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Le Traité complet de l’art du chant de García fils (1841-1847)

3. Analyse des textes : García fils

3.2 Milieux didactiques

García fils consacre une section (García, 1841-1847, I, p. 18) à des « Observations générales sur la manière d’étudier ». C’est aussi nouveau : nous n’avions pas trouvé ce questionnement auparavant. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’ait pas existé, mais il y a une certaine tradition de « travail » qui est en train de se perdre et qui émerge dans les écrits.

Voici le résumé de la manière de travailler recommandée par l’Espagnol.

Le pédagogue insiste tout d’abord sur l’accordage du piano avec lequel l’élève travaille : l’élève doit veiller à tout moment à la justesse.

Ensuite, l’élève doit travailler avec modération : « et faire précéder le travail matériel par le travail mental, afin d’éviter des tâtonnements qui, au lieu d’être une occasion de progrès, ne serviraient qu’à fatiguer l’organe, même le plus robuste. » (García fils, 1841-1847, I, p.18) Ou encore :

Lorsqu’un exercice sera compliqué pour l’élève, celui-ci le développera par écrit dans les différents tons que l’étendue de sa voix lui permet de parcourir. Ce travail évite de longs tâtonnements et familiarise promptement avec les formes des traits. (García fils, 1841-1847, I, p.19).

Le travail du chant devient ainsi une action « réfléchie ». Il ne s’agit plus d’imiter et ensuite (éventuellement) de comprendre, mais de comprendre avant de faire. Il s’agit d’une toute autre approche de travail, si nous comparons aux contenus des autres traités analysés.

García fils conseille d’utiliser le métronome Maëlzel, et explique : « Cet instrument sert à la fois à rendre l’exécution plus rapide et plus régulière. On commencera lentement, et on n’accélérera le mouvement que lorsque le trait sera pur et correct. » (García fils, 1841-1847, I, p. 20).

García fils préconise pour les débutants de s’exercer cinq minutes de suite, d’augmenter progressivement le temps de travail à quatre fois une demi-heure, et ceci après seulement cinq ou six mois d’études (García fils, 1841-1847, I, p.19).

57 Contrairement à la plupart des auteurs (notamment son père qui l’a formé) García fils n’enseigne pas la messa di voce à des élèves débutants:

Filer les sons, c’est les polir, c’est leur donner le dernier vernis. Pour y réussir, il faut être maitre du jeu des poumons, de l’action du larynx et de celle du pharynx. L’étude des sons filés, si on s’y livrait dans les commencements, n’aboutirait qu’à fatiguer l’élève sans l’instruire. La faculté de filer les sons doit être en quelque sorte le résultat de toutes les autres études ; bien filer les sons, c’est être chanteur.

(García fils, 1841-1847, I, p.19)

Dans sa vieillesse, quand on l’interroge sur ce choix il répond : « L’utilisation de la messa di voce nécessite un chanteur expert dans le contrôle de la respiration et des timbres. A cette étape d’études élémentaires, elle ne peut causer que de la fatigue. » (García fils, 1894, p. 14).

A. The use of the « messa di voce» requires a singer to be expert in the control of the breath and timbres. At this elementary stage it would cause only fatigue.

García fils recommande de travailler avec la voix « pleine », et souligne : « on ne doit ni la grossir, ni la forcer, ni la rendre rude et criarde ». (García fils, 1841-1847, I, p. 19). Il utilise sept voyelles « italiennes » : a, e, è, i, o, ò, u. Toutefois il affirme sa préférence sur les voyelles de la « tradition » : a, e, è, o, ò. Ici, de nouveau, García fils utilise l’écrit avec beaucoup de précision, il ne se limite pas à considérer trois voyelles, comme la plupart des anciens auteurs.

La description du mouvement de la respiration est probablement très proche de la pratique des anciens chanteurs, dans la tradition belcantiste (décrite pour la première fois de manière détaillée dans la Méthode de 1803). Toutefois, García fils utilise une terminologie plus précise : « Pour inspirer facilement, ayez la tête droite, les épaules effacées sans roideur, et la poitrine libre. Soulevez la poitrine par un mouvement lent et régulier, et rentrez le creux de l’estomac. » (García fils, 1841-1847, p. 24).

Si nous comparons les contenus de la Méthode de 1803 (cf. Analyse 1, p. 132) avec García fils, le terme « ventre » a été remplacé par le « creux de l’estomac ». Nous ne pensons pas qu’il s’agit d’une transformation des pratiques, mais le résultat d’un usage plus précis de la terminologie.

Pour le mouvement d’expiration García fils conseille : « Le mécanisme de l’expiration est l’inverse de celui de l’inspiration. Il consiste opérer par le thorax et le diaphragme une pression lente et graduelle sur les poumons chargés d’air. » (García fils, 1841-1847, I, p. 24).

