L'organisation politique de la ville au début de son histoire nous est connue grâce à la Handfeste de 1249, qui est la confirmation des droits de fondation de la ville par ses nouveaux seigneurs, les comtes de Kibourg. Elle apparaît d'une grande simplicité: Fribourg était soumis au pouvoir de l'empereur du Saint Empire romain germanique par ses seigneurs, successeurs du fondateur de la ville. L'autorité municipale était représentée par un avoyer (advocatus ou scultetus) – avoyer seigneurial et premier magistrat de la ville –, un conseil de vingt-quatre membres128 (jurati, puis consules), une assemblée composée par des bourgeois avec fonction

élective (universitas ou communitas)129, et six sortes de fonctionnaires (percepteur de tonlieu,

maître d'école, marguillier, portiers, sautier et pâtres municipaux)130.

L'ordonnance du 1er juillet 1347131 marqua un profond changement dans cette organisation

politique, témoignant de son indépendance accrue face au seigneur de la ville. L'assemblée électorale annuelle fut fixée à la fête de Saint Jean-Baptiste: à l'avenir les offices y seront renouvelés chaque année. Le dimanche précédant le 24 juin, un corps électoral composé des trois bannerets132 et 60 bourgeois (20 par bannière, choisis par les bannerets respectifs), élisait

127 RD VII, 487, 490.

128 Le Conseil des Vingt-Quatre est le plus ancien des conseils. Il naquit des burgenses majores, qui à l'origine

étaient les seigneurs allodiaux réunis par le fondateur dans la ville, puis des hommes enrichis dans le commerce et l'artisanat. Le Conseil était présidé par l'avoyer, mais il pouvait prendre des décisions sans sa participation. Avoyer et Conseil administraient et légiféraient, étaient juges de justice publique ou de composition (DUPRAZ, "Les

institutions politiques", p. 98-101).

129 L'assemblée des bourgeois était aussi chargée de voter les objets qui lui étaient soumis par l'avoyer et les

Conseils; elle recevait en bourgeoisie mais n'avait pas de pouvoir de juridiction.

130 DUPRAZ, "Les institutions politiques", p. 94-111. 131 AEF, Affaires de la ville, A 37; RD III, 171.

132 Les bannerets, originairement les chefs militaires des trois quartiers de la ville (Bourg, Auge et Hôpital),

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à la majorité les Vingt-Quatre, les Deux-Cents133 et le trésorier parmi les utiliores et communiores

de la ville et de ses Terres. Les noms des élus restaient secrets jusqu'au 24 juin, d'où le nom de dimanche secret. L'assemblée des bourgeois, réunie le jour de la Saint-Jean par la cloche communale, s'ouvrait par la proclamation des noms des élus du dimanche précédent. Puis les bourgeois procédaient à la désignation de l'avoyer, des trois bannerets et des autres officiers. Les mandats étaient d'un an et les charges pouvaient être renouvelées. Les élus qui refusaient de prêter serment, étaient punis par le ban de la ville pour la durée d'un an et une amende de 10 livres.

En 1370134, l'admission dans l'assemblée électorale fut réglementée: désormais elle était

composée seulement par des bourgeois ou des habitants choisis par l'autorité, pour leur respectabilité reconnue. Des amendes furent aussi prévues pour ceux qui ne respectaient pas le bon déroulement des élections.

L'ordonnance constitutionnelle du 20 avril 1387135, dictée par un contexte de guerre,

remplaça le Conseil des Soixante par un groupe de douze magistrats avec des pouvoirs très étendus. Les Douze étaient élus le jour de la Saint-Jean par les trois bannières; chacune devait élire ses quatre magistrats et son propre banneret. Ce document limita aussi le cumul des charges, en statuant l'attribution d'au maximum un office public par personne, alors que les officiers qui n'accomplissaient pas leur devoir pouvaient être destitués à tout moment.

