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Le Traité complet de l’art du chant de García fils (1841-1847)

4. Conclusions : Traité de García fils

Si nous prenons en compte et dans leur globalité les analyses précédentes, nous arrivons à la conclusion qu’il y aurait des procédés et des pratiques relativement homogènes qui

73C’est d’après cette anecdote que nous avons émis cette hypothèse : “Not only had Manuel García fils a remarkably accurate ear, but he possessed the gift of “absolute pitch”, a fact shown by the following anecdote. A friend called to see him one afternoon, and the conversation turned upon the question of pitch. García fils shook his head reproachfully when the visitor, who was some seventy years his junior, stated that he could not tell what a note was by ear. No sooner had I said this, writes this friend in describing the incident, “than the old maestro rose from his seat, stood with his back to the piano, and told me to strike any note I liked and he would name it.

As rapidly as possible I struck the notes, and instantaneously he called out what they were. [...] Without a moment’s hesitation he named each in turn without a single mistake.” (Malcolm Sterling, 1894, pp. 254-255)

69 correspondraient à un paradigme belcantiste de chant dit « classique »74, dans un contexte référentiel proche des principes du discours75.

Autour des années 1840, nous déduisons des écrits également des indices de transformation et rupture du paradigme. Mais, la tradition semble avoir survécu à cette rupture : rappelons-nous qu’il s’agit de changements qui s’opèrent tout au long de plusieurs générations.

Dans la discographie enregistrée à la veille de la Seconde Guerre mondiale, nous avons reconnu encore ces anciens procédés belcantistes. Cela confirme notre déduction que la scripturalisation des savoirs anticipe les changements des pratiques, mais qu’elles ne sont pas appliquées pour autant.

Le traité de García fils contient la description de ces procédés belcantistes, auquel l’auteur avait été initié en partie par son père, formation complétée par l’observation de chanteurs parmi les plus prestigieux de son temps : ils viennent se produire à Paris et fréquentent sa fa-mille.

Le traité de García fils constitue ainsi un des derniers livres de chant à recommander certains procédés comme le (léger) coup de glotte, les mouvements de la respiration basés sur l’élargissement thoracique, (sans « gonflement » du ventre), ou encore l’art du phrasé, que l’auteur détaille dans une grande diversité de variantes.

García fils reste fidèle à ces pratiques, et ceci jusqu’à la fin de sa vie. Il est convaincu de l’intérêt de ces manières de faire qu’il situe en rapport à un résultat sonore : la recherche de l’émission du son, et non de la « production » de la voix. Ce détail nous semble très significa-tif, ce n’est pas le volume mais la qualité et flexibilité du son expressif, qui l’intéresse.

García fils admet d’autres manières de faire. Son intérêt scientifique pour les phénomènes vocaux l’amènent à réfléchir à d’autres approches : l’utilisation du timbre coperto est ainsi expliquée en même temps que l’usage d’un timbre clair et flexible ; le travail de sept timbres vocaliques (a, e, è, i, o, ò, u.) ; celui de la justesse d’après le piano (la justesse des chanteurs était jusque-là un moyen d’expression !) ; de la recherche d’égalité de l’émission de la voix (ce qui est certainement incompatible avec les coloris d’intensité) ; enfin, de l’emploi du mé-tronome pour contrôler et augmenter la vitesse des agilités.

Néanmoins, son rapport à l’écrit-partition reste très libre. Pourtant, il différencie déjà certains styles de composition, comme les airs de Haydn, qui admettent moins de liberté. La notion de répertoire « classique » semble stabilisée.

Toutefois, García fils renouvelle l’approche de l’apprentissage du chant, non seulement suite à ses découvertes scientifiques, mais aussi par son approche innovante de l’écrit. En effet, au lieu de reprendre – comme font d’autres auteurs, de méthode en méthode, les mêmes exerci-ces – il se questionne sur la fonction de l’écrit dans les livres d’enseignement et n’hésite pas à les adapter ou à en changer l’ordre.

