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Le modèle monétariste du FMI

Dans le document Pablo DAVALOS AGUILAR (Page 78-82)

S ECTION II L’ÉCONOMIE POLITIQUE DU MONÉTARISME

II.3. Le monétarisme : l’approche monétariste des échanges mondiaux

II.3.2. Le modèle monétariste du FMI

Il convient pourtant d’analyser de plus près l’approche monétariste du FMI, cadre général de la mise en œuvre de la politique monétaire et de la politique fiscale des programmes d’ajustement structurel. Il y a eu, bien sûr, des versions et des changements dans la vision de l’approche monétariste des flux internationaux (Edwards, 1989), mais il est important de comprendre d’abord le cadre général développé par Jackson, Pollock et Alexander (FMI, 1986; Khan, Montiel, & Haque, 1990), puisque toute l’intervention des programmes d’ajustement est issue de ce cadre théorique.

La première démarche de l’approche monétariste des balances des paiements représente un changement méthodologique dans la manière de comprendre les agrégés macroéconomiques (FMI, 1986). En effet, selon les théories du développement, la consommation sociale détient une fonction économique en rapport constant avec les revenus de la population et avec les niveaux d’emploi (Esser, 1993). Entre tous ces éléments se tissent des relations économiques complexes, sur la base du concept économique du multiplicateur (Esser, 1993). La situation est similaire pour l’investissement qui a toujours été considéré dans une relation inverseaux niveaux des taux d’intérêt (Rodríguez O. , 2006).

Par contre, pour l’approche monétariste des balances des paiements (FMI, 1986), les relations macroéconomiques complexes disparaissent et deviennent des agrégés comptables. La consommation (C), l’investissement (I) et les dépenses du gouvernement (G) sont agrégés et qualifiés d’« absorption » (A) (FMI, 1986). Cette « absorption » est la description comptable de la production économique intérieure du pays sans sa balance des paiements. La méthode qui en découle sera appelée la méthode de l’absorption, selon laquelle : A = C + I + G (FMI, 1986).

Il est possible de penser qu’il s’agit d’un processus théorique légitime, mais il faut aussi comprendre les enjeux politiques qui en dérivent. L'approche monétariste des balances des paiements comprend la production nationale de deux manières : celle en rapport avec la production du marché intérieur, l’« absorption », et celle en rapport avec

le marché mondial, en l’occurrence la balance des paiements (FMI, 1986). Cela s'exprime de la façon suivante :

Y = A + CA (1)

Y est le revenu national (le PIB), A est l’absorption et CA est le compte courant de la balance des paiements. Une transformation comptable permet d’établir une relation directe entre les agrégés extérieurs, c’est-à-dire la balance des paiements, le revenu national et l’absorption de la façon suivante :

CA = Y – A (2)

Cela veut dire que la balance des paiements est en rapport direct avec la production intérieure (FMI, 1986). Si le secteur interne de l’économie augmente, cela entraine directement une diminution des avoirs de la balance des paiements. Par conséquent, selon cette approche (FMI, 1986), les avoirs en devises n’ont aucun rapport avec les marchés financiers mondiaux et encore moins avec leurs crises. Tous les phénomènes des marchés financiers mondiaux y sont neutralisés et en plus n’ont aucune importance dans l’équilibre des balances des paiements.

D’après cette approche théorique, nous pourrions comprendre que la crise de la dette extérieure latino-américaine des années 1980 n’avait aucune relation avec les euromarchés, la crise du système de Bretton-Woods, le choc pétrolier, etc. L’identité comptable des balances des paiements se présente de la manière suivante :

R = CA + FI (3)

R sont les réserves nettes en devises, et FI le financement international (dette extérieure). L’approche monétariste utilise le cadre comptable pour faire des corrélations arithmétiques qui ont peu de rapport avec les démarches théoriques de l’économie politique du développement (FMI, 1986). En utilisant ce « bricolage comptable », il est possible d’établir un rapport entre les réserves nettes en devises (R) et l’absorption, de la façon suivante :

L’identité (4) veut dire que les réserves nettes en devises (R) sont le résultat de la production intérieure nette (A) et de son besoin de financement par le biais de la dette (FI). La production nationale intérieure (A) va donc exercer une pression sur la dette extérieure pour se financer et en même temps sur la disponibilité des capitaux dans les réserves nettes (R).

Alors si « l’absorption » croît et si en plus il existe une contrainte sur le crédit extérieur, comme cela était le cas durant la crise de la dette de 1982, les réserves nettes en devises vont tout de suite diminuer et le pays ne pourra pas financer ses importations et son service de la dette (FMI, 1986). Nous nous trouvons alors dans le cas d’une crise de la balance des paiements (Haggard, 1985). Une crise qui, selon cette approche, n’a aucun rapport avec la géopolitique du capitalisme et ses troubles. La crise est liée aux conditions internes de la croissance (IMF, 1997). C’est la qualité de la croissance économique qui, dans ce modèle, a un lien avec l’équilibre de la balance des paiements.