Le 25 juillet 1389136, la constitution de 1347 fut réadoptée, alors que trois ans plus tard, en

mai 1392, le système électoral fut nouvellement précisé137. Le mardi de la Pentecôte, trois

hommes idoines des Hôpitaux, deux du Bourg et deux de l'Auge étaient élus par les bannerets et les Soixante. Ces sept notables, avec les trois bannerets, étaient chargés de désigner, le samedi, veille du dimanche secret, les bourgeois qui le lendemain éliraient le Conseil des Vingt-Quatre, les Soixante et le trésorier, en remplaçant les Soixante dans l'exercice de cette fonction. En plus, les participants à la journée électorale du 24 juin étaient choisis par un autre groupe de convocateurs, quatre par bannière, élus eux aussi le mardi de la Pentecôte.

Ce développement constitutionnel continu aboutit, au début du XVe siècle, à l'ordonnance qui est connue sous le nom de lettre des bannerets. En effet, elle a été conservée en quatre exemplaires consignés aux bannerets de la ville, qui ont augmenté leur nombre à quatre avec l'incorporation du quartier de la Neuveville138. Le système électoral établi par cette dernière

constitution resta en vigueur jusqu'en 1798, avec des changements dans sa forme, mais sans jamais modifier le texte de référence, qui était lu devant l'assemblée à chaque Saint-Jean.

133 Le Conseil des Deux-Cents – première apparition dans un document du 18 novembre 1334 (RD I, 131) –

était une assemblée communale réduite (DUPRAZ, "Les institutions politiques", p. 101-102). 134 RD IV, 239.

135 AEF, Affaires de la ville, 589; RD V, 286. 136 RD V, 295 et 296.

137 AEF, Affaires de la ville, A 119; RD V, 308.

138 La première mention du quartier date de 1271, alors que la présence d'un banneret est attestée dès 1402;

Jacquet Aymonot détint cette charge jusqu'en 1405 (cf. GENOUD Geneviève, Histoire de la Neuveville, de la création

LE TRESORIER. NAISSANCE D'UN OFFICE PUBLIC A FRIBOURG

33 L'ordonnance adoptée le 24 juin 1404 promulgua que les électeurs du dimanche secret – les Soixante et vingt autres hommes idoines par bannière – devaient être appelés par les bannerets et deux convocateurs par quartier. Ensuite, les électeurs désignaient à la majorité des voix, les Vingt-Quatre, les Soixante et le trésorier pour la nouvelle législature139. Le 24 juin, l'assemblée

composée de bourgeois et de résidents convoqués par quartier – par les bannerets et quatre convocateurs élus le mardi de la Pentecôte – nommait l'avoyer, le bourgmestre, les bannerets et le grand sautier140. Après la lecture des ordonnances constitutionnelles, chaque officier élu

prêtait son serment de fonction et jurait de ne se laisser corrompre par personne. Celui qui refusait son office, ou ne prêtait pas serment, était condamné à payer 100 livres d'enon et banni de la ville pour dix ans141. Le trésorier, avec l'avoyer et le bourgmestre, était l'un des officiers

nommés parmi les Vingt-Quatre.

Pour toute la période concernée par notre étude, l'élection du trésorier se déroula de la même façon. Il n'était pas élu par la communauté des bourgeois, mais il était choisi par un groupe restreint de 144 personnes. La procédure commençait le mardi de la Pentecôte avec le choix des convocateurs. L'élection avait lieu le dimanche secret en présence des Soixante, des bannerets et vingt autres hommes idoines par quartier, mais son nom était proclamé seulement lors de la journée électorale du 24 juin. Après avoir prêté serment de fidélité à la constitution, il prononçait la formule de fonction qui nous a été transmise par deux "Livres des serments"142 du XVe siècle:

Item ly tresorey doit jurer de menar son office bien et leaulmant, et de rendre bon compte et

leaul, et de tout quant qu'il recevra et qu'il delivreraz, et de gardar l'argend de la ville per son

poir, auxi que il non feraz a faire, nul maisonement sain la voluntey de monseigniour l'avoyé, et

deis Consel, mas que jusque a C s. laus. et se il sat nul qui pregnie ne marrin ne pierra, chau ou

autre chose, que cen il nottiffiera ou burgermeister.

