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CHAPITRE 8 – CONCILIATION emploi, vie familiale et vie personnelle

8.3 Discussion

8.3.1 Mesures de conciliation utilisées et souhaitées

Le travailleur autonome est le seul initiateur des mesures de conciliation famille-emploi susceptibles de l’intéresser puisque, en ce moment, aucune mesure gouvernementale n’existe pour soutenir la famille en matière de congés pour raisons familiales et personnelles42.

« Être une femme et être entrepreneur, je ne dis pas quand tu as des employés et que tu puisses juste gérer un peu, déléguer… mais il y en a bien des femmes tout seules… qu’est-ce qu’elles font, elles n’ont pas d’enfants, ou elles arrêtent leur business… t’sais, repartir après, pis dire à tes clients: Je ne serai pas là pendant un an et demi…ta business elle s’effondre, le monde t’oublie, le monde oublie vite. Moi, je serais quelqu’un qui voudrait pousser pour que ça se développe. Moi j’ai la chance que ma conjointe elle ait un bon emploi pis qu’elle aille tout ce qui va avec mais moi aussi j’aimerais ça aussi passer du temps. »

[Photographe (♂), en couple, TA-4 ans] 020

8.3.1.1 Congés pour raisons familiales et congé de maternité

En tête de liste des mesures de conciliation famille-emploi utilisées, les congés pour répondre aux urgences familiales sont ceux sur lesquels les travailleurs autonomes qui sont aussi parents insistent davantage. Même s’ils sont plutôt ad hoc que systématiques ou planifiés, ils sont une priorité en matière de conciliation emploi- famille.

Pour le travailleur autonome, la naissance ou l’adoption d’un enfant peut aussi impliquer des pertes de revenus équivalentes à l’importance du congé. En effet, tout comme pour la travailleuse autonome, le désir ou la nécessité de s’arrêter quelque temps à l’occasion de cet évènement n’est pas synonyme de simplicité parce que des pertes

42 La question du congé de maternité ou parental a été abordée au chapitre 3. Rappelons que les travailleurs

autonomes sont admissibles au congé parental offert par le Québec depuis janvier 2006. Il serait intéressant d’étudier le recours à cette mesure par les hommes et les femmes et d’étudier la durée des congés.

sont automatiquement encourues ; ces pertes sont à la hauteur des revenus perdus auxquels les dépenses courantes fixes doivent être ajoutées.

En matière de congé de maternité, la travailleuse autonome qui a un ou une partenaire d’affaires est susceptible d’envisager plus facilement la possibilité de prendre un congé de maternité dans la mesure où elle peut compter sur un appui durant son absence. De plus, des modalités relatives au congé de maternité sont souvent prévues dans les conventions d’associés :

« Mais aussi, point de vue congés parentaux, je ne peux pas partir 6 mois ou un an, c’est pas vrai, nous, un congé de maternité, on s’est prévu, dans notre convention d’associés, 3 mois payés, c’est bien quand même… c’est certain que ça demande de l’organisation […] »

[Notaire (♀), célibataire, TA-1,5 ans] 022

Par ailleurs, la place offerte au père dans le cas du congé à l’occasion de la naissance ou l’adoption d’un enfant ne semble pas claire, comme le soulignent deux participants :

« C’est clair, je ne travaille pas, j’ai pas de revenus, j’ai des contrats, des affaires qui roulent mais en gros, c’est pas mal ça. Pis quand est arrivé le premier, j’ai pris quelques jours, t’sais, tu essaies de prévoir mais tu ne prévois jamais. C’est sûr que la semaine où le bébé est né, tu es capable de t’arranger pis qu’après ça, bon je travaillais plus souvent de la maison […] »

[Conseiller RH, en couple, 2 enfants, TA-4 ans] 034

« En tant que société, on ne reconnaît pas la place du père de l’enfant, on commence là…as-tu droit? Je pense que tu n’as même pas le droit… je ne le sais pu si tu as le droit, peut-être tu as le droit à quelques semaines… en tout cas, tu n’as presque pas le droit à rien, sinon tu as le droit à rien encore. Ils comprennent pas ça qu’elle, elle aimerait ça que tu sois là. Ce n’est pas important que tu sois là le jour qu’elle accouche. » [Graphiste (♂), monoparental-1 enfant, TA-7ans] 005

Les autonomes ayant des collègues essaient de se créer un cadre de travail et d'échange qui facilite la conciliation entre leur emploi et le fait d’être nouvellement parent ; encore faut-il que le contexte de travail le permette.

