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L’Accord du lac Meech, le Québec et l’immigration

3. Outils théoriques, épistémologiques et méthodologiques

4.5. L’engrenage : mécanisme de construction provinciale et décentralisation

4.5.1. L’Accord du lac Meech, le Québec et l’immigration

En même temps que le nouveau mécanisme de construction provinciale québécoise en immigration s’active, les provinces et le gouvernement fédéral tentent de régler les tensions constitutionnelles liées, entre autres, au rapatriement de la constitution sans l’accord du Québec. Comme le rappelle Peter H. Russell, les changements de garde presque successifs au gouvernement fédéral et au gouvernement provincial insufflent une nouvelle énergie et redirigent les discussions constitutionnelles entre le Québec et le gouvernement de Mulroney (Russell 1993, 133). Sous Bourassa, la reconnaissance du rôle provincial en immigration et la consolidation des acquis provinciaux en la matière figuraient dans la liste des revendications provinciales, comme exposé plus haut. Tel que souligné par Kenneth McRoberts, les revendications constitutionnelles alors défendues par le gouvernement Bourassa se distinguent de celles de ces prédécesseurs en étant

[...] les plus modestes présentées pas un gouvernement du Québec au cours des dernières décennies [...]. En fait, elles montrent que le gouvernement Bourassa veut présenter un ensemble de propositions acceptable pour le reste du Canada et régulariser ainsi le statut constitutionnel du Québec. Elles démontrent à quel point le pouvoir de négociation du gouvernement Bourassa est limité (McRoberts 1999, 259).

En réponse aux tensions politiques et constitutionnelles issues du rapatriement de la constitution par le gouvernement de Pierre-Elliot Trudeau en 1982, Mulroney entame des travaux avec une approche différente (Tremblay 1998, 452-3) afin de tenter d’apaiser les provinces, et en premier lieu le Québec.Une conférence constitutionnelle se déroule les 29 et 30 avril 1987. Le premier résultat de ces négociations constitutionnelles de l’époque fut le projet d’Accord du lac Meech en 1987 (Simeon

1988).

Au nombre des dispositions, l’accord comptait une section sur les accords relatifs à l’immigration (section 2, ajouts à l’article 95) donnant un statut constitutionnel aux accords bilatéraux en immigration et donc, aux pouvoirs acquis par le Québec par l’accord Cullen-Couture80. De plus, l’accord comptait un engagement de retrait du gouvernement fédéral de la prestation des services d’installation et d’intégration accompagnée d’une « juste compensation » financière versée à la province (Becklumb 2008a, 4-5). De même, le Québec s’y voyait garantir une part proportionnelle des nouveaux arrivants chaque année (McRoberts 1999, 261-2; Juneau 2011). Ces sections de l’accord étaient vues comme cruciales par le gouvernement du Québec, qui a fait de leur inclusion une condition importante de son acceptation du projet d’Accord du lac Meech (Garcea 1994, 222). L’accord ouvrait également la porte à la signature d’entente en immigration pour les autres provinces le désirant.

De façon générale, les dispositions en immigration sont les moins controversées de celles contenues dans le projet d’accord (Garcea 1994, 278), bien qu’en général au

80 Le texte des modifications constitutionnelles propose les ajouts suivants : « […] 95A. Sur demande du gouvernement d’une province, le gouvernement du Canada négocie avec lui en vue de conclure, en matière d’immigration ou d’admission temporaire des aubains dans la province, un accord adapté aux besoins et à la situation particulière de celle-ci. 95B. (1) Tout accord conclu entre le Canada et une province en matière d’immigration ou d’admission temporaire des aubains dans la province a, une fois faite la déclaration visée au paragraphe 95C (1), force de loi et a dès lors effet indépendamment tant du point 25 de l’article 91 que de l’article 95. (2) L’accord ayant ainsi force de loi n’a d’effet que dans la mesure de sa compatibilité avec les dispositions des lois du Parlement du Canada qui fixent des normes et objectifs nationaux relatifs à l’immigration et aux aubains, notamment en ce qui concerne l’établissement des catégories générales d’immigrants, les niveaux d’immigration au Canada et la détermination des catégories de personnes inadmissibles au Canada. (3) La Charte canadienne des droits

et libertés s’applique aux accords ayant ainsi force de loi et à toute mesure prise sous leur régime par le

