• Aucun résultat trouvé

CONCLUSION DU CHAPITRE ET ARTICULATION AVEC LE

Dans le document Pablo DAVALOS AGUILAR (Page 115-124)

CHAPITRE2

La crise de la dette latino-américaine de 1982 a provoqué une transformation dans le modèle de développement de la région qui est passée d’un modèle d’industrialisation par substitution des importations assignant un rôle important à l’État, à un modèle de régulation par les marchés et le néolibéralisme comme cadre théorique. Comme le montre Lora (Lora, 2012), les changements provoqués par ce nouveau modèle non pas été contrariés par les transformations sociales et politiques dans le cadre des gouvernements du « tournant à gauche ». Les programmes d’ajustement économique du FMI ont provoqué, comme l’a qualifié Michel Camdessus, ancien directeur du FMI, une « révolution silencieuse » (Kennen, 2003). Au regard de l’expérience latino-américaine, nous pouvons souligner les points les plus significatifs de cette révolution silencieuse :

La déconnexion de la monnaie de la production : le programme d’ajustement

et de stabilisation du FMI et de la Banque Mondiale, et les politiques monétaires mises en place ont autonomisé la monnaie des besoins de la production et, en définitive, soumis les monnaies nationales aux aléas des marchés internationaux de capitaux. La somme totale des réserves internationales devient un élément macro-économique plus important que le niveau d’emploi ou la redistribution des richesses. L’excédent de la balance des paiements représente l’enjeu de la politique monétaire pour tous les gouvernements. Les pays cherchent à se doter de réserves internationales importantes, même si celles-ci sont déconnectées de la relance économique. Par ailleurs, les réserves internationales nettes fonctionnent comme réserve de valeur pour l’émission monétaire domestique.

Le nouveau rôle des taux de change : les taux de change sont utilisés pour stimuler les exportations dans le but de générer des flux positifs pour la balance des paiements. Ceci permet de soutenir la valeur de l'émission monétaire. De plus, les réformes économiques de stabilisation macroéconomique démantèlent tout le cadre institutionnel qui permettait à l'État de contrôler les taux de change et transfèrent cette compétence aux banques privées qui, par ce biais, contrôlent l’ensemble du commerce extérieur. La libéralisation des taux de change mène à leur privatisation. De surcroît, la privatisation des taux de change encourage le libre flottement de la monnaie et donne aux banques privées le pouvoir d’arbitrage sur les prix (IMF, 1997). Les taux de change acquièrent une dimension monétaire car désormais ils seront la condition nécessaire pour accroître les avoirs nets des réserves internationales et, par là même, l’offre domestique de monnaie pour ainsi maintenir sa valeur (FMI, 1986).

Spéculation financière et offre monétaire : le FMI pousse à la libéralisation de

la balance des capitaux. En effet, celle-ci avait besoin de taux d’intérêt élevés pour attirer les capitaux spéculatifs et équilibrer la balance des paiements. Mais ces flux de capitaux spéculatifs requéraient aussi d’un prêteur en dernier ressort, en l’occurrence l’État. La politique monétaire est alors censée rendre la confiance aux marchés financiers. Face à des troubles sur les marchés financiers ou à une crise de la balance des paiements, les réserves internationales nettes pouvaient être utilisées pour défendre les marchés financiers qui agissent comme arbitres entre l’épargne et l’investissement. L’offre de monnaie et la politique monétaire sont établis en fonction de la spéculation des marchés internationaux de capitaux. L’excédent de la balance des paiements était un des éléments de premier plan pour se protéger des attaques spéculatives sur les taux de change.

Les enjeux de la dévaluation de la monnaie : le programme d’ajustement du

FMI a fait de la dévaluation de la monnaie un enjeu monétaire, commercial, financier et politique (Taylor, 1988). Monétaire, parce qu’il y a un rapport entre les réserves nettes de divises et la masse monétaire. Commercial, car elle pousse les exportations au détriment des importations. Financier, dans la mesure où le taux d’intérêt devient le référent du taux de change ; et politique, car la dévaluation génère une rente pour les exportateurs qui deviennent les relais politiques du FMI dans la région.