« Les mesures financières qui les [les travailleurs autonomes] aident sur une année ça, ça serait mieux parce que dans le fond, le mal il se fait sentir sur les 12 prochains mois… des mesures fiscales qui permettent, peut-être un break au niveau fiscal pendant les 12 mois quand tu reviens sur le marché du travail, ça ça serait quelque chose de

fantastique, il l’avait fait le gouvernement québécois avant de faire les élections, il avait lancé une mesure pour les TA que les libéraux ont enlevés le lendemain, mais ça c’était une belle mesure, une super belle mesure, mais sinon… c’est facile… les avocats qui sont tes confrères te donnent des breaks sur tes dossiers, personne te fait chier… les juges ils savent très bien qu’à 5h si tu es dans un dossier pis qu’il faut que tu ailles à la garderie, ben ce n’est pas gênant de dire "Ben là on ajourne, ou ben laissez moi le temps de téléphoner, moi j’ai ma fille à la garderie ou il faut que je rentre parce que la

gardienne doit partir" ça c’est des choses qui se font bien, il faut les demander par exemple, il ne faut pas être gêné, il y en a qui se gênent de les demander, moi je pense qu’il faut quand même être responsable pis savoir ce qu’on veut. »

[Avocate, en couple, TA-12 ans] 065

Ceux et celles qui n’ont pas de proches collaborateurs ou d’associés se tournent vers les membres de leur famille, mais cela n’est pas toujours possible. L’aide gouvernementale pourrait être une solution, mais cette aide ne doit pas prendre nécessairement la forme d’une prestation de maternité. Pour certains, l’idée de rendre disponibles des services d’aide familiale soutiendraient la travailleuse autonome qui veut poursuivre ses activités après la naissance de son enfant, mais à un rythme différent, reste à explorer. De cette façon, les pertes de revenus seraient moins importantes, sans compter la possibilité de ne pas laisser tomber ses clients durant cette période.

« Ben bon, avant j’avais la chance d’avoir ma mère qui prenait la relève quand j’accouchais, mais là, je n’aurai pu cette chance là, fait que… Des fois ça peut être intéressant d’avoir… pour cette partie-là je dirais que ça serait intéressant que le gouvernement s’implique comme il veut qu’on augmente le taux de natalité, ça serait intéressant qu’il puisse nous aider à être là aussi pour nos enfants quand on accouche, pas les envoyer le lendemain un coup avoir accouché. Je pense qu’à ce moment-là, ça serait intéressant de pouvoir avoir de l’aide du gouvernement justement pour pouvoir prendre le temps, ou d’avoir quelqu’un pour aider à concilier, les mois où c’est un peu plus difficile quand on vient d’accoucher. »

[Représentant, en couple-3 enfants, TA- moins d’une année] 045b

Même si la parentalité n’est pas une réalité déjà vécue ou actuelle, la question du congé de maternité ou parental, voire de paternité, demeure une préoccupation pour celles et ceux qui en font un projet, car même avec le nouveau régime québécois d’assurance parentale dont peuvent bénéficier les travailleurs autonomes, tous les problèmes ne sont pas réglés, comme le révèlent les propos suivants :

« Ben je n’ai pas de sécurité d’emploi, je n’ai pas de sécurité de revenus, je n’ai pas d’assurance-chômage, je n’ai pas de congé de maternité, c’est des choses qui sont importantes parce que… ça fait partie de ma réalité… j’ai l’intention d’avoir des enfants, mais il faut que je les prévois financièrement, je n’ai pas le congé de maternité, en tout cas en 2006, on va voir… pas tout de suite… pis en même temps, j’ai mon entreprise, ma clientèle, donc c’est des choses qui doivent se prévoir là, plus que pour quelqu'un d’autre par exemple un employé peut tomber enceinte pis avoir son congé pis revenir au travail elle a sa sécurité d’emploi tout ça…et puis moi, quand je reviens après mon congé de maternité, ben tout est à resolidifier là… je n’ai pas cette sécurité-là. »

[Réviseure, en couple, TA-2ans] 059

« Je compte avoir un enfant d’ici les deux prochaines années. Donc, au niveau du revenu, qu’est-ce que je fais? Mais aussi, au niveau de la clientèle que j’ai montée, qu’est-ce que je fais? Est-ce que j’engage quelqu’un qui va me remplacer? Mais je travaille à partir de la maison, il y a cela… Cet inconvénient-là, cela commence à me travailler un peu: qu’est-ce que je vais faire? Je vais vouloir profiter de mon congé de maternité, mais en même temps… Cela c’est une grande question. »

« Ben moi j’en veux des enfants… c’est que moi, ma conjointe va prendre son congé mais j’aurais aimé ça aussi pouvoir le prendre aussi… c’est plate qu’on ne soit pas épaulé là-dessus. »

[Photographe (♂), en couple, TA-4 ans] 020

D’ailleurs, tout régime de congé parental doit permettre au travailleur autonome de choisir le temps d’arrêt en fonction de sa réalité :

« Moi…j’en ai déjà parlé avec mon conjoint, je ne pense pas être capable d’être quelqu'un, ce n’est pas que je n’aimerais pas mon enfant ou quoi que ce soit mais moi, un an sans travailler, je vais capoter, je sous-estime peut-être le côté mère en moi, mais je pense que je vais retourner très vite sur le marché du travail par choix pis par intérêt pis par conviction. Pas que je n’ai pas la conviction famille, mais moi, au bout de 3 mois ma mère elle allait me faire garder pis elle retournait sur les bancs d’école pis elle était prof pis c’était ça à l’époque, pis je ne pense pas que j’ai mal viré pour autant…Ce désir là, ou cette réalisation là de rester les premières années avec ton enfant pis de l’épauler, pour moi, c’est très lourd parce que ça ne me rejoint pas."

