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Villageois sans agriculture !

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Submitted on 26 Feb 2021

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de notre temps. Presses universitaires de la Méditerranée, 270 p., 2007, 978-2-84269-793-8. �hal-02897113�

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Villageois sans agriculture !

Observations sur les mutations

rurales de notre temps

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Geneviève Gavignaud-Fontaine

Villageois sans agriculture !

Observations sur les mutations

rurales de notre temps

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Ouvrages de l’auteur

Histoire vigneronne

Propriétaires-viticulteurs en Roussillon. Structures-Conjonctures-Société

XVIII e-XX esiècle, Paris, Publications de la Sorbonne, ,  tomes,

pré-face de Jean Bouvier. Adaptation de la thèse pour le doctorat ès lettres et sciences humaines, Paris I Panthéon-Sorbonne, .

Caractères historiques du vignoble en Languedoc et Roussillon, recueil d’ar-ticles I, Montpellier, Université Paul-Valéry, .

Le Languedoc viticole, la Méditerranée et l’Europe au siècle dernier (XX esiècle),

Montpellier, Publications de l’Université Paul-Valéry, , re

édi-tion ; eédition .

Vignerons. Histoire languedocienne et roussillonnaise, recueil d’articles II,

Montpellier, Université Paul-Valéry, .

Histoire rurale

La Révolution rurale. Essai à partir du cas américain (U.S.A.), Le Coteau,

Horvath, , préface de Robert Laurent.

Les campagnes en France, Paris, Apt, Ophrys, collection Synthèse Histoire,

 ; t. I : le xixesiècle ; t. II : le xxesiècle.

La Révolution rurale dans la France contemporaineXVIII e-XX e siècle, Paris,

L’Harmattan, .

Propriété et société rurale en Europe. Les doctrines à l’épreuve de l’histoire sociale française, années-, Nantes, Éditions du Temps, .

Histoire du christianisme

Considérations économiques dans le temps long du magistère catholique,

ouvrage en cours de réalisation.

En collaboration

Civilisations populaires du Languedoc et du Roussillon, Le Coteau, Horvath,

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La Révolution française dans le Languedoc méditerranéen, Toulouse, Privat,

 (en collaboration avec Robert Laurent).

Vignobles du Sud,XVI e-XX esiècle, Actes du colloque du Centre d’Histoire

moderne et contemporaine de l’Europe méditerranéenne et de ses périphéries, Montpellier, Publications de l’Université Paul-Valéry,  (textes réunis en collaboration avec Henri Michel).

Le Vin en Languedoc et Roussillon. De la tradition à la mondialisationXVI e -XXI esiècle, Perpignan, Trabucaïre,  (en collaboration avec Gilbert

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Avant-propos

Importance des mutations

en cours dans le monde

Nos contemporains vivent l’un des grands bouleversements de l’hu-manité : confrontés à la redistribution des activités économiques à tra-vers le monde, ils sont, en conséquence, impliqués dans une nouvelle répartition des populations, et porteurs d’un mode de vie en rupture avec celui du passé. Partout, le lien « hommes-terres-villages », hérité des millénaires précédents, se défait sous nos yeux ; si le processus est plus avancé dans de nombreux pays occidentaux, il n’en affecte pas moins, à des degrés divers, l’ensemble de la planète.

Nourriture et boissons déversées sur nos tables expriment, quoti-diennement et entre autres produits de consommation, l’active mon-dialisation des échanges qui entraîne les hommes et leurs sociétés dans des tourbillons multiples. Chacun sait que les sociétés se sont d’abord organisées autour de la chasse, de la pêche et de la cueillette ; puis, qu’elles sont devenues pastorales. Elles ont cessé d’être itiné-rantes lorsqu’elles sont devenues cultivatrices, au cours des millé-naires néolithiques qui ont précédé l’ère chrétienne. Ce savoir-faire agricole s’est progressivement perfectionné par la prise en compte des observations météorologiques, la sélection des semences, la fabri-cation d’outils. Une longue chaîne de générations a, de la sorte, enra-ciné les populations et leur habitat sur de fertiles terreries, nouant puissamment le nouveau lien « hommes-nourriture-terres » autour du lieu d’installation. Celui-ci, dit « paroisse » dans la chrétienté depuis le haut Moyen Age, s’est rassemblé autour de l’Église, tandis

que les ordres religieux incitaient au défrichement des terres incultes,

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au déboisement des enchevêtrements forestiers, à l’assèchement des marais ou marécages.

Quant au réseau urbain, déployé par les cités grecques dès le sixième siècle avant Jésus-Christ, et étendu dans la foulée par les cités romaines, les ravages barbares l’avaient affaibli mais non détruit ; il s’est reconstitué et développé dès avant l’an mil, nourri d’échanges commerciaux, lesquels constitueraient dans la seconde moitié du deuxième millénaire, le ferment actif des colonisations. Ainsi se sont renforcées les bases matérielles de la civilisation occidentale, tan-dis que la quête de Dieu et de son royaume vivifiait les plus hautes sphères de la spiritualité humaine.

Développement matériel et quête spirituelle, voilà deux niveaux de réflexion qu’il convient de replacer à leur place respective avant de poursuivre notre analyse. Le premier constat conduit en effet à affirmer que l’héritage néolithique finit de perdre toute sa spécificité sous nos yeux ; cependant, observer le dépérissement des sociétés qui produisent directement la nourriture qu’elles consomment, n’impose pas de radicaliser ledit processus de « mutation ». En effet, et c’est le deuxième constat, les savoirs et croyances qui ne subordonnent pas l’homme aux seules conditions matérielles de son existence, ne sont pas pour autant — et pour l’heure — complètement effacés. Ils demeurent les repères d’une humanité, qui, si elles les perdaient tous, ferait alors un saut dans l’inconnu.

Notre analyse répond au projet d’évaluer la portée du changement profond venu affecter le mode de vie — et donc le mode d’organisa-tion — des populad’organisa-tions ; un changement qu’amplifieraient, faut-il le souligner encore, des considérations exclusivement matérialistes de l’homme et de la société.

Ces précisions étant faites, force est de constater que la société paysanne s’est puissamment réduite au cours des derniers siècles, en France et ailleurs, avec accélération du processus au cours des temps contemporains. Deux précisions suffiront à en convaincre, l’une sémantique, l’autre statistique ; elles concernent principalement la France.

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Avant-propos : importance des mutations en cours dans le monde

Dans le vocabulaire courant, rural, paysan ou agricolene peuvent

pas rester synonymes, comme s’il s’agissait simplement de qualifier, comme autrefois, celui qui se nourrit sur la terre qu’il travaille et vit sur place. Aujourd’hui, ici et là, les agriculteurs sont compétitifs — ne sont-ils pas dits « entrepreneurs » ? — et ont remplacé les paysans traditionnels sur des exploitations désormais dépendantes du mar-ché, et nécessairement rentables ; qu’ils soient agriculteurs ou pas, les

ruraux sont ceux qui résident, en France, dans des agglomérations

de moins de deux mille habitants. Les évaluations numériques per-mettent de mesurer l’ampleur du changement : à la veille de , quelque  % de la population française est rurale, et  % paysanne ; au début du vingt-et-unième siècle, les statistiques font état d’un peu moins de  % de population rurale, et un peu plus de  % d’agricul-teurs.

À l’heure de la globalisation économique, marquée par l’asphyxie des agricultures locales les moins compétitives, un tel phénomène de contraction de population agricole est en voie de généralisation à tra-vers les continents.

En conséquence, nous affirmons que se réalise, sous nos yeux, une mutation du rapport « hommes-terres » ; elle se manifeste par la lourde chute du nombre des cultivateurs, qu’ils soient paysans (auto-consommation et marché local) ou agriculteurs (production dans la dépendance du grand marché). Ces deux catégories de producteurs ont été ébranlées successivement en France, tout au long des dix-neuvième et vingtième siècle ; le rythme évolutif a été plus rapide aux États-Unis ; aujourd’hui les pays en voie de développement enre-gistrent quasi simultanément la rapide contraction du nombre de leurs paysans et du nombre de leurs agriculteurs.

