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Le FMI et la portée stratégique de l’inflation

Dans le document Pablo DAVALOS AGUILAR (Page 69-76)

S ECTION II L’ÉCONOMIE POLITIQUE DU MONÉTARISME

II.2. Le FMI et la portée stratégique de l’inflation

L’application des programmes d’ajustement du FMI va suspendre tout débat sur la complexité de la monnaie. Il n’est alors plus question de discuter de la « monnaie endogène », ou de débattre de l’inflation par le biais de l’offre et de la production. La monnaie est complètement déconnectée de la production (Desai, 1989). Pour le FMI et la Banque Mondiale, l’inflation est le symptôme des excès commis par un mauvais modèle de croissance économique, en l’occurrence celui du développement endogène mis en place sous l’influence de la CEPAL et du structuralisme latino-américain. Le FMI et la Banque Mondiale ont profité des épisodes inflationnistes pour imposer leur approche théorique sur l’inflation comme un phénomène strictement monétaire et, à partir de là, imposer leurs prescriptions normatives.

En effet, le contrôle de l’inflation a permis au FMI et à la Banque Mondiale d'intervenir directement sur les sociétés latino-américaines et leur politique économique. Les troubles monétaires qui suivirent les événements de la crise

internationale ont été utilisés par le FMI comme un alibi contre l’État et contre les politiques keynésiennes d’industrialisation et de développement endogène mises en place par le modèle de substitution des importations.

La stabilisation macroéconomique n’était en réalité rien d’autre qu'une stratégie pour contrer l’inflation à partir d’une intervention directe sur la politique monétaire. En effet, l’inflation comme processus global était le meilleur atout pour le FMI parce qu’elle démontrait les difficultés engendrées par le modèle de développement mis en place. Les théories du FMI évitaient de faire une relation entre l’inflation et la crise du système-monde. Pour contrer l’inflation, la réponse du FMI était de contrer le modèle de développement par industrialisation. L’inflation, d’après le FMI et la Banque Mondiale, n'avait donc rien à voir avec l’offre ou avec la production mais, au contraire, était provoquée par l’irresponsabilité de l’État qui avait financé ses déficits budgétaires par l’émission monétaire et le crédit (IMF, 1997).

De ce fait, la stratégie d’ajustement économique devenait valable comme méthode pour juguler l’inflation et stabiliser l’économie. Dans cette perspective, l’ensemble du débat sur la monnaie et la production est détourné vers l’inflation, l’offre de la monnaie et l’État, coupable de l’inflation. L’État émet de la monnaie pour couvrir son déficit budgétaire, produit des dépenses générées dans le cadre d’un modèle de croissance inefficace (FMI, 1986). Par ailleurs, il s’agit d’émission monétaire sans aucun rapport avec la production et la croissance mais en relation directe avec la consommation. Il s’agit donc d’une émission de monnaie inflationniste (Sachs, Tornell, & Velasco, 1996).

Pour relancer la croissance, il fallait donc freiner l’inflation ; et pour cela, il était nécessaire de changer de modèle de croissance. Il fallait revenir au marché et à la libre concurrence pour rétablir l’équilibre monétaire perdu. Dans cette logique, l’État ne devait absolument pas administrer ni même contrôler la monnaie, car c'est un domaine où les politiciens peuvent dire à la fois tout et son contraire dans le seul but de remporter une élection, et ainsi provoquer des perturbations sur les fragiles équilibres des marchés, surtout celui de la monnaie (Sachs, Tornell, & Velasco, 1996). La monnaie devait dorénavant être administrée par le marché des capitaux qui allait ainsi lui aussi se rééquilibrer rapidement et contrer les pressions inflationnistes. Afin d’éliminer les

pressions politiques sur la monnaie, il fallait séparer la monnaie de la politique et donc de l’État. Cela pouvait se faire grâce à l’autonomie de la Banque Centrale mais avant cela, il fallait d'abord que l’État tienne ses engagements de discipline et d’austérité fiscale.