Parlement ou le gouvernement du Canada ou par la législature ou le gouvernement d’une province. 95C. (1) La déclaration voulant qu’un accord visé au paragraphe 95B(1) a force de loi se fait par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de la province qui est partie à l’accord. (2) La modification d’un accord visé au paragraphe 95B(1) se fait par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée : a) soit par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de la province qui est partie à l’accord; b) soit selon les modalités prévues dans l’accord même. 95D. Les articles 46 à 48 de la Loi constitutionnelle de 1982 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à toute déclaration faite aux termes du paragraphe 95C(1), à toute modification d’un accord faite aux termes du paragraphe 95C(2) ou à toute modification faite aux termes de l’article 95E. Les articles 95A à 95D ou le présent article peuvent être modifiés conformément au paragraphe 38(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, à condition que la modification soit autorisée par des résolutions des assemblées législatives de toutes les provinces qui sont, à l’époque de celle-ci, parties à un accord ayant force de loi aux termes du paragraphe 95B (1).

début, les clauses liées au Québec sont relativement bien acceptées (Russell 259-60). L’opinion publique et politique deviendra plus sévère après la campagne menée par Pierre Trudeau et après l’adoption par le Québec de la loi 178 sur l’affichage en français (McRoberts 1999, 270-3).

L’échec du projet d’Accord du lac Meech en 1990 précipite le pays dans une crise politique sans précédent. En particulier, les relations entre le gouvernement du Québec et du Canada atteignent un abysse inégalé. Même avant l’échec, en raison de la teneur des débats sur la ratification, le soutien à la souveraineté augmente dans l’opinion publique québécoise et cette tendance s’affermit après 1990 (McRoberts 1999, 273). La réaction du gouvernement de Bourassa à face à l’échec du projet d’accord ne se fait pas attendre. En 1990, Le Québec se retire officiellement des discussions constitutionnelles, Robert Bourassa déclare le Québec « société distincte » à l’Assemblée nationale et le gouvernement met en place la commission Bélanger- Campeau sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec et le Parti libéral vote le rapport Allaire (McRoberts, 1999 : 275-276). Finalement, suite aux recommandations issues du rapport Bélanger-Campeau, le gouvernement québécois adopte en juin 1991 la loi 150 « [...] qui exige du gouvernement la tenue d’un référendum sur la souveraineté en juin ou octobre 1992 » (McRoberts 1999, 277).

C’est dans ce contexte de crise politique – la menace liée à la remontée du support à la souveraineté au Québec et la mise en place de mesures pouvant mener à la séparation du Québec par un gouvernement libéral – que s’active ici le mécanisme de décentralisation en immigration. Le gouvernement de Mulroney et, dans une moindre mesure celui de Bourassa, visaient à neutraliser cette crise et démontrant la capacité d’accommodation du régime fédéral et la bonne foi du gouvernement en place (Juneau 2011; Chapman 2011). En raison de l’activation préalable du mécanisme de construction provinciale, une entente bilatérale en immigration apparaît comme un moyen simple et efficace de commencer à gérer la crise (Juneau 2011).

Bien avant les évènements les négociations entourant le projet d’Accord du lac Meech, suivant l’activation du mécanisme de construction provinciale en immigration au Québec, les deux ordres de gouvernements avaient entamé des négociations pour la signature d’un nouvel accord en immigration (1990; Fonctionnaire québécois 1 2012).

Le gouvernement fédéral ne souhaitait toutefois pas conclure formellement une entente bilatérale avant la signature de l’Accord du lac Meech (Garcea 1994, 282). Comme le soutien un fonctionnaire actif au ministère québécois à l’époque, les dispositions en immigration contenues dans le projet d’entente constitutionnelle reflétaient un avancement important des discussions entre les gouvernements :

[Il] y’avait une volonté politique d’en arriver à une entente, mais les négociations en matière d’immigration avaient pris une tournure beaucoup plus concrète et beaucoup plus opérationnelle disons que sur le pouvoir de dépenser. Et donc, dans un sens, oui… Au lendemain de Meech [...], on aurait pu signer une entente en matière d’immigration… Tout était réglé (Simard 2012).

