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Des styles de développement et de sous-développement

Dans le document Villageois sans agriculture ! (Page 182-186)

Aux révolutions agricoles des dix-huit et dix-neuvièmes siècle, imprégnées de libéralisme, ont parfois été préférées les réformes agraires, plus ou moins teintées de socialisme. Le Mexique (), la Chine (), la Bolivie (), l’Égypte (), Cuba (), l’Algérie (), le Chili ()... ont procédé au remodelage de leurs structures foncières. D’autres pays le réclament encore dans les années , des Philippines au Brésil... La seule réforme agraire de type libéral serait, selon les analystes, le fait de Taïwan où Tchang Kaï Chek procéda

à une redistribution des terres en rachetant les biens des rentiers du sol pour les revendre à ceux qui se chargeaient de les cultiver. Dans le

. Outre La Révolution rurale, op. cit., cf. « De la Révolution agricole à la Révolu- tion rurale. Des sociétés rurales contemporaines en mutations » dans Revue histo-

rique, -, p. -.

. Herbert Marshall McLuhan, War and Peace in the Global Village,  - Guerre et paix au village planétaire.

. René Dumont, Taïwan, le prix de la réussite, Paris, La Découverte, . Toute l’œuvre de René Dumont est impossible à citer ici.

Bengale occidental, la petite propriété familiale bénéficie de prêts à faible intérêt et de pôles d’entraînement coopératif.

Des flots de misère

En fait, révolutions agricoles, révolutions vertes, réformes agraires se fondent toutes sur le remodelage structurel en vue du développe- ment économique, les unes mettant davantage l’accent sur la redis- tribution populaire des terres, les autres sur les progrès économiques obtenus. La définition forgée par Jean Le Cozest limpide : la réforme

agraire concerne « l’ensemble des opérations visant à transformer la structure foncière d’un État ou d’une région, par la modification des rapports sociaux, en vue d’assurer l’amélioration des techniques culturales et l’amélioration de la production agricole. »

Les problèmes n’ont pas été résolus pour autant. La Chine n’est pas la seule à avoir renoncé à ses plans ; les tentatives de « villagisation » forcée de l’Éthiopie ou de la Tanzanie ne plaident pas en leur faveur. Les « styles de développement », quels qu’ils soient, réussissent diffici- lement à garantir l’accès des populations paysannes à la terre ainsi qu’à assurer la fonction nourricière quotidienne. L’analyse des pro- duits intérieurs bruts permet de mieux saisir les obstacles : la part de l’agriculture est d’autant plus forte que le pays est pauvre ; elle subit, en conséquence, les lourdes ponctions des classes dirigeantes et des gouvernements, elle supporte le choc de la dette extérieure contrac- tée. Elle contribue parfois à financer l’industrialisation.

Quelques exemples. La part de l’agriculture représentait plus de  % du Produit intérieur brut (P.I.B. -) dans les pays suivants : Bangladesh, Mali, Bouthan, Népal, Burundi, Somalie, Tanzanie. Tou- jours au cours de la même période, le taux moyen de croissance agri- cole reste négatif pour de nombreux pays d’Afrique (Mali, Mozam- bique, Soudan, Ghana, Côte d’Ivoire, Bostwana, Congo) et d’Amé- rique (El Salvador, Guatemala, Bolivie, Uruguay, Haïti). De cette liste, émergent la Birmanie, la Somalie, la Corée du Sud qui enregistrent des progrès dans la croissance agricole, lesquels ralentissaient au Bré- sil, en Thaïlande, aux Philippines.