Le panier de la ménagère n’est plus ce qu’il était, nul ne dira le contraire ; ce panier symbolise à lui seul la nouvelle répartition des hommes et des activités dans le monde ; mais si chacun est disposé

. Cf. Geneviève Gavignaud, « À propos des voies de passage de “l’agriculture pay-sanne” à “l’agriculture capitaliste” », dans Le Mouvement Social, Paris, les Éditions Sociales, , no, p.  à . Idem, Propriété et société rurale en Europe : les doc-trines à l’épreuve de l’histoire sociale française, années-, Nantes, Éditions du

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à le voir à sa façon, à moitié vide ou à moitié plein, il n’en reste pas moins expressif d’un fait d’actualité d’importance pour l’avenir. L’in-dustrie agroalimentaire résulte du nouveau rapport de l’homme à la nourriture, et donc à la terre. Produite en des lieux sélectionnés pour leur efficacité économique, traitée par des procédés industriels, conditionnée pour la vente aux particuliers sur de grandes surfaces commerciales, l’alimentation d’aujourd’hui tire son originalité de son processus d’élaboration industrielle. Un changement qu vient à la suite de ceux qui avaient permis de remplacer la chasse par l’élevage, la cueillette par l’agriculture familiale ; une nouveauté dont nul ne connaît encore, par-delà quelques graves scandales, tous les effets.

La ration alimentaire quotidienne se compose de produits venus de diverses latitudes... et de substances chimiques plus ou moins digestibles par les consommateurs. Notre propos n’est pas de faire le procès de l’alimentation contemporaine — d’autres auteurs y ont pourvu— il vise à expliquer par quel cheminement les sociétés

occi-dentales en général, et la société française en particulier, ont rem-placé, dans leurs campagnes, les paysans par des agriculteurs, et, sans jamais cesser d’en diminuer les cohortes, les agriculteurs par des non-agriculteurs, c’est-à-dire par des populations ayant cessé de travailler la terre sur laquelle elles avaient établi leurs villages, hameaux ou fermes. Cultivée industriellement par des entrepreneurs équipés de puissantes machines, la terre agricole, très strictement localisée sur le territoire, porte des récoltes où la chimie depuis un siècle, la mani-pulation génétiquedepuis une dizaine d’années exercent une part

importante du processus de développement végétal.

Il va de soi que les conséquences d’un tel processus économique et social font des ricochets sur l’ensemble environnemental : la nature et les paysages, le patrimoine... et l’assiette des citadins tout autant

. Scandales alimentaires et écologiques sont l’objet de nombreuses études au cours de ces dernières années.

. Dénoncée en  devant le grand public par José Bové, la « malbouffe » est l’objet de vives polémiques, où s’affrontent contempteurs et partisans des procédés les plus sophistiqués de la chaîne agroalimentaire mondiale. José Bové et François Dufour, Le Monde n’est pas une marchandise : les paysans contre la malbouffe, Paris, La Découverte, .

. L’application au monde végétal des méthodes relatives aux organismes généti-quement transformés (O.G.M.) a commencé, aux États-Unis, à la fin des années .

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Avant-propos : importance des mutations en cours dans le monde

que celle des ruraux ! Il est révélateur de constater qu’après s’être fait le chantre des agriculteurs les plus modernistes, Louis Malassis pointe le doigt en avant pour prévenir : « ils vous nourriront les pay-sans du monde si...» ... s’il reste des paysans, ou si ceux qui

res-tent conservent des terres fertiles aurait complété Candide, car ce dernier sait que nul ne peut accepter une chose et son contraire ! Des sophistes démontreraient, eux, que des arbres dénaturés peuvent continuer à donner de bons fruits. Tandis qu’ils poursuivent entre eux leurs débats, restons sur notre champ d’observation, celui de la muta-tion contemporaine des sociétés rurales.

La nature ayant horreur du vide, les places laissées au village par les populations contraintes à l’exode agricole sont rapidement occu-pées par de nouveaux-venus ; dans les pays occidentaux, ceux-ci sont attirés par la possibilité d’acquérir une maison à prix moindre, voire un espace avec arbres et pelouses, et, dans les meilleurs des cas, une meilleure qualité de vie. Ils s’y installent à demeure si les distances à franchir pour aller travailler ne sont pas démesurément longues ; ils y passent leurs semaines de loisirs lorsque leurs revenus leur per-mettent d’entretenir deux résidences ; souvent, la location à l’année ou à la semaine constitue une étape transitoire avant l’achat foncier.

Quoi qu’il en soit, autre temps, autres mœurs, ces populations ne viennent pas dans les campagnes pour travailler la terre ; elles n’ex-priment pas non plus, d’emblée, la volonté de renouer les fils avec la mémoire du passé. Le souci du quotidien, et le désir individuel d’avenir scellent le choix de s’installer dans des villages que le gon-flement démographique et l’étalement pavillonnaire transforment rapidement en « agglomérations ». Il s’agit bien là d’un peuplement nouveau, venu de la ville, en remplacement d’anciennes popula-tions paysannes puis agricoles parties, elles, en ville pour tenter de survivre. Le phénomène est particulièrement dense dans le grand ouest du bassin parisien, en Alsace, dans les régions Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Aquitaine... Revenu d’outre-tombe, un paysan avisé s’interrogerait pour comprendre comment il est aujourd’hui devenu possible de prospérer là où hier il était devenu impossible de subsister ; il

pense-. Louis Malassis, Ils vous nourriront les paysans du monde si..., coédition Cirad, Inra, Cemagref, Ifremer, .

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rait sans doute que la facilité des transports et des communications ne constitue pas, à elle seule, une garantie pour des lendemains qui chantent éternellement. Il évoquerait le marqueur « travail », indis-sociable à ses yeux de celui de « vivres » (nourriture) pour évaluer le degré de réussite des nouveaux comportements.

L’historien ne peut rester muet devant les questions existentielles que devraient se poser, sinon les populations concernées, du moins ceux qui ont la responsabilité de leur devenir. Le recours au passé — le temps long — s’avère utile pour plonger aux racines du phéno-mène étudié : le remplacement des « gens de la terre » par « des gens venus de la ville ». Ce thème a déjà nourri, au cours des deux décen-nies précédentes, deux de nos ouvrages et bon nombre d’articles sur la « Révolution rurale» ; le moment est venu d’en proposer une

syn-thèseet un bilan. C’est une façon de répondre aux conseils de

Fer-nand Braudel prodigués en  lors d’une entrevue dans son bureau de la maison des Sciences de l’Homme ; soulignant la pertinence des observations sur les campagnes américaines que lui soumettait alors sous forme d’ébauche l’auteur de ces lignes, il prévenait : « c’est une mine d’enseignements pour l’avenir ; des années passeront cepen-dant avant que l’opinion publique ne s’en soucie ».

Vingt-cinq années ont couru depuis ; chacune devait confirmer l’ampleur des changements venus affecter les campagnes occiden-tales, et creuser la différence avec un passé révolu. Aujourd’hui, cha-cun peut en convenir, les villages ont perdu beaucoup de leur res-semblance avec ceux d’hier ; ceux qui ne sont pas désertés se parent des traits de la modernité, ceux qui jouxtaient les villes deviennent des agglomérations acquises aux citadins. Il ne saurait s’agir là d’une « renaissance». Serait-ce une « Révolution » ? Oui, sans aucun doute,

compte tenu de la rupture opérée dans l’histoire rurale contempo-raine.

Tous les pays sont-ils concernés ? Le sont-ils au même degré ? La comparaison, d’abord établie entre les cas français et américain

. Cf. infra, annexe .

. Le lecteur ne s’étonnera pas de relever quelques redites au cours des chapitres, car ceux-ci constituent des analyses thématiques, respectivement dissociables de l’ensemble de l’ouvrage.

