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Chapitre 3 – ORGANISATION DU TRAVAIL : Les conditions de travail et son

3.3 Autonomie et créativité

L’autonomie et la créativité sont souvent perçues comme des avantages associés à l’exercice du travail indépendant. Nous avons voulu voir dans quelle mesure cela se vérifie dans la réalité.

3.3.1. Recension des écrits

Plusieurs auteurs affirment qu’un des avantages du travail autonome est justement l’augmentation de l’autonomie (Hundley, 2001a ; Parasuraman et Simmers, 2001). Parslow et al. (2004) confirment que les hommes et les femmes autonomes ont une plus grande autorité sur leurs décisions comparativement aux salariés, alors que les femmes travailleuses autonomes ont aussi plus de flexibilité par rapport aux demandes de travail. Par contre, les auteurs mettent certains bémols aux avantages du travail autonome, puisque leurs résultats montrent que si le travail autonome n’offre aucun bénéfice pour la santé des hommes, il semble avoir un impact sur les femmes, puisque les travailleuses autonomes ont une moins bonne santé physique que les salariées. De plus, le travail autonome est associé à peu de bénéfices en ce qui concerne la santé mentale.

D’après Anthias et Mehta (2003), il existe une différence dans les raisons qui motivent les hommes et les femmes à se lancer en affaires comme travailleurs autonomes. Les hommes visent davantage un gain financier et le contrôle sur leur pratique de travail, alors que les femmes recherchent plutôt une manière d’honorer certains facteurs personnels et symboliques relatifs à leur projet de vie, comme l’indépendance et l’accomplissement personnel.

D’ailleurs, selon les résultats de Parslow et al. (2004), les femmes travailleuses autonomes ont plus de symptômes dépressifs si elles ont un faible pouvoir de décision. L’importance du contrôle semble également se confirmer lors des comparaisons entre les professions. Selon Fraser et Gold (2001), dans certaines professions, on note un plus haut niveau d’autonomie et de contrôle dont ne bénéficient pas nécessairement tous les types de travailleurs autonomes. Chez les traducteurs notamment, il semble que cela soit essentiellement dû à l’inélasticité dans la demande de certains services, créée par l’expertise et par la relation particulière qui doit se développer avec la clientèle.

Finalement Peel et Inkson (2004) suggèrent que les vues récentes sur les carrières nomades (boundaryless careers) s’avèrent davantage pertinentes pour les travailleurs très qualifiés (highly-skilled), alors que les travailleurs moins qualifiés restent très contraints. Leur article aborde également les tensions entre les forces structurelles qui contraignent l’autonomie en carrière d’un individu et le désir de plusieurs travailleurs à être des agents proactifs dans la construction de leur propre carrière (structure vs

agency).

3.3.2 Résultats de notre recherche

Comme nous l’avons vu, certaines études indiquent que les gens optent pour le travail autonome en vue de jouir de plus d’autonomie. Pour notre part, nous avons demandé aux travailleurs autonomes quelle est pour eux l’importance des avantages suivants : autonomie quant à la façon d’exécuter le travail, indépendance et liberté, ainsi que variété du travail, multitude des défis et créativité. Parmi ces trois avantages, l’indépendance et la liberté occupent le premier rang puisque 61 participants (85,9 %) jugent qu’il s’agit d’un avantage « important » ou « très important ». Par rapport à l’autonomie, 58 participants (81,7 %) évaluent que c’est un avantage important ou très important. Finalement, 57 participants (80,2 %) affirment que la variété du travail, la multitude des défis et la créativité sont des avantages importants ou très importants du statut d’autonome. Il est à noter que 5 participants n'ont pas donné de réponse à cette question. Aussi, quelques différences apparaissent en fonction des regroupements professionnels. (Tableau 3.14)

Tableau 3.14

Nombre de mentions « important » ou « très important » aux avantages du travail autonome, selon le regroupement professionnel

Nombre de mentions (% sur 71) Professionnels membres d'un ordre (% sur 18) Professionnels n’appartenant pas à un ordre (% sur 40) Autres (% sur 13) Indépendance et liberté 61 (85,9 %) (100 %) 18 (82,5 %) 33 (76,9 %) 10 Autonomie quant à la façon d'exécuter le travail 58 (81,2 %) (88,9 %) 16 (82,5 %) 33 (69,2 %) 9 Variété du travail, multitude des défis et créativité

