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Euromarchés et dette extérieure

Dans le document Pablo DAVALOS AGUILAR (Page 46-52)

I.1. La crise de la dette

I.1.3. Euromarchés et dette extérieure

L’endettement auprès des marchés financiers privés n’a pas le même statut que la dette multilatérale. Il s’agit d’emprunts à court terme, avec des taux d’intérêt flottants (Chesnais, 1996). Ce type de crédits ne peut pas être placé dans l’investissement parce que les projets d’investissement sont de longue durée, tandis que le remboursement des crédits auprès des « euromarchés de capitaux » est immédiat. Dans le tableau suivant, il est possible de voir le rapport entre les dettes à court terme et la dette multilatérale :

Tableau 5 : Dette extérieure totale : privée et multilatérale

1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982

Dette extérieure totale 78405 97782 129195 159762 194070 238921 290635 327556 % dette à court terme 13,7 14,2 20,7 19,9 21,5 26,6 27,2 25,8

% dette multilatérale 7,8 7,2 6,4 6,1 5,6 5,5 5,3 5,5

Source : CEPAL (1985)

Dans le schéma suivant, nous observons la croissance du PIB de l’Amérique latine pour la période 1972-1983 et de la dette extérieure des pays de la région. La tendance à la convergence de la dette et du PIB rappelle que la crise était inévitable et que cela allait avoir des conséquences sur l’économie de la région.

Figure 3 : PIB et dette extérieure totale. Amérique Latine 1973-1983. En milliards de dollars américains

Source : CEPAL (1980-1985)

La dette extérieure des années soixante-dix et quatre-vingt n’est pas liée à la croissance économique de l’Amérique Latine. Il s’agit d’un processus qui va à l’encontre des besoins de l’industrialisation de la région. La dette extérieure n’a pas stimulé l’industrialisation, ni la consommation.

Nous pouvons affirmer que le processus de surendettement a provoqué des asymétries entre l’industrialisation et la financiarisation de l’économie. La dette extérieure ne représentait pas une dette pour le financement de l’investissement, elle a plutôt stimulé la spéculation et la fuite des capitaux. Dans le schéma ci-dessous, il apparaît que le surendettement a une logique différente de celle de l’investissement mesuré par la formation de capital :

0 50 100 150 200 250 300 350 400 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983

Figure 4 : Rapport entre dette extérieure et Formation Brute de Capital Fixe (FBCF), en Amérique Latine

Source : CEPAL (1985) FBKF : Formation Brute de Capital Fixe

En effet, l’investissement mesuré par la formation de capital fixe passe de 22,4% du PIB durant la période 1970-1974, à 21,8% du PIB entre 1981 et 1984 (Ocampo, Stelling, Bustillo, Veloso & Frenkel, 2014 , p. 11). En revanche, les remboursements auprès des créanciers financiers internationaux passent de 105,2 milliards de dollars en 1977 à 270,3 milliards de dollars en 1982. Le Mexique, premier pays connaissant une crise de la dette, possédait une dette extérieure de 25,5 milliards de dollars en 1977, qui atteint les 75 milliards de dollars en 1982, l’année de la crise (Devlin, 1983, p. 3).

Ce gonflement de la dette n’a pourtant rien à voir avec le financement du modèle d’industrialisation par substitution des importations. Cette croissance de la dette extérieure a un rapport avec une forme spécifique d’endettement auprès des « euromarchés des capitaux ». C’est une dette détachée de toute relation avec le processus investissement-développement du modèle d’industrialisation, qui est générée par les changements mondiaux provoqués par l’éclatement du système monétaire international après la fin du système des taux de change fixes adoptés par le système de Bretton Woods en 1944.

La décision prise par le gouvernement américain en 1973 de mettre un terme au système de Bretton Woods a provoqué l’essor d’un système financier international

0 50 100 150 200 250 300 350 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 Dette extérieure totale FBKF

dérégulé et avec une grande capacité d’innovation (Chesnais, 1996). C’est auprès de ces marchés financiers que l’Amérique latine s’est surendettée. En effet, elle possède le ratio d’endettement auprès des euromarchés le plus élevé au monde, comme nous pouvons le constater dans le schéma ci-dessous :

Figure 5 : Ratio d’endettement auprès des euromarchés par régions

Source : Devlin (1983)

Le surendettement de ces années prépare le terrain à la crise de la dette. Cependant, l’endettement auprès des euromarchés a signifié un transfert de ressources très important pour la région. Ce transfert de ressources allait finalement briser le rapport entre financement et investissement et, par conséquent, affaiblir le modèle d’industrialisation par substitution des importations.