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Avant-propos : importance des mutations en cours dans le monde

devrait permettre de répondre à ces questions ; la prise en compte des autres pays du monde offrirait peut-être de les nuancer. La seule interrogation qui risque de rester encore longtemps ouverte est celle de savoir si campagnes et villages, mais aussi villes et quartiers consti-tueront pour les générations d’hommes et de femmes à venir des aires d’existence autre que matérielle ; qu’en serait-il du développement personnel et spirituel ? C’est dire combien, quelle que soit la vigueur des conditions matérielles de l’existence, celle-ci requiert, pour s’épa-nouir, les plus sublimes des souffles. À la ville comme à la campagne.

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Introduction

La rupture des liens « hommes-terres »

dans la longue durée

Traditionnellement bases du travail agricole et sources de nour-riture, les campagnes ont enregistré, dès le dix-huitième siècle en Europe septentrionale (Angleterre, Flandre) de puissantes transfor-mations dans l’utilisation des terres. Rassemblées sous le concept de « Révolution agricole », elles se résument concrètement : les produc-tions vivrières cèdent la place aux producproduc-tions commercialisées. Des combinaisons transitoires peuvent exister entre ces deux fonctions, avant que le capitalisme agricole ne marque profondément de son empreinte les campagnes contemporaines. De façon concomitante, l’expansion urbaine se nourrit de successives vagues de migrations ; les flux d’exode agricole et rural laissent les campagnes exsangues, avant que les flux d’exode urbain ne viennent combler les vides.

Des sociétés rurales diversifiées par l’histoire

Tout comme la vie, l’histoire est mouvement, et celui-ci est vecteur de changement. Sans doute faut-il souligner combien semble s’accé-lérer le temps à partir du moment où les sociétés sont traversées par le processus que les « modernes » assimilent au « progrès », c’est-à-dire à une incessante et toujours renouvelée course technique en avant.

Une évolution en trois temps

Le temps se déroule lentement, au rythme des siècles, dans les sociétés agraires traditionnelles ; puis, la cadence s’accélère, de géné-ration en génégéné-ration, dans les sociétés agricoles précapitalistes ; enfin,

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le tempo se fait encore plus nerveux pour marquer les soubresauts des sociétés urbaines capitalistes, aux campagnes vidées des nom-breux agriculteurs du passé. À cette étape de l’évolution, le temps se mesure en années de « croissance », de « crise » ou de « récession ».

Trois types de société à observer de plus près.

Les sociétés paysannes traditionnelles

Qualifiables aussi de sociétés vivrières, ces sociétés agricoles de « premier type » sont héritières des millénaires néolithiques ; leurs

pra-tiques culturales s’épanouissent souvent dans le cadre familial, sou-cieuses de la régénération des terres, et de l’entretien des communau-tés locales. Les sociécommunau-tés paysannes des temps médiévaux ont essaimé à travers l’Europe, et diversifié ces économies de subsistance par le biais de la pluriactivité. En effet, le temps inoccupé par le travail de la terre, conjugué à des savoir-faire liés au travail du bois ou du métal, de la glaise et de la brique, des fils de laine, de lin ou de chanvre, ont donné corps à une gamme d’activités venues compléter les revenus. Ainsi les paysans ont-ils effectué des travaux de menuiserie, de forge, de poterie, de tuilerie, de maçonnerie, de filature et de confection...

Dans le cas de ces sociétés de subsistance, plusieurs variantes sont à distinguer suivant le degré de développement technique des popu-lations ; les activités rurales, plus ou moins diversifiées, introduisent plus que des nuances.

La première variante se découvre en l’absence d’infrastructures commerciales ; l’artisanat tire alors ses matières premières du sec-teur primaire (laine, lin, coton, bois, argile...), et destine ses produits (textiles, mobilier, matériaux de construction...) à la clientèle locale. Les surplus s’écoulent plus fréquemment sur les marchés hebdoma-daires que sur les foires annuelles où convergent des marchands venus d’horizons plus lointains. La production économique, les ins-titutions sociales, administratives et politiques présentent de forts caractères agraires, de la chute de l’Empire romain à la fin du Moyen Age. Fondé sur le rapport « hommes-terres », ce type d’organisation a affecté l’existence même des citadins, qui peuvent être, par là même, dits « ruralisés ». C’est pourquoi la connotation « ruralisée » est ici préférée à celle de « rurale », tant pour les sociétés médiévales euro-péennes, lesquelles ne furent exemptes ni de villes, ni de vie urbaine,

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Introduction : la rupture des liens « hommes-terres » dans la longue durée

que pour celles qui, ultérieurement, ne se convertirent pas, massive-ment, aux Révolutions urbaine et industrielle. D’ailleurs, le vocable de « bourg » ne rassemble-t-il pas, en maints endroits, gros villages et petites villes ?

La deuxième variante suit le développement des voies de com-munication et des moyens de transport ; dès le dix-septième siècle, les lieux où abonde la main-d’œuvre rurale attirent les marchands-fabricants qui viennent distribuer les commandes et les matières premières nécessaires à leur exécution, qui reviennent récupérer les pièces ouvrées, et partent les écouler sur des prochains lointains. Des siècles durant, les draps d’Elbeuf ou de Carcassonne, les bas de Nîmes ou de Lyon ont ainsi animé les marchés du Levant ou d’Amérique cen-trale. Dit « protoindustriel » par l’historien américain Franklin Men-dels, ce système de production se renforce d’autant plus que les

pro-grès agricoles rendent disponibles pour d’autres emplois une partie des bras.

Bon an mal an, les campagnes ont donc assuré au long des règnes, l’entretien, la survie, la permanence de leurs communautés, et, en partie, celle des villes environnantes. Au dix-neuvième siècle, lorsque les magnats de l’industrie ont préféré attirer et rassembler les tra-vailleurs sur le territoire urbain, les maisonnées campagnardes ont déversé à flots leurs habitants vers les villes. Pour preuve, les recense-ments français qui permettent de situer autour de , pour de nom-breuses régions et de nombreux villages français, le sommet de popu-lation ; celle-ci a continué à augmenter dans les centres de prospé-rité agricole. Si l’histoire longue des paysanneries passe par la

dégra-dation, puis la disparition de l’autarcie, la mutation de sociétés pay-sannes traditionnelles en sociétés agricoles précapitalistes passe par une adaptation du fonctionnement social aux nouveaux impératifs économiques.

. Franklin Mendels, « Proto-industrialization : The First Phase of the Process of Industrialization » in Journal of Economic History (U.S.A.), vol. XXXII (), p. -. . Cf. Georges Duby et Armand Wallon (sous la direct. de), Histoire de la France

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Les sociétés agricoles précapitalistes

Les sociétés agricoles dites de « deuxième type » se distinguent des précédentes par leur ouverture aux grands marchés agricoles. À la dif-férence des précédentes, elles se délestent (ou plutôt se laissent déles-ter) de leurs fonctions autres qu’agricoles, pour se vouer à l’agricul-ture spécialisée, voire à la monocull’agricul-ture. Elles s’adaptent aux condi-tions économiques des sociétés modernes en accomplissant la « Révo-lution agricole » ; ce faisant, elles remplissent moins le rôle

reproduc-teur défini précédemment, que le rôle producreproduc-teur que leur assigne la

société dans son ensemble : il faut nourrir des populations urbaines en nombre croissant, au plus bas prix possible afin de ne pas grever outre mesure leur budget. L’agriculteur doit donc être performant, ou disparaître. L’exode rural des paysans pauvres précède celui des arti-sans et commerçants ruinés ; il alimente le gonflement de la popula-tion urbaine, industrielle d’abord, tertiaire ensuite. La dépopulapopula-tion massive des terroirscontraste avec alors la croissance nerveuse des

cités.

Ainsi, porteurs de profonds bouleversements économiques, les dix-neuvième et vingtième siècles ont affecté les campagnes françaises, et, selon les lieux, plus ou moins rapidement transformé une agri-culture nourricière en une agriagri-culture spéculative, elle-même géné-ratrice d’un flux important de départs de populations ruinées.