Pourtant, l’approche monétariste sur les échanges internationaux mène à une impasse car toute stratégie de croissance économique va entrainer les réserves nettes de devises vers un déficit (Desai, 1989). Il faut par conséquent trouver la manière de sortir de l’impasse du modèle, c’est-à-dire enclencher la croissance sans nuire à la balance des paiements. Le modèle du FMI différencie la croissance des biens pour le marché mondial de celle des biens produits pour le marché intérieur. Les premiers vont être appelés biens échangeables (tradeable goods), et les autres, biens non échangeables

(nontradeable goods) (FMI, 1986).

Le modèle vise les biens destinés au marché mondial, les biens échangeables

(tradeable goods). Le FMI considère que la production des biens échangeables (tradeable

goods) amènera la croissance et permettra en plus de renforcer les avoirs en devises des

réserves nettes internationales (FMI, 1986). La démarche théorique et sa mise en œuvre modifient de fond en comble toute la stratégie de croissance qui avait été ébauchée en Amérique latine depuis trois décennies.

Les économies latino-américaines doivent dorénavant s’orienter vers le marché mondial et oublier leur marché intérieur (Ffrench-Davis & Devlin, 1993). En plus, les biens non-échangeables (nontradeable goods) doivent être soumis aux logiques du

marché de libre concurrence. Ainsi, la politique économique, au-delà des priorités de l’austérité fiscale, doit aussi contribuer à ce changement de cap concernant la croissance. Le FMI propose un ensemble de mesures économiques issues du modèle de l’approche monétariste des balances des paiements, qui sont appelées mesures économiques de « déplacement des dépenses » (FMI, 1986), et dont la plus importante est la dévaluation de la monnaie.

L’ajustement économique, pour autant, s’exerce sur l’absorption pour empêcher son accroissement, en utilisant des politiques budgétaires d’austérité et des politiques monétaires de déplacement des dépenses, tandis qu’on laisse aux secteurs liés au marché mondial la responsabilité de la croissance (FMI, 1986). En définitive, ce que le FMI vient articuler avec son modèle économique, c’est la désindustrialisation et la mise en échec de toutes les stratégies de création de valeur ajoutée (Ocampo, 2014) ; de surcroît, le FMI conduit toute la région vers la « primarisation » de l'économie, c’est-à-dire qu'il oblige les économies latino-américaines à se délester de toutes leurs politiques d’industrialisation pour ne plus produire que des biens sans valeur ajoutée (Ocampo, 2014).

Le modèle propose d’ailleurs une démarche monétaire qui fait une différence entre la monnaie qui est censée ne pas exercer de pression inflationniste et qui est en lien avec les flux de capitaux des marchés internationaux de capitaux, et celle qui, par contre, serait censée être inflationniste : l’émission monétaire et le crédit interne (FMI, 1986). Cela peut être observé dans l'identité suivante :

Ms = R + D (5)

Ms est l’offre domestique de la monnaie et D le crédit interne, c’est-à-dire, l’émission monétaire et les crédits bancaires domestiques. À cette identité comptable, le modèle ajoute sa vision de l’inflation comme un phénomène monétaire (FMI, 1986) (Friedman, 1987) :

Md = f( Y, P, r … u) (6)

Md est la demande domestique de monnaie, Y le revenu national (le PIB), P le niveau des prix, c’est-à-dire, le taux d’inflation, r le taux d’intérêt, et u une variable stochastique. Cette équation est connue comme étant la théorie quantitative de la

monnaie élargie, et fut proposée par Milton Friedman en 1956, comme réponse de la théorie classique de l’économie aux critiques de Keynes et à sa théorie de la demande de la monnaie (Friedman, 1987).

Il faut dire que le débat sur la monnaie est l’une des discussions les plus polémiques de l’économie. L’approche de Milton Friedman inaugure ce qu’on appelle la contre-révolution monétariste, née en opposition aux théories monétaires de Keynes et de ses tenants (Desai, 1989). Cette théorie relève de la théorie quantitative de la monnaie de l’économie classique, dont la forme standard est :

Md = k Y P (7)

k est l’inverse de la vitesse de circulation de la monnaie. Cette dernière équation est aussi appelé « équation de Cambridge » et exprime l’orthodoxie de la relation entre l’inflation et la monnaie (Desai, 1989). Pour les keynésiens et les postkeynésiens, cela relève de la tautologie parce qu'elle n’explique rien du tout, ni la monnaie, ni l’inflation, et encore moins leur relation (Desai, 1989). En tout cas, le FMI récupère la théorie quantitative de la monnaie pour la mettre en rapport avec l’offre de la monnaie :

Md = Ms (8)

Dans la dernière identité, l’offre de monnaie (Ms) est toujours égale à la demande de monnaie (Md), et elle constitue une fonction des revenus, du taux d’intérêt mais aussi du taux d’inflation (la théorie quantitative de la monnaie). L’offre et la demande de monnaie sont mises en relation et pour cela, on fait entrer en jeu l'inflation comme un élément de la demande (FMI, 1986). S’il y a de l’inflation, il faut en chercher les raisons dans la demande de l’économie, c’est-à-dire, dans « l’absorption » (FMI, 1986).

Dans le document Pablo DAVALOS AGUILAR (Page 78-82)