Au cours de la période 1977-1982, la région a remboursé au titre du service de la dette extérieure environ 250,9 milliards de dollars. Le service de la dette a connu une augmentation et est passé de 18,7 milliards de dollars en 1977 à 69,2 milliards de dollars en 1982. Le transfert total pour le remboursement de la dette extérieure, y compris les intérêts, pour la période 1977-1982 a été de 371,2 milliards de dollars (Devlin, 1983)7. De plus, la région destinait 34% de ses exportations en 1977 et 66% de ses exportations en 1982 au remboursement de la dette (Devlin, 1983). Le déficit des

7 Nelson J. estime que le transfert net des ressources des pays pauvres vers les banques internationales pendant la période 1984-1988, et comme produit des politiques d’ajustement économique, a été de 143 milliards de dollars américains (Nelson, 1990)

59,90% 12,80% 11,60% 15,70% Amérique Latine Moyent-Orient Asie Afrique

balances des paiements est passé de 2,3 milliards de dollars en 1970 à 6,5 milliards de dollars en 1981 (CEPAL, 1985).

Ces données montrent que la crise de la dette extérieure en Amérique latine a fait éclater le modèle de développement régional à ce moment-là. Le rapport financement-investissement, qui est un élément-clé pour la stratégie d’industrialisation, change de nature et s’oriente vers la relation financement-remboursement des créances.

De telle sorte que les pays de la région ne disposaient plus de ressources suffisantes pour financer leur développement car le cycle d’endettement auprès des euromarchés financiers les obligeaient à détourner des ressources de l’investissement vers le remboursement des dettes.

De plus, les flux de capitaux des euromarchés engagés dans des emprunts avec des délais de remboursement à court terme ont provoqué de fortes distorsions économiques n’ayant pas été consacrés à la production.

En outre, le nombre de ces créances à court terme ont augmenté car les États-Unis avaient décidé à la fin des années 1970 d’augmenter les taux d’intérêts pour contrer leur inflation. Il est ainsi possible de considérer que la crise de la dette extérieure de l’Amérique latine fait partie d’enjeux géopolitiques internationaux (Voir Frenkel, R. 2005).

À partir de la crise de la dette extérieure, pour combler leurs déficits en compte courant des balances des paiements et affronter leurs besoins de financement pour couvrir leurs importations et les remboursements de leurs créances, les pays de la région définissent des programmes de financement avec le Fonds Monétaire International (FMI) sous la forme de services de financement compensatoire et de crédits sous conditions.

Le tableau suivant rend compte des dates et des accords que les pays de la région ont signé avec le FMI pendant la crise de la dette de 1982 :

Tableau 6 : Pays de l’Amérique latine avec crédits auprès du FMI 1982-1983 En millions de dollars américains.

Service de financement compensatoire

Crédits sous conditions Stand by Extended Fund Facility

Total Mois Quantité Mois Quantité Mois Quantité

Argentine jan-83 572 jan-83 1650 2222

Bolivie jan-83 20 20

Brésil déc-82 1063 fév-83 4937 6000

Costa Rica déc-82 102 102

Chili jan-83 325 jan-83 550 875

Équateur mai-83 170 170

El

Salvador juil-82 36 juil-82 47 83

Guatemala nov-81 21 21

Haïti déc-82 19 août-82 30 57

Honduras nov-82 26 nov-82 34 110

Mexique déc-82 3972 3972

Panama avr-82 33 33

Pérou juin 82 220 juin-82 715 935

Rep.

Domin. jan-83 47 jan-83 408 455

Uruguay août-82 61 avr-83 400 461

Source : Devlin (1983)

La Bolivie et le Venezuela vont solliciter des crédits auprès du FMI au cours des années 1983-1986 : la Bolivie pour 300 millions de dollars américains et le Venezuela pour 2 milliards de dollars américains. C’est alors toute la région qui est engagée vis-à-vis du FMI avec des conditionnalités macro-économiques associées à leurs prêts.

L’entrée en scène du FMI modifie radicalement toute pensée sur le développement, l’industrialisation, la croissance, le financement, le rôle du marché intérieur dans la région, etc. Le remaniement des taux d’intérêt et du rapport financement-investissement, et qui avait été soigneusement établi par le modèle d’industrialisation, vole finalement en éclats et oblige à adopter des politiques de réforme structurelle (Haggard, 1985). L’idée de planification de l’économie va alors disparaître. De plus, c’est tout le modèle de croissance fondé sur l’industrialisation et le marché intérieur qui va être remis en question. La crise de la dette marque la fin de l’industrialisation et l’arrivée du néolibéralisme.

Dans le document Pablo DAVALOS AGUILAR (Page 46-52)