57

(80,3 %) (88,9 %) 16 (82,5 %) 33 (61,5 %) 8

N'ont pas donné de réponse à la question ou ne savaient pas 5 (7,0 %) - 3 (7,5 %) 2 (15,4 %)

L’autonomie dépend de la nature du travail, du secteur d’activités ainsi que du métier ou de la profession, mais aussi de l’expérience comme travailleur autonome. Une nette distinction apparaît entre les travailleurs autonomes qui en sont à leurs premières années et les travailleurs autonomes bien établis. Aux premières années, on se laisse davantage convaincre d’accepter les conditions des clients ou les « contenus » bien définis. La réputation et les années d’expérience contribuent cependant à développer un sens critique envers le travail demandé. On devient alors partie prenante des projets dans la mesure où cela s’y prête. Ajoutons que cette autonomie demeure relative puisque le travailleur se doit quand même de satisfaire d’abord les besoins de sa clientèle, besoins qui motivent le fait que ses services sont sollicités.

L’autonomie quant à la façon d’organiser son travail s’avère dans bien des cas une condition essentielle rattachée à l’exercice d’un travail autonome, comme en témoignent les propos suivants :

« De ne pas devoir faire des compromis au niveau de la qualité des services que je dois offrir, être dans une firme de consultants, on te dit par exemple que tu as une semaine pour faire le mandat alors que je pourrais vouloir en prendre 2 pour le faire, on me dit que tu as une formation à monter pour dans 3 jours, alors ça me prend une semaine moi monter mes formations, je trouve que c’est un avantage important. »

« […] puis de m’organiser moi-même, de faire mes propres choses puis prendre mes décisions et me planter aussi. Faire mes propres erreurs mais au moins j’assume mes erreurs mais les bons côtés, c’est moi qui les assument quand je les fais. »

[Comptable (♀), en couple-3 enfants, TA-13 ans)] 009

La créativité est un aspect important dans le choix du travail autonome. Dans les résultats l’Enquête sur le travail indépendant au Canada, le défi, la créativité, le succès et la satisfaction personnelle arrivent au deuxième rang des principales raisons de devenir travailleur indépendant, tout juste après l’indépendance, la liberté et le fait d’être son propre patron (Delage, 2002).

Dans notre étude, la créativité ressort essentiellement sous trois formes : d’abord, le statut d’autonome comme alternative à la structure traditionnelle du travail ; ensuite, la latitude de mener à bien les tâches comme bon nous semble ; puis, le choix des tâches ou des secteurs où l’on désire mettre ses habiletés à profit.

En ce qui concerne la structure du travail, le statut d’autonome permet de sortir du cadre, d’avoir la liberté de bâtir une structure à son image (2 mentions ; 2 femmes) :

« T’sais, comme mon amie me disait "tu devrais travailler dans une compagnie, puis là t’aurais un chèque de paie à toutes les deux semaines, tu ferais bien plus d’argent", je lui disais "mais, [X], s’il y a une compagnie qui offre exactement ce que je veux faire, je vais y aller, mais j’en doute bien gros qu’il y a quelqu’un qui va m’offrir de une minute faire des relations de presse pour des affaires que j’aime, puis l’autre minute faire un magazine. T’sais, si quelqu’un me dit "écoute, il faut que tu me sortes un magazine à tous les mois", il ne sera pas bon. »

[Relationniste, en couple- 1 enfant TA-10 ans] 027

Quant à la latitude de faire les choses à sa manière, il s’agit surtout de mettre à profit tout un éventail d’aptitudes, ce qui n’est pas toujours possible dans les organisations où les tâches de chacun sont strictement définies :

« Tu vois, quand t’es à ton compte, tu peux faire ce que tu veux. Quand t’es dans une boîte [agence de communication], souvent, t’es comme poignée dans une cage… "Ah bien, c’est cela qu’il faut que je fasse", puis tu ne peux pas déborder parce que… Des fois, je faisais quelque chose, puis je disais "ah, j’ai eu cette idée-là"… "ah bien non, cela c’est la job de [X], tu ne peux pas faire cela"… "Ah, OK…" puis il fallait que tu laisses tomber ton idée. T’sais, il n’y a pas de… Moi, je suis bien créative… Il y a tout le temps des freins [dans une boîte]… "Bien là, il va falloir que tu lui charges", "bien non, c’est pas notre mandat", "bien non, c’est pas ton mandat", c’est cela que je trouve plate. »

[Relationniste, en couple- 1 enfant TA-10 ans] 027

Finalement, le travail autonome donne l’autorité de choisir les tâches ou les secteurs que l’on considère les plus stimulants :

