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Étapes d’une prise de conscience

Dans le document Villageois sans agriculture ! (Page 111-116)

Le débat intellectuel s’intensifiait à l’orée des années  en France, séparant en deux camps les protagonistes : ceux qui tiraient la son- nette d’alarme de « la France du vide» et ceux qui glosaient sur des

lendemains qui chantent. Débat qui s’est projeté dans la sphère poli- tique de l’aménagement du territoire et qui s’est traduit, sur le ter- rain, par l’impossibilité de prendre des mesures véritablement effi-

si l’on s’en tient à des critères statistiques et donc, en conséquence, contestables et modulables. Pour l’ensemble des pays, les seuils varient entre deux mille et cinq mille habitants.

. Geneviève Gavignaud, La Révolution rurale, essai à partir du cas américain

(USA), Horvath, Roanne, .

Un concept opératoire pour l’étude des mutations villageoises

caces pour l’avenir — immédiat et lointain — des campagnes héri- tées d’une tradition rurale plus que millénaire. Les « renoncements » successifs en matière de rééquilibrage territorial traduisent, à leur manière, l’absence de consensus quant au sort de la France rurale

comme si tant de mobilisation d’énergie, depuis les élus, locaux et parlementaires, jusqu’aux plus hauts fonctionnaires de l’Étaten

passant par les « experts » en tous genres, n’avait abouti qu’à un statu

quo général. Replaçons les projecteurs sur les décennies passées.

Dès les années , c’est depuis la ville et par rapport à la ville que les manifestations d’un « changement » rural sont d’abord sai- sies, sans que les observateurs, géographes, sociologues, économistes, en saisissent l’ensemble des effets pour la « nouvelle société » alors en marche. Les concepts d’« urbanisation des campagnes », « ville à la campagne », « ville éparpillée », « urbanisation », précédaient celui d’« exode urbain » pourvoyeur de « néoruraux » ; ils prouvent bien que seul le phénomène de la dispersion des populations urbaines dans et par-delà le périurbain, retenait alors exclusivement l’attention; l’of-

fensive intellectuelle ne faisait que renforcer la puissance des villes dans le tandem villes/campagnes cher à l’esprit des observateurs du moment.

La prise de conscience d’un changement à l’intérieur même des campagnes restait balisée par l’analyse de l’abandon démographique, illustrée d’une part par Roger Béteille et sa France du vide () et, d’autre part, par la folklorisation de l’héritage paysan de la France,

. Le Comité interministériel d’aménagement du territoire (C.I.A.T.) s’est réuni en juillet  à Mende (Lozère) avec le plus vif enthousiasme. Au gré des rencontres de terrain qui ont suivi, le découragement semble avoir gagné les équipes mobi- lisées ; à l’automne  le projet de loi déposé au Parlement apparaît fidèle à la volonté d’améliorer les performances et compétitivité agricoles, et peu original dans ses propositions d’entretien de l’espace, des paysages et du patrimoine des cam- pagnes.

. Cf. les rapports des deux missions qui, au Sénat d’abord (J.F. Poncet), à l’As- semblée nationale ensuite (P. Estève) ont travaillé sur la question. Infra, p.  et sui- vantes.

. Cf. notamment les rapports de la D.A.T.A.R.

. Parmi de nombreuses études relatives à ce sujet ; Étienne Julliard, « L’urbanisa- tion des campagnes », dans Études rurales, nospécial, , no-, p. -.

. Thématique aujourd’hui en voie d’essoufflement, notamment chez les géo- graphes.

comme en témoignent les actes publiés par l’Association des Rura- listes Français (A.R.F.) fondée en . La Fin des paysans, illustrée quelques années plus tôt par les publications d’Henri Mendras, mobi- lisait les chercheurs marqués du sceau ruraliste. Un monde clos qui ne laissait échapper aucun murmure sur la « révolution rurale » qu’il était possible d’entrevoir à partir du cas américain. Ce concept s’est imposé à l’auteur tel un outil précieux pour les transformations en cours dans les sociétés rurales occidentales.