II.2.1. La privatisation de la monnaie ?

Il fallait cependant relancer le marché des capitaux qui avait été refoulé par l’activité grandissante de l’État. Il fallait lui transférer toutes les capacités d’arbitrage sur l’investissement qui étaient jusqu'alors régulées par l’État, car celui-ci ne devait plus gérer les politiques d’investissement. Celles-ci devaient être transférées vers les mécanismes de marché et s´ancrer dans l’épargne. S’il y avait de l’épargne, il y aurait des investissements (FMI, 1986). Un rapport direct est alors établi entre l’épargne et l’investissement mais toujours avec un encadrement par les marchés des capitaux. Les flux épargne-investissement étaient fixés par les taux d'intérêt en fonction des mécanismes du marché des capitaux. Donc, pour améliorer l’épargne, et par la suite l’investissement, il fallait augmenter les taux d’intérêt (FMI, 1986).

Avec cette démarche, c'est toute la stratégie de la croissance qui est transférée aux mécanismes de marché. En effet, ce sont les marchés de capitaux qui vont régler et arbitrer les décisions sur l’investissement et donc sur les taux d’intérêt ; et ce sont les mêmes mécanismes de marché qui sont censés résoudre les équilibres du marché du travail et donc de l’emploi. Le relèvement des taux d’intérêt imposé par le FMI dans les programmes d’ajustement structurel va bouleverser l’ensemble de l’économie (Taylor, 1988) mais pour le FMI, il s’agit des mouvements naturels du marché en quête d´équilibre. Si le marché parvient à cet équilibre, on sera dans une situation optimale entre l’épargne et l’investissement. L’histoire économique de l’Amérique latine va démontrer que le marché n'atteindra jamais ce point d’équilibre.

La tendance du néolibéralisme à transférer les décisions sur l'investissement, l'emploi et les taux d'intérêt au marché du capital signifie purement et simplement la privatisation de la monnaie. Bien que l’épargne soit importante pour une économie, son rapport avec l’investissement est plus complexe et pas aussi direct que le prétendent les économies classiques et néoclassiques. L’investissement, surtout dans l’approche des keynésiens et des théories critiques des doctrines néolibérales, est en lien avec la

consommation, les attentes, la productivité, la technologie, les politiques commerciales et douanières, les conditions concrètes de production telles que les infrastructures routières, énergétiques, etc. (Rodríguez O. , 2006). Dans la stratégie du développement endogène qui avait été mise en place précédemment en Amérique latine, on s’accordait sur le fait qu'un taux d’intérêt faible représentait de moindres coûts financiers pour les entrepreneurs, et donc de meilleures conditions pour la production et l’emploi.

II.2.2. La libération des taux d’intérêts

La vision de ce modèle de développement portait sur la production interne (Rodríguez O. , 2006). C’est pour cela que la stratégie du développement endogène a tenté de stabiliser les taux d’intérêt à des plafonds plus bas, afin de stimuler la croissance par le biais de la substitution des importations. De plus, des institutions de crédit public ont été créées afin d´ouvrir l’accès au crédit aux petites et moyennes entreprises, et les faibles taux d’intérêt stimulaient aussi la consommation (Rodríguez O. , 2006). Dans tous les cas, le taux d’intérêt était administré par l’État à partir de la politique monétaire et des banques centrales (Rodríguez O. , 2006).

Le FMI allait démembrer toutes ces politiques et le cadre institutionnel qui en découlait. Transférer les politiques d'investissement vers les mécanismes de marché signifie donner un poids politique plus grand aux banques privées et aux secteurs financiers car ce sont eux qui, en définitive, feront l’arbitrage sur l’investissement, la production et l’emploi.