Le pédagogue conseille au moment de l’expiration de « ne laisser retomber les côtes et ne relâcher le diaphragme qu’autant qu’il est nécessaire pour alimenter les sons. » (García fils, 1841-1847, I, p. 24).

Si nous comparons les contenus la Méthode de 1803 et celui de García fils, celui-ci innove en insistant sur la posture du chanteur avant de faire le mouvement d’inspiration. Cela nous surprend de nos jours : la Méthode de 1803 explique la respiration dissociée de la posture, celle-ci sera expliquée uniquement quelques pages après, au chapitre premier de la Seconde partie, dans « Position de l’élève pour l’exercice des gammes ». Rappelons-nous que dans la Méthode de 1803 la Respiration et considérée comme un savoir « concernant le mécanisme de la voix », c’est-à-dire, un savoir « théorique ». Dans l’espace d’une génération, chez García fils, elle semble parfaitement associée à la pratique, comme contenu d’enseignement désynchrétisé de l’émission du son.

58 García fils innove encore en proposant des exercices de respiration, ils figurent probablement parmi les premiers dans un livre pour chanteurs. Ces exercices sont conçus d’après une logique très simple, logique théorique que nous avons identifiée également pour la gamme :

1° Tantôt on aspire lentement et pendant l’espace de plusieurs secondes autant d’air que la poitrine en peut contenir. 2° On expire cet air avec la même lenteur qu’on a mise à l’absorber. 3° On conserve les poumons pleins autant de temps que cela est possible. 4° On les maintient vides, au contraire, aussi longtemps que les forces le permettent. Ces quatre exercices, très fatigants au début, doivent être exécutés isolément et à d’assez longs intervalles. Les deux premiers, savoir l’aspiration et l’expiration lentes, seront pratiqués plus régulièrement, si on ferme presque la bouche de manière à ne livrer au passage de l’air qu’une mince ouverture. (García fils, 1841-1847, I, p. 24).

De manière implicite, García fils attend que ce soit le rôle du maître de contrôler qu’il n’y a pas de « forçage ». Les deux premiers sont des exercices probablement très anciens (les anciens rhéteurs s’entraînaient à déclamer de longues phrases pour développer le souffle), le 3ème et 4ème exercice sont probablement issus de la logique de la théorie, déduits des deux premiers, mais beaucoup moins utilisés, comme García fils lui-même le suggère. García fils supprime le 4ème exercice dans Hints on singing.

García fils recommande le travail de ces exercices: « C’est le moyen physique d’obtenir la tenue de la voix dont il sera parlé plus loin. » Nous sommes tellement habitués, de nos jours, à ce genre de discours, que nous ne nous rendons plus compte de l’innovation qu'ont constituée, dans leur temps, ces innovations. La messa di voce n'est plus considérée comme le moyen pour apprendre à répartir l’air dans la phrase en même temps que l’élève apprend à doser le son.

Des exercices de gymnastique, hors du contexte musical, font ainsi leur apparition dans les livres de chant : les éléments identitaires de la tradition belcantiste se perdent progressivement, avec la désyncrétisation des savoirs qui transformera profondément les contenus enseignés.

Nous aimerions souligner le fait que malgré le demi-siècle qui sépare les deux écrits celui de la Méthode de 1803 et celui de García fils, et malgré les découvertes scientifiques concernant la respiration, notamment celle du Dr. Mandl (1876) (cf. Annexe 2, N° 4, p. 73), García fils reste fidèle à l’ancienne tradition de respiration belcantiste, respiration « thoracique »:

(A.)66 Dans la première tentative d’émettre un son, le diaphragme s’aplanit, l’estomac avance légèrement, et le souffle est introduit par le nez, par la bouche, ou par les deux à la fois. Pendant cette inspiration partielle, que l’on nomme abdominale, les côtes ne se déplacent pas, les poumons ne sont pas non plus remplis à leur complète capacité. […] Alors et seulement alors, les côtes se lèvent, pendant que l’estomac se creuse. Cette inspiration – dans laquelle les poumons disposent d’un mouvement libre, d’un côté à l’autre, devant et derrière, de haut en bas – est complète et est appelée thoracique. (Q.) laquelle approuvez-vous? (A.) La respiration thoracique, et pour l’obtenir il faut que l’air soit pris lentement et profondément. (García fils, 1894, p. 4)

(A) In the first attempt to emit a sound, the diaphragm flattens itself, the stomach slightly protrudes, and the breath is introduced at will by the nose, by the mouth, or by both simultaneously. During this partial inspiration, which called abdominal, the ribs do not move, nor are the lungs filled to their full capacity [...]. Then, and only then, are the ribs raised, while the stomach is drawn in. This inspiration – in which the lungs have their free action from side to side, from front to back, from top to bottom – is complete, and is called thoracic or intercostals. [...] (Q.) Which do you approve? (A.) The thoracic; and to obtain it the breath must be taken slowly and deeply.