[Photographe (♀), en couple, TA-4 ans] 056

8.3.1.2 Services de garde

Le système des services de garde, tel qu’il fonctionne actuellement, reçoit un appui favorable de la part des travailleurs autonomes interviewés qui utilisent ces services, surtout que, dans bien des cas, c’est la seule mesure familiale qui leur est accessible.

« Je pense que les services de garde sont déjà amplement suffisant avec les écoles, c’est assez bien organisé, je ne voudrais pas mettre mes enfants plus longtemps à l’école. »

[Organisateur d'événements, monoparental-2 enfants, TA-3 ans] 030

« [Garderies et services de garde] Je pense que ça c’est un excellent système, je pense que ce soit à 5 ou à 7$, whatever. C’est sûr que quand je regarde pis que je vois la tendance qu’on veut tenter de moduler les tarifications, je grimpe un peu dans les rideaux, parce que… tu gagnes plus d’argent, tu paies plus d’impôts, tu contribues plus, point. Il ne faut pas que ça te coûte en plus plus cher parce que tu n’as pas droit à rien. Moi j’ai pas le droit à l’assurance-chômage, j’ai pas le droit à rien. (…) moi les politiques familiales ça ne me touche pas…la seule chose qui me touche, c’est les garderies. » [Conseiller RH, en couple, 2 enfants, TA-4 ans] 034

En matière de services de garde, il y aurait une demande pour un service de gardiennage « sur mesure » via, par exemple, une agence de gardiennes, puisque les travailleurs autonomes qui n’ont pas d’horaires réguliers ou qui n’ont pas besoin d’un service à temps plein, n’ont pas accès aux services de garde traditionnels. Sans compter que trouver une gardienne disponible le soir ou la fin de semaine n’est pas si simple lorsqu’un membre de la famille ne peut se rendre disponible.

« [Au sujet de la difficulté à concilier famille et emploi] Pas aujourd’hui. La seule chose… un peu dans le sens où je trouve encore, quand même, aujourd’hui, même si tu travailles à ton compte, par exemple, le réseautage, c’est quasiment tout le temps le soir ou, sinon,

à 7h00 le matin, t’sais. Bon, les garderies ouvrent à 7h00, elles ferment à 6h00. Fait que c’est sûr que je pense que… Je pense encore aujourd’hui que, même en travailleur autonome, si tu veux avoir du succès et si tu veux tout faire comme tu voudrais, il faut que tu t’impliques aussi les soirs, puis, t’sais… Donc, là-dessus, bien oui, je cherche encore des gardiennes, puis… pour… Fait que ce n’est pas toujours, toujours évident, mais c’est beaucoup plus facile aujourd’hui, en tout cas. »

[Dépannage et services aux personnels et aux entreprises (♀), monoparentale–1 enfant, TA-1 an] 032

L’organisation et la planification, de même que le soutien du conjoint permettent de compenser pour une aide gouvernementale inexistante ou insuffisante.

« Encore là je vois ça comme une liberté parce que nous on a la chance d’avoir un revenu assez intéressant comme, en étant deux travailleurs autonomes […] c’est sûr qu’il n’y aurait pas de compensations de l’État, bon, en quelque part je me dis, on va la faire notre sécurité on est capable mais c’est sûr que je deviendrais beaucoup plus

dépendante de mon conjoint, ça ça me sécurise, tant que ça va bien, ça va bien. C’est sûr qu’il va falloir que j’établisse ma propre sécurité. Je ne sais pas comment je le ferai… si je n’avais pas ce conjoint là ou si j’étais incertaine, je n’y penserais pas à la maternité c’est sûr mais étant donné qu’on a une situation familiale assez forte pis on en veut des enfants c’est sûr qu’on va s’arranger. Moi je me dis, on s’arrange toujours pis nos grands-mères en avaient pas d’assurance-chômage pis ils en ont eu des enfants. Mais ça reste tellement abstrait peut-être que si je me trouvais avec un petit demain matin peut-être que je paniquerais, j’aurais aucune idée… ça reste dans l’abstrait pour moi. » [Rédactrice, en couple, TA-3 ans] 055

Certaines solutions à la difficulté de concilier famille et emploi se trouvent à l’intérieur même du ménage, à travers un juste équilibre en matière du partage des tâches et des responsabilités familiales. La présence du conjoint devient essentielle, sans quoi il serait impossible, par moments, de soutenir le rythme du travail autonome. Ainsi, pour reprendre l’idée soutenue par une participante, une avocate, il est impossible d’être monoparental(e) dans le métier. Il faut avoir un(e) conjoint(e) parce que la conciliation emploi-famille est trop difficile ; précisons que le conjoint de cette participante est également avocat et que leur lieu de travail n’est pas à proximité du domicile.

CHAPITRE 9 – SITUATION PARTICULIÈRE