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Manitoba : les fondations de la construction provinciale en immigration

3. Outils théoriques, épistémologiques et méthodologiques

4.3. Manitoba : les fondations de la construction provinciale en immigration

immigration dans les années 1960. Toutefois, à l’instar du Québec, celui-ci ne se

71 Les efforts provinciaux à l’égard du pluralisme à cette époque ne furent toutefois pas un grand succès. Jerome Black et David Hagen rappellent à ce sujet que « [r]ecession-connected funding restrictions admittedly limited public sector spending, but more significantly was the fact that, despite increasing openness, major segments of francophone society had yet to come fully to terms with the idea of a major multiethnic province, even one increasingly francophone in character. Many francophones appeared unprepared to share economic and political power so recently gained form the anglophone community, a sentiment reflected in the PQ’s relatively weak following on policy initiatives meant to increase minority participation in Québec francophone society […] » (Black et Hagen 1994, 292).

consolide pas avant la fin des années 1980. Cette période a néanmoins eu des effets structurants sur la trajectoire manitobaine, en favorisant l’expérimentation et la mise en place d’institutions et de programmes provinciaux touchant l’immigration.

Une relation historique avec l’immigration

Historiquement, le Manitoba a été en grande partie construit par l’immigration (Coates et McGuiness 1987, 31-2; 77-8; Carter et Amoyaw 2011, 166). La province compte un ministère de l’Agriculture et de l’Immigration à partir de 1890 et, jusque dans les années 1910, les agents d’immigrations du Manitoba sont responsables de la majeure partie des arrivées de colons dans la province (Clement 2011). Durant le marasme économique des années 1920 et 1930, le gouvernement du Manitoba – tout comme ceux des autres provinces de la région – voit l’immigration internationale et secondaire comme une source de chômage et un élément devant être contrôlé par le gouvernement fédéral (Wardhaugh 2000, 134-8).

Le rôle du gouvernement manitobain en immigration fut mis en veilleuse après la Seconde Guerre mondiale, et ce, pour deux raisons. Premièrement, et tel que discuté précédemment, la mise en place d’une administration fédérale plus centralisée, de législation et de programmes, dans le cadre du processus de construction nationale de l’Après-guerre rendit désuet un rôle provincial en immigration. De plus, les transformations de l’économie de la province limitèrent les facteurs d’attraction historique poussant les nouveaux venus à s’y installer. En particulier, les transformations de l’agriculture et l’industrialisation des centres de la province précipitèrent (Coates et McGuiness 1987, 135-45) un processus d’exode rural qui limita la demande pour des travailleurs dans les centres urbains (Carter et Amoyaw 2011, 169-70).

À la fin des années 1950, le Manitoba continue, mais avec bien moins d’intensité, le recrutement de travailleurs en demande (p. ex. : travailleurs miniers), mais sans succès retentissant (Carter et Amoyaw 2011, 169-70). Au cours de cette période, l’intervention provinciale en immigration est donc limitée et la province perd au profit des grands pôles d’attraction canadiens, que ce soit dans le cadre des migrations primaires, mais aussi secondaires. Cette situation ne figure toutefois pas très haut sur la liste des actions prioritaires du gouvernement manitobain, alors que la

province voit son économie se transformer et son développement ralentir après la Seconde Guerre mondiale.

Orientations partisanes et changements institutionnels fédéraux

Le gouvernement du Manitoba recommencera à démontrer un intérêt pour l’immigration à la fin des années 1960, sous le gouvernement progressiste- conservateur de Walter Weir (1967-1969). Il entama une certaine mobilisation, ciblant le gouvernement fédéral, centrée sur l’idée de la « juste part » de l’immigration (fair share), c’est-à-dire l’idée que la province se devrait de recevoir une part des flux totaux d’immigration correspondant à sa proportion de la population canadienne (Vanstone 1999, 19; Hawkins 1988, 180-1). Cette mobilisation ne porte pas de réels fruits. D’un côté, on dénote un certain manque d’ouverture de la part du gouvernement fédéral, dont la préférence demeure une gestion centralisée. De l’autre, les capacités administratives et politiques de la province demeurent limitées et ne le permettent pas de donner suite à ses ambitions (Hawkins 1988, 181).

