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Une mission parlementaire d’information

Dans le document Villageois sans agriculture ! (Page 194-200)

Dans un contexte de crise agricole et d’inquiétude du monde rural, la commission des Finances, de l’Economie générale et du Plan, de concert avec la commission de la Production et des Echanges de l’As- semblée nationale, ont lancé « une mission d’information sur la situa- tion du monde rural et les perspectives d’avenir de l’espace rural » (juin ).

Ainsi, donnent-elles satisfaction aux députés du groupe « socia- listes et apparentés » qui avaient déposé, quelques mois auparavant, une proposition de résolution tendant à la création d’une commis- sion d’enquête sur le monde rural. Ils ambitionnaient, face à l’appau- vrissement et à la désertification croissante du « rural profond », de

. Rapport no, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le  avril .

rechercher les causes et les conséquences des déséquilibres écono- miques en faveur des métropoles et au détriment des zones rurales, d’examiner les conditions d’application des mesures réglementaires et législatives tant nationales qu’européennes, de vérifier le niveau et l’efficience des moyens affectés par les divers échelons de respon- sabilité territoriale à ces zones rurales, de proposer enfin des solu- tions visant au développement et à l’aménagement rural. Car ce qui importait au yeux de ces députés conscients du poids de la ruralité dans l’histoire, le patrimoine et la société de la France, c’était de prendre d’urgence des mesures efficaces, aptes à enrayer le proces- sus en cours, porteur de mort sur une grande partie du territoire rural national.

La mission, présidée par M. Pierre Estève, député socialiste des Pyrénées-Orientales, et composée de dix-neuf autres députésissus

de formations politiques diverses, désignait M. Augustin Bonrepaux, député socialiste de l’Ariège, comme rapporteur. Les travaux, com- mencés dès le  septembre , ponctués de vingt-quatre séances généralement consacrées à des auditions de consultants, ont donné lieu à la publication d’un rapport d’information, lourd de cinq cents pages et riche d’une vaste synthèse sur le monde rural contempo- rain tout autant que de son ambition d’enrichir l’action législative des années à venir.

Un document de référence

L’ouvrage est puissamment articulé. Il se compose d’un long pré- ambule et de quatre parties, chacune solidement charpentée de sec- tions et de sous-sections, débouchant sur des « recommandations ». Le rapport contient, en annexe, les contributions des membres de la Missionainsi que les comptes-rendus des interventions extérieures

issues d’horizons divers :

. MM. Pierre Estève, président ; Jean-Pierre Balligand, Jean Briane, Michel Coin- tat, Jean-Marc Nesme, vice-présidents, Augustin Bonrepaux, rapporteur ; Jean-Marie Alaize, Régis Barailla (en remplacement de Martin Malvy) Alain Brune, Daniel Che- valier, Hubert Falco, Jean de Gaulle, Daniel Goulet, Philippe Legras, Paul Lombard, René Massat, Patrick Oollier, Gaston Rimareix, Yves Tavernier, Philippe Vasseu.

. M. Jean de Gaulle, député des Deux-Sèvres et M. Patrick Ollier, député des Hautes Alpes.

La ruralité française à la fin du vingtième siècle

– le ministre de l’Agriculture et de la forêt, M. Louis Mermaz, – le ministre délégué au budget, M. Michel Charasse,

– le ministre délégué à l’Artisanat, au Commerce et à la Consom- mation, M. François Doubin,

– le secrétaire d’État aux Collectivités locales, M. Jean-Pierre Sueur, – le secrétaire d’État à la Ville et à l’aménagement du territoire,

M. André Laignel,

– le délégué à l’Aménagement du territoire et à l’action régionale, M. Jean-Pierre Duport,

– le commissaire à l’Aménagement et au développement écono- mique des Alpes (DATAR), M. Gérard Gineste,

– le chargé de mission auprès du ministre de l’Education nationale, M. Pierre Mauger,

– le président de l’Office national des forêts, M. René Souchon, – le secrétaire général de l’Assemblée permanente des chambres

d’agriculture, M. Jean-François Hervieu,

– le vice-président de l’Assemblée des chambres françaises de com- merce et d’industrie, M. Raymond Cerruti,

– des représentants de l’Assemblée permanente des chambres de métiers, MmeMichèle Gillet, MM. Delmas et Mouzay,

– le président national de la Mutualité sociale agricole, M. André Laru, le directeur général et le directeur adjoint des caisses cen- trales de la M.S.A., MM. Avoine et Gallet,

– le président et les vice-présidents de la C.N.J.A., M. Raymond Lacombe, MM. Lapeze et Cazes,

– le vice-président et le trésorier du C.N.J.A., Mme Marie-Pierre Brunet et M. Jean-Yves Remillet,

– le secrétaire général de l’A.N.P.A.R., M. Louis de Reboul,

– des représentants de l’Union professionnelle artisanale, MM. Lar- din Grand-Clément, Durand,

– le président du Groupe d’études et de mobilisation « espaces ruraux » M. René Carron,

– l’auteur de la Révolution rurale, MmeGeneviève Gavignaud.

