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1.3 Phénomènes de dissipation d'énergie propres aux systèmes renforcés

1.3.2 L'eet Mullins

Dénition. L'eet Mullins (dont le nom vient des travaux eectués par Mullins en 1947) [155, 156,158,159] apparaît aux assez grandes déformations, où les élastomères chargés se caractérisent par une modication importante de leur courbe de traction après une première extension. À la suite d'un premier cycle de déformation (traction et décharge), si on étire à nouveau cet élastomère renforcé, il présente un  ramollissement de contrainte  : c'est l'eet Mullins dont une représentation est donnée sur la gure (1.17) ci-dessous. 3.0 2.5 2.0 1.5 1.0 0.5 σn (M p a ) 2.0 1.8 1.6 1.4 1.2 1.0 λ 1 2 3 4 5 1ère traction 2ème traction

Fig. 1.17:Courbes représentatives de l'eet Mullins. Échantillon de polyisoprène renforcé par 30 pce de noir de carbone. Température ambiante, vitesse de déformation de 0,1 mm/s.

Interprétation de l'eet Mullins. L'interprétation de cet eet est toujours mal comprise et fait l'objet de nombreux débats [7, 23, 50, 95]. L'eet Mullins dépend

en premier lieu d'associations extrêmement complexes dans les élastomères renforcés qui résultent du processus de fabrication. Les chaînes polymères forment une matrice après réticulation chimique. Ces interactions chimiques semblent perdre de leur ampleur après l'étape de refroidissement de l'échantillon. De plus, un second réseau (physique) est dû à la formation d'enchevêtrements et de liaisons polymère-charges et charges-charges. Il est assuré que ce réseau plus fragile peut se rompre ou glisser à la suite d'une sollicitation mécanique, donnant naissance à l'hystérèse et au ramollissement de contrainte observé lors des expériences de mécanique. Les principales explications de l'eet Mullins sont les suivantes :

∗ la rupture ou glissement de liens chaînes polymères-particules renforçantes lors de la première traction [38],

∗ le nombre de points de réticulation  ecaces  et donc de chaînes élastiques diminue, ce qui explique cet abaissement de la contrainte lors de la deuxième traction.

De plus, l'eet Mullins est contrôlé par la distribution des longueurs de chaînes entre particules, ainsi que par la force des interactions charges-matrice polymère. L'eet Mul-lins n'est recouvrable que partiellement à température ambiante et ceci sur des temps très longs (de l'ordre de plusieurs jours) ou en quelques heures à des températures proches de celle de la vulcanisation, n'excluant pas une rigidité retrouvée par la réacti-vation du processus de vulcanisation.

Mullins [155,159] assimile le renforcement dans cette gamme de déformation à une modication de l'élasticité par une amplication de la contrainte et de la déformation. Lors de la sollicitation, les zones pauvres en charges sont principalement déformées, ce qui augmente localement la contrainte. Expérimentalement, Yatsuyanagi et coll. [251] montrent par des études en microscopie électronique à transmission (MET) la rupture du réseau secondaire (agglomérats) durant la déformation. Une réorganisation du réseau de charges sous l'eet de la traction est également observée par AFM (Microscope à Force Atomique) [130] et par une augmentation de la conductivité dans la direction de la traction avec des mélanges chargés de noirs de carbone [141].

En considérant que la matrice subit localement de fortes déformations, certains au-teurs interprètent l'eet Mullins par des phénomènes faisant intervenir essentiellement les chaînes de polymères. Bueche [23] l'interprète comme la rupture des chaînes atta-chées sur des particules adjacentes. Du fait de la distribution en taille des chaînes inter-particulaires, à chaque déformation, un certain nombre de chaînes atteignent leur limite d'extensibilité. Les chaînes cassées lors de la première déformation ne participent donc plus aux déformations suivantes, ce qui expliquerait l'adoucissement de la contrainte observé pour deux tractions successives.

En considérant des phénomènes à l'interface entre la charge et la matrice, Kraus [103] propose un mécanisme impliquant le glissement des segments de chaînes adsorbées à la surface des charges sous l'eet de la déformation [15], mécanisme représenté sur la gure (1.18). Ce glissement permet au réseau d'accommoder la déformation appliquée et prévient ainsi la rupture. Durant ce processus, la contrainte est alors redistribuée sur les chaînes voisines. La redistribution de contrainte entraîne un alignement des molécules et une résistance supplémentaire à la déformation. Ce comportement implique deux

a) b)

Fig. 1.18:Mécanisme de l'eet Mullins impliquant le glissement des segments de chaînes adsorbées sur la surface des charges sous l'eet de la déformation. (a) Système non déformé. (b) Système déformé montrant l'extension maximale, le glissement et la désorption des chaînes à la surface des charges. phases : tout d'abord les chaînes emmagasinent de l'énergie qui est ensuite restituée lors du glissement conduisant à un comportement hystérétique. La présence éventuelle de liaisons chimiques entre la charge et la matrice impliquerait aussi la rupture des chaînes sous l'eet de la déformation [12].

D'autres travaux de Bokobza et Monnerie eectués sur des chaînes de PDMS renforcées par des particules de silice vont dans ce sens [33]. Leur interprétation de l'eet Mullins est la suivante : lors de la première traction, il y a rupture ou glisse-ment de liens chaîne-silice. Le nombre de points de réticulation  ecaces  et donc de chaînes élastiques diminue, ce qui explique cet abaissement de la contrainte lors de la deuxième traction. L'eet Mullins serait alors contrôlé par la distribution des lon-gueurs de chaînes entre particules, ainsi que par la force de l'interaction charges-matrice. Expérimentalement, de récents travaux [107] utilisant des techniques de biréfrin-gence, montrent l'existence d'une orientation moléculaire induite par la traction. Ils mettent aussi en avant la présence de chaînes courtes ou fortement étirées ne répondant plus à la statistique gaussienne durant la déformation. Ces mesures montrent aussi une orientation plus forte des chaînes en présence de liaisons covalentes entre la charge et la matrice. Pour conclure, Lapra [107] montre qu'à orientation égale la contrainte est plus forte dans un système chargé que dans la matrice seule.

Au cours de ma thèse, j'ai pu mettre en évidence un eet Mullins relativement important au sein des échantillons étudiés, notamment lors des expériences de mécanique réalisées au chapitre (3.3.2.3). On a étudié notamment la recouvrance de cet eet à la suite de traitements thermiques. Notre interprétation de cet eet est multiple. Elle repose dans un premier temps sur des considérations de couche vitreuse et de ponts vitreux qui se brisent lors de déformations successives des échantillons (voir partie5.4.1). Dans la partie (4.3.6.2), nous montrons également, via des résultats de diusion de rayons X aux très petits angles, que la réorganisation du réseau de charges solides semble contribuer à l'eet Mullins [52].

L'étude de l'eet Mullins apporte des informations sur les mécanismes microsco-piques pouvant intervenir durant la déformation sous traction. Les mécanismes mis en jeu sont assez proches de ceux décrit pour l'eet Payne. Cependant, dans cette gamme de déformation conduisant à la rupture, le phénomène d'endommagement est rarement considéré.