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Inflation et retour de l’approche monétariste

Dans le document Pablo DAVALOS AGUILAR (Page 66-69)

S ECTION II L’ÉCONOMIE POLITIQUE DU MONÉTARISME

II.1. Inflation et retour de l’approche monétariste

Avec les processus inflationnistes qui touchaient plusieurs pays d'Amérique latine, l’enjeu monétaire apparaît central dans la conjoncture de la crise de la dette de 1982. L'inflation a d'ailleurs partout augmenté après le choc pétrolier (Cardoso & Fishlow, 1992). Les pays d'Amérique latine importateurs de pétrole ont également dû faire face aux fuites de capitaux et au relèvement des taux d’intérêt internationaux, créant ainsi les conditions pour une nouvelle hausse de l’inflation chez eux.

Pourtant, dans la période 1970-1988, deux évènements clairs témoignent d’une relance de l’inflation : le tout premier est associé aux chocs sur l’offre à partir du relèvement des prix du pétrole et des taux internationaux d’intérêts (1973-1982) ; et ensuite, l’inflation provoquée par la renégociation des dettes et les accords avec le FMI (1982-1988). Cet accroissement de l’inflation est dû aux dévaluations monétaires, à la hausse des prix des services publics et des carburants, à l’augmentation des taux d’intérêts domestiques et aux nouveaux impôts (Taylor, 1988). Ce processus peut s’apprécier dans la courbe ci-dessous :

Figure 6 : Évolution de l’inflation en Amérique Latine : 1970-1988

Source : CEPAL (1990)

Il est donc clair que les causes des dérèglements des prix sont liées aux variations brusques de l’offre mondiale, c'est-à-dire aux variations de la production et du commerce et aux nouvelles conditions macroéconomiques provoquées par les politiques d’ajustement et de stabilisation du FMI et de la Banque Mondiale (Devlin & Ffrench-Davis, 1995). Cela montre bien que l’inflation a été provoquée par les chocs sur l’offre, autrement dit par les variations de prix qu'avaient dû supporter les entreprises et l'ensemble du commerce mondial suite au choc pétrolier et à la montée des taux d’intérêt au cours de la période 1973-1982, par les ajustements de l’économie dans la période suivante, mais aussi suite aux programmes d’ajustement du FMI et de la Banque Mondiale.

En fait, les programmes d’ajustement ont modifié la structure des prix relatifs et ont provoqué de façon directe l’inflation monétaire de cette période. Cela signifie également que les mouvements de l’offre monétaire ne sont pas la cause directe de l’inflation pendant toute la période 1970-1988 (Prebisch, 2012).

Mais pour le FMI et la Banque Mondiale, ce n'était absolument pas le cas. Pour eux, l’inflation relevait exclusivement de la monnaie et n'était donc rien d'autre qu'un enjeu monétaire (Friedman, 1968). Tous les mécanismes complexes en rapport avec les prix, tels que l’élasticité de la demande, la structure du commerce mondial, les

12,2 13,5 20,9 36,3 40 57,8 61,5 40 39 54,1 52,8 60,8 84,6 130,8 184,8 174,4 64,5 198,3 0 50 100 150 200 250 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1984 1985 1986 1987 1988

Taux d'inflation annuelle Amérique Latine 1970-1988

structures des salaires, les régimes de consommation, les systèmes culturels liés à la consommation, l’administration des marchés par les entreprises transnationales, les conditions de production, les taux d’intérêt, le prix du pétrole, la fiscalité, la technologie et la productivité, les politiques de commerce extérieur, les externalités, etc. , n’entraient pas en ligne de compte pour le FMI et la Banque Mondiale. Pour eux, l'inflation n'était qu'un phénomène monétaire (Hanson, 1980, voir aussi Friedman, 1968 et FMI, 1986).

La contradiction de cette approche monétariste de l’inflation avec les théories économiques classiques et néoclassiques de la valeur n'en est que plus frappante car, pour ces dernières, ce qui explique la valeur et, par conséquent les prix, ce sont les coûts de production (l’économie classique) ou l’utilité marginale (l’économie néoclassique), mais jamais en définitive la masse monétaire13.

Si le cadre théorique du FMI et de la Banque Mondiale a un sens très précis, c’est justement dans son approche de la monnaie et son rapport à l’inflation. Toute la complexité du débat sur la monnaie disparaît dans le cadre d’analyse du FMI. On croit dur comme fer que l’inflation est toujours une affaire monétaire.

En effet, le débat fructueux lancé par Keynes, surtout après la publication en 1936 de la « Théorie Générale sur l’Emploi, le Taux d’Intérêt et la Monnaie » (Keynes, 2008), sur le concept de la « monnaie endogène» (Lavoie, 1986) – peut-être le plus complexe et le plus important pour l’économie – disparaît avec les programmes d’ajustement structurel du FMI.

La complexité des enjeux sur la monnaie cède la place à la simplicité de la théorie quantitative de la monnaie qui établit un rapport direct entre la quantité de monnaie et l’inflation (Desai, 1989). En effet, pour Desai le rapport entre inflation et monnaie est

13 Keynes lui-même s’étonnait que la théorie classique de l’inflation ne prenne pas en compte la théorie de la valeur pour comprendre la logique des prix, et faisait référence aux processus qui n’avaient rien à voir avec les prix comme la quantité de monnaie et la vitesse de circulation : « So long as economists are concerned with what is called the theory of value, they have been accustomed to teach that prices are governed by the conditions of supply and demand; and, in particular, changes in marginal cost and the elasticity of short-period supply have played a prominent part. But when they pass in volume II, or more often in a separate treatise, to the theory of money and prices, we hear no more of these homely but intelligible concepts and move into a world where prices are governed by the quantity of money, by its income-velocity, by the velocity of circulation relatively to the volume of transactions, by hoarding, by forced saving, by inflation and deflation et hoc genus omne; and little or no attempt is made to relate these vaguer phrases to our former notions of the elasticities of supply and demand. If we reflect on what we are being taught and try to rationalise it, in the simpler discussions it seems that the elasticity of supply must have become zero and demand proportional to the quantity of money; whilst in the more sophisticated we are lost in a haze where nothing is clear and everything is possible. .. One of the objects of the foregoing chapters has been to escape from this double life and to bring the theory of prices as a whole back to close contact with the theory of value. » (Keynes, 2008, p. 185)

une tautologie qui n’explique en rien l’inflation et les prix (Desai, 1989). Cependant, cette tautologie s’intègre de façon stratégique aux visées du FMI et aux programmes d’ajustement et de stabilisation (FMI, 1986).

Cela nous permet donc d’émettre une remarque sur le cadre théorique du FMI et de la Banque Mondiale quant à l’inflation, et d’indiquer que ce cadre théorique ne possède aucun volet académique ni scientifique. L’attachement du FMI et de la Banque Mondiale à la théorie quantitative de la monnaie n’est pas une affaire académique, mais bien stratégique. En effet, le FMI et la Banque Mondiale utilisent cette approche théorique car elle répond aux besoins financiers du FMI comme prêteur en dernier ressort. La théorie quantitative de la monnaie permet en plus d’établir une relation directe entre déficit budgétaire, croissance de l’offre de la monnaie et inflation. Bien que cette relation soit plus difficile et soumise à des médiations plus complexes, pour le FMI et la Banque Mondiale, la théorie quantitative permet cependant d’articuler un programme d’intervention économique qui peut agir sur les dépenses fiscales (le déficit budgétaire) et en même temps sur l’offre de la monnaie (l’inflation provoquée par le déficit budgétaire).

Dans le document Pablo DAVALOS AGUILAR (Page 66-69)