Il différencie ainsi ce qu’il considère comme « développement de l’écrit » de la réalité des pratiques. Il relègue la messa di voce au niveau plus avancé du chant. Et les exercices qu’il

74La dénomination belcanto pourrait être attribuée à tout chant (même en dehors du concept « classique ») qui correspondrait à certaines pratiques sociales, considérées d’un point de vue esthétique comme représentantes d’un concept particulier de « beauté » traduit par la vocalité.

75C’est-à-dire d’après des auteurs comme Cicéron et Quintilien, normes qui ont été adoptés par les académiciens avec le mouvement de la Renaissance.

70 écrit sont à chanter comme tels, ou à transposer à quelques tons de différence, selon les tessi-tures des élèves.

Grâce à ce rapport innovant à l’écrit, l’auteur nous livre des détails que les anciennes méthodes ne révélaient pas. A titre d’exemple, c’est la première fois que nous trouvons dans un traité une description détaillée des moyens pour « amplifier » le son et l’indication de

« points de résonance » considérés comme des « appuis ». Nous l’avions déduit de manière implicite, dans la Méthode de 1803, mais il s’agit de la première fois que nous les trouvons expliqués.

García fils propose encore un ordre de travail destiné à l’élève, en absence du maître.

Jusqu’alors, nous n’avons pas non plus trouvé ce type d’explication dans un contexte de livre didactique.

Au niveau de la transposition didactique, García fils va encore plus loin que ses prédécesseurs dans l’abstraction de son discours, qui se rapproche du discours scientifique. En outre, ses classements, ses descriptions, sont souvent beaucoup plus complètes que celles des livres plus anciens.

La reconnaissance d’une expression qui est la « manifestation des sentiments » constitue éga-lement une approche innovante. Toutefois, il ne suffira pas de chercher cette expression, il faudra avoir assimilé la « bonne méthode », c’est-à-dire, la flexibilité de l’émission et l’art de composer, qui permettent de varier.

Toutefois, l’émission du son devient geste réfléchi, geste « technique ». Par exemple, l’explication de la « position de la langue » ou du « coup de glotte » constituent chez García fils le résultat d’un travail important d’observation et de recherche : nous sommes loin de la

« spontanéité » du geste de l’apprentissage par imitation.

La dimension mimétique est ici absente, la notion de « technique » transforme profondément le procédé. Par exemple, la posture de l’élève, « d’aplomb, sur les deux jambes » – que nous pratiquons encore de nos jours – est en contradiction avec la posture expressive, du déhanchement, qui permettait l’utilisation variée du geste (cf. Annexe 2, N° 2, p. 58). Cette position du corps, proche de l’image représentée par la « planche anatomique », est une position qui correspond au travail « technique » et à la recherche scientifique du XIXe siècle.

Ceci dit, si García fils peut expliquer, c’est parce qu’il dispose d’outils dont les anciens maîtres ne disposaient pas, et qu’il les a acquis essentiellement par sa recherche scientifique combinée à celle de pédagogue.

Dans les notes de bas de page, nous avons identifié encore des procédés qui sont en train de disparaître, comme l’emploi des coloris : García fils en fait mention à Martini. Le terme coloris va bientôt disparaître des méthodes en même temps que se transforme le concept d’expression belcantiste, et qui émerge celle qui est propre à l’artiste : l’ « interprétation ».

García fils fait déjà référence à l’expression ressentie par le chanteur : avant, nous n’avions pas trouvé cette approche.

Il est aussi intéressant de constater, en rapport à la notion de style d’après Tosi, que García fils affirme qu’elle n’est plus en usage. Pourtant, García fils pratique encore les styles spianato, fiorito et declamato, comme Tosi : (« Dans les temps actuels ils ne sont plus les mêmes, mais il y a encore leur principal formes desquelles les principaux styles sont dérivés. » (García fils, 1894, p. 75). In modern times these division are note the same, but still there are there principal forms from which all the others are derived.

Nous interprétons cette affirmation comme indice de transition entre deux paradigmes concernant le style. Dans le processus de transposition didactique, cette transition se manifeste par l’abandon d’une terminologie, qui précède l’ « oubli » des pratiques.

71 Le monde scientifique s’intéresse à la voix, progressivement les auteurs se montrent méfiants vis-à-vis de la tradition. Nous allons aborder ces textes scientifiques dans notre douzième analyse.

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Annexe 2, N° 4