« Je me suis aperçue que, tout en étant passionnée de gastronomie, il n’y a rien de plus plate au monde que la traduction gastronomique, et je préfère de beaucoup faire de la traduction qui n’est pas dans ce domaine-là. Je vais vous dire pourquoi… parce que ce n’est pas compliqué quand on traduit pour des restaurateurs par exemple, on traduit des menus pis des recettes, et c’est très technique, il n’y a aucune créativité là-dedans, traduire 1 tablespoon butter, par une cuillère à soupe de beurre, je ne vois pas l’intérêt […] »

[Traductrice, en couple, TA-6 ans] 041

D’autre part, la création est assimilée à un processus à la fois épeurant et stimulant, puisqu’il naît d’une forme de bouleversement (2 mentions; 2 hommes) :

« C’est lié, je crois, à ce que j’aime beaucoup, la créativité, c’est l’angoisse. Non, pas l’angoisse, c’est trop fort. L’anxiété. Le processus créatif, c’est toujours le syndrome de la page blanche. On se demande "on va-tu être capable", on a une date d’échéance, il faut rencontrer cette date d’échéance-là et c’est pas quelque chose… On ne répète pas des affaires, si j’avais juste à répéter, je m’ennuierais. J’aime cela innover, j’aime cela créer, j’aime cela répondre aux besoins des gens, mais il y a une anxiété qui va avec cela. Des fois, cette anxiété-là, elle est très inconfortable. Bon, je pense que c’en est un

inconvénient. »

[Coach (♂) pour entrepreneurs, en couple-5 enfants âgés, TA-1an] 006

3.3.2.1 Objectifs et résultats à atteindre

Bien que les objectifs du travail et les résultats à atteindre soient déterminés par la clientèle, les travailleurs autonomes s’impliquent tout de même en proposant leurs idées. Les donneurs d’ordres recherchent plus que des exécutants et se montrent généralement ouverts aux idées présentées par les travailleurs autonomes. Aussi, lorsque les objectifs du travail ne correspondent pas aux idées ou à la façon de faire du travailleur autonome, il lui est toujours possible de refuser le mandat, comme le souligne ce participant :

« L’objectif à atteindre, c’est généralement le client qui le fixe. Par contre, il a souvent besoin d’aide pour le fixer, donc on l’aide. Le but, c’est généralement lui qui le fixe. Si moi cela ne fait pas mon affaire, je dis non, je ne le prends pas parce que le but est irréaliste. Donc on a une grosse influence sur le but aussi, mais… »

[Conseiller en relations industrielles, en couple-1 enfant âgé, 14 ans] 007

L’expérience pour le travail exercé, ainsi que les années d’expérience comme travailleur autonome font en sorte que tous n’acceptent pas tout sous prétexte qu’il s’agit d’une demande du client. Dans le domaine de la publicité et de la rédaction, par exemple, les clients sont portés à soumettre des mandats qui peuvent aller à l’encontre de l’éthique personnelle du travailleur :

« […] il y a des fois où, bon, dans le cadre de la rédaction on va te dire "il faut que tu appelles un tel parce que c’est un annonceur" ou quelque cochonnerie de même, mais… Cela, je ne joue pas longtemps avec ces histoires-là, cela me pue au nez. […] je suis dans une situation comme cela en ce moment, puis… présente-moi un autre travail de même, j’en ferai plus, cela finit là. Donc, ce n’est pas vrai, ce n’est pas de la rédaction,

cela, c'est de la publicité et, au tarif que tu paies, non. Les agents publicitaires sont payés autrement mieux que cela. T’sais, il y a des questions d’éthique qui entrent en ligne de compte. »