Les activités autres qu’agricoles ont été déstabilisées lorsque s’ame-nuisèrent la population paysanne d’abord, la population agricole ensuite ; et ce d’autant plus qu’elles employaient de la main-d’œuvre issue de familles locales (femmes d’agriculteurs, fils d’agriculteurs en surnombre). Souvent, l’artisan se mit au service de la nouvelle agri-culture, tels les tonneliers qui proliférèrent au dix-neuvième siècle dans les pays vitivinicoles. Les professions libérales — du notaire au juge — garantes de la légitimité foncière optaient aisément pour la vie citadine, tandis que les commerçants s’enrichissaient au gré de la prospérité environnante. L’essor marchand accompagne imman-quablement l’ouverture des campagnes, qu’il s’agisse de ravitailler les populations spécialisées, ou d’accompagner leurs productions à forte valeur ajoutée. Ainsi, courtiers et négociants ont-ils

caracté-. Jean Pitié, L’homme et son espace. L’exode rural en France duXVI esiècle à nos jours, Paris, C.N.R.S., .

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Introduction : la rupture des liens « hommes-terres » dans la longue durée

risé, à eux seuls, un commerce vinicole en pleine expansion dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. Artisanats et industries rurales n’avaient donc de chance de survie qu’en se faisant complé-mentaires des activités agricoles dominantes ; foires et marchés ont décliné s’ils n’ont pas suivi les nouvelles « rentes de situation » en ces siècles d’impitoyable concurrence industrielle et commerciale qui redistribue les activités et les populations.

Sans aucun doute, dans ces sociétés agricoles, la conjoncture régio-nale tout entière est influencée par les variations des prix à la pro-duction : si « les bons prix » dynamisent l’ensemble des secteurs, les prix « de misère » les paralysent. Les citadins n’y échappent pas ; le marasme est même généralement plus rude à subir à la ville qu’à la campagne où réserves et rusticité des niveaux de vie atténuent les amplitudes conjoncturelles. Mais, à force de privations, les résis-tances s’amenuisent, et les chaumières se vident l’une après l’autre.

Les campagnes dans les sociétés urbaines capitalistes

Lorsque l’organisation sociale urbanisée prend des forces irrésis-tibles, elle englobe sans tarder des sociétés agricoles d’un « troisième type » : ces dernières sont marquées par la contraction, jusqu’à l’ex-trême, du nombre d’agriculteurs, le caractère entrepreneurial des exploitations, leur implacable soumission au marché. Aux côtés des rares agriculteurs restés en activité, et des retraités autochtones en voie d’extinction, s’installent des populations venues des villes, et continuant souvent à y travailler. De la densité de leur implantation, dépend la rapidité de l’effacement des conditions de vie spécifiques à la campagne ; longtemps contrastées, les différences s’estompent entre agriculteurs et non agriculteurs, ruraux et citadins ; tous par-tagent un mode de vie « moderne », c’est-à-dire fortement dépendant des techniques et technologies les plus avancées, qu’il s’agisse de voi-tures automobiles, confort domestique et ménager, équipement infor-matique, téléphonie mobile...

L’agriculture capitaliste se situe, par définition, dans l’étroite dépen-dance de la libre-concurrence, source de profit et de capital. Elle tire donc sa légitimité et sa puissance d’un marché des plus impitoyables qui soient, lorsque se donnent libre cours les seules forces écono-miques : les réajustements sociaux se font alors dans la douleur, des

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raisins aux moissons de la colère. La faillite était au bout du chemin, tant pour les vignerons de , dans un Midi populaire et exalté en proie au capitalisme vinicole naissant, que dans la décennie  pour les céréaliculteurs du Middle West les plus performants au ser-vice de la mondialisation néolibérale.

La concurrence commerciale s’est, en effet, exacerbée sur le mar-ché mondial des céréales, des récoltes records ont fait s’effondrer à ce moment précis des prix déjà déprimés, la food diplomacy des années Carter s’est essoufflée, l’État fédéral à décidé de ne plus se faire provi-dence, les banques ont préféré investir ailleurs qu’aux champs. Bref, aux États Unis, « la terre ne fait plus recette » pour le particulier. Les media ont davantage diffusé l’image du farmer conquérant à la tête de ses batteries de combines ou de tracteurs hypersoplistiqués, que celle du fermier surendetté, pris au piège du capital emprunté, acculé à mettre son exploitation aux enchères et la clé de sa maison sous le paillasson.

Les spectaculaires manifestations égrenées en France, de Rennes à Bruxelles, et de Montpellier à Dublin, témoignent de la profondeur du malaise qui a secoué, dans le dernier tiers du vingtième siècle, le reli-quat de la société agricole dans les pays l’Union européenne (ancien-nement C.E.E.). Le capitalisme commercial condamne les commu-nautés agricoles à disparaître au bénéfice d’une poignée d’entrepre-neurs, eux-mêmes implacablement soumis à la conjoncture inter-nationale ; leur survie dépend d’une adaptabilité rapide et toujours renouvelée. Et, faut-il le redire, la population active agricole atteint aujourd’hui des taux minima, difficilement compressibles pour

sau-vegarder ce qui reste d’un secteur agricole humain.

Quoi qu’il en soit, en cours de route, un tel processus conduit à effa-cer des campagnes les cultivateurs du passé ; place est ainsi faite pour y accueillir des populations venues des villes.

En résumé, la société rurale, saisie comme une « forme d’intégra-tion sociale dans laquelle les institud’intégra-tions déterminantes ont une base agraire», laisse progressivement place à une société urbanisée où

« les institutions déterminantes s’articulent sur une base urbaine ».

. Quelque , % de la population fédérale américaine, le double en France. . Taylor and Jones, Rural Life and Urbanized Society, New-York, Oxford Univer-sity Press, . Agraire a pour étymologie ager.

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Introduction : la rupture des liens « hommes-terres » dans la longue durée

Les historiens ont méthodiquement analysé, dans les pays européens où s’est épanouie la vie rurale, l’organisation sociale fondée sur une agriculture d’abord paysanne, ensuite commerciale. Ils ont mis en exergue l’action des « prix » sur les « structures » : en l’occurrence, ils ont attiré l’attention sur la conjugaison de la liberté des prix et de la liberté commerciale — c’est-à-dire le « laisser-faire, laisser-passer » qu’établit la libre-concurrence — ; ils en ont généralement conclu que celle-ci bouscule inévitablement les fondements des sociétés.

La libre concurrence, un obstacle à la stabilité sociale

Sans tomber dans le piège réductionniste, structuraliste ou fonc-tionnaliste, qui consisterait a faire d’une « structure » le principe agis-sant d’un système à l’exclusion de toute autre compoagis-sante (morales, métaphysiques, voire théologiques), il a été établi que chaque société, voire chaque type de société, règle son propre moteur : les ethno-logues ont mis l’accent sur la puissance des liens de parenté, les tenants du socialisme agraire sur la rente foncière. L’attrait foncier s’est révélé être déterminant dans l’organisation, le développement, la reproduction de la société française jusqu’à la mi-vingtième siècle. À titre d’exemple, les divers rouages composant le mécanisme structu-rel des sociétés de propriétaires fonciers — telle la France — seraient ici au nombre de cinq:

– les liens juridiques : seule la liberté d’entreprise pouvant accélé-rer la dynamique structurelle ;

– les modes d’exploitation : le rapport économique évolue en faveur des propriétaires-exploitants sous le régime de la pro-priété privée des terres ;

– la conjoncture économique, d’autant plus favorable à la grande propriété qu’elle permet d’accumuler les profits ;

– l’initiative des populations concernées constituerait le quatrième rouage : elle semble destinée à maintenir un certain équilibre économique et social, un certain style de vie. Leur champ d’ac-tion s’étend sur le terrain du groupe familial (dimension de la

. Georges Duby, Armand Wallon, sous la direction de, Histoire de la France

rurale, -, t.  et .

