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1.2 Élastomères et renforcement

1.2.5 Un modèle récent de renforcement

La nature viscoélastique du comportement mécanique des élastomères se manifeste par une dépendance marquée de la réponse du matériau vis-à-vis de la vitesse de dé-formation et de la température [62]. La dépendance du module élastique en fonction de la température est représentée sur la gure (1.7). Ces deux facteurs peuvent être re-liés avec une certaine approximation par le principe d'équivalence temps-température, qui permet de construire une courbe maîtresse à partir d'essais réalisés à diérentes températures et fréquences, situés dans un domaine expérimental limité. Une extension du domaine est envisageable lorsque l'on connaît une propriété caractéristique de la viscoélasticité du matériau appelé  facteur de glissement , noté aT. La gure (1.8) schématise le principe d'obtention d'une courbe maîtresse à partir des mesures expéri-mentales d'isothermes.

L'approche phénoménologique de Williams-Landel-Ferry de 1955, introduisant la relation W LF , peut être utilisée pour modéliser l'évolution du facteur de glissement au-dessus de Tg [62,134] :

log aT = − C1(T − T0)

C2+ T − T0 (1.41)

avec

∗ C1 et C2 des coecients universels dans la théorie W LF , mais en fait dépendant souvent des matériaux,

∗ T0 une température de référence choisie arbitrairement ; en règle générale, on prend T0 = Tg ou T0 = Tg + 50 K, ceci conduisant à une translation de 3 à 10 K pour une décade de fréquence.

log G' (Pa) 20 K T-Tg (K) 109 0 106 Module vitreux Module caoutchoutique

Fig. 1.7:Variation du module élastique G′

d'un polymère en fonction de la température. Le module chute de 3 ordres de grandeur sur une plage de température de l'ordre de 20 K. À la température de

transition vitreuse Tg du polymère, la variation du module G′

avec la température est maximale.

0 T0 T T0 COURBE MAITR ES S E ISO THERMES T2 < T1 T1 < T0 T3 > T0 T4 > T3 T0 log (s) log (s) Extension du domaine expérimental

Facteur de glissement Extension du domaine expérimental domaine expérimental log (aT 0 ) log (a T0) log (t/a T) T 0 = température de référence log (t)

Fig. 1.8:Principe d'équivalence temps-température. Isothermes log(σ) vs. log(t) et courbe maîtresse

de la loi WLF. T0est pris comme température de référence. L'extension du domaine expérimental est

Nous avons reporté dans le tableau (1.3) des valeurs de C1 et C2 pour quelques po-lymères ; les  constantes universelles  correspondent aux valeurs de la théorie W LF . La conversion de l'énergie mécanique en chaleur, ou hystérèse, est un aspect très

impor-Polymère C1 C2 Tg(K) Caoutchouc naturel 16,7 53,6 200 Polyisoprène (Hévéa) Polyisobutylène 16,6 104 202 Élastomère polyuréthane 15,6 32,6 238 Polystyrène 14,5 50,4 373 Polyéthyl méthacrylate 17,6 65,5 335  Constantes universelles  17,4 51,6

Tab. 1.3: Composantes C1et C2intervenants dans la loi WLF pour diérents polymères. La température de transition vitreuse Tg est également indiquée.

tant du comportement dynamique des matériaux viscoélastiques [140]. L'hystérèse est la perte d'énergie mécanique par unité de volume et par cycle ; elle est reliée au module de perte G′′ et au facteur de perte tan δ. De nombreuses applications nécessitent des élastomères à l'état caoutchoutique. Dans cet état, dans le domaine des faibles défor-mations (i.e. inférieures à λ = 1,5), le module élastique est considéré comme linéaire. Pour de plus grandes déformations, on observe un comportement non linéaire mis en évidence sur la courbe de contrainte-déformation de la gure (1.1-b).

Nous présentons dans cette dernière partie consacrée au renforcement un modèle récent développé au sein du groupe. On insiste ici sur les décalages de température de transition vitreuse induits par les interfaces [8, 10, 11, 125, 146]. On considère une dispersion de billes de silice monodisperses d'un diamètre de l'ordre de 50 nm environ réparties au sein d'une matrice élastomère. Pour des fractions volumiques de 20 %, les billes sont bien dispersées : elles ne se touchent pas, l'écart entre deux billes premières voisines étant approximativement de l'ordre de quelques dizaines de nanomètres (60 nm pour des billes de 50 nm de diamètre ordonnées sur un réseau CFC). Les interactions entre le polymère et les billes sont considérées comme fortes (le polymère étant greé chimiquement aux billes de silice). Ainsi, il est établi qu'à une distance z des billes, la température de transition vitreuse Tg(z)est supérieure à la température la température de transition vitreuse Tg de la matrice polymère :

Tg(z) ≈ Tg à 1 +µ β z ¶1/ν! (1.42) où ν ≈ 0,88 et β de l'ordre de 1 nm pour de très fortes interactions (sa valeur dépend de la densité de greage). Ces décalages de température de transition vitreuse correspondent à des changements des propriétés viscoélastiques de plusieurs ordres de grandeur à des distances de quelques dizaines de nanomètres [125]. Près des charges, la température de transition vitreuse Tg est supérieure à la température T de la matrice : le polymère est vitreux. Chaque particule est donc entourée d'une couche (ou coquille) vitreuse

représentée gures (1.6) et (1.9) dont l'épaisseur eg dépend de la fréquence de mesure ω et de la température T (puisque Tg elle-même en dépend). L'épaisseur eg de cette couche vitreuse se déduit de l'équation (1.42) et est donnée par :

eg(T, ω) = β µ Tg(ω) T − Tg(ω)ν (1.43) G z e 106 109 T z e T a) b) Tg-matrice

Fig. 1.9:(a) Variation du module G′

en fonction de la distance à la surface de la particule solide. (b) Variation de la température en fonction de la distance à cette même surface.

