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3. Outils théoriques, épistémologiques et méthodologiques

3.4. Une proposition de réponse : deux mécanismes qui interagissent dans le temps

3.4.1. La construction provinciale

Dans cette recherche, nous définirons le mécanisme de construction provinciale de façon générique. Concept équivoque, ambigu et galvaudé en science politique canadienne, la construction provinciale réfère avant tout aux dynamiques de développement des provinces. Sa genèse provient d’un désir d’expliquer la résilience des provinces et le développement des gouvernements provinciaux malgré le processus de modernisation de l’État canadien, censé favoriser l’unification et la centralisation (Black et Cairns 1966). Le concept a été ensuite utilisé de multiples façons (p.ex.: Marland 2010b; Chorney et Hansen 1985; Cairns 1992; Elkins et Simeon 1980; McMillan et Norrie 1980; Brodie 1990; Stevenson 1980, 1979) et cette « fécondité » a

amené Robert Young, Philippe Faucher et André Blais à critiquer l’usage de la notion sur plusieurs fronts, dont : 1) l’étirement conceptuel, 2) l’indifférenciation entre les indicateurs du fonctionnement et les résultats de la construction provinciale et 3) le peu d’information produite sur la façon dont la construction provinciale fonctionne, à proprement parler (Young, Faucher et Blais 1984).

Notre approche prend appui sur les critiques de l’utilisation de la notion de construction provinciale en science politique canadienne. Nous soutenons toutefois que, conçue comme un mécanisme, l’idée de construction provinciale peut être réellement utile pour rendre compte des évolutions dans l’activité et l’agencéité des gouvernements provinciaux et pour comprendre le Canada comme régime fédéral.

Afin de dépasser les problèmes avec la notion, la thèse identifie la construction provinciale non pas comme un processus ou comme un concept, mais bien comme un mécanisme interactionnel général. La mise en place d’une définition générique du mécanisme de construction provinciale – définition pouvant être déployée dans plusieurs contextes locaux ou même nationaux, plusieurs domaines de politiques publiques et diverses périodes de l’histoire – est une contribution de cette thèse. En définissant la construction provinciale comme un mécanisme, la question de son fonctionnement devient centrale à l’analyse. De même, il devient plus facile de s’assurer de différencier les instances de construction provinciale des résultats de la construction provinciale pour les provinces et pour le Canada. En lien avec la définition de l’approche mécanistique de Falleti et Lynch (2009), il est possible de dépasser la lecture déterministe du concept et donc de prendre en compte la diversité des formes, de l’intensité et des résultats du mécanisme entre les provinces et dans le temps. En d’autres mots, cela nous permet d’expliquer la présence d’une variation structurée – les quatre modes d’intervention – au sein d’un mouvement global.

À cette fin, la thèse propose une définition générique de travail du mécanisme de construction provinciale : une mobilisation de l’élite centrée sur l’établissement de stratégies visant le développement de la société provinciale (État, administration publique, économie et population). Cette définition n’implique pas de supposition quant aux résultats crées par le mécanisme. Cette définition sera bonifiée, en fin de

parcours, par la mise en commun et la comparaison des études de cas qui retraceront le fonctionnement du mécanisme dans les 10 provinces.

Le fonctionnement du mécanisme de construction provinciale – c’est-à-dire l’agencement de ses composantes (acteurs et actions) représentant les étapes minimalement suffisantes pour soutenir sa présence (Beach et Pedersen 2012, 39) – reste une question empirique pour la recherche. C’est aussi un aspect où il sera possible de mobiliser des apports pour l’analyse des politiques publiques en fin de parcours. Néanmoins, certains éléments communs des études de cas sur la construction provinciale mènent à penser que le fonctionnement du mécanisme peut être caractérisé par les éléments suivants. Premièrement, que le mécanisme est activé et animé par des impulsions provenant avant tout de l’élite des provinces (classe politique, classe des affaires) et des administrations publiques (Cairns 1977; Chorney et Hansen 1985). Ce faisant, le mécanisme n’apparaît pas comme un facteur de changement répondant à une logique électorale (Stevenson 1980)54 bien que les partis puissent être porteurs de prime abord du désir de mettre en place une stratégie de développement provincial. Deuxièmement, le mécanisme, en cours de fonctionnement, générera une image consensuelle de l’objet de l’intervention provinciale (Elkins et Simeon 1980). Cette image servira de point de rassemblement pour la mobilisation des différents groupes d’intérêts dans la province et pour orienter le développement institutionnel et les politiques mises en place par la province. Troisièmement, le mécanisme repose sur une augmentation ou une réorientation de l’intervention étatique, cadrée par les acteurs suivant l’image consensuelle établie. Quatrièmement, la construction provinciale, en raison des caractéristiques précédemment exposées, tend à être un mécanisme de nature auto-renforçante; la création d’une image consensuelle, l’établissement d’institutions et de politiques ainsi que le caractère avant tout élitiste des acteurs concernés (et donc, d’une certaine façon, protégés des doléances et aléas des citoyens) dénotent tous une tendance à la stabilité et aux effets de rétroaction positive. Toutefois,

54 C’est-à-dire que les objectifs des politiques et des programmes mis de l’avant dans le cadre de l’activation du mécanisme de construction provinciale dépassent les mesures visant uniquement à la réélection. Ces objectifs sont souvent à moyen et à long terme et ne visent que rarement les conditions des électeurs en tant qu’individus, mais bien plutôt la société provinciale comme une communauté

politique inhérente. À l’égard de la communauté politique provinciale comme unité de référence, voir

la nature relationnelle du mécanisme vient contrecarrer la tendance à la croissance et au renforcement du mécanisme. En effet, le mécanisme peut s’essouffler ou prendre de l’expansion en fonction des autres mécanismes avec lesquels il évolue55.