. Geneviève Gavignaud, Propriétaires-viticulteurs en Roussillon. Structures,

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famille, règles successorales...), sur le terrain du groupe social et professionnel notamment par le biais de la gestion villageoise et communautaire ;

– l’intervention des corps politiques enfin, lequel se traduit par des effets conjoncturels et structurels : favoriser ou réduire les possi-bilités de profit, accélérer ou freiner les transactions foncières en vue de la concentration des terres.

La mise en évidence de telles forces dans la dynamique sociale des sociétés agricoles a permis de s’interroger sur l’autorégulation qui les maintient, les dysfonctionnements qui les menacent. Elle permet aussi de mieux saisir l’agencement qui se produit, depuis le Moyen Âge comme l’a expliqué Georges Duby, entre sociétés rurales et

socié-tés urbaines. Les premières ont subi, sans exception et par le biais du marché et de la rente foncière, les pressions de la seconde ; à des degrés variables en fonction de l’importance du marché et du poids de la rente. À l’époque contemporaine, la rente ne vient plus de la terre, mais du capital accumulé dans les capitales boursières et financières. Du capital dont la libre-concurrence sur les marchés du monde est grosse pourvoyeuse.

Ainsi, les flux d’évolution venus de l’extérieur ne manquent-ils pas de peser sur les campagnes et leurs populations agricoles : même lentes à tomber en désuétude, les structures héritées du passé s’étiolent et finissent par disparaître lorsque se renforcent les nou-velles exigences de la société englobante. Depuis que l’agriculture française s’est mise sous l’étroite dépendance du marché (urbain d’abord, mondial ensuite), la société agricole fait figure de société englobée : le moteur foncier, ayant précédemment fonctionné à plein régime, s’est enrayé sous la pression des nouvelles exigences exclusi-vement commerciales, celles du profit, moteur des économies capi-talistes. Le temps de la dépossession des populations locales s’est

ouvert.

La France profonde a vécu, dans les années  et , un massif abandon rural, entraînant, dans les lieux les moins favorisés, une

véri-. Georges Duby, « L’urbanisation dans l’histoire », dans Études rurales, nospécial, .

. Geneviève Gavignaud-Fontaine, Propriété et société rurale en Europe, les

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Introduction : la rupture des liens « hommes-terres » dans la longue durée

table désertification rurale : des villages exsangues, peuplés de per-sonnes âgées, où le recrutement des conseillers municipaux s’avérait impossible sans le recours aux citoyennes... ou aux quelques déçus de la société de consommation venus, après , tenter leurs chances d’un retour aux sources dans des bergeries cévenoles ou des mas pro-vençaux. Si de tels « néo-ruraux » sont à mettre davantage au compte de l’utopie rustique que d’un véritable chambardement rural, ils

n’en constituent pas moins des signes avant-coureurs de la mobilité des populations désenchantées... dont la redistribution sur le terri-toire ne se ferait pas longtemps attendre ; l’heure des flux de plus grande ampleur s’apprêtait à sonner.

Avant d’examiner les changements profonds qu’opèrent dans les campagnes tant le départ des agriculteurs que l’étalement des cita-dins, la parole est donnée à ceux qui ont tenté de freiner, à la racine, la déstabilisation des sociétés terriennes.

Les papes encensent les paysans... que la modernité

condamne

Au moment où les paroisses millénaires de la chrétienté se vidaient de leurs familles, les papes Pie XII et Jean XXIII ont prodigué conseils et mises en garde à l’adresse de ceux qui avaient su résister jusqu’alors aux sirènes du départ. Tout en fixant à l’économie le but d’assurer la prospérité matérielle de tous les membres de la société,

confor-mément au Magistère catholique, l’Église n’en gardait pas moins ses préférences pour la société agrarienne héritée du passé ; il lui impor-tait de faire en sorte que le secteur agricole ne devienne une simple annexe du secteur industriel ou du marché. Après avoir ardemment

attiré l’attention sur les conditions de vie ouvrières, le Vatican a

mul-tiplié les déclarations sur les forces paysannes.

Pie XII a salué « cette race paysanne qui peut s’élever si facilement, par ses conditions mêmes de vie, jusqu’au Tout-Puissant qui a fait le

. Henri Mendras, Voyage au pays de l’utopie rustique, Arles, Actes Sud, . . Pie XII, Discours,  mai .

. Geneviève Gavignaud-Fontaine, Considérations économiques dans le temps

long du magistère de l’Église, ouvrage encours de réalisation.

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ciel et la terre». Il louait l’esprit de travail, la simplicité et la loyauté,

le respect de l’autorité, avant tout celle des parents, l’amour de la patrie, la fidélité aux traditions qui, au cours des siècles, se sont avé-rées fécondes de biens, la promptitude à l’assistance réciproque, non seulement dans le cercle de sa propre famille, mais encore de famille à famille, de maison à maison.

Convaincu que le progrès technique porterait, à brève échéance, la condamnation des petites entreprises et, en conséquence, celle du système social fondé sur la propriété privée, Pie XII a recommandé de faire plier le progrès devant la nécessité de maintenir et d’assurer la propriété privée de tous, pierre angulaire de l’ordre social. Parce

que la personne humaine trouve, dans le travail de la terre, des stimu-lants sans nombre pour s’affirmer, se développer, s’enrichir, y com-pris dans le champ des valeurs spirituelles, il ne fallait pas réserver

l’activité agricole à une poignée d’exploitants bardés de machines. Le cheminement de la civilisation humaine ne pouvait se laisser condi-tionner par les seules exigences techniques du capital.

Dans la tempête des événements contemporains, l’Église conti-nuait à arrimer son projet temporel à la défense de la petite propriété familiale, à la base de laquelle coïncident le foyer domestique et l’ex-ploitation économique, sous la garantie juridique de la propriété.

Une propriété pour tous

Comme ses prédécesseurs, Pie XII a défendu, inlassablement, le droit à l’usage des biens de la terre, et l’obligation fondamentale d’ac-corder une propriété privée autant que possible à tous.

L’encoura-gement à l’accès de tous les hommes à la propriété est conforme au principe fondamental de la disposition universelle des biens, dont découlent le droit qui concède à tous l’usage des biens matériels et le droit de propriété. Une meilleure répartition des richesses en est attendue, fondée sur la justice et la charité. Le pape a demandé à l’État d’exercer une protection particulière sur la propriété familiale.

. Pie XII, Lettre du  août . . Idem, Lettre du  novembre .

. Idem, Message radiophonique, erseptembre . . Idem, Lettre du  août .

. Idem, Message radiophonique,  décembre . Pie XII précise, dans son mes-sage radiophonique du erseptembre , les fondements du droit de propriété.

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Introduction : la rupture des liens « hommes-terres » dans la longue durée

Les avantages reconnus à la petite propriété

Contre le monopole privé des terres, et contre la propriété d’État, les avantages qui émanent de la petite propriété individuelle sont répétés : l’homme est ainsi fait, que la pensée de travailler sur un fonds qui est à lui redouble son ardeur et son application. Il en vient même jusqu’à mettre tout son cœur dans une terre qu’il a cultivée lui-même, qui lui promet, à lui et aux siens, non seulement le strict nécessaire, mais encore une certaine aisance. Tous voient sans peine les heureux effets de ce redoublement d’activité sur la fécondité de la terre et la richesse du pays. En tout état de cause, la propriété privée

reste « le fruit naturel du travail». Et les pauvres doivent accéder à

la propriété. Chacun peut mettre à profit l’opportunité de l’épargne

pour se constituer un patrimoine, si modeste soit-il surenchérirait

Jean XXIII, pour intensifier la diffusion d’une propriété pour tous. Ainsi Pie XII a-t-il fait de la propriété privée des biens matériels l’es-pace vital de la famille, le moyen le plus apte à assurer au père de famille la saine liberté dont il a besoin pour remplir les devoirs que le Créateur lui a assignés, pour le bien-être physique, spirituel et reli-gieux de la famille.

