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Explications centrées sur les revendications des provinces

1. Introduction : fédéralisation, puzzle et démarche

1.6. Explications centrées sur les revendications des provinces

De façon moins directe, des écrits identifient les revendications provinciales comme étant en partie prenante du processus de fédéralisation. Historiquement, ces analyses se sont concentrées sur la mobilisation québécoise pour l’acquisition de pouvoirs en immigration et en sélection, dans le cadre d’un processus plus large d’édification nationale compétitive (Labelle et Rocher 2004). Malgré leurs richesses, ces analyses ne sont pas très fécondes pour expliquer le processus menant à l’établissement d’un régime de gouvernance où les deux ordres de gouvernement sont actifs à partir des années 1990, et ce, pour deux raisons. Tout d’abord, et comme il le fut souligné précédemment, parce qu’elles présupposent que le nationalisme et/ou la politique linguistique sont les moteurs centraux pour le développement de l’intervention provinciale et que, en ce sens, ils permettent avant tout de contraster la situation québécoise avec celle des autres provinces. Dans un second temps, parce qu’ils ne permettent pas réellement d’envisager la mise en place de nouvelles dynamiques soutenant l’intervention provinciale en immigration après 1990, et ce, même au Québec.

Outre ce groupe d’auteurs, la majorité des explications du changement centrées sur les provinces s’entendent pour soutenir qu’à partir des années 1990 – mais en particulier à partir des années 2000 –, les revendications des provinces auprès du gouvernement fédéral en matière de pouvoir de sélection, de financement de l’intégration en viennent à augmenter. On note que ces revendications sont basées sur quatre facteurs principaux et très souvent interdépendants : 1) la modification des économies provinciales et, en particulier, l’augmentation de pénuries sectorielles ou

régionales de main-d’œuvre (p.ex: Lewis 2010; Cassin 2011; Belkhodja et Traisnel 2011; Brown et Astravas 2009; Carter et Amoyaw 2011; Frideres 2011; Derwing et Krahn 2008; Ogilvie, Leung, Gushuliak, McGuire et Burgess-Pinto 2007), 2) la prise d’importance du thème du déclin démographique dans les provinces (p.ex.: Baldacchino 2011; Chowdhari Tremblay et Bittner 2011; Carter et Amoyaw 2011; Carter, Morrish et Amoyaw 2008; Lewis 2010; Alboim 2009; Akbari 2011; Walton- Roberts 2005), 3) les changements idéologiques et partisans à l’échelle de certaines provinces, propulsant de nouvelles interventions à saveur économique (p.ex.: Leo et August 2009; Leo et Enns 2009b; Dobrowolsky 2012, 2011) et 4) une mobilisation des acteurs sociétaux, en particulier des communautés d’affaires (Derwing et Krahn 2008) et des municipalités (Good 2009; Poirier 2006; Carter et Amoyaw 2011; Wulff, Carter, Vineberg et Ward 2008), à l’égard des besoins provinciaux en immigration19. La majorité des écrits recensés soutiennent une certaine relation fonctionnelle entre ces revendications et l’évolution des politiques fédérales, en particulier en ce qui a trait au développement d’instruments pour l’intervention provinciale (p. ex. : le Programme des candidats des provinces). Cette relation n’est toutefois pas réellement explorée, alors que ces contributions visent avant tout à évaluer les politiques et programmes provinciaux, en particulier leurs impacts sur les indicateurs d’intégration des nouveaux arrivants.

On compte deux exceptions à ce constat dans la littérature centrée sur les provinces. Ces deux explications illustrent avec plus de détails les impacts des