La reprimarisation des économies et la marche en arrière de

l’industrialisation : Le programme d’ajustement du FMI a modifié le rapport de la

balance commerciale. Les exportations de produits sans valeur ajoutée augmentaient tandis que les importations des intrants et des biens de capital diminuaient. En revanche, les importations de biens de consommation augmentaient durant cette période. Ces distorsions ont provoqué des changements dans la structure économique et ont poussé à la primarisation ainsi qu’à l’essor de l’inflation. La dévaluation de la monnaie a fait monter les prix des intrants que l’industrie nationale utilisait pour la production interne. Cela générait de l’inflation, mais aussi une asymétrie entre la production pour le marché interne et celle du marché mondial (Taylor, 1988). Cette asymétrie était encadrée dans l’approche des biens échangeables vs les biens non-échangeables. La dévaluation, en plus, a découragé tout investissement dans la production pour le marché intérieur.

L’économie politique de la dévaluation : le nouveau modèle a provoqué des

changements de stratégies chez les exportateurs. La dévaluation de la monnaie ajoutant une rente à leurs avoirs, ils étaient donc constamment attentifs aux niveaux des taux de change. Si leurs attentes de dévaluation étaient déçues, ils plaçaient alors leur rente en dehors de l’économie. En effet, durant les programmes d’ajustement, les fuites de capitaux sont restées importantes et ont exercé une pression sur les avoirs nets des réserves internationales. Le programme d’ajustement transformait d’ailleurs le système financier domestique en un relais du système financier international. Étant donné que le système financier domestique prenait en charge le commerce extérieur mais aussi les marchés domestiques de capitaux, ce sont ces derniers qui devenaient le rouage le plus important de l’ajustement. En dernière instance, le système financier domestique poussait à la libéralisation et à la déréglementation du marché de capital.

Vers une économie spéculative : les politiques d’ajustement ont modifié le

caractère macroéconomique du taux d’intérêt dans l’économie. Pour motiver les exportateurs à placer leurs rentes sur le marché domestique, le taux d’intérêt a alors très fortement augmenté. Ce rôle d’ancrage du taux d’intérêt fracturait son rapport à l’investissement. Le taux d’intérêt s’autonomisait de la production du marché interne et le présupposé du rapport épargne-investissement se brisait de manière radicale. Ce rôle d’ancrage plaçait le taux d’intérêt dans la sphère spéculative et au profit des puissants

groupes financiers. Les placements, surtout ceux qui provenaient de la rente des exportations, devaient choisir entre les taux d’intérêt domestiques et ceux du marché international. Il s’agissait donc de placements à très court terme. Dorénavant, l’investissement dépendait des mécanismes de concentration des marchés, sous l’emprise des puissants groupes économiques qui, par ailleurs, étaient liées au système financier et aux exportateurs. La production nationale orientée vers le marché interne est alors brisée. Les petites et moyennes entreprises absorbaient les coûts de l’ajustement et les transféraient vers leurs travailleurs. Les grandes entreprises migraient ainsi vers une nouvelle structure de propriété boursière tenue par de puissants groupes économiques issus des exportateurs. Les programmes d’ajustement structurel poussaient à leur limite les processus de monopolisation de l’économie.

Le monétarisme crée l’inflation : le modèle du FMI et de la Banque Mondiale

provoquait des distorsions des taux de change et des taux d’intérêt et par ce biais des altérations de la structure des prix relatifs. En effet, le rôle d’ancrage des taux d’intérêt créait des attentes spéculatives dans l’économie. L'augmentation des taux d’intérêt revenait à attirer les placements de la rente d’exportation vers les marchés financiers domestiques, faisant d’eux des placements spéculatifs. La spéculation crée un risque permanent sur l’économie qui est maîtrisé en relevant les taux de change. Donc, l’inflation augmente toujours sans aucun rapport avec l’offre de monnaie, tandis que l’économie est constamment en récession et soumise à la spéculation. La structure interne des prix relatifs éclate alors. En effet, tous les repères qui constituaient la structure des coûts ont volé en éclats. Le taux de change varie de manière brusque tous les jours. En dépit des régimes d’administration du taux de change, celui-ci est aussi très volatile sur les marchés noirs qui exercent de fortes pressions sur le marché des changes. La politique fiscale fait osciller les taxes en fonction des politiques de choc qui sont imposées du jour au lendemain. La libéralisation commerciale rend difficile la concurrence aux producteurs internes. Dans ce contexte, l’inflation est la conséquence de tous ces troubles et n’a rien à voir avec la quantité de monnaie disponible sur le marché, comme l’affirment les monétaristes.