Le programme d’ajustement structurel renforce donc la puissance et l’emprise des secteurs financiers sur l’ensemble de la société. En effet, ce sont ces secteurs qui sont les plus farouches défenseurs des programmes d’ajustement. Dans la mesure où l’État n’avait pas les moyens de financer une quelconque politique d’investissement parce qu’il n’avait pas accès au contrôle de la liquidité, et que celle-ci avait été transférée aux marchés des capitaux, il était normal que les secteurs financiers exigent la dérégulation des marchés des capitaux.

La libération des taux d’intérêt, l’arbitrage des banques privées sur l’investissement et l’autonomie de la Banque Centrale se renforçait avec la libération des politiques des taux de changes et du commerce. En effet, le FMI intégrait le taux

d’intérêt, les taux de change et l’offre de la monnaie (FMI, 1986), en une seule démarche théorique, déréglementant ainsi toute la structure économique, ce qui bouscula fortement l'ensemble de la société, avec pour résultats de très importants dégâts sociaux.

II.2.3. Les enjeux des taux de change

Les taux de change représentent un enjeu clé pour le FMI. Avec un discours axé sur la compétitivité, les taux de change vont devenir le point de jonction de la transformation de l’économie (Mussa, Masson, Swoboda, Jadresic, Mauro, & Berg, 2000). Alors que la stratégie du développement endogène envisageait le maintien d'un certain niveau de stabilité des taux de change pour créer de la confiance chez les importateurs de biens, de capitaux et d'intrants, et par ce biais garantir le processus de substitution des importations et l’industrialisation, pour le FMI, il fallait renverser cette stratégie et transférer le plus vite possible les taux de change aux marchés des capitaux (FMI, 1986).

La libération des taux de change signifiait en fait le transfert du commerce extérieur vers les marchés de capitaux. De même que les taux d’intérêt, les taux de change devraient être fixés par les mécanismes de marché (FMI, 1986). Les taux de change sont censés donner aux économies ce que le modèle du développement endogène avait cherché à développer par le biais de l’industrialisation : la compétitivité.

On a cependant toujours su que la compétitivité était un enjeu essentiel, et que pour y arriver il fallait mettre en chantier de nombreux aspects institutionnels, en particulier dans les systèmes éducatifs, la recherche scientifique et la protection commerciale, comme mesures primordiales (Rodríguez O. , 2006). Le FMI allait renverser ce débat et proposer que la compétitivité devienne uniquement un enjeu du marché mondial auquel on parvenait par la dévaluation de la monnaie qui permettrait de diminuer le coût des exportations (FMI, 1986).

L’appauvrissement d’un débat aussi complexe que celui portant sur la compétitivité d’une économie, était une démarche plus politique qu’économique et l’enjeu n’avait rien à voir avec la compétitivité ; il s’agissait plutôt de créer les conditions politiques pour pouvoir intervenir sur les taux de change et les transformer en un mécanisme de transmission de la crise (Taylor, 1988). Avec la dévaluation de la monnaie,

on altérait les rapports internes de l’économie et les rapports de pouvoir qui en découlent, tandis qu’on créait simultanément un surplus de liquidité qui servait au remboursement de la dette extérieure. En effet, la dévaluation de la monnaie allait pousser les groupes détenteurs du pouvoir économique à réorienter leurs activités vers l'exportation de biens primaires, car en plus des bénéfices directs de ce commerce, ils en tiraient une rente issue directement de la dévaluation de la monnaie.

II.2.4. L’économie politique des taux de change

Cependant, il était nécessaire d’attirer les liquidités des exportations vers le système financier domestique et, en même temps, de gonfler artificiellement la balance des paiements. Pour atteindre cet objectif, le FMI a intégré les taux de change aux taux d’intérêt. Pour attirer les flux financiers des exportations, les taux d’intérêt sont augmentés et cette technique sert d’ancrage aux dévaluations de la monnaie (FMI, 1986).

En effet, la dévaluation de la monnaie allait créer un surplus pour les exportateurs, qui allait se transformer en rente. Ils pouvaient cependant décider de placer ce surplus en dehors de l’économie nationale et donc, pour s'assurer que les exportateurs placent bien leur excédent dans le système financier domestique, les taux d’intérêt étaient relevés de manière à être supérieurs à la moyenne mondiale.