Régime haute température. D'après l'équation (1.43), à haute température, les couches vitreuses sont de faible épaisseur devant les distances typiques entre particules, si bien qu'elles ne se recouvrent pas. Le module chute brutalement (de 109à 106Pa typi-quement) lorsqu'on franchit la Tgen s'éloignant des charges, c'est-à-dire pour l'épaisseur eg. Le polymère est donc inniment rigide au sein des couches vitreuses comparé à la matrice élastomère prise à la même température. La fraction volumique de particules so-lides peut alors s'écrire sous la forme d'une fraction volumique eective charge + couche vitreuse : φe = φ · 1 +β a µ Tg(ω) T − Tg(ω)ν¸3 (1.44) avec a le rayon des billes de silice. On dénit le renforcement R comme le rapport entre le module G de l'élastomère chargé au module de la matrice élastomère :

R(φ, T, ω) = G(φ, T, ω)

G(φ = 0, T, ω) (1.45)

Dans l'approximation d'une matrice incompressible, on peut écrire une expression de type Guth et Gold [75] :

R0(φ) = 1 + 5

2φ + F (g(r), φ) φ

où F est une fonction de φ et de la fonction de corrélation de paire g(r) des particules de silice. Cependant, les résultats représentés sur la gure (1.11) montrent que la modi-cation de la dynamique du polymère dépend de la température. De plus, c'est un eet à longue portée, comparable à la distance interparticulaire. On peut réécrire l'expression du renforcement d'après Berriot et coll. [8,11] selon l'expression suivante :

R(φ, T, ω) = R0e) = R0 Ã φ · 1 +β a µ Tg(ω) T − Tg(ω)ν¸3! (1.47) Autrement dit, dans le régime haute température et pour des charges bien dispersées (i.e. assez éloignées les unes des autres), le renforcement provient de l'eet géométrique de volume exclus entre particules et couche vitreuse au sein de la matrice.

Régime proche de Tg. Dans le cas où la matrice a une température légèrement supérieure à sa température de transition vitreuse Tg, le module G peut varier de plusieurs ordres de grandeur (voir gure 1.7) et ceci sur des distances très inférieures au diamètre des particules renforçantes, représenté sur la gure (1.10). À une distance z des billes, le module élastique G du polymère dépend de la Tg(z) locale selon une loi de la forme G(z) = G(T − Tg(z)) où (T − Tg) représente le module élastique d'un polymère.

G’(z)

z

109 Pa

T = Tg (z)

Fig. 1.10: Variation du module élastique G′

d'un polymère en fonction de la distance entre charges (les distances sont exagérées sur le dessin).

Étant donné un tel gradient de module élastique, la déformation est localisée à mi-distance des charges et le module élastique du matériau est lié au module élastique à mi-distance de ces dernières. Dans ce régime, le contraste entre le polymère et les charges est maximal et le renforcement doit donc varier de manière vertigineuse pour une gamme de température très étroite. Cette variation est représentée en détail sur la gure (1.11), montrant deux courbes typiques de renforcement, pour deux fractions volumiques de charges φ de particules de silice. Le maximum de renforcement observé est d'autant plus grand que la fraction φ est élevée, ceci pour une température Tmlégèrement supérieure

à Tg. Cette température de renforcement maximal dépend de φ. Pour des températures supérieures à Tm, le renforcement décroît lentement avec la température, au moins jusqu'à Tg + 100 K. Ces hypothèses et des résultats expérimentaux notamment de

220 240 260 280 300 320 340 360 380 400 1 10 100 R ( T , φ) T (K) φ = 16 % φ = 9,16 %

Fig. 1.11:Renforcement en fonction de la température pour un élastomère renforcé par des particules de silice. Le renforcement présente un maximum pour une température de 10 à 15 K au-dessus de la température de transition vitreuse de la matrice caoutchoutique. Au voisinage de cette température, il diminue de près de deux ordres de grandeur pour une variation en température de seulement 10 K

(d'après [8]).

RMN1H [8, 11, 122, 123, 124, 131] sur l'épaisseur de la couche vitreuse amènent aux conclusions suivantes :

∗ la dépendance en température du renforcement n'est pas due à la percolation du réseau de charges solides,

∗ les changements de la dynamique induits par les interfaces sont à longue portée, ∗ la portée de ces eets dépend de la température selon l'équation (1.43).

Pour résumer, l'ensemble des caractéristiques discutées dans ce paragraphe telles que le concept de  réseau de charge , de  polymère occlus  et de  caoutchouc lié , dépend de l'ecacité du processus d'incorporation des charges. Ces diérents aspects sont à la base de l'interprétation du comportement viscoélastique des élastomères char-gés. Il y a cependant des limites aux théories précédentes : le processus de renforcement est bien plus complexe. On peut citer en exemple la variation du module des mélanges charge-élastomère avec l'amplitude de la déformation dynamique utilisée pour la mesure, phénomène connu sous le nom d'eet Payne, caractéristique des élastomères renforcés.

1.3 Phénomènes de dissipation d'énergie propres aux