Les enjeux de l’austérité fiscale : le nouveau modèle du FMI changeait de fond

en comble la politique fiscale. D’abord, le programme mettait l’accent sur les taxes à la consommation au détriment des taxes sur les revenus. Cela provoquait un changement

dans les revenus des plus pauvres en les appauvrissant encore plus. La politique des taxes était liée aux besoins à court terme du budget fiscal. Quant aux taxes sur la consommation, elles représentaient une manière plus rapide que les impôts sur le revenu d’accéder à des fonds disponibles.

En plus, pour libérer des ressources nettes pour les plus riches, les impôts sur les revenus étaient allégés en leur faveur. De surcroît, pour les motiver à placer leurs revenus dans le système financier, les taux d’intérêt pour les placements à court terme étaient augmentés. Cette politique fiscale avait pour but de faire baisser la demande interne pour éviter les pressions inflationnistes de la consommation.

Pour se délester de tout le poids institutionnel créé dans le cadre du modèle d’industrialisation, le programme d’ajustement poussait à la privatisation et à l’élimination de tous les volets sociaux des budgets gouvernementaux. Toutes les subventions étaient éliminées.

Tous les transferts de budget vers des programmes sociaux étaient également réduits, voire éliminés. Le but de cette politique était d'aboutir à un excédent budgétaire ou à l'interdiction du déficit public. On pourrait ainsi assainir le budget public et restaurer les équilibres.

En effet, la nécessité d’un excédent fiscal, et d’interdiction du déficit fiscal, était liés aux critères de restriction monétaire et de libéralisation économique. L’austérité budgétaire devenait la référence pour qualifier les degrés de responsabilité d’un système politique, et l’engagement envers la dévaluation monétaire représentait le critère pour maintenir la crédibilité de la politique monétaire.

Si un pays menaçait de s’écarter de la ligne, il risquait de se voir montrer du doigt et taxé de populiste. Pratiquer l’austérité budgétaire signifiait donc être responsable dans la gestion des finances publiques. S’engager dans une dévaluation de la monnaie ou laisser le marché des changes s'en occuper définissait la crédibilité du système. En ce qui concerne la responsabilité fiscale, le programme d’ajustement poussait les choses encore plus loin. En effet, le programme proposait de créer des fonds d’épargne séparés du budget et de l’offre de la monnaie.

Ces fonds d’épargne étaient considérés comme un engagement dans la responsabilité fiscale. Pour éviter toute conséquence sur la politique monétaire, et malgré les pressions inflationnistes que cela pouvait créer, le programme proposait de stériliser ces ressources en les séparant de la politique monétaire et en les rapprochant des marchés internationaux des capitaux.

L’ébranlement de l’économie : le modèle du FMI et de la Banque Mondiale

faisait de l’État, des politiques d’industrialisation, de la consommation, et de tout le volet social du budget public, les responsables de l’inflation.

La politique de stabilisation macroéconomique visait donc la réduction des dépenses sociales de l’État, le démantèlement de toute la stratégie mise en place en faveur de l’industrialisation, pour aboutir, selon le FMI, à la stabilité macroéconomique. Tandis que le programme d’ajustement créait toutes les conditions pour ébranler le système interne des prix relatifs, et générait de l’inflation et par-là même sapait ses propres conditions de réussite, il proposait en même temps de renforcer les conditions qui ébranlaient l’économie27. Les conséquences sociales de l’ajustement sont effrayantes : pauvreté, chômage, violence sociale, etc.(Sader E. , 2001; CEPAL, 2002; Dávalos, 2011).