[Traductrice, monoparentale-1 jeune enfant, TA- 22 ans] 019

3.3.2.2 Faire appel à d’autres travailleurs autonomes pour l’exécution de contrats ou pour un soutien professionnel

Afin de faire face à une demande de travail plus importante à un moment particulier ou encore pour pallier un manque particulier de compétences ou de connaissances, le travailleur autonome peut faire appel à d’autres travailleurs autonomes. Sur l’ensemble des 71 personnes interviewées, 27 (38,0 %) ont mentionné faire appel à d’autres travailleurs autonomes dans le cadre de leur travail. Ce phénomène est un peu plus important pour les professionnels non membres d’un ordre, puisque 20 d’entre eux (50 %) ont spécifié cette pratique ; c’est le cas de seulement 8 des 18 membres d’un ordre (44,4 %) et 6 des 13 participants classés « autres ». La collaboration peut être formelle (contractuelle) ou informelle, régulière ou occasionnelle ; elle varie énormément d’un travailleur à l’autre, voire d’un emploi à l’autre. Par exemple, les services offerts par certains autonomes, notamment les organisateurs d’événements, impliquent que ces derniers fassent régulièrement appel à des fournisseurs qui sont, généralement, des travailleurs autonomes ou de très petites entreprises. Avec le temps, ces relations débouchent même sur de belles occasions de briser l’isolement en alimentant le réseau social du travailleur autonome ; cela est aussi important afin d’assurer la qualité et le professionnalisme rattachés la prestation de service.

« La majorité de mes fournisseurs sont des entrepreneurs, c’est des entreprises en soi mais avant tout c’est des travailleurs autonomes, même chose parce qu’on est tous, en général, si je regarde même mes fournisseurs, les plus gros ont 50-75 employés, entre autres mon traiteur, mais à la base, c’est des gens qui vivent les mêmes réalités, ils n’ont pas plus de sécurité, ce sont des propriétaires d’entreprises dans presque tous les cas et non pas des directeurs généraux, ça change beaucoup la game au niveau de nos fournisseurs. Ceux avec qui on développe le plus d’affinités, on finit par développer du personnel là-dedans pis il n’y a pas juste la "business". »

[Organisateur d'événements, en couple, TA-7 ans] 017

La majorité des travailleurs autonomes interviewés font appel à des tiers pour les tâches relatives à la déclaration de revenus ou pour du support informatique et des conseils juridiques. En matière de comptabilité, certains assument, en tout ou en partie, cette tâche, alors que d’autres puisent dans leur réseau de connaissances pour l’exécution de services professionnels. Par exemple, certains n’octroient que des contrats formels aux membres de leur famille qui possèdent les qualifications requises. Par contre, il ne s’agit pas toujours de professionnels au sens formel. En effet, plusieurs délèguent ces tâches aux membres de leur famille, au conjoint ou encore à des amis, de manière plus informelle. Les situations suivantes illustrent bien cette diversité.

« C’est ma belle-sœur, dès le départ, elle a tout mis en place pis moi… les chiffres, ce n’est pas vraiment mon domaine fort, j’aime pas ça pis je lui laisse la majorité du travail. Donc, une fois aux 3 mois, étant donnée les rapports de taxes, elle doit se présenter. » [Conseillère en communication, en couple, TA-3 ans] 024

« Ben, mon mari est informaticien, alors, par l’entrefait ça aide beaucoup, tout ce qui est logiciel, informatique, tout ce qui concerne l’ordinateur c’est lui qui s’en occupe, TPS, TVQ, rapports d’impôts aussi. Autrement, j’ai quand même un comptable qui vérifie à la fin de l’année voir si tout est correct. »

[Courtier (♀) en design graphique, en couple-2 enfants, TA-6 ans] 046

« Ben ma mère est technicienne comptable pis mon père est comptable agréé, fait que la tenue de livre est faite par ma mère mais c’est fait à contrat, je la paie pour ça, et puis mon père fait mes rapports d’impôts et pis la comptabilité annuelle, donc c’est sûr que c’est un service que j’ai à bon prix mais c’est un service que je ne fais pas moi-même. J’ai eu, de façon ponctuelle, à avoir les services d’avocat pour des conseils, c’est des services que j’ai rémunérés, que… ce n’est pas sous forme régulière. [Informatique?] Non, mon conjoint est programmeur. »

[Nutritionniste, en couple, TA-4ans] 061

« Oui, j’ai un comptable, quand même une fois par année, qui fait mes comptes et puis qui me dit "Ben là, tu peux prendre des REER pour payer moins d’impôts" alors je le fais dans ce sens là. »

[Recherchiste, célibataire, TA-3 ans] 023

« Comptable pour les premières années, mais je me suis rendu compte que je pouvais faire ce qu’il faisait étant donné que ma situation est comparable à chaque année. » [Traducteur, célibataire, TA-2 ans] 062

« Non, j’ai quelqu’un qui fait les impôts, mais c’est pour la famille au complet. Pour ce qui est de ma comptabilité, moi, je fais tout cela. C’est pas assez complexe encore. Je fais même cela à la mitaine, c’est pas tellement compliqué. »

[Traiteure, en couple-3 enfants, TA-5ans] 044