Cette rente ainsi placée à fort taux d’intérêt contribuait à créer un nouveau surplus qui s’ajoutait à celui de la dévaluation de la monnaie. Celle-là générait donc une nouvelle rente. De cette façon, les secteurs exportateurs de biens primaires pouvaient générer une plus-value qui n’avait rien à voir avec les taux de profits de l’industrialisation. Cette plus-value était plus importante que celle des secteurs consacrés à la production industrielle.

Par conséquent, les entrepreneurs ont rapidement compris que leur intérêt véritable résidait dans l’exportation et la spéculation, et non dans la production. Les entreprises exportatrices, avec les secteurs financiers, allaient devenir les défenseurs les plus férus des programmes d’ajustement du FMI. En effet, c’est de leurs rangs qu’allaient sortir les principaux cadres politiques de la région qui assureraient la gestion de la crise de la dette et des programmes d’ajustement. Grâce à cette relation entre taux de change

et taux d’intérêt, les groupes économiques qui en profitaient devenaient d'importants relais politiques du FMI dans la région (Filgueiras & Rodrigues Pinheiro, 2009). L’enjeu de la dévaluation de la monnaie liée à la compétitivité n’avait donc rien à voir avec l’économie, il s’agissait encore une fois d’un enjeu politique.

D’une manière générale, grâce à la liquidité qui provient des exportations, et qui peut s’ancrer dans le système financier domestique, un gouvernement peut en prélever une partie et l’utiliser pour rembourser sa dette extérieure en changeant ses avoirs en monnaie nationale pour de la liquidité en devises. La dévaluation peut donc gonfler de manière artificielle les avoirs de l’État. La dévaluation est ainsi censée jouer deux rôles : d'une part, elle peut créer une rente sur les exportations et, d’autre part, elle peut procurer à l’État la quantité de devises dont il a besoin pour payer la dette extérieure. Entre ces deux mécanismes, le taux d’intérêt agit comme un point d’ancrage.

II.2.5. Taux de change et offre monétaire : une liaison géostratégique

Cependant, pour le FMI et les programmes d’ajustement, le taux de change pouvait aussi jouer un rôle plus important car il permettait d'encadrer l’offre de la monnaie. De même que le taux d’intérêt pouvait servir d’ancrage au taux de change, ce dernier pouvait servir de point d'ancrage à l’offre de la monnaie. Il permettait de rattacher l’offre domestique de monnaie, non pas aux indicateurs de la production nationale, mais plutôt aux devises, notamment au dollar américain. Ce rapprochement et ce rattachement aux réserves nettes internationales pouvait se révéler stratégique pour contrôler les masses monétaires des pays et les subordonner aux enjeux géopolitiques qui se dessinaient dans l‘essor de la mondialisation (Arceo, 2009).

Il s’agissait, à n’en pas douter, d’une démarche très risquée dans un contexte de crise internationale et de récession mondiale. Mais, pour le FMI, rattacher l’offre de la monnaie aux quantités des devises que possède un pays, permettait de limiter les pressions inflationnistes et de renforcer la discipline fiscale (FMI, 1986). Dorénavant, l’offre de monnaie domestique serait faite en fonction de la disponibilité de devises dans les réserves internationales de chaque pays et, pour en disposer, il serait nécessaire d’augmenter les exportations, en utilisant pour cela la dévaluation de la monnaie (FMI, 1986).

Une démarche comme celle-ci a besoin d’un cadre théorique élargi. Le FMI va la qualifier d’« approche monétaire des balances des paiements ». Donc, pour comprendre la relation monétaire entre les économies d'Amérique latine et la mondialisation qui émerge, il faut aussi comprendre cette approche monétariste des balances des paiements.

Dans le document Pablo DAVALOS AGUILAR (Page 69-76)