Les conséquences pour le développement sont tout aussi désastreuses : la Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes, CEPALC, qualifiaient les décennies d’ajustement et de stabilisation comme étant des « décennies perdues pour le développement » (Ocampo, 2014).

Le bilan de l’ajustement et des politiques montre bien que leur mise en œuvre a déchiré le tissu social et que les sociétés ont réagi. Malgré toute leur complexité et toute leur violence, les programmes d’ajustement économique ne sont pourtant que le début du néolibéralisme. L’Amérique latine, dans les années 1980, représente le laboratoire du néolibéralisme.

27 Le FMI a toujours nié tout rapport avec la réalité: « An often controversial aspect of IMF-supported programs is the possibility contractionary impact of fiscal tighetening on economic activity and output growth. Yet the empirical evidence does not suggest that fiscal consolidation in programs resulted in slower output growth; on the contrary, smaller budget déficits were asociated with faster output growth… » (Ghosh, et al., 2005, p. 7)

Le volet institutionnel des réformes structurelles

La Banque Mondiale a élargi la portée analytique du développement jusqu’à conjuguer des aspects très différents dans une même démarche. Ce qui caractérise la transition vers le nouveau modèle de développement est le rôle stratégique de la Banque Mondiale pour provoquer des changements institutionnels dans la plupart des pays de la région. C’est grâce à la Banque Mondiale que les politiques d’ajustement économique et l’approche monétaire de la balance des paiements ont conduit à des transformations institutionnelles durables. Sans la Banque Mondiale, les politiques d’ajustement du FMI étaient incapables de transformer de façon durable la structure institutionnelle des pays concernés. On tentera de montrer dans le chapitre suivant comment les politiques de réforme structurelle ont pérennisé les politiques de stabilisation et d’ajustement du FMI.

L’enjeu est alors de présenter le développement comme une stratégie historique et sociale. La Banque Mondiale et le FMI ont réussi à imposer leur modèle de développement sans voie de sortie possible. En effet, l’austérité fiscale est pratiquée dans le monde entier, la compétitivité est universellement vantée, et pour ce faire les marchés du travail sont déréglementés et le travail précarisé tandis que le chômage augmente. Derrière ces reformes structurelles se cache le projet de l’État minimal et, par là même, le démantèlement de l’État-Providence.

Les éléments introduits jusqu’à maintenant font état de visée stratégique, tant de la Banque Mondiale que du FMI. Ce parcours est en rapport avec les changements provoqués par la mondialisation. Il faut maintenant comprendre comment l’intervention de la Banque Mondiale et ses cadres théoriques et prescriptifs ont produit un consensus sur le développement, en particulier dans les pays du Sud..

Les programmes d’ajustement structurel du FMI et les politiques de réforme structurelle de la Banque Mondiale se sont développés dans un champ de disputes et d’opposition sociale croissants. Les programmes d’ajustement n’ont pas bénéficié du consensus des populations des pays où ils ont été appliqués. Dès le début de la crise de la dette de 1982, nous pouvons constater la montée des résistances et des oppositions à leur égard. Les processus d’ajustement et de réforme structurelle sont empreint de violence à l’égard de la société. C’est justement pour contrer l’imposition des réformes

néolibérales qu’est né le discours alternatif du Buen Vivir (Sumak Kawsay), en particulier en Bolivie et en Équateur. Il faut cependant encore analyser les pratiques et les stratégies des Institutions Financières Internationales pour imposer le néolibéralisme comme pensée unique et comme discours à portée civilisatrice. Il faut en effet expliquer pourquoi les réformes structurelles sont parvenues à prospérer malgré l’opposition sociale qui s’était développée pour les contrer. La réponse se trouve dans le changement institutionnel et ses enjeux.

C

HAPITRE

2

CORPORATE GOVERNANCE

,

INSTITUTIONS ET CAPITAL HUMAIN

:

LA BANQUE MONDIALE

Dans le document Pablo DAVALOS AGUILAR (Page 115-124)