Invitation américaine

Un séjour en Caroline du Nord, en , a permis à l’auteur de ces lignes — invitée pour enseigner la civilisation française —, d’obser- ver des campagnes sans paysan : le phénomène d’urbanisation des campagnes qui perçait à peine en France à la même époque, avait, là, atteint son plein développement. Ainsi, Davidson Collège s’articulait- t-il autour de son université, sans négliger pour autant les petites industries et les commerces en tous genres ; résidents-employés et résidents-pendulaires y égrenaient leurs maisons individuelles : les « farmers » en étaient absents. L’espace rural se parait de traits nou- veaux.

La sociologie américaine, riche d’une situation de terrain particu- lièrement nette (héritage paysan rapidement effacé) et d’outils sta- tisticiens performants (les recensements distinguèrent, dès , la population rurale agricole et la population rurale non agricole) n’avait pas tardé à s’illustrer par l’étude de la nouvelle société rurale en rupture d’agriculture qui avait essaimé dès la fin des années . Ouvrages et articles de l’American Journal of Sociology balisaient les étapes, démontaient les mécanismes, mesuraient les effets d’un chan- gement en cours. Il restait à le nommer. Et pour cela inscrire le phé- nomène dans la longue durée des sociétés : la rupture apparut alors radicale entre les campagnes nourricières d’hier et les campagnes non agricoles en cours de progression ; il s’agissait bien d’une Révo- lution. Encore plus complète que la Révolution agricole bien connue des historiens, celle qui a fait basculer les sociétés agraires tradition-

. Analyses différentes de celles de Henri de Farcy, L’Espace rural, Paris, . ou R. Chapuis, Les Ruraux français, Paris, .

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nelles dans la modernité au prix d’une agriculture performante dans les meilleurs des cas, commercialisée avec plus ou moins de pro- fit. Il s’agissait cette fois d’une Révolution rurale totale englobant et dépassant la précédente. Le terme avait été utilisé par les Américains comme synonyme de la Révolution agricole, il fallait lui restituer

son sens avec une définition susceptible de prendre en compte l’en- semble du phénomène.

Il était possible, à cette étape de réflexion, de comparer le cas fran- çais au cas américain, de quitter le tremplin d’observation bétonné dans les villes afin de rencontrer l’observatoire sur les campagnes, leur spécificité et leur diversité. Au souci de respecter l’originalité de la société étudiée, s’ajoute alors la volonté de ne négliger aucune des chances d’adaptation susceptibles, au gré des mutations en cours, de s’offrir aux populations encore présentes sur le terrain, parfois en proie à de graves difficultés économiques voire sociales.

Désarroi chez les intellectuels ruralistes français

Tandis que la publication de La Révolution rurale, essai à partir du

cas américain ne suscitait guère de comptes rendus dans la presse

généraliste ni dans les revues scientifiques, les ruralistes français continuaient à passer à la loupe la vie paysanne d’autrefois. Sans vif enthousiasme puisque réunis à Gif-sur-Yvette en , sous l’auto- rité du C.N.R.S., ils faisaient l’amer constat d’« une crise des études rurales». Celles-ci n’intéressaient plus grand monde. Maryvonne

Bodiguel mettait « le rural en question». L’automne  sonna enfin

le réveil, l’A.R.F. abandonnait ses sabots pour rejoindre, sur le terrain d’observation du « périurbain », les géographes, les économistes et les sociologues chevillés à l’étude des villes et de leurs populations. Qu’importe, un tournant était pris, la fin des paysans ne signifiait

. L’auteur conteste donc le sens donné à Révolution rurale par Gordon Wright qui l’assimile à la Révolution agricole (Rural Révolution in France, The Peasantry in the

thCentury, Standford University Press, Californie, ). Et par Joël M. Halphern

qui l’assimile à l’exode rural (« Thé Rural Révolution », Transactions of thé New York

Academy of Sciences, séries II, , no).