De plus, la question du rôle provincial en immigration est l’objet d’une division partisane cruciale. Le Parti progressiste-conservateur tend à soutenir un rôle provincial en matière d’immigration, avant tout comme outil de développement économique, alors que le Nouveau Parti démocratique, et le gouvernement qu’il formera de 1969 à 1977 y résiste et demeure convaincu que c’est avant tout une responsabilité fédérale (Vanstone 1999, 10-1) (Hawkins 1988, 190-2). En chambre en 1975, résumant clairement la politique du parti, le premier ministre Ed Shreyer (1969-1977) déclara alors : « … matters of immigration are federal in nature …We do not intend, even by invitation … to assume the mantle [sic] of jurisdiction for immigration. It is clearly and historically federal » (Garcea 1994, 385). La résistance néo-démocrate sera une force qui ralentira l’activation de la construction provinciale en immigration au Manitoba.

Le retour du Parti conservateur au pouvoir en 1978 coïncidera avec la mise en place de la Loi fédérale sur l’immigration (1976), créant des possibilités accrues pour les provinces (Hawkins 1988, 378). Mentionnant explicitement l’immigration comme une des solutions au défi démographique de la province dans la plateforme électorale de 1977 (Manitoba Progressive Conservative Association 1977, 2-4), le gouvernement progressiste-conservateur de Sterling Lyon (1978-1981) démontra un intérêt marqué

pour la signature d’un accord en immigration (Vanstone 1999, 9-10) et conclura, à la fin de son mandat, un accord bilatéral modeste à propos de l’accueil et la coordination des services pour les réfugiés (Clement 2003, 197; Rempell 2012). Ce gouvernement créa également, en 1978, une division administrative explicitement dédiée à l’immigration (Vanstone 1999, 9). Les ambitions en matière d’immigration portée par le gouvernement Lyon (Clement 2003, 197) seront toutefois ralenties par une économie en décroissance (Rempell 2012) et des finances publiques en mauvais état (Adam 2008, 44-5), facteurs qui limitèrent encore la force attraction de la province.

Le retour des Néo-démocrates au pouvoir en 1981 met un frein aux revendications provinciales auprès du gouvernement fédéral pour plus de pouvoirs en immigration, sans pour autant arrêter l’intervention provinciale à proprement parler. Jusqu’à sa défaite en 1988 (Adam 2008, 125), le gouvernement néo-démocrate d’Howard Pawley ne montrera pas d’intérêt à négocier d’autres ententes en immigration, entre autres en raison des coûts pouvant leur être associés (Garcea 1994, 462-5). Député néo-démocrate à l’époque, Marty Dolin souligne le manque d’intérêt : « Before 1990, we weren’t doing too much. We were in the government until 1988 [and] I don’t remember anything about immigration coming to the caucus specifically » (Dolin 2012).

Les bases de l’intervention

L’administration publique et des programmes liés à l’immigration demeurent toutefois en place dans la province. Plusieurs ministères comptent alors des unités responsables de l’immigration, du recrutement ou de l’intégration des nouveaux arrivants. Les ministères de l’Emploi, dans ses multiples itérations, les ministères de l’Éducation, le ministère des Services à la famille et celui de la Culture, du Patrimoine et de la Citoyenneté s’acquittaient de responsabilités en la matière.

Ces ministères sont actifs sur trois fronts. Premièrement, en termes d’analyse de politique, par exemple en produisant des études sur l’évolution des politiques d’immigration fédérales et leur impact sur la province ainsi que produisant des analyses pour la planification multilatérale des niveaux d’immigration (Clement 2011). Deuxièmement, en matière de programmes d’intégration, la province compte durant cette période des programmes d’anglais comme langue seconde et elle compte un petit

programme de financement d’organisme en matière d’établissement et d’intégration (Manitoba 1986a, 1986b, 1987, 1990a, 1990b). De même, les activités en matière d’accueil et d’établissement des réfugiés se maintiennent (Clement 2003; Rempell 2012; Dolin 2012). Troisièmement, en matière de recrutement et de sélection, la province est active en premier chef par le programme fédéral d’immigrants investisseurs/entrepreneurs (Vanstone 1999, 12).

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Le développement d’interventions provinciales au Manitoba a permis d’augmenter le soutien sociétal envers l’immigration. Toutefois, ce développement est limité par l’alternance partisane ainsi que par que la faible croissance économique et le mauvais état des finances publiques de la province au cours des années 1970 et 1980. Qui plus est, l’existence de moyens intermédiaires pour répondre aux revendications provinciales (p. ex. : programme des investisseurs) peut être vue comme ayant limité les doléances de la province envers le gouvernement fédéral et les pressions sociétales (p. ex. : pour l’accueil des réfugiés) au cours de cette période. Néanmoins, durant ces années sont mises en place les fondations qui supporteront le mécanisme de construction provinciale en immigration qui s’activera au Manitoba à partir des années 1990.

4.4. L’activation du mécanisme de construction provinciale en immigration