Base d’assurance personnelle, la propriété confère, lorsqu’elle

pro-duit des biens de première nécessité, autonomie familiale et sécurité durable ; dans tous les cas, elle rend celui qui possède plus rangé, plus laborieux, elle l’éloigne des distractions funestes, le retient près de son foyer, au sein de sa famille, et occupe utilement ses loisirs ; cha-cun donne des soins plus attentifs à la gestion de ce qui lui appartient en propre.

Aux bienfaits d’une meilleure gestion particulière, s’ajoutent ceux de l’ordre social : « il y a plus d’ordre dans l’administration des biens

. Léon III, Rerum novarum, , Tourcoing, Duvivier, édit. , p. . . Pie XII, erseptembre .

. Idem, Message de Noël,  décembre . il ajoute « dans la conscience de ses propres devoirs et des limites sociales », allocution du  septembre .

. Jean XXIII, Mater et Magistra, Lettre encyclique sur les récents développements

de la vie sociale à la lumière de l’enseignement chrétien, du mai , Paris, Édit. Le

Seuil, , p. .

. Pie XI, Encyclique Quadragesimo anno, , Paris, Bonne Presse - () ; Pie XII, Discours,  juin .

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quand le soin de chaque chose est confiée à une personne, tandis que ce serait la confusion si tout le monde s’occupait indistinctement de tout » ; ordre social qui est facteur de paix : « la paix entre les hommes est mieux garantie si chacun est satisfait de ce qui lui appartient ; on constate en effet de fréquentes querelles entre ceux qui possèdent des choses en commun et dans l’indivision». Saint Thomas avait signalé,

en son temps, que la diffusion de la propriété permet d’éviter la multiplication des autorités, l’éparpillement des responsabilités, les conflits d’attribution ; qu’elle contribue à faire reculer litiges et que-relles sociales ; lorsque chacun est occupé chez soi, la paix sociale est plus forte ; le travail est mieux soigné quand le travailleur en récolte les fruits lui-même.

Les éloges ne tarissent pas quant à la propriété qui développe les facultés d’initiative et de prévoyance, le sens des responsabilités, les aptitudes au travail et à l’épargne ; et qui garantit la stabilité, l’indé-pendance, la cohésion familiale et sociale. Jean XXIII ferait écho à Pie XII : la propriété constitue un moyen idoine pour l’affirmation de la personne et l’exercice de la responsabilité dans tous les domaines ; elle est élément de stabilité sereine pour la famille, d’expansion paci-fique et ordonnée dans l’existence commune.

La promotion d’une société de propriétaires

D’une façon générale, il ne fait aucun doute pour les papes que la petite et moyenne propriété dans l’agriculture, dans l’artisanat et dans les métiers, doivent être garanties et promues ; les unions coopé-ratives doivent lui assurer les avantages des grands domaines.

Pie XII a conseillé l’union coopérative, idée reprise par Jean XXIII ;

celui-ci a ajouté qu’entreprises artisanales et coopératives doivent, pour être viables, s’adapter constamment aux structures, au fonction-nement, aux productions, aux situations toujours nouvelles détermi-nées par le progrès technique et les exigences des consommateurs;

ainsi les coopérateurs pourront-ils pour retirer de leurs activités les moyens d’assurer à leurs familles un revenu suffisant.

. Abbé Valensin, dans Semaines Sociales de Rennes, . . Jean XXIII, Mater et Magistra, op. cit., p. .

. Pie XII, erseptembre . . Idem, Discours,  novembre .

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Introduction : la rupture des liens « hommes-terres » dans la longue durée

Une bonne formation technique, et humaine, une solide organi-sation professionnelle et une politique économique efficace en ce qui concerne l’instruction, le régime fiscal, le crédit, les assurances sociales, sont en conséquence requises pour conforter lesdites struc-tures.

Deux certitudes émergent de ces conseils inlassablement réitérés. Celle que la dignité de la personne humaine suppose, comme fonde-ment naturel de la vie, le droit à l’usage des biens de la terre ; et celle que la propriété confère un statut social garant de l’ordre et de la sécu-rité, alors que le déraciné est une proie facile pour les spéculateurs en tous genres. Certitude que l’on trouve sous la plume d’agrariens de

tous bords, acquis à la légitimité d’une propriété accessible à

cha-cun.

L’hérédité est une conséquence du droit naturel de propriété : comme l’individu, la famille préexiste à l’État ; il n’y a donc pas de droit de l’État à opposer à l’hérédité ; pas davantage qu’à la propriété. Au nom de l’esprit de prévoyance, l’homme a le devoir de veiller aux besoins des siens ; il a, en conséquence, le droit de transmettre les biens qu’il a acquis à ceux qu’il a appelés à la vie, et dont il est respon-sable. Le souhait de maintenir intact le droit « de léguer ses biens

par voie d’héréditéfait bon ménage avec la défense de la donation,

considérée comme conséquence de la liberté de l’échange».

L’État, parce qu’il est postérieur à l’homme et à sa famille, doit se borner à protéger leur propriété, à favoriser sa diffusion, veillant à ne pas l’épuiser par des excès de charges ni d’impôts, à favoriser une répartition des biens plus équitable. Affectée au service du plus grand nombre, la propriété fixe au sol une importante fraction de la popula-tion.

. Abbé Valensin, dans Semaines Sociales de Rennes, .

. Agrariens de droite et de gauche alimentent ce courant d’idées dans la première moitié du vingtième siècle ; cf. Geneviève Gavignaud-Fontaine, Propriété et société

rurale, op. cit.

. Cf. Émile Chenon, Le Rôle social de l’Église, Paris, Bloud et Gay, , p. , note .

. Pie XI, Encyclique Quadragesimo anno, op. cit., p. . . Pie XII, Message de Pentecôte, erjuin .

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Mises en garde contre l’exode rural

Aux causes économiques de l’exode rural (dépression du secteur agricole, faible niveau de vie des populations rurales) s’ajoutent l’an-goisse moderne de se laisser enfermer dans un milieu sans avenir, le mirage d’une vie plus libre et plus facile dans les villes. Pie XII a pré-venu des dangers de l’exode rural : « le capital fait scintiller l’or et une vie de plaisir devant les yeux éblouis du travailleur des champs, pour l’inciter à abandonner la terre et à perdre dans les villes les économies laborieusement amassées, et, bien souvent, la santé, la force, la joie, l’honneur, l’âme elle-même. Cette terre ainsi abandonnée, le capital s’empresse de la faire sienne ; alors elle n’est plus un objet d’amour, mais de froide exploitation».

L’exode rural n’en fut pas freiné pour autant ; l’école et ses prolonge-ments, de cours complémentaires en collèges d’enseignement géné-ral, de lycées en facultés le canalisaient, attirant la jeunesse dans une alléchante course aux diplômes et aux emplois qualifiés. Ceux qui ne deviendraient pas professeurs, médecins ou ingénieurs, se feraient postiers, gendarmes ou militaires. Ce faisant, villages et bourgs per-daient une fraction importante de leur jeunesse, souvent la plus moti-vée à réussir, et toujours la plus prompte à l’effort intellectuel ; les élèves les moins performants à l’école s’entendaient dire par leurs parents : « si tu ne réussis pas ton examen, tu iras travailler la terre ! » Une façon efficace de dénigrer le travail agricole, et, d’une façon plus générale, le travail manuel. Peu attirés par l’emploi industriel, notam-ment dans le Sud où celui-ci s’était raréfié sous les effets de la concur-rence septentrionale, les ruraux laissaient aux familles ouvrières des villes et aux émigrés les secteurs miniers, sidérurgiques, métallur-giques, automobiles, chimiques...

Plusieurs conséquences découlent de ces considérations : d’une part, la dévitalisation intellectuelle des campagnes ; d’autre part, le peu d’intérêt accordé aux métiers physiques, qu’ils requièrent de l’adresse ou de la force. Contenus entre la réussite des diplômés en partance pour la ville, et l’ardeur des nouveaux immigrés prompts aux plus lourdes tâches, les jeunes autochtones restés au pays se pré-paraient à vivre entre chances perdues, et impossibles rattrapages.