139 "[...] ly quels banderet, LXta et ly autres prod'omes qui enqui serunt convoqueiz, devent jureir incontinant

sus les sains evvangielles que avent qui despartent d'ensemble de celle place, que il eslirrent et mettrent communelmant por l'ant seguant avenir, lo consel, lo tresorier et les LXta de nostre ville, c'est a savoir les melliours

et plius profeitables de nostre ville, solong cen que in chascon de lour se cognestra, solong so escient et

conscience, et que ceste election ne se feraz per don, per loyer, per amour ne per proire, forsque in pure veriteiz. Et tot quant qui seraz eslit per lo plius de cellours ensemble amasseiz ly minour partie devra attenir sain contredire. Et cil qui seront eslit per cellui jor ne devrent per cellui mesme estre descovert ne manifesteiz jusque

lo jor de la Nativiteiz saint Johant Baptiste in l'egliese de saint Franceis." (UTZ TREMP, "600 Jahre Vennerbrief",

p. 66-67).

140 Le jour de la Saint-Jean 1404, étaient présents 940 hommes, sur une population d'environ 4'000 habitants

(UTZ TREMP, "600 Jahre Vennerbrief", p. 43, 70).

141 Voir ordonnance du 24 juin 1396 "Pour reffuseir les offices" (PCL, 112).

142 AEF, Affaires de la ville, A 139, A 322. Le premier document de 1428-1429 (pour sa rédaction cf. CT 51

(1428/I), p. 11), nous transmet deux versions en français et une en allemand (p. 27, 52). Le deuxième, daté par Peter Rück vers 1483 (Peter RÜCK, "Das Staatsarchiv Freiburg im 14. und 15. Jahrhundert", Freiburger Geschichtsblätter, 55 (1967), p. 235-279), contient une version dans les deux langues (p. 35). Le contenu des

différentes versions ne change pas, la divergence est purement linguistique ou phonétique. On donne ici l'édition de la formule la plus ancienne. Les "Livres des serments" (Eidbücher) étaient des livres d'appoint pour le

déroulement de la journée du 24 juin. Ils contiennent, outres les serments des fonctionnaires, le texte de la constitution de 1404 avec son complément de 1407.

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Formule de fonction prononcée par les trésoriers de Fribourg, contenue dans le Livre des serments de 1428-1429 (AEF, Affaires de la ville, A 139).

35 Si chaque année, à la fête de Saint Jean-Baptiste, on procédait à l'élection ou à la réélection du trésorier, son mandat, à partir de 1413, pouvait être renouvelé seulement pour trois années consécutives. Le magistrat qui arrivait au terme de ses trois années de service, pouvait être réélu après une interruption d'au moins une année. Cette ordonnance, datée du 28 décembre 1413 et confirmée le 12 juin 1416143, visait à empêcher une immobilité dangereuse dans

l'attribution de certains offices publics et favorisait la transmission du savoir-faire du métier. Les documents attestent la présence de lieutenants qui aidaient les trésoriers dans l'accomplissement de leur travail et qui, en cas de décès du magistrat en charge, reprenaient sa place pour le mandat en cours. Ces collaborateurs, élus à la Saint-Jean en même temps que les autres officiers, étaient parfois nouveaux à cette fonction, parfois d'anciens trésoriers. La majorité des lieutenants occupèrent, tôt ou tard, la charge de trésorier.

L'importance et la spécificité de l'office du trésorier est prouvée déjà par l'ordonnance constitutionnelle de 1347: sa nomination avait lieu lors du dimanche secret, tandis que les autres fonctionnaires étaient élus à la Saint-Jean; en plus, lorsque le texte énumère les charges publiques de la ville, après l'avoyer et les conseillers, le texte ajoute: "burserii et omnia alia officia", en donnant une place prioritaire à l'office de trésorier, seul fonctionnaire cité. Sa charge était donc considérée d'une grande importance pour le bon déroulement de la vie politique et sociale de la ville.