À ces annexes, sont ajoutés des éléments d’information fournis par :

– la Fédération nationale de l’habitat rural et de l’aménagement du territoire rural,

– la Fédération nationale des pays d’accueil touristique, – la Fédération nationale du Crédit agricole.

De quoi justifier les rôles assignés à la Mission, « écouter » certes, mais aussi et surtout « formuler des propositions, définir des orienta- tions, dans la perspective d’une action volontariste et concertée de tous les partenaires, d’une politique volontariste d’aménagement du territoire adaptée aux spécificités de la ruralité française. »

Alors que les élections du printemps  imposaient un change- ment de majorité parlementaire et, en conséquence, gouvernemen- tale, le rapport en question prenait allure de double témoignage, témoignage sur l’état du monde rural français au début des années , et témoignage sur les vœux émis par les membres de la Commis- sion afin de le sortir de l’état d’abandon dans lequel il se trouvait. Dès l’été suivant, le ministre de l’Intérieur et de l’aménagement du terri- toire, M. Charles Pasqua, donnait, depuis Mende en Lozère, le coup d’envoi d’une vaste enquête sur les rééquilibrages à introduire dans l’aménagement du territoire pour qu’il ne se fasse plus au seul profit des métropoles régionales.

De sages constats

Le rapport prend en compte, pour tenter ce bilan, l’ensemble des réflexions et écrits qui, dans le cadre national, alimentent un acquis remarquable en la matière : études et rapports de la D. A.T. A. R., du Conseil économique et social, de la Mission d’information du Sénat sur l’avenir de l’espace rural français ; il y adjoint les informations gla- nées lors des auditions des acteurs du développement rural, invités à venir exprimer leurs opinions, mais aussi leurs inquiétudes et leurs espoirs, devant les membres de la Mission. Le rapporteur « n’ambi- tionne pas de faire un tableau exhaustif de la situation », mais propose « de mettre l’accent sur des éléments déterminants pour les actions à

conduire. »

. Comité interministériel d’aménagement du territoire du  juillet  et mise en chantier d’une loi d’orientation présentée au Parlement en , dotée d’une charte nationale du territoire, « image de la France en  ».

La ruralité française à la fin du vingtième siècle

Le premier constat porte sur le déséquilibre aigu opposant, à l’hy- perconcentration urbaine et à ses corollaires (embouteillages, pro- blèmes de logement, pollution, stress, violence, insécurité, crise des banlieues...) la désertification plus ou moins totale d’une grande par- tie de l’espace rural. Ce qui ne saurait réduire à une condition uni- forme ledit espace rural : il est des zones rurales en situation de déve- loppement plutôt favorable (zones d’agriculture restructurée et com- pétitive) ; des zones « sous influence urbaine » au sein de grands

couloirs de communication ou d’attraction, des zones à forte rente

de situation touristique; elles jouxtent des zones en « difficulté »,

celles qui abritent des exploitations agricoles insuffisamment restruc- turées, qui présentent une faible trame urbaine ou qui subissent les crises des industries traditionnelles; en fin de liste, apparaissent les

zones à forts handicaps (faible densité, agriculture archaïque, trame urbaine dégradée ou inexistante, vieillissement de la population).

Les zones rurales les plus fragiles, celles de « l’aire du vide » ou de la « diagonale aride» présentent comme caractère essentiel une

faible densité démographique (dix-huit habitants au kilomètre carré en moyenne) ; toutefois ces zones ne détiennent le monopole ni du vieillissement de la populationni de la surreprésentation des retrai-

tés, ni de la sous-représentation des jeunes femmes.

Partout, les paysans sont en voie de disparition ; les agriculteurs ne réussissent pas mieux à persévérer :

– en , deux ruraux sur trois travaillent la terre – en , un rural sur deux relevait de l’agriculture

– en , moins d’un rural sur cinq est lié à la production agricole.

. Bassin parisien, vallée du Rhône, une partie du Sud-Ouest et du Nord. . Vallée de la Loire, couloir rhodanien, littoraux.

. Savoie, Isère, Sud jurassien et quelques vallées pyrénéennes.

. Massif Central, Vosges, Piémont pyrénéen, Bretagne centrale. Peut s’étendre à certaines parties de la Basse-Normandie, de la Mayenne, de la Sarthe, de la région Poitou-Charentes, de la Champagne-Ardennes, de la Lorraine, de la Bourgogne.