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Introduction : la rupture des liens « hommes-terres » dans la longue durée

Pour éviter de creuser les oppositions entre « villes » et « cam-pagnes », Jean XXIII conseilla alors de développer, sur le territoire national, l’ensemble des virtualités productives ; d’aligner productivi-tés agricole et industrielle, niveaux de vie rural et urbain ; le rôle des services publics en matière de routes, transports, communications, eau potable, logements, soins, instruction, loisirs, services religieux a été mis en exergue. En ces années  où les jeunes aspiraient

davantage à conquérir une capacité professionnelle qu’à posséder des biens de production, le souverain pontife a considéré cette évo-lution comme un progrès de l’humanité, reléguant l’abondance des biens extérieurs au rang d’instruments, et faisant passer le travail au premier plan. À condition que la dynamique du changement ne s’em-balle pas pour précipiter les départs vers les villes.

Aussi, au cœur d’une époque acquise à la ville et à l’industrie, Jean XXIII n’hésita-t-il pas à écrire, dans Mater et Magistra, une ode à la terre et ses paysans : « ils vivent dans le temple majestueux de la création, ils sont en rapport fréquent avec la vie animale et végé-tale, inépuisable en ses manifestations, inflexible en ses lois, qui sans cesse évoque la Providence du Dieu Créateur. Elle produit les ali-ments variés dont vit la famille humaine ; elle fournit à l’industrie une provision toujours accrue de matières premières ».

Et de poursuivre sur la valeur morale du travail agricole, exigeant de patience, souplesse, ressort et esprit d’indépendance : la personne humaine trouve dans le travail de la terre des stimulants sans nombre pour s’affirmer, se développer, s’enrichir, y compris dans le champ des valeurs spirituelles. Ce travail doit être conçu, vécu comme une mission, comme une réponse à l’appel de Dieu nous invitant à prendre part à la réalisation de son plan providentiel dans l’histoire, comme un engagement à s’élever soi-même avec les autres ; comme une contribution à la civilisation humaine.

Et de rappeler que pour chacun, la propriété constitue un moyen idoine pour l’affirmation de la personne et l’exercice de la responsabi-lité en tous domaines : car elle est élément de stabiresponsabi-lité sereine pour la

. Jean XXIII, Mater et Magistra, op. cit., p. -. . Ibidem., p. -

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famille, et moyen d’expansion pacifique et ordonnée dans l’existence commune.

En conséquence et à l’instar de ses prédécesseurs, Jean XXIII recom-mandait de « mettre en branle une politique économique et sociale qui encourage et facilite une ample accession à la propriété des biens durables : une maison, une terre, un outillage artisanal, l’équipement d’une ferme familiale, quelques actions d’entreprises moyennes ou grandes»...

Dans l’agriculture comme dans l’artisanat, les préférences ponti-ficales tentèrent donc d’aller à contre-courant de l’évolution d’une époque acquise aux grandes dimensions structurelles. Parce que le progrès technique est considéré par le magistère comme un fait social, il doit être ordonné et subordonné au bien commun, et non déterminer, comme loi fatale et nécessaire, la vie économique. Il doit se plier aux exigences bien comprises de la propriété.

Pie XII et Jean XXIII ont souligné de concert que les unions coopéra-tives sont en mesure d’apporter aux petites propriétés les avantages de la grande exploitation. Et là où la grande exploitation se montre plus heureusement productive, un contrat de société doit permettre de tempérer le contrat de travail.

Encouragements à l’association professionnelle et à la défense des prix

Certes, nul ne saurait déterminer a priori la structure la plus conve-nable pour l’entreprise agricole, tant les milieux ruraux varient à l’in-térieur de chaque pays, et plus encore entre les pays dans le monde. Toutefois, compte tenu des avantages indiscutables obtenus là où prédomine l’entreprise agricole ou artisanale, l’entreprise à

dimen-sion familiale est jugée « viable » ; dans une conception humaine et chrétienne de l’homme et de la famille, « on considère naturellement comme idéale l’entreprise qui se présente comme une communauté de personnes [...] On ne saurait trop s’employer à ce que cet idéal

. Ibidem, p. . . Ibidem, p. . . Ibidem.

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Introduction : la rupture des liens « hommes-terres » dans la longue durée

devienne réalité, compte tenu du milieu donné, et à condition qu’elle puisse donner à ces familles un revenu suffisant pour un niveau de vie décent».

En conséquence, il faut encourager à la transformation des tech-niques de production, du choix des cultures, voire des structures des entreprises de manière à atteindre, dès que possible, un niveau de vie décent par rapport aux secteurs de l’industrie et des services... et

offrir des produits qui répondent mieux en quantité et en qualité, aux exigences des consommateurs.

Le choix de Jean XXIII s’est porté sur l’association de struc-tures familiales (qu’elles soient agricoles ou artisanales) et coopéra-tives comme catégories porteuses de valeurs humaines authentiques qu’elles entretiennent dans la noblesse du travail ; elles contribuent au progrès de la civilisationpar le sens des responsabilités, l’esprit

de collaboration, le goût pour un travail fin et original qu’elles déve-loppent. La marche à suivre était tracée : il faut conserver et promou-voir, en harmonie avec le bien commun, et dans le cadre de possibili-tés techniques, l’entreprise artisanale, l’exploitation agricole à dimen-sion familiale, et aussi l’entreprise coopérative, comme intégration des deux précédentes.

Il incitait les cultivateurs à établir un réseau d’institutions coopéra-tives variées, à s’organiser professionnellement, à prendre leur place dans la vie publique, aussi bien dans l’administration que dans la poli-tique. Car les meilleurs promoteurs du développement économique,

du progrès social, du relèvement culturel dans les milieux ruraux ne peuvent être que les intéressés eux-mêmes. Il recommandait

qu’ar-tisans et coopérateurs disposent d’une bonne formation technique et humaine, d’une solide organisation professionnelle ; qu’ils bénéfi-cient aussi d’une politique économique stimulante en matière d’ins-truction, de régime fiscal, de crédit, d’assurances sociales.

Et il conclut : l’association, dans le secteur agricole comme dans tous les autres secteurs productifs, « est aujourd’hui de nécessité

. Jean XXIII, Mater et Magistra, op. cit., p. -. . Ibidem, p. .

. Ibidem, p. . . Ibidem, p. . . Ibidem, p. -. . Ibidem.

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vitale, plus encore si le secteur est basé sur l’entreprise familiale. Les travailleurs de la terre doivent se sentir solidaires les uns des autres, et collaborer pour donner existence à des organisations coopératives, à des associations professionnelles ou syndicales. Les unes et les autres sont indispensables pour tirer profit du progrès technique dans la production, pour contribuer efficacement à la défense des prix, pour s’établir à niveau d’égalité avec les professions des autres secteurs de production, pour avoir voix au chapitre dans les domaines poli-tique et administratif. De nos jours, une voix isolée n’a quasi jamais le moyen de se faire entendre, moins encore de se faire écouter».

Après les encouragements à l’association professionnelle, vient la défense des prix. L’accent est mis sur la nécessité de veiller à leur res-pect, puisqu’ils doivent constituer une rémunération de travail plutôt qu’une rémunération de capitaux.

Il appartient aux intéressés eux-mêmes, aidés de l’action régula-trice des pouvoirs publics, de maintenir le niveau des prix ; tout comme Pie IX l’avait fait avant lui, Jean XXIII recommandait de main-tenir un raisonnable rapport entre les prix auxquels se vendent les produits des diverses branches de l’activité économique.