La signature d’un accord ne suivra pas automatiquement l’arrêt des pourparlers autour d’un accord constitutionnel. Deux éléments sont ici à souligner. D’abord, les tensions politiques créées par l’annonce des négociations qui eurent pour effet de ralentir la volonté fédérale d’en arriver à une entente. Les réactions des autres provinces, en particulier celles de l’Ontario (Venne 1990) et celles du Manitoba81 face à la tenue de négociations bilatérales avec le gouvernement du Québec eurent comme conséquence de mettre un frein, pour un moment, aux négociations (Juneau 2011). Reflet de la mobilisation provinciale québécoise en matière d’immigration et en ce qui a trait à la question constitutionnelle à ce moment, le gouvernement québécois mettra en place des efforts importants de lobbying – entre autres par les élus du Bloc québécois au parlement fédéral – afin de convaincre le gouvernement de reprendre les négociations (Garcea 1994). Ces efforts se solderont par un succès. Ensuite dans le cadre de la reprise des négociations, le point d’achoppement central des négociations est le financement. En effet, suivant les dispositions mises de l’avant dans le cadre de l’Accord du lac Meech, le gouvernement fédéral se devait de compenser de façon adéquate la province en raison de son retrait de la prestation des services d’intégration et d’installation. Selon les dires d’un négociateur fédéral responsable du dossier, ce fut finalement la décision d’augmenter l’offre de financement pour le Québec qui rendra

81 Symptôme de l’activation du mécanisme de construction provinciale dans la province, les députés libéraux manitobain, alors dans l’opposition craignent à partir de l’élaboration de projet d’entente de Meech que « […] les clauses sur l’immigration [puisse] compromettre la croissance de petites provinces comme le Manitoba en accordant aux provinces plus grande une proportion supérieure d’immigrants » (1988). Ceci ne sera toutefois pas la position officielle du gouvernement à ce moment.

possible la conclusion d’un accord (Juneau 2011). Celle-ci compte donc la mention des sommes à être transférées vers la province dans le cadre de la dévolution des services d’immigration et d’intégration pour les 4 premières années (Québec 1991a, B2). L’accord compte aussi une formule pour le calcul de ces transferts dans les années subséquentes (Québec 1991a, B2-B5). Cette formule est ascendante et relativement indépendante du nombre d’immigrants accueillis par la province. Il semble clair pour les acteurs de l’époque que la dimension financière de l’accord est avant tout une réponse politique, visant à apaiser le gouvernement québécois de l’époque (Juneau 2011; Chapman 2011).

La rencontre des deux mécanismes

En 1991 est finalement conclu l’Accord Gagnon-Tremblay-McDougall sur l’immigration (Québec 1991a). Cet accord, de par ses dispositions, aura un effet central sur les politiques québécoises d’immigration et d’intégration. Elle donnera au Québec la capacité de poursuivre le développement de son mode d’intervention holiste et cristallisera le consensus au centre de son mécanisme de construction provinciale en immigration. Le communiqué de la presse du gouvernement québécois publié à la suite de la conclusion de l’accord opine en ce sens en soulignant que :

[C]et accord constitue un gain majeur pour le Québec puisqu’il lui donne une série d’instruments lui permettant d’inscrire plus facilement l’immigration dans la recherche de l’atteinte de ses grands objectifs de développement, soit le redressement de ses grands objectifs démographique, la prospérité économique, la pérennité du fait français et l’ouverture sur le monde » (Garcea 1994, 300)82.

La conclusion de cet accord aura des effets structurants sur l’avenir des relations entre les gouvernements en matière d’immigration. Premièrement, elle stabilise leurs relations. En ce sens, elle anéantit presque les liens entre l’immigration et la mobilisation autour d’une construction nationale compétitive entre les deux gouvernements. Deuxième, parce qu’elle propulse un roulement continu du mécanisme de décentralisation, lié au désir du gouvernement fédéral d’éviter l’asymétrie. Ainsi donc, suite à la signature de l’accord avec le Québec, le gouvernement fédéral entame des négociations avec d’autres provinces dans l’espoir de ne pas singulariser l’accord

82 Tiré de Garcea – Québec : communiqué de presse. « Québec et Ottawa annoncent la conclusion d’une nouvelle entente en matière d’immigration. » 27 décembre 1990.

québécois dans le contexte des tensions constitutionnelles d’alors (Chapman 2011)83. Ces négociations ne porteront pas de fruits pour des raisons politiques et surtout financières. Troisièmement, elle a un impact sur la mobilisation des autres provinces et sur la définition de leurs intérêts en matière de relations intergouvernementales liées à l’immigration.

4.5.2. Manitoba : Le Programme des candidats des provinces et le