. Association des ruralistes Français, Bulletin no-, « Les Études rurales sont- elles en crise ? », édit. Érasme, Paris. Cf. infra, Annexe .

plus la fin des ruraux : les campagnes de l’Europe étaient mises sur le devant de la scène avec de « nouvelles donnes, de nouvelles fron- tières» ; campagnes qui alimentaient, par ailleurs, la formulation de

projet d’intégration européenne.

Cette fois aiguillonnée par l’actualité, la recherche sur les socié- tés rurales s’emballait : la société franco-britannique d’études rurales organisait à Paris ses deuxièmes rencontres sur « les nouveaux usages de l’espace rural».

Bernard Kayser redécouvrait, à sa façon, le cas américain pour pré- dire une « renaissance rurale». L’avenir s’ouvrait aux « optimistes »

misant sur les effets heureux d’un renouveau des campagnes (dotées d’une véritable rente de position auraient-ils dû préciser), sans que les « pessimistes » ne veuillent lâcher prise : la désertification ne s’accélérait-elle pas sur les terroirs condamnés par la compétition économique internationale ? Longue s’annonçait désormais la liste des publications réparties entre ces deux camps.

Il semble donc encore opportun aujourd’hui de retenir le regard his- torique, celui de la longue durée pour essayer de mesurer les effets que provoquent les mutations qui, sous nos yeux, affectent nos cam- pagnes, jusqu’à les ébranler.

Nul ne peut plus nier qu’à la France rurale et paysanne du dix- huitième sièclea succédé une France urbaine et employée qui accen-

tue de jour en jour ses orientations métropolitaines et capitalistes. Les campagnes ont enregistré, à leur façon, une mutation qu’il est diffi- cile pour un historien, de ne pas caractériser de « Révolution » tant les transformations sont radicales. D’autant que, le concept de « révolu- tion rurale » est non seulement apte à mouler le processus de transfor-

. Association des ruralistes Français, « Campagnes de l’Europe, nouvelles don- nées, nouvelles frontières », Lyon, septembre , Actes non publiés.

. Formulation de la politique rurale : nouvelles tendances, OCDE, .

. Rencontre des - décembre , Institut Britannique, Paris, Actes non publiés ; avec la participation de l’auteur.

. Bernard Kayser, « Une renaissance rurale aux États-Unis ? » dans Études rurales, . Idem, La Renaissance rurale, Paris, A. Colin, . Le lecteur curieux n’y trou- vera aucune référence aux travaux de Geneviève Gavignaud, annoncés lors du col- loque de l’A.R.F. tenu à Montpellier en  sous la présidence de B. Kayser. Cf. infra, annexes  et B.

. Dans les années , la population rurale représente  % (et la population paysanne  %) de la population française.

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mation qui affecte l’ensemble des campagnes occidentales, mais qu’il prend, de surcroît, le relais de celui de « Révolution agricole » fort opé- ratoire en son domaine et avec lequel il ne saurait être confondu. En conséquence, la définition laissant à la Révolution agricole les muta- tions techniques et structurelles de l’agriculture en vue de son adap- tation au grand marché, la Révolution rurale recouvre l’ensemble des transformations subies par les campagnes, leurs populations et leurs activités ; elle entraîne dans sa dynamique la transformation écono- mique, sociale, administrative et culturelle du non-urbain, c’est-à- dire, faut-il le préciser, de quelque  % du territoire français.

La définition, forgée dès  à propos du cas américain, peut être étendue à l’ensemble des sociétés occidentales : « la révolution rurale consacre un changement radical, une rupture dans l’organisation des campagnes ; elle donne aux populations non agricoles la maîtrise des campagnes dégagées de leur traditionnelle vocation nourricière ; elle fait des territoires le principal terrain d’expansion de la société urbaine dominante. Elle marque, en conséquence, le temps de la consolidation des structures de la société moderne, au sein de cam- pagnes aménagées à l’usage des populations urbanisées. »

Dans le document Villageois sans agriculture ! (Page 111-116)