19 Plusieurs de ces auteurs basent leurs analyses sur le postulat que les changements aux politiques fédérales ont un impact direct sur les provinces. Toutefois, ces postulats sont rarement explorés en détails dans les analyses citées. C’est plutôt dans un autre pan de littérature, surtout les apports sur l’économie politique de l’immigration, que les conséquences des changements au programme canadien d’immigration, mis en place depuis les années 1990, sont analysés en détails. Par exemple, pour Hiebert (2006), la conséquence de ces changements a été l’augmentation du nombre d’immigrants entrant au Canada et plus largement, leur plus lente insertion en emploi n raison de la déconnexion entre les demandes actuelles du marché du travail et les immigrants sélectionnés en fonction de leur capital humain. La conséquence de ce changement est donc la mise en place de pressions importantes sur les services d’intégration, les services sociaux et les soutiens à l’emploi — lorsqu’ils existent. L’auteur rappelle que, parallèlement à ces changements en immigration, à partir du premier mandat de Brian Mulroney (PPC, 1984-1988), on a assisté à une diminution sans précédent des services aux citoyens à l’échelle fédérale. Il est donc possible d’inférer que les conséquences de ce changement de philosophie en immigration, couplé aux modifications générales aux services apportées durant la gouverne de Mulroney puisse expliquer un transfert implicite de responsabilité vers les provinces canadiennes et aussi l’augmentation de leur intérêt pour une intervention en immigration et en intégration.

revendications provinciales sur l’évolution de la politique et des intérêts du gouvernement fédéral entre 1990 et 2010. Elles mettent également de l’avant l’idée qu’il existe une certaine interdépendance entre les revendications provinciales et les réponses de politiques fédérales, tout comme le fait que cette relation apparaît évoluer dans le temps.

Premièrement, plusieurs auteurs effectuent un lien causal direct entre les revendications provinciales à l’égard d’une augmentation de l’immigration économique et la création du programme de nomination des candidats (p.ex. Seidle 2010c; Tolley, Biles, Vineberg, Burstein et Frideres 2011a). Dans ce contexte, on note tout particulièrement l’insistance de la province du Manitoba pour un pouvoir de sélection accru (p.ex. Lewis 2010; Clement 2003) comme source première du programme. Dans ce cadre, le changement au régime apparaît avant tout comme le résultat des activités d’une province novatrice, le Manitoba. Ces analyses, toutefois, ne permettent pas d’expliquer la diffusion du programme aux autres provinces ou encore les dynamiques politiques ayant soutenu la mobilisation au sein d’une province particulière – le Manitoba – à un moment particulier : la mi-1990.

Deuxièmement, pour d’autres auteurs, les revendications provinciales se sont modifiées suivant l’échec du projet d’accord constitutionnel du lac Meech en 1990 — qui comptait des clauses liées à l’intervention provinciale en immigration (Hanna 1995; Pellegrino 1991; Vineberg 2012b, 35-7; Garcea 1991) — et la signature subséquente de l’entente Canada-Québec en immigration en 1991. On propose que, suivant l’échec du projet d’entente, les gouvernements provinciaux se voient promettre plus d’ouverture par le gouvernement fédéral pour la signature d’ententes (Tessier 1995; Garcea 1994). D’autres proposent que la signature de l’Accord Canada-Québec en immigration suivant l’échec de Meech, en plus de représenter une réponse aux revendications du Québec, ait eu comme effet de créer des revendications financières plus importantes pour les autres provinces (Garcea 1994; Vineberg 2011a). Dans ce cadre, plusieurs auteurs présentent le programme des candidats provinciaux comme la façon, pour le gouvernement fédéral, de répondre aux revendications provinciales sans mettre en place des ententes de dévolution similaires à celle contractée avec le Québec

(p.ex.: Tolley et al. 2011a; Banting 2011, 2012) et sans augmenter l’ «asymétrie » au sein du régime20.

Ces propositions, qui identifient la signature d’une entente bilatérale en immigration et en intégration avec le Québec en 1991 comme le point focal du changement, illustre l’importance de rendre compte de l’évolution des intérêts de l’ensemble des gouvernements provinciaux dans le temps. Encore une fois, elles démontrent qu’il faut tenir compte de l’aspect relationnel inhérent au fédéralisme afin de produire une explication valide du changement. Toutefois, ces écrits ne documentent que très peu le contenu et l’évolution des revendications provinciales dont elles font mention. De même, elles ne permettent pas de savoir de quelles façons se sont exprimés les intérêts changeants des provinces tout comme ce qui explique que le gouvernement fédéral ait répondu aux pressions provinciales à certains moments et pas à d’autres.