. Alpes sèches, Cévennes, Pyrénées centrales, Corse centrale.

. Elle prend en écharpe la France du Nord-Est au Sud-Ouest avec une arrête sud- est.

. Les personnes de plus de cinquante ans représentent le tiers de la population rurale et le quart de la population urbaine.

En l’an , l’agriculture française, employerait, selon les prévi- sions, moins d’un actif sur vingt ; une régression qui se ferait « en douceur » si l’on en croît les experts qui estiment que  % des agri- culteurs âgés de plus de cinquante-cinq ans sont sans projet de suc- cession ;  % de la surface agricole utilisée serait ainsi concernée.

Pour le reste, la nouvelle organisation internationale, le poids du sur- endettement contribueront, à leur manière, à alléger les contingents d’agriculteurs « bons pour le marché ».

La situation paraît d’autant plus alarmante pour les populations menacées de rejet que le marché du travail reste particulièrement étriqué en milieu rural : rares implantations nouvelles d’entreprises industrielles ou artisanale, offres d’emploi limitées. Parallèlement, le mouvement de fermeture des petits commerces s’accélère au gré de la concurrence exercée par de nouvelles formes de distribution (grandes surfaces, ventes par correspondance...). Les chefs d’entre- prise et artisans arrivés à l’âge de la retraite trouvent difficilement des candidats à la reprise en raison « des affaires qui vont mal ». À cette fer- meture d’échoppes et de boutiques, il faut ajouter le repli des services publics : la politique de désengagement de l’État affecte, pêle-mêle, les transports, l’éducation, la santé, la poste, la sécurité...

Aussi, et sans exagération aucune, longue est la liste des ferme- tures à surseoir (écoles, gares, postes, gendarmeries, perceptions...), des manques à combler (équipements sportifs, culturels, communi- cations modernes...), des efforts à faire (services de santé, de loisirs, sapeurs-pompiers...). Car « les activités économiques nouvelles ne germent pas spontanément dans le rural profond », lequel continuera à s’enliser dans la torpeur si des mesures d’urgence ne sont pas prises pour le tirer de là.

Un autre cri d’alarme est poussé face à la dégradation des espaces naturels qui résulte de la cessation de l’activité agricole : développe- ment des friches, risques d’incendie dans les sous-bois enchevêtrés, risques d’avalanche faute d’entretien des alpages... Le ton est donné au rapport, l’accent est mis sur l’ampleur des dégâts commis sur le patrimoine français par des décennies de mutations foudroyantes ; appel est lancé à la mobilisation générale des instances nationales, locales, associatives concernées, avant qu’il ne soit trop tard. Trop

La ruralité française à la fin du vingtième siècle

tard en matière de « dégradation irréversible de l’espace rural », trop tard aussi en matière « d’ébranlement irrémédiable de la cohésion sociale du pays tout entier ».

Les engagements de l’État

Tandis que les membres de la Mission vaquent à leur tâche, les événements propulsent le monde rural français sur le devant de la scène politique; l’effervescence des organisations socioprofession-

nelles signataires de la Charte pour le monde rural du  septembre , l’ampleur et le succès médiatique de la manifestation du  sep- tembre , suivie le  octobre des « deuxièmes rencontres des acteurs du monde rural » et le  novembre de mesures importantes arrêtées par le Comité interministériel d’aménagement du territoire,

ne sont pas étrangères à la mobilisation de l’État en faveur du monde rural, à son engagement en vue d’obtenir :

– le renforcement des structures de coopération intercommunale en application du principe de « déconcentration » des interven- tions de l’État ;

– l’institution d’une solidarité financière au bénéfice des collectivi- tés rurales ;

– l’amélioration de la qualité des services offerts aux populations rurales (cohérence des réseaux de service, coût des tarifications téléphoniques, développement de l’habitat rural) ;

– la diversification et le développement des activités économiques (aide à l’investissement industriel en zone rurale, plans de sou-

. Mise en place d’un groupe d’étude et de mobilisation « Espaces ruraux » par Mmele ministre Édith Cresson ; annonce d’Assises nationales du monde rural pour

la fin du premier semestre .

. Partisan d’une vision intégrée de l’aménagement de l’espace et d’une prise en compte globale du milieu rural, le C. I. A. T. a défini trois objectifs :

— maintien et développement et l’emploi en zone rurale, — organisation de l’espace rural,

— valorisation de la qualité et de la diversité de cet espace.

Il a, en outre, décidé d’importantes mesures dont certaines ont été reprises par la loi de finances pour , la loi du  décembre  modifiant et complétant les dis- positions du Code rural, créant un régime de préretraite, la loi du  juin  d’orien- tation relative à l’administration territoriale de la République.

Dans le document Villageois sans agriculture ! (Page 194-200)