Aux promoteurs des bas prix agricoles, la réponse est sans appel : il est vrai que les produits agricoles sont destinés d’abord à satisfaire les besoins primaires : aussi bien leurs prix doivent être tels qu’ils soient accessibles à l’ensemble des consommateurs. Mais il est clair qu’on ne peut s’appuyer sur ce motif pour réduire toute une catégorie de citoyens à un état permanent d’infériorité économique et sociale, et la priver d’un pouvoir d’achat indispensable à un niveau de vie décent, cela, au reste, en opposition avec le bien commun. Paroles que la

société de consommation en cours de renforcement ne voulait pas entendre ; toute « économie » réalisée sur la nourriture ne permet-elle pas de stimuler les autres productions non agricoles ?

Tout au long de ces rappels, transparaît l’impossible concor-dance d’action entre d’une part, les recommandations pontificales et, d’autre part, les décisions des États allègrement engagés dans la voie du changement. Ainsi, pour ce qui concerne la France, les pro-jets ministériels signés par Edgar Pisani ambitionnent-ils de

boulever-. Ibidem, p. . . Ibidem, p. . . Ibidem.

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Introduction : la rupture des liens « hommes-terres » dans la longue durée

ser les structures agricoles ; ils reçoivent le soutien du Centre natio-nal des jeunes agriculteurss (C.N.J.A.) qui compte dans ses rangs des membres de la J.A.C., acquis à une modernisation agricole

sans concessions : une « cogestion » qui témoignerait de la diversité des engagements confessionnels. Les Jeunes agriculteurss

Catho-liquesavaient certes prêté l’oreille aux conseils inlassablement

réité-rés depuis Léon XIII : s’associer pour prendre en mains leur avenir, et en appeler à l’État pour résoudre les problèmes difficiles de leur temps ; mais ils avaient oublié les autres recommandations, notam-ment celles relatives aux valeurs ancestrales de la culture du sol, aux risques inhérents à l’endettement, aux dangers de laisser le progrès technique commander l’activité économique...

L’atmosphère légère des « trente glorieuses » n’a pas retenu l’écho de ces recommandations que le temps recouvre aujourd’hui du sceau des vains conseils.

Quelle nouvelle société ?

Économistes et sociologues sont entraînés à traiter des faits en rupture de passé. Ainsi, le concept « organisation sociale urbani-sée », défini par Taylor et Jones, recouvre-t-il une forme d’intégra-tion sociale dans laquelle « les institud’intégra-tions déterminantes s’articulent sur une base urbaine ». Ce type d’organisation, accéléré à l’heure du galop urbain et sous la férule industrielle, se répand sous nos yeux à l’échelle planétaire ; tandis que la ville est dotée, selon Mckenzie, d’un fort coefficient culturel, le village est-il pour autant condamnée à

dis-paraître ?

. René Colson, Un Paysan face à l’avenir rural : La J.A.C., et le modernisme

agri-cole, Paris, l’Épi, .

. Cf. Geneviève Gavignaud-Fontaine, La Révolution rurale dans la France

contemporaine, op. cit., p.  et suiv. Née dans le giron de l’Église catholique, la J.A.C.

s’en émancipe avant de rejoindre, en , le Mouvement rural de la jeunesse chré-tiennene... qui ne tarde pas à reprocher aux anciens de la J.A.C. leur façon de fonder la modernité sur le progrès technique.

. Sans doute faut-il rappeler ici l’existence de dissensions entre la doctrine sociale de l’Élise estampillée de l’autorité pontificale, et les programmes sociaux affi-chés par les organisations politiques ou associatives héritières du Sillon.

. Cf. Olivier Chadouin, La Ville des individus. Sociologie, urbanisme et

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Villages abandonnés et villes conquérantes

Si, dans le Nouveau Monde, des campements plus ou moins pro-visoires ont parfois donné l’impression de villages aussi mouvants que la frontier, il n’en est rien ni dans les États de l’Est américain, et encore moins en Europe. Ici, organisés autour de villæ romaines ou de monastères chrétiens, et puissamment enracinés lors de la renais-sance carolingienne, les villages ont traversé les siècles du deuxième millénaire jusqu’à ce que l’attrait des villes se fasse irrésistible.

Encore faut-il dire ici que les villageois sont moins partis par attrait de la ville, que par nécessité de survivre en période de galop démo-graphique ou de contraction économique. Il est en effet rare d’obser-ver, comme en France dans les années , un fort courant d’exode rural « heureux » ; en effet, celui-ci a été exceptionnellement alimenté par une jeunesse qui savait pouvoir fonder sur des diplômes scolaires et universitaires une importante promotion sociale. Généralement et assurément, les départs se font dans la contrainte et la douleur ; lors-qu’il ne suffit plus de s’éloigner quelques mois pour s’embaucher au moment des gros travaux agricoles ou des pressantes commandes artisanales, il faut rompre avec ses habitudes et son cadre de vie ; les masures sont alors définitivement abandonnées aux ronces, les rues rendues au silence. Les nouvelles destinations ne sont pas très éloi-gnées des lieux de départ ; le chef-lieu de canton draine bien sou-vent les premiers espoirs qui, faute d’être exaucés, conduisent vers de nouvelles étapes, toujours plus loin, jusqu’à ce que la permanence de l’emploi vienne garantir l’existence familiale. C’est ainsi que les migrations définitives ont pris en Europe le relais des migrations sai-sonnières.

Sur sa lancée, l’urbanisation n’a pas manqué d’opérer, en tant que dynamique, une sélection dans la hiérarchie de ses centres ner-veux, certaines petites villes ayant notamment régressé au rang de vil-lage lors de la sélective prospérité industrialo-urbaine. Un tel constat conduit à poser le problème du rapport villes-industries. Dans les pays occidentaux, industrialisation et urbanisation apparaissent être, d’une part, intimement liés dans leurs développements (du moins après la phase protoindustrielle), d’autre part directement soutenues par l’accumulation de capitaux. Or, si l’industrialisation et

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l’urbani-Introduction : la rupture des liens « hommes-terres » dans la longue durée

sation constituent deux phénomènes concomitants au dix-neuvième siècle, ce n’est pas toujours le cas au début du vingt-et-unième, que ce soit en Europe ou ailleurs. Ainsi, l’Orient porte-t-il séculairement des villes exemptes d’industries, car l’industrie sut, et sait, être rurale. Sans équivoque possible, les villes en général ont bien constitué les premiers terrains favorables à l’expansion de l’organisation sociale urbanisée, alimentée de populations venues des campagnes. La ville, lieu de concentration en tous genres, a su démultiplier la puissance de la technique, véritable levier des mutations sociales ; il semble-rait qu’à chaque étape technicienne franchie par les sociétés, corres-ponde un type de ville particulier ; l’étape technologique, franchie au vingtième siècle, serait-elle celle de l’intégration des campagnes dans l’organisation sociale urbanisée ?

Les esprits impérialistes en concluront que la victoire urbaine est désormais effective sur les campagnes ; d’autres argueront en termes d’assimilation progressive des campagnes par les villes dans un par-fait continuum. Quoi qu’il en soit, les questions jaillissent de toutes parts, telle celle posée par Claude Moindrot : « est-ce à dire que la victoire de la ville soit entièrement consommée, que la campagne ait été réduite au rang d’élément décoratif, de réserve d’air pur pour les citadins ? Ou bien l’opposition ville/campagne est-elle résolue, leur conflit a-t-il trouvé sa solution dans une synthèse qui les dépasse ? Posée en termes hégéliens, la question n’a pas de sens pour la pen-sée britannique. La seule dialectique que reconnaisse celle-ci est la dialectique Défi/Riposte d’Arnold Toynbee».

La dialectique villes/campagnes

Les images abondent pour illustrer le rapport de forces régissant le couple villes/campagnes. Georges Duby avertit : ce qu’entre autres choses les historiens cherchent, c’est a préciser le moment où, dans telle ou telle aire géographique, la ville a pris décidément le dessus au sein de cette rivalité. Aussi qualifie-t-il ces relations « d’état ambigu

d’hostilité réceptive ». Les nuances varient : Henri Lefebvre parle

. Claude Moindrot, Villes et campagnes britanniques, A. Colin, , p. . . Georges Duby, « L’urbanisation dans l’histoire », dans Études rurales, nospécial, .

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