Les déstabilisations du monde rural contemporain (années 1980)

Au cours de ces années, la dette publique était partout en augmen- tation. En conséquence, sa part progresse dans le Produit national brut (P.N.B.) à l’exception de l’Inde qui reste cependant débitrice de vingt-six millions de dollars. Le Pakistan, l’Indonésie, le Maroc, les Phi- lippines, l’Egypte, le Nigéria, le Pérou, la Turquie, le Chili, l’Argentine, la Corée du Sud, l’Algérie, le Vénézuela sont endettés pour plus de dix milliards de dollars ; le Mexique et le Brésil battent tous les records (plus de soixante-dix). Pour d’autres pays enfin, les emprunts contrac- tés sont supérieurs à leur P.N.B. : le Mali, le Zaïre, le Togo, Madagascar, la Zambie, la Maurétanie, la Bolivie, le Costa Rica... Quelques efface- ments concernent les pays les plus pauvres, insolvables (-).

Autant de menaces au-dessus des habitants. Le relèvement de la nappe phréatique au Sahel, les déforestations massives et les « cercles de désolation » autour des villes d’Afrique équatoriale, le grignotage des terres cultivables par les « zones d’habitat spontané » apparaî- traient, comme des détonateurs de misère, les facteurs étant ailleurs. S’il n’y a aucune fatalité naturelle au sous-développement, l’enclen- chement du processus de développement s’annonce anormalement long, et la misère tenace.

L’aide alimentaire soulage bien des consciences et des estomacs. Elle diminue en direction de l’Inde et du Bangladesh, l’Asie faisant battre en retraite ses plus terribles famines ; elle concerne massive- ment l’Éthiopie où le dénuement le plus total a soudain surgi du fond des âges dans les dernières années du vingtième siècle ; au Mali, elle est venue « ajouter à la déstabilisation agricole des pays receveurs».

De tels discrédits n’ont pas empêché le Ministre de l’Agriculture, Fran- çois Guillaume, de proposer « un plan Marshall à la française » regrou- pant les pays occidentaux producteurs de céréales à l’intention des pays d’Afrique dans le besoin.

La danse macabre des affamés du monde est le plus criant des états de déstabilisation à la fin du deuxième millénaire.

. Charles Condamines, « l’aide alimentaire », dans L’État du Monde, op. cit., p. - .

De la dépendance à la satellisation

Les sociétés qui s’engagent dans le processus de mutation éco- nomique propulsant les sociétés agraires dans la modernité sont confrontées à un gigantesque défi : un pays, à peine sorti du sous- développement, a-t-il des chances de pouvoir s’imposer sur le mar- ché mondial ? Peut-il éviter de servir de « relais » au sein d’un sys- tème où les tard-venus produiraient au service des puissances maî- tresses du conditionnement et de la commercialisation des denrées ? L’agribusiness guette. Elle concerne « toute production et distribution de fournitures pour les agriculteurs, les opérations de production agri- cole in situ ainsi que le stockage, la transformation et la distribution des denrées agricoles et des nourritures conditionnées. »

Cela laisse bien des voies à la « satellisation », dont la forme achevée fait passer une partie du secteur agricole dans la besace de la spécula- tion mondiale. Une riche société ou compagnie installe de puissants complexes (barrages, raffineries...), acquiert des terres par centaines de milliers d’hectares, se contentant de plus en plus de la formule plus souple du leasing, y place une piétaille de cultivateurs sous contrat : la production leur échappe complètement, avec la complicité des diri- geants politiques, lesquels ne manquent pas de tirer de l’opération de lucratifs bénéfices. Des pans entiers d’Amérique du Sud (Brésil),

d’Asie (Thaïlande) d’Afrique (Côte d’Ivoire) sont entrés dans de tels systèmes qui privilégient la monoculture d’exportation (sucre, soja, café, cacao...).

Le développement agricole, s’il ne garantit pas toujours de nourrir toutes les bouches, libère cependant des bras devenus inutiles. Des bras qui appartiennent à des hommes et à des femmes, souvent en charge de famille nombreuse, qui aspirent à travailler pour élever leurs enfants.

. Prog. Golberg, « Agribusness for Developing countries » dans Harvard Business

Review, Sept-Oct. , p. .

Les déstabilisations du monde rural contemporain (années 1980)

Dans le document Villageois sans agriculture ! (Page 182-186)