66Hints on singing est rédigé sous forme de question-réponses : (A : réponse ; Q : question).

59 Nous renvoyons le lecteur à l’enregistrement de Vissi d’arte (Tosca, Puccini) chanté par la Callas67, qui constitue un bel exemple de la respiration belcantiste.

Nous nous sommes intéressée aux exercices pratiqués par les élèves de García fils.

L’Espagnol propose comme premier exercice celui de l’union des registres. Suivent la description des différents enchaînements de notes. Elles peuvent être portées, liées, marquées, etc. Dès les premiers exercices le port de voix est requis, il sera déjà appliqué pour des petits intervalles comme celui de seconde. Suivent les tierces, quartes, etc.

Nous retrouvons les anciens exercices, déjà publiés par son père, pour former la gamme.

García fils prend, comme point de départ (Première partie, p. 33. Exercice N 11), les deux notes (do - ré) dans un mouvement accéléré : c’est l’ancien exercice, que l’on retrouve déjà dans la Préface de les Nuove Musiche de Caccini (1601), plus tard dans la « Feuille de Porpora » de Harris, et qui est probablement très ancien.

Nous avons comparé la présentation des mêmes exercices chez le père et le fils García. Il est intéressant de voir des transformations dans la scripturalisation des exercices. Par exemple, les intervalles de seconde chez García père sont représentés (Exercice 2, p. 3) avec des valeurs plus longues. Chez García fils la valeur ronde liée à une blanche pointée est raccourcie à une blanche liée à une noire.

Il est vrai que sans une référence métronomique, nous ne pouvons déduire que l’exercice écrit par le père était plus « lent » que celui que le fils travaille avec ses élèves, mais nous pensons que cette transformation des signes n’est pas anodine. Nous avons la preuve, dans un petit détail : chez García père chaque intervalle a au-dessus de la portée le signe de la messa di voce.

García fils explique les procédés utilisés dans le travail de la vocalisation. Nous travaillons encore certains d'entre eux de nos jours, comme l’accentuation de groupes de notes, cela de manière régulière. García fils ne propose pas uniquement de varier les accents mais les nuances d’intensité (f et p), à grande vitesse (García fils, 1841-1847, I, p. 49).

Pour la vitesse des agilités des soprani, il recommande : d’arriver au degré de quatre doubles croches à « 120 du métronome de Maëlzel » (García fils, 1841-1847, I, p. 49).

Nous pensons pourtant que l’usage du métronome par García fils ne doit pas être interprété comme un moyen rigide d’appliquer l’écrit, mais au contraire : García fils sait que pour chanter à la vitesse de 132, l’élève n’a pas d’autre choix que d’assouplir l’émission du son.

Par exemple, si l’élève chante en « forçant » la voix, ou en « fixant » le larynx, il n’obtiendra pas ce résultat.

Nous avons plusieurs preuves que García fils n’a pas un rapport « rigide » à l’écrit. Par exemple, il admet que d’autres professeurs utilisent son traité en adoptant un autre « ordre » :

Bien que nous ayons adopté, dans le classement des matières de cette première partie, l’ordre qui nous a semblé le plus rationnel, cet ordre pourra être interverti par le maître, qui changera la disposition des exercices ou en supprimera quelques-uns en raison de l’aptitude et des besoins de l’élève. (García fils, 1841-1847, I, p. 20)

García fils critique les méthodes de Martini et celle du Conservatoire (1803), qui proposent de travailler le trille « en pointant la note principale. » (García fils, 1841-1847, I, p. 71). Il conclut : « J’engage les élèves à chercher le trille par le tremblement spontané du gosier et non par le mouvement progressif des deux notes. » (García fils, 1841-1847, I, p. 71).

67 https://www.youtube.com/watch?v=NLR3lSrqlww

60 Nous soulignons que García fils est pourtant très attaché aux anciennes pratiques de la tradition belcantiste et mentionne par exemple le « renversement de la tête en arrière » (García fils, 1841-1847, I, p.1), pratiqué par les anciens chanteurs utilisant la voix « claire ». Cette

« technique » ne tardera pas à disparaître avec l’enseignement de la « fixation » du larynx en position basse et le recours à la voce coperta.

L’auteur travaille le répertoire italien, avec des élèves avancés comme Marchesi; ce sont surtout les compositions de Rossini, Bellini et Donizetti (Malcolm Sterling, 1908, p. 161).

Cela suppose un important travail, d’après son élève Marchesi : « gammes, arpèges, &c., et le pire avec le métronome » (Malcolm Sterling, 1908, p. 161).

Dans la Seconde Partie de son traité, García fils propose des extraits, tirés d’opéras du

« répertoire », et indique comment prononcer certaines consonnes, comment accentuer ou phraser. Ces extraits sont probablement ceux que García fils utilise